Le roi George V de Hanovre

Le roi George V de Hanovre
Revue des Deux Mondes3e période, tome 46 (p. 199-211).
LE
ROI GEORGE V DE HANOVRE

Un Prussien entré en 1859 au service de la maison de Hanovre, M. Oscar Meding, a entrepris de retracer les malheurs de sa patrie d’adoption, la fin tragique de ce royaume guelfe qui n’est plus aujourd’hui qu’une province de la monarchie des Hohenzollern. Son premier volume est intitulé : Avant la tempête ; il raconte dans le second la catastrophe et ses suites[1]. On ne saurait lui reprocher d’être mal informé ; il a été témoin et acteur, il siégeait dans les conseils de son roi. On ne peut lui reprocher non plus d’avoir trop de passion et trop de fiel ; sa plume est sans venin, il écrit sans haine et sans colère. L’amertume des regrets qu’il peut ressentir est tempérée par la déférence qui est due aux habiles et aux puissans de la terre, par le respect qu’il convient d’avoir pour le succès et la victoire. Il n’est pas disposé à récriminer contre les hommes, il n’accuse pas leurs noirceurs, il ne s’en prend qu’à de fâcheuses conjonctions d’étoiles, aux accidens, à la malice des destinées, et les destinées ne se soucient guère des injures que nous pouvons leur dire ; leur métier est d’être sourdes.

Après avoir été conseiller de préfecture à Hanovre, M. Meding fat nommé directeur de la presse et obtint ses entrées au conseil. La situation qu’il occupait n’était pas de celles qui mettent un homme en vue et que convoitent les ambitieux ; mais il avait l’oreille, la confiance du maître, on le mêlait presque malgré lui à beaucoup d’affaires, et plus d’une fois il fut chargé de missions secrètes dont il s’acquitta avec succès. Il y a.des hommes qui ne conçoivent pas le bonheur sans plumet et sans trompette ; M. Meding se défiait des bonheurs à plumet et il ne sonnait jamais de la trompette ; il avait peu de goût pour ce bel instrument, qui a causé tant d’infortunes. Il savait parler bas et même se taire, et en toute chose il préférait l’être au paraître. Il avait pris son parti de rester sur l’arrière-plan et dans la coulisse ; la considération dont il jouissait en haut lieu lui suffisait. A vrai dire, ses conseils n’étaient pas toujours suivis ; il avait l’influence, il n’avait pas l’autorité. Nous l’en croyons sans peine, s’il n’avait tenu qu’à lui, certaines fautes dont les conséquences furent fatales n’eussent pas été commises. Mais nous avons déjà dit qu’il n’accuse personne, qu’il ne s’en prend qu’à la destinée. Et pourtant ce n’est pas diminuer la gloire de M. de Bismarck que d’affirmer qu’on l’a beaucoup aidé. Ses amis, si tant est qu’il en ait jamais eu, ne lui ont guère servi ; mais aucun homme d’état n’a eu tant d’obligations à ses ennemis. Les princes qu’il a dépossédés semblaient s’appliquer à lui faciliter ses entreprises ; ils ont été en quelque mesure les complices de leur malheur.

Sous le règne de son dernier souverain, le Hanovre n’avait pas lieu d’être mécontent de son sort. Le commerce, l’industrie, l’agriculture y prospéraient ; l’instruction publique ne laissait rien à désirer ; l’armée était excellente, elle l’a prouvé à Langensalza. La bureaucratie avait la main un peu lourde, mais l’humeur moins féroce et moins hargneuse qu’ailleurs, et les populations étaient fort attachées à la dynastie. On n’avait pas de grands hommes d’état, mais on avait de bons fonctionnaires, des administrateurs corrects, habiles et intègres. Quand M. Meding entra en fonctions, le ministre de l’intérieur était M. de Borries, petit homme maigre et anguleux, irréprochable dans sa vie privée, manquant de souplesse, trop sensible aux attaques des journaux, trop tendre aux mouches, mais capable, instruit, infatigable au travail, jouissant de l’estime universelle, sans avoir un seul ami dans tout le royaume. Bureaucrate dans l’âme, il estimait que de bons bureaux sont la source de toutes les félicités pour un peuple. Au surplus, il ne se piquait pas de représenter, il n’était pas guindé dans ses allures. Ceux qui lui demandaient audience étaient introduits dans une chambre sombre, et après quelques minutes d’attente, ils le voyaient surgir dans un frac bleu à collet noir, une calotte sur la tête, chaussé de pantoufles en feutre gris, un chandelier de cuivre jaune à la main. Il déposait son chandelier sur une table, la conférence commençait, et on ne tardait pas à s’apercevoir que, s’il avait les idées un peu courtes, il savait bien ce qu’il voulait, ce qui est la première qualité pour un ministre de l’intérieur. Le comte de Platen-Hallermund, qui dirigeait les affaires étrangères, était tout l’opposé de M. de Borries. Fort soigneux de sa personne, homme du monde consommé, il avait de grandes manières, toutes les nuances de la politesse, l’ouïe et l’odorat très fins, l’esprit pénétrant, l’humeur enjouée et railleuse. On l’accusait seulement de manquer de caractère, de réduire la diplomatie aux moyens termes. En toute conjoncture, il aimait à biaiser, à gauchir, à tergiverser ; il s’appliquait à gagner du temps, ce qui lui en faisait perdre beaucoup ; en général, il était de l’opinion du dernier qui lui parlait, il cherchait la sienne, il ne la trouvait pas toujours. Dans des circonstances ordinaires, il eût été très suffisant, mais les circonstances n’étaient pas ordinaires.

