Le partage de l’énergie entre la matière pondérable et l’éther

Le partage de l’énergie entre la matière pondérable et l’éther
Il nuovo cimento, série 5, tomo 16 (p. 5-34).

LE PARTAGE DE L'ÉNERGIE ENTRE LA MATIÈRE PONDÉRABLE ET L'ÉTHER


Le problème sur lequel j'aurai l'honneur de vous présenter quelques réflexions est celui de la distribution de l'énergie entre la matière et l'éther, en tant que cette distribution s'opère par l'émission et l'absorption de la chaleur rayonnante et de la lumière. Depuis KIRCHHOFF, les physiciens s'en sont souvent occupés, d'abord en se fondant sur les principes généraux de la thermodynamique, et plus tard en introduisant des idées empruntées à la théorie cinétique de la matière, à la théorie électromagnétique de la lumière et à la théorie des électrons.

Pour fixer les idées, il conviendra, de préciser la question. Figurons nous, à cet effet, qu'une enceinte ayant la forme d'un parallélépipède rectangulaire, dont les faces intérieures sont parfaitement réfléchissantes, contient un corps pondérable M, qui se trouve à une certaine distance des parois, et supposons que l'éther, le milieu universel qui transmet la lumière et les actions électromagnétiques, remplisse l'espace entier à l'intérieur de cette enceinte, pénétrant même les particules dont le corps pondérable se compose.

KIRCHHOFF a montré que, dans ces circonstances, si le corps M est maintenu à une température déterminée T, il s'établira un état d'équilibre dans lequel l'éther est traversé dans toutes les directions par les rayons émis par la matière pondérable. Ces rayons, incessamment réfléchis par les parois, ne tarderont pas à rencontrer de nouveau le corps M. Ils finiront par en être absorbés, mais la perte que subirait ainsi l'énergie de l'éther se trouve compensée par l'émission de nouvelles ondes lumineuses ou calorifiques. Du reste, cette égalité de l'énergie émise et absorbée n'est pas limitée à la totalité des vibrations; si, en employant le théorème de FOURIER, on décompose le rayonnement en un grand nombre de parties, chacune caractérisée par sa longueur d'onde, la quantité d'énergie qui correspond à chaque partie restera constante malgré les échanges continuels.

De plus, la seconde loi de la thermodynamique, c'est-à-dire le principe que l'égalité de température d'un système de corps ne sera jamais troublée par leur rayonnement mutuel, exige que l'état de l'éther soit indépendant de la nature physique ou chimique du corps pondérable. Placez dans l'enceinte un morceau de métal, un cristal quelconque ou une masse gazeuse ; vous aurez toujours le même rayonnement dans l'éther ambiant.

En somme, cette théorie de KIRCHHOFF que je viens de rappeler à grands traits, nous apprend que l'énergie du rayonnement qui existe dans l'unité de volume de l'éther, en tant qu'elle correspond aux longueurs d'onde comprises entre les limites lambda et lambda + d(lambda), peut être représentée par une expression de la forme

(1) F(lambda,T)*d(lambda),

où la fonction F est indépendante des propriétés spéciales du corps qui a produit les rayons. Dans cette formule, comme dans toutes celles qui suivront, nous entendrons par T la température absolue.

KIRCHHOFF ne laissait pas d'insister sur la haute importance de cette fonction du rayonnement. En effet, l'existence d'une telle fonction universelle prouve que tous les corps pondérables doivent avoir quelque chose de commun, et le problème de découvrir en quoi cela consiste a un charme particulier.

Avant de considérer les recherches théoriques faites sur la fonction F, je dois dire quelques mots de la manière dont elle peut être déterminée expérimentalement. Imaginons une enceinte de très grandes dimensions, qui ne contient qu'un petit corps M placé près du centre. Laissons au système le temps de se mettre en équilibre, et pratiquons ensuite dans l'une des parois une petite ouverture.

Les rayons qui se dirigeaient vers la partie de la paroi qui a été enlevée passeront maintenant au dehors du système, et il est clair que si, au moyen d'un spectroscope muni d'un bolomètre, nous pouvions examiner la radiation qui sort de l'ouverture dans les premiers instants, cela nous ferait connaître l'état de rayonnement qui existait à l'intérieur de l'enceinte. Il faut remarquer, cependant, qu'en général ce ne sera que pendant un temps extrêmement court, beaucoup trop court pour permettre des observations, que les rayons sortant de l'ouverture correspondront à cet état.

À cause de la grande vitesse de propagation, les vibrations qui se trouvaient à l'entour du corps pondérable auront bientôt quitté le système, et le rayonnement s'affaiblira, à moins que le corps n'émette rapidement une quantité de rayons suffisante pour remplacer l'énergie qui s'est élancée au dehors. On peut démontrer qu'il en sera ainsi lorsque le corps pondérable a la propriété d'absorber tous les rayons qu'il reçoit; on connaîtra donc la fonction cherchée si l'on réussit à déterminer l'émission d'un corps de cette nature, d'un corps « noir » comme on dit ordinairement.

Or, grâce à une idée ingénieuse de BOLTZMANN, qui a été reprise par M. M. W. WIEN et LUMMER, on est parvenu à réaliser un corps noir, et à en examiner le rayonnement. C'est un point sur lequel nous aurons à revenir. Ce qui nous intéresse pour le moment, c'est le résultat général de ces expériences. Pour chaque température T, on peut représenter graphiquement la fonction du rayonnement F en prenant pour abscisses les valeurs de lambda et pour ordonnées celles de F. La courbe obtenue montre une allure à laquelle on aurait pu s'attendre; l'ordonnée est maximum pour une longueur d'onde déterminée lambda(m), et devient insensible pour des valeurs très petites on très grandes des abscisses. Il n'est guère nécessaire d'ajouter que l'aire comprise entre la courbe et l'axe des longueurs d'onde, c'est-à-dire l'intégrale

(2) sum(0...infini)((f(lambda,T))*d(lambda)),

est la mesure du rayonnement total du corps noir, ou bien de l'énergie totale qui existe dans l'unité de volume de l'éther contenu dans notre enceinte.

Cette grandeur croît rapidement lorsqu'on élève la température, et il y a en même temps un changement profond dans la distribution de l'énergie dans le spectre. Il en est du corps noir comme de beaucoup d'autres qui ne peuvent pas être appelés ainsi; réchauffement favorise l'émission de rayons à petite longueur d'onde, de sorte que l'ordonnée maxima se déplace vers le côté du violet.

C'est sur cette influence de la température que se sont portées les recherches théoriques qui ont suivi celles de KIRCHHOFF. BOLTZMANN a démontré que le rayonnement total doit être proportionnel à la quatrième puissance de la température, et WIEN a assigné à la fonction du rayonnement la forme

(3) F(lambda,T) = (1/(lambda^5))*f(lambda*T),

où f(lambda*T) est une fonction du produit de la longueur d'onde par la température. On en déduit que le déplