Le premier livre des Sonnets pour Hélène/Si c’est aimer
MADRIGAL
Si c’est aimer, Madame, et de jour et de nuict
Resver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu’adorer et servir la beauté qui me nuit :
Si c’est aimer de suivre un bon-heur qui me fuit,
De me perdre moy mesme et d’estre solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre et me taire,
Pleurer, crier mercy et m’en voir esconduit :
Si c’est aimer de vivre en vous plus qu’en moy mesme,
Cacher d’un front joyeux une langueur extrême,
Sentir au fond de l’ame un combat inégal,
Chaud, froid, comme la fiévre amoureuse me traitte :
Honteux parlant à vous de confesser mon mal :
Si cela c’est aimer, furieux je vous aime.
Je vous aime, et sçay bien que mon mal est fatal :
Le cœur le dit assez, mais la langue est muette.