Un autre personnage marquant était le directeur-général de la police, très actif, très ambitieux, qui savait son métier, à cela près qu’il était trop enclin à grossir les petites choses, à éventer des complots imaginaires, à découvrir partout des conspirations de communistes. Corpulent, replet, le visage plein et bouffi, dissimulant sa calvitie sous une vaste perruque rougeâtre qui était toujours de travers, ce priseur déterminé s’était rendu célèbre par ses mouchoirs à carreaux rouges ou bleus. Il s’appelait M. Wermuth et on l’avait surnommé le baron Bitter. Quant au ministre de la justice, M. de Bar, c’était un bon vivant dont les distractions étaient prodigieuses. Un soir qu’il y avait chez lui grand raout, pendant qu’une brillante société allait et venait dans ses salons, il s’approcha en tapinois du secrétaire de la légation autrichienne et, lui prenant le bras : « Tâchons de nous échapper sans être vus, lui dit-il, car on s’ennuie ici à périr. — Mais mon Dieu ! Excellence, nous sommes chez vous, lui repartit le secrétaire. — Je crois vraiment que vous avez raison ; répondit le ministre, et me voilà forcé de rester. Heureux garçon, sauvez-vous bien vite. » En dépit de ses distractions et grâce au zèle de ses employés, M. de Bar s’acquittait convenablement de sa charge, et la justice était rendue en Hanovre aussi bien qu’ailleurs. Sans doute il y avait des mécontens. La noblesse regrettait ses anciens privilèges, les administrés protestaient contre les routines de la bureaucratie ; la bureaucratie, de son côté, se plaignait que les ministres la dérangeaient quelquefois dans ses habitudes, et les libéraux réclamaient à cor et à cri le gouvernement parlementaire, qu’on était bien décidé à leur refuser. Mais, en définitive, le ménage était bien conduit, la machine fonctionnait sans secousses et sans trop de frottemens, et les plaignans n’auraient pas mis l’état en danger s’il n’y avait eu en Allemagne une puissance attentive à exploiter tous les mécontentemens pour arriver à ses fins et satisfaire ses convoitises. Il est facile de se moquer des petites monarchies comme dés petites républiques ; mais quand on les aura toutes supprimées, il y aura moins de bonheur dans le monde.

L’homme le plus distingué du royaume était le roi, et à coup sûr il en était le plus beau. La pureté classique de son proül, la noblesse de son maintien, sa superbe prestance frappaient d’admiration et ses sujets et les étrangers admis à l’honneur de le voir. Devenu aveugle tout jeune encore, par la fatale maladresse d’un chirurgien, il ne laissait pas d’être un cavalier accompli. Il semblait oublier sa cécité et la faisait oublier. Il remplaçait les yeux qui lui manquaient par la finesse, merveilleuse de ses petites perceptions, il devinait tout, et les éternels, mouchoirs à carreaux de M. Wermuth lui causaient des impatiences. Aucun prince allemand ne possédait autant que lui l’art de représenter. Quiconque l’avait rencontré dans les rues de Hanovre ou sur la plage, de Norderney pouvait dire : J’ai vu passer la royauté.

Un romancier danois a raconté qu’une princesse, qui ne craignait pas les aventures, se présenta un soir dans une auberge de village, où son premier soin fut de demander qu’on lui préparât un lit bien tendre. Pour s’assurer que c’était uns vraie princesse, on glissa sous les matelas trois petits pois. Le lendemain, à son réveil, elle se plaignit qu’elle avait le corps tout meurtri et n’avait pu fermer l’œil. — C’est une vraie princesse, s’écria-t-on. — Le roi George V était un vrai roi, every inch a King, on pouvait même lui reprocher de l’être un peu trop. Il l’était trop pour son siècle, qui fait plus de cas d’un chemin de fer que d’un trône ; il l’était trop pour la petitesse de son pays, où ses grandes prétentions se trouvaient à l’étroit. Jaloux de son autorité, il aurait mieux aimé abdiquer que d’en aliéner la moindre parcelle. La maison des Guelfes était pour lui la première maison du. monde, et il se tenait au moins pour l’égal des plus grands potentats de l’Europe. A vrai dire, il n’avait pas tort. Pour qui admet le dogme du droit divin, il n’y a pas de grands et de petits rois ; ils ont tous vu, dans la cérémonie de leur sacre, la colombe mystique apportant du ciel la sainte ampoule : il n’y a pas de degrés dans la légitimité. Mais il, est bon, dans l’habitude de la vie, de ne pas trop s’en souvenir ; George V s’en souvenait sans cesse. Ce prince, instruit, éclairé, au cœur généreux et charitable, était ombrageux jusque dans les moindres choses. Il y avait à Hanovre un fonctionnaire dont l’emploi était une vraie sinécure ; c’était le commandant de place. Sa charge l’obligeait à se trouver à la gare quand quelque altesse était de passage, et chaque matin, vers midi, il devait se rendre à Herrenhausen, pour demander au roi le mot d’ordre et pour lui annoncer en même temps qu’il ne se passait rien dans sa capitale ou presque rien. Le vieux général qui remplissait ce poste trouva un jour que le roi lui faisait trop attendre son audience et il prit la liberté grande de lui faire savoir qu’il était là. « Je le sais, » répondit le roi. Et dorénavant, le malheureux, fut condamné à faire antichambre, jusqu’au soir.

Le caractère du roi George offrait des contrastes singuliers. Il y avait en lui deux hommes, un prince anglais et un bourgeois allemand, qui avaient peine à s’accorder. L’un avait une façon très large d’entendre la vie ; il aimait la magnificence, il entendait que sa cour fît figure dans le monde, il se plaisait à étonner par le luxe de ses équipages, et la beauté de ses chevaux gris de souris. L’autre vivait de ménage, chipotait sur des misères. Dans les affaires d’état, le roi George répandait l’argent sans compter ; pour le reste, il était fort regardant. Il se faisait donner une somme fixe pour ses besoins personnels, et il s’en servait pour faire beaucoup de bonnes œuvres ; mais il lésinait sur la broutille, et quoique sa fortune fût immense, sa charité n’avait pas toujours grand air. Une cantatrice à laquelle il s’intéressait et qui n’était pas fortunée se plaignait d’avoir perdu, par un fâcheux accident, un peu plus de 6,000 francs. Il lui promit de l’indemniser, mais il la pria d’attendre, alléguant qu’il n’était pas en fonds. Pendant près de deux ans, il eut la patience de mettre chaque mois 100 thalers dans le fond d’un tiroir. Quand le compte y fut, il brisa sa tirelire, et la cantatrice, qui se croyait oubliée, rentra dans son argent. La bonté du roi la toucha, mais le procédé l’étonnait ; tous les princes qu’elle avait vus au théâtre en usaient autrement. Lorsqu’on a l’esprit bourgeois, on attache trop d’importance aux moindres détails des affaires et de la vie, et le détail, comme l’a dit Voltaire, est une vermine qui ronge les grands ouvrages. Le roi George avait le tort de traiter les petites choses comme les grandes, de se passionner pour les minuties, pour des querelles de bibus. Ajoutez que sa piété sincère tournait trop facilement au piétisme. Il causait souvent avec Dieu, qui ne lui répondait pas toujours, et les incertitudes de sa conscience lui faisaient manquer les occasions, ses scrupules étranglaient sa volonté. Ce prince, qui savait beaucoup de choses et qui parlait couramment quatre langues, était du nombre de ces hommes que les arbres empêchent de voir la forêt.

Il était trop intelligent pour ne pas comprendre les difficultés comme les périls de sa situation. Il avait un redoutable voisin, dont il connaissait le caractère et les appétits. C’était une maxime d’état à Berlin que la Prusse ne serait vraiment maîtresse chez elle que le jour où elle aurait conquis le Hanovre, qui formait une barrière très gênante entre les deux moitiés de la monarchie. Les Hanovriens se sentaient guettés, et les Hohenzollern leur inspiraient l’aversion mêlée d’effroi que le chat inspire à la souris. Par suite de l’importance excessive qu’on attachait aux détails, on était pointilleux, raide, cassant hors de propos, on refusait à la Prusse les facilités qu’elle réclamait pour le service de ses chemins de fer et de ses télégraphes. On oubliait « que c’est un grand tort en politique de prétendre avoir toujours raison contre celui qui a de son côté la raison du plus fort ; » on semblait prendre plaisir à rappeler qu’on était un obstacle. Ce qui était plus fâcheux encore, on ne se mettait pas en peine d’entretenir avec le redoutable voisin des relations suivies, un commerce de visites réglées. C’était la faute de la reine, qui avait toutes les vertus de la femme et de la mère, mais qui aimait peu la représentation et qui craignait les dérangemens. Elle tenait la politique à distance et le cérémonial lui était à charge ; elle ne se trouvait heureuse qu’au milieu des siens, son rêve était de vivre dans une ferme. Louis Schneider, ce comédien devenu conseiller de cour, qui n’était pas un sot, dit un jour à M. Meding : « Pourquoi parle-t-on sans cesse à Berlin de l’annexion du Hanovre ? C’est que les princes ne se voient pas. Pourquoi n’y parle-t-on jamais de l’annexion du Mecklembourg qui nous cause tant d’ennuis ? C’est que les princes se voient. » Quand on est souris, on fuit le commerce des chats, et pourtant les marques de confiance qu’on leur donne les embarrassent. Quoi qu’en ait dit le poète, ils y regardent à deux fois avant d’étouffer les gens qui les embrassent ; si chats qu’ils puissent être, ils ont des apparences à sauver, un décorum à garder.

