Le repos (Verhaeren)

Les Forces tumultueusesSociété du Mercure de France (p. 158-160).
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LE REPOS


Travaux ardents, efforts prodigues,
Vous vous ralentissez en mon esprit tendu.
L’heure est bonne, l’heure du repos dû
Et de la saine et vaillante fatigue.

Le soir
Plein de lueurs et de miroirs,
Le soir, sur les étangs et les forêts d’automne,
S’enténèbre soudain, et soudain resplendit,
Tandis que les grands vents, avant la nuit,
Au long des routes monotones,
Rentrent lassés de l’infini.


Ô les bonnes ardeurs tranquillisées !
De lentes mains de silence et de paix
Pour délier leurs nœuds, glissent sur mes pensées.
Je me plonge dans une heureuse quiétude,
Comme en un lac de plénitude,
Et lentement mon être entier se laisse aller
Au fil de l’eau, vers un port calme et isolé
Dont les rives en fleurs et en verdures
Versent aux bons cerveaux la volonté future.
Quelque chose s’affaisse et se déplie en moi,
Se mêle à l’ombre d’or suspendue aux collines,
À la fraîcheur des blancs brouillards de mousseline
Qui recouvrent le fond moussu des vallons froids ;
Tout m’est doux et profond en ma mort éphémère
Et mon détachement temporaire du temps,
Où les choses unanimes me reconquièrent
Et me fondent, en un sommeil intermittent.

L’heure est bonne, l’heure de la fatigue,
La lune avec ses yeux distraits
Se regarde glisser vers les marais ;
Le fleuve au loin sommeille entre ses digues ;
Comme en des nids de granit blanc,
Les voilures dorment dans les écluses,

L’ombre est molle et la clarté diffuse,
Le sang coule torpide et lent,
Il n’est jusqu’aux gestes de la mémoire
Vers le passé et les victoires,
Qui ne retombent affaiblis
Sur les coussins du mol oubli.