Pour conquérir l’hégémonie à laquelle elle aspirait, la Prusse exploitait avec un art merveilleux les entraînemens de l’opinion. Elle donnait des espérances à tout le monde, et tout conspirait en sa faveur, les intérêts économiques qui poussaient à la destruction des grandes et des petites barrières, les alarmes peu fondées des patriotes qui prétendaient que l’Allemagne, telle que les traités de Vienne l’avaient faite, était à la merci des entreprises de l’étranger, les mécontentemens dés libéraux, qui voyaient dans l’institution d’un parlement allemand le seul moyen de mettre à la raison les petits princes autoritaires. Le chef de l’opposition hanovrienne, M. de Bennigsen, avait fourni à la propagande de la Prusse une de ses armes les plus puissantes en fondant le Nationalverein, association très remuante, dont le réseau s’étendait partout et dont les meneurs exhortaient la nation à confier ses destinées aux mains des Hohenzollern. M. de Bennigsen a rendu aux ambitions prussiennes des services essentiels, et il n’y a pas de justice dans ce monde puisqu’on n’a pas encore trouvé de portefeuille à lui donner. Les petits princes ne pouvaient déjouer les combinaisons de l’ennemi qu’en travaillant, eux aussi, pour les intérêts économiques et en Rappliquant à devenir plus libéraux que le roi de Prusse. Mais le roi George avait le parlementarisme dans une sainte horreur, il était fermement persuadé que les rois légitimes sont institués de Dieu pour gouverner les peuples, qu’ils ont le droit de choisir leurs ministres comme ils l’entendent. La révolution était son cauchemar, il la voyait partout, et il estimait que les réformes mènent aux bouleversemens.

Non-seulement il n’entendait pas recevoir la loi de sa chambre, un cabinet responsable et solidaire était à son avis une machine dangereuse, une atteinte portée à la majesté du souverain. Il soupçonnait sans cesse les ministres de son choix de conspirer contre son autorité, il les accusait de menées, de manœuvres secrètes, il ressentait à leur égard toutes les défiances d’un roi qui n’y voit pas, car l’imagination des aveugles est sujette à s’effarer, « Borries, disait-il, voudrait m’enfermer dans une chambre dont il aurait seul la clé ; il a des velléités d’être un Richelieu, il oublie que je ne suis pas un Louis XIII. » Il avait sous la main un homme précieux, M. Windthorst, qui, après la catastrophe, a prouvé en mainte rencontre son attachement à la maison de Hanovre et déployé les talens d’un politique avisé. Il ne l’appelait qu’à regret dans ses conseils et il s’est privé trop tôt de ses services. « Quand Windthorst est mon ministre, dit-il un jour, il me semble que je navigue sur un vaisseau au mât duquel je vois flotter mon pavillon et qui va où je veux aller ; mais si je m’endors un instant, je m’aperçois, en remontant sur le pont, qu’on a changé mon pavillon et que le bâtiment n’est plus dans les mêmes eaux. » Que ne prenait-il exemple sur la cour de Prusse ! Oh ! qu’on entend mieux à Berlin l’art de gouverner et l’art de s’entr’aider ! En Prusse, tout le monde sait son métier, et les reines elles-mêmes y passent leur vie à faire des choses déplaisantes et utiles ; elles diraient volontiers comme Mme de Sévigné : « Ce que je fais m’ennuie, ce que je ne fais pas m’inquiète ; » mais elles préfèrent bravement l’ennui à l’inquiétude. En Prusse, les pinces exigent de leurs serviteurs une exactitude ponctuelle, parce qu’ils sont eux-mêmes très exacts, et on n’y fait pas faire antichambre aux généraux plus qu’il ne convient. En Prusse, les souverains sont très jaloux de leur pouvoir et ils entendent choisir leurs ministres comme il leur plaît, mais ils ne retirent pas si facilement leur confiance à ceux qu’ils ont choisis, et, s’ils ont le bonheur d’en trouver un qui ait du génie, ils prennent en patience ses incartades, les rudesses de son caractère, les échappées de son humeur orageuse. Ils disent comme l’empereur Guillaume : « Il est vraiment fort désagréable, mais il nous a rendu de si grands services que nous devons le supporter. »

En matière de politique allemande, le roi George était un fédéraliste convaincu, intraitable, résolu à ne s’imposer aucun sacrifice. S’il se défiait de la Prusse, il appréhendait aussi les ambitions de l’Autriche. Son principe était que les états moyens devaient former ensemble une étroite liaison et s’arranger tout à la fois pour tenir la balance entre les grands ambitieux et pour les empêcher de se brouiller. On sait ce que deviennent les grenouilles quand les taureaux se battent. Mais il aurait fallu que les états moyens s’entendissent, et ils se jalousaient, se tenaient réciproquement en échec ; de quoi qu’il s’agît, ils étaient fertiles en objections et incapables de concerter une action commune. On ne sauve pas l’avenir par une politique d’improbation et de négative perpétuelle, et ils ne s’accordaient que pour dire non. Lorsque, en 1863, l’empereur François-Joseph conçut à l’improviste le projet de réunir à Francfort un congrès de princes allemands, à l’effet de préparer une réforme de la constitution germanique, le bruit se répandit qu’il entendait se faire décerner par eux la couronne impériale. Le roi George accepta l’invitation qui lui était adressée, mais il était déterminé à tout refuser. On sait comment avorta cette pompeuse entreprise. Francfort eut pendant quelques jours un air de fête et de gala. Les rues fourmillaient de princes, de principicules et de grands-ducs faisant assaut de splendeur et de faste. Partout des équipages luxueux, des laquais écarlates, des piaffemens de chevaux, des toilettes éclatantes, avec lesquelles jurait la simplicité un peu affectée du héros de la fête. Tout se termina par le grand dîner du Römer, où l’on renouvela toutes les traditions des banquets de couronnement, à cela près que le grand bœuf ne fut pas rôti sur la place du marché ; on se contenta d’avertir les convives qu’ils mangeraient « un quartier de bœuf historique. » Quand l’électeur de Hesse se leva de table, il prononça d’un ton sec et sarcastique ce mot qui fit fortune : « Maintenant nous avons fait notre devoir, c’est à nos médecins de faire le leur. » — « Personne, remarque à ce propos M. Meding, ne soupçonnait alors que la confédération germanique aurait plus de peine à digérer les suites du congrès des princes que leurs altesses à digérer le dîner du Römer, et que le grand chirurgien de la nation allemande se préparait à purger la malade avec des pilules de fer et de sang, mit Blut-und Eisenpillen. » Pendant ce temps, le roi de Prusse, qui avait seul refusé de prendre part à la fête, certain que son absence suffirait pour réduire à néant des plans trop audacieux et trop peu médités, se rendait, de Baden à Rastatt pour y passer en revue un régiment de fusiliers poméraniens. Ceci devait tuer cela ; cette prose devait avoir raison de ce roman mal venu.

Les petits états, désireux de se ménager et de se conserver entre deux puissances avides d’entreprendre sur leurs droits, ne pouvaient se flatter de conjurer les périls qui les menaçaient qu’à la condition de trouver au dehors un appui ferme et constant. Cet appui leur manquait, la politique conservatrice n’avait plus en Europe de partisan résolu. Tout allait à la dérive ; les uns étaient disposés à tout se permettre, les autres s’abandonnaient et érigeaient leur indifférence en principe. La diplomatie anglaise poussait le Hanovre à s’accommoder avec l’Autriche ; à l’heure des catastrophes, elle le livra sans défense aux animosités et aux appétits de la Prusse. La Russie, n’écoutant que ses rancunes, avait noué des liaisons secrètes avec Berlin et se prêtait à tous les changemens, pourvu qu’ils fussent désagréables à l’Autriche. Le souverain qui régnait alors sur la France nourrissait une haine obstinée contre les traités de Vienne. Il jugeait que quelque atteinte qu’on y portât, il ne pouvait qu’y gagner, il ne se doutait pas qu’il pouvait y perdre. Il avait un goût naturel pour l’eau trouble et il voulait du bien à tous ceux qui la brouillaient. Son rêve était de changer l’assiette de l’Allemagne, il n’y a que trop réussi. Les insinuations qu’il fit faire à la cour de Hanovre furent mal accueillies. Le roi George l’aimait peu, le redoutait beaucoup et s’était promis de ne jamais le voir. Il lui arriva cependant de le rencontrer à Baden. L’empereur Napoléon III lui prodigua ses grâces, et au cours d’un long entretien confidentiel, il s’appliqua à le convaincre de ses sentimens conservateurs, de son profond respect pour le principe de la légitimité. Il lui parla avec une extrême considération du comte de Chambord, témoigna son désir de lui faire un sort digne de son nom, de son grand passé, de ses illustres origines. Hélas ! pourquoi s’était-il rendu impossible, et pourquoi n’avait-il pas d’enfans ? Il n’y avait plus de possible que l’héritier de Napoléon Ier ; lui seul pouvait maintenir l’ordre en France, et il se déclarait solidaire de toutes les monarchies dans la lutte contre la révolution, il était animé comme elles d’une jalouse sollicitude pour la conservation de l’équilibre européen. Le roi George se sentit désarmé, il revint de ses préventions, il fût sous le charme. Un incident qui survint bientôt lui donna des espérances que l’événement démentit.

Le prince royal avait un précepteur français, qui s’appelait M. Blache de Montbrun. C’était un jeune homme de bonnes manières et d’opinions, légitimistes, qu’il se plaisait à afficher. Quelque temps auparavant, le comté de Chambord, ayant traversé le Hanovre, avait été reçu à la cour avec tous les honneurs royaux. Le roi fit appeler le précepteur de son fils et lui dit : « Venez, je veux vous présenter à votre roi. » Cette petite scène avait fait sensation et donné lieu à une interpellation diplomatique ; il est à présumer que dans ses rapports le ministre de France grossit un peu l’importance du bon jeune homme et le représenta à son gouvernement comme un des coryphées du parti légitimiste. Un jour, M. Blache de Montbrun se présenta chez M. Meding dans un état de vive excitation et s’empressa de lui raconter qu’il avait été mandé par dépêche à Minden, où un grand personnage, dont il avait juré de ne pas trahir le nom, lui avait remis un projet de traité entre l’empereur Napoléon III et le comte de Chambord, touchant lequel on désirait avoir l’opinion du roi de Hanovre. Ce projet portait que le comte de Chambord tiendrait désormais l’empereur Napoléon, sinon pour son successeur légitime, du moins « pour le continuateur reconnu de sa dynastie, » à l’exclusion de la famille d’Orléans, et qu’il ferait connaître sa résolution à tous les légitimistes français, ainsi qu’à toutes les cours européennes. En retour, l’empereur s’engageait à lui restituer ses biens patrimoniaux, à lui accorder le titre de majesté. royale et à lui assigner une résidence à son choix dans toute autre ville que Paris. Il s’engageait aussi à combattre l’annexion du royaume de Naples par la maison de Savoie, à maintenir le roi François II sur son trôné, à interposer également ses bons offices pour conserver aux Bourbons le duché de Parme ou pour obtenir à la famille ducale une indemnité convenable.

M. Blache affirma que le mystérieux inconnu s’était déclaré prêt au nom de l’empereur à entamer une négociation avec tout intermédiaire sérieux que pourrait choisir le roi de Hanovre ou le comte de Chambord. On chercha à lui arracher le nom qu’il avait promis de taire, il garda son secret ; mais on apprit dès le lendemain que le comte Walewski était en voyage et qu’il avait passé à Minden. Le roi George fut saisi de l’affaire, qui l’intéressa vivement ; il en donna connaissance au prince-régent de Prusse, que cette communication n’étonna point ; l’empereur Napoléon lui avait fait à Baden des ouvertures du même genre. On dépêcha M. Blache à Paris ; on acquit la certitude que le projet de traité émanait d’un confident intime de l’empereur, que tout s’était fait avec son agrément. L’escadre française, commandée par l’amiral Le Barbier de Tinan, venait de mouiller devant Gaëte, où s’était retiré le roi François II avec les débris de son armée, et mettait l’escadrille piémontaise dans l’impossibilité de canonner la forteresse, preuve manifeste que Napoléon III voulait tenir ouverte la question napolitaine. Cependant le roi George perdit du temps, il en perdait toujours ; il eut des scrupules, il en avait souvent ; il prit conseil, on lui représenta que l’affaire était délicate, qu’il ferait mieux de ne pas s’en mêler. L’empereur perdit patience ; il rappela son escadre, il abandonna François II et les destinées s’accomplirent. Mais quel fond pouvaient faire les petits états de l’Europe sur une politique de double jeu et à deux fins, qui, après avoir proclamé le principe des nationalités, donnait des gages à l’ancien droit, et après avoir déchaîné la révolution, tentait de s’accommoder avec le comte de Chambord ? Quel secours pouvaient-ils attendre d’un souverain qui avait du cœur, mais qui flottait à tous les vents et tour à tour compromettait la bonne grâce de ses générosités par ses repentirs, le succès de ses combinaisons par le décousu de ses volontés ?

Pendant les années qui s’écoulèrent entre la guerre d’Italie et la bataille de Sadowa, les petits états furent en proie aux perplexités. L’Europe ressemblait à ce pin vieux et sauvage que hantaient des animaux divers, gais ou tristes, voraces ou rongeurs, « toutes gens d’esprit scélérat. » Les animaux paisibles se sentaient menacés dans leur repos. Les uns, blottis dans leur trou, se bouchaient les yeux et les oreilles et s’en remettaient à la Providence ; d’autres s’étourdissaient sur le danger et vivaient au jour le jour. « De sourds grondemens de tonnerre, a dit M. Meding, annonçaient déjà la tempête, et les mouches ne laissaient pas de s’ébattre et de danser dans un dernier rayon de soleil. » L’imprévoyance allait si loin que le roi George salua avec joie l’avènement redoutable de M. de Bismarck. Il lui savait un gré infini de tailler des croupières à son parlement ; il voyait en lui le défenseur juré des prérogatives royales, le conservateur par excellence. Il aurait voulu le connaître, l’attirer à Hanovre, pour lui témoigner son admiration et lui faire fête. Il ne se doutait pas que ce singulier conservateur était prêt à lier partie avec la révolution, à se donner au diable ; quelque marché qu’il conclût avec lui, il se flattait d’en être le bon marchand.

Le roi George persistait à croire que l’ennemi était le libéralisme, et pourtant il n’a jamais perdu aucun roi, il en a sauvé plus d’un. On avait failli mettre le royaume en feu pour une question de catéchisme. Les peuples de race latine sont plus coulans sur ces matières, il y a un païen dans le plus dévot des Latins ; mais chez les peuples du Nord, les dogmes sont des affaires d’état. Au catéchisme officiel, qui était suspect de rationalisme, on avait entrepris d’en substituer un autre, strictement orthodoxe, et de la cour aux chaumières, tout le monde s’était ému. L’agitation avait gagné jusqu’aux chambellans. L’un d’eux déclara en sanglotant au roi George qu’il était prêt à porter sa tête sur l’échafaud pourvu qu’on n’enlevât pas à ses enfans le catéchisme de leurs pères. Le roi se trouvait alors dans le Harz, à Goslar, où l’attirait la bruyante renommée d’un empirique, appelé Lampe, qui guérissait toutes les maladies par des mixtures d’herbes de sa façon. Ce bizarre personnage, grand homme maigre, impérieux et sournois, défendait que ses patiens lui parlassent ; il ne leur était permis de s’expliquer que par gestes, et lui-même arguait par signes, comme l’Anglais que Panurge fit quinaud. Le roi avait foi dans ses oracles et se soumettait docilement à ses ordonnances, qui ne tuaient pas toujours. Les souverains autoritaires ont du goût pour les empiriques, ils aiment à humilier l’orgueil de la faculté et à guérir en dépit des règles. Le temps que lui laissait sa cure, le roi l’employait à délibérer sur l’importante affairé du catéchisme. On finit par décider qu’on ne l’imposerait à personne, qu’on l’introduirait seulement dans les paroisses qui en témoigneraient le désir ; il se trouva que personne n’en voulait entendre parler, à l’exception des théologiens qui l’avaient inventé.

Cette aventure, qui mit en liesse et en joie tout Berlin, causa la retraite de M. de Borries, dont les sages avis avaient été méprisés. Le roi ne le regretta point, il se sentait délivré de Richelieu. Il confia au comte Platen le soin de former un nouveau cabinet, et quelques années plus tard il se chargea lui-même de le disloquer, en refusant obstinément de promulguer une loi électorale qui avait été présentée de son aveu et votée par la chambre. À la dernière heure, il craignit qu’on ne le soupçonnât de faire des avances aux libéraux en abaissant le cens, il allégua ses scrupules, se buta, et quatre de ses ministres, au nombre desquels était M. Windthorst, se dessaisirent de leurs portefeuilles. Il ne chercha pas à les retenir, il s’occupa incontinent de les remplacer. Le 21 octobre 1865, il dictait à M. Meding une sorte de manifeste destiné aux journaux, par lequel il déclarait qu’il ne réglait pas sa conduite sur les vœux des partis et des majorités, qu’il ne consultait que ses propres lumières et l’intérêt de ses sujets, que ses ministres n’étaient pas à la merci des suffrages d’une assemblée, qu’ils étaient les représentans de sa royale autorité. Il s’applaudissait dans son cœur d’avoir dit son fait une fois de plus à la révolution, d’avoir écrasé la tête du serpent ; il ne songeait pas à défendre la sienne contre le bras qui allait le foudroyer. Au commencement de 1866, il reçut de toutes les provinces que le congrès de Vienne avait incorporées au Hanovre des députations empressées, auxquelles il affirma que la maison des Guelfes demeurerait unie à ses sujets « jusqu’à la consommation des siècles. » Cependant la main mystérieuse qui révéla son secret à Daniel avait déjà écrit sur les murailles de son palais l’irrévocable arrêt des destinées. Quelques mois plus tard, la guerre éclatait ; il refusa, à quelques jours d’intervalle, de signer avec l’Autriche un traité d’alliance, avec la Prusse un traité de neutralité. Bientôt la Prusse étonnait le monde par la rapidité de ses succès, l’Allemagne était sa proie, et le roi George, sentant sa couronne vaciller sur son front, en était réduit à se recommander à la générosité du vainqueur de Sadowa, qui lui renvoya sa lettre sans l’avoir lue, et à solliciter les bons offices de l’empereur de Russie, qui répondit en pleurant qu’il ne pouvait rien pour lui. On pleure toujours en pareil cas.

Quelqu’un a dit qu’il faut sauver les rois malgré eux. Il ne s’est trouvé personne pour sauver malgré lui le roi George, pour arracher ce souverain très respectable à sa trompeuse sécurité, pour lui représenter qu’il ne suffit pas de recommander sa cause à la justice céleste et d’implorer le secours d’un Dieu en trois personnes, qu’il faut encore être habile, circonspect et avisé, que les résistances aveugles mènent aux catastrophes, qu’un petit prince dont le royaume est l’objet d’âpres convoitises amasse des charbons sur sa tête quand il se fait un point d’honneur de ne rien accorder ni à son siècle, ni aux idées libérales, ni à la Prusse, ni à l’Autriche, ni aux intérêts, ni à la force, ni à la raison. Les concessions opportunes sont la moitié de la politique, et l’esprit de conservation ne sert de rien quand on n’y joint pas l’esprit de sacrifice. Dans sa jeunesse, lorsqu’il n’était encore que le prince George de Cumberland, il avait reçu un placet dont la suscription était ainsi conçue : An den Prinzen Sorge von Kummerland, — ce qui voulait dire : Au prince Souci du pays des Misères. Les fautes d’orthographe sont quelquefois fatidiques. George V devait passer les dernières années de sa vie dans le pays des misères ; mais ses désastres n’abaissèrent pas sa fierté ; il refusa de sauver sa fortune en transigeant avec la victoire ; il maintint héroïquement son droit, et l’Europe admira la noblesse hautaine de ses protestations.

Jusqu’au bout il conserva son caractère et l’étiquette de la grandeur, et jusqu’au bout, fidèle à ses préjugés comme à ses vertus, il s’obstina dans les petites choses comme dans les grandes. Le 12 juin 1866, la princesse Marié de Cambridge avait épousé le duc de Teck. Comme chef de la maison guelfe de Brunswick-Lunebourg, le roi George avait été sollicité de donner son consentement à ce mariage, que la reine d’Angleterre approuvait. Il s’y refusa ; il tenait cette union pour morganatique et n’en voulut pas démordre, le duc de Teck, auquel d’ailleurs il voulait du bien, n’étant pas selon lui d’assez haute naissance. Quand il se fut réfugié à Vienne après la perte de son royaume, les jeunes mariés vinrent l’y trouver, se flattant que le malheur le rendrait plus flexible ; ils furent bientôt détrompés. Il leur fit le meilleur accueil, mais il persistait à appeler la princesse Marie son altesse royale la princesse de Cambridge et à traiter le duc de Teck comme un simple duc. C’est bien de lui qu’on pouvait dire « qu’il était un homme de cou raide et dur d’entendement. » Quelque objection qu’on pût lui faire, il répondait : « En ma triple qualité de chrétien, de monarque et de guelfe, voilà mon avis, et je n’en changerai pas. » Cependant, si fervente que fût sa piété, le chagrin le rongeait. Il avait pris courageusement son parti de sa cécité, ses yeux avaient fait amitié avec les ténèbres, son âme ne put s’accoutumer à la pensée qu’il n’était plus roi. Ce sont là pourtant des accidens assez ordinaires. En 1862, le roi Louis de Bavière, qui avait abdiqué depuis quatorze ans, eut le chagrin de voir revenir de Grèce le roi Othon, son second fils, que ses sujets avaient chassé. Peu de jours après, il eut à dîner toute sa famille, à laquelle s’était joint le prince Wasa, qui se trouvait de passage à Munich. En se mettant à table : « J’ai réuni aujourd’hui, dit-il avec un sourire sardonique, une société fort bizarre, un roi régnant, un roi qui a abdiqué, un roi qui a été chassé et un roi qui ne régnera jamais. » Un siècle auparavant, Candide avait eu l’honneur de souper avec six souverains détrônés, qui étaient venus passer le carnaval à Venise ; l’un d’eux n’avait pas de linge ; Candide lui fit présent d’un diamant de deux mille sequins.

Quand la révolution dépouille les rois, elle fait son métier, et ses cruautés ne lui causent jamais de remords. Il en va autrement d’un roi légitime qui en détrône un autre, et si George V avait été moins religieux et plus vindicatif, il aurait pu se consoler de son exil en songeant que le vainqueur qui l’avait dépossédé au mépris du droit divin avait compromis fatalement le prestige de sa couronne. On ne peut trop le redire, il n’y a pas de grandes et de petites couronnes, elles se valent toutes ; petites ou grandes, l’or en est au même titre. Celui qui veut garder la sienne doit y regarder à deux fois avant de toucher à celle des autres. Les peuples font leurs réflexions, tôt ou tard les principes outragés en appellent, tôt ou tard les ombres se vengent. Le dernier roi de Hanovre a pu se dire aussi qu’avec lui disparaissait une espèce devenue rare ; il a été le dernier des conservateurs, le seul tout à fait conséquent, le seul qui, esclave de sa conscience, respectât les droits d’autrui autant que les siens. De Saint-Pétersbourg à Berlin et de Berlin à Londres, vous aurez beau chercher, vous n’en trouverez plus.


G. VALBERT.

  1. Memoires zur Zeitgeschichte, von Oskar Meding. I. Vor dem Sturm. II. Das lahr 1866, 2 vol. in-12 ; Leipzig, Brockhaas, 1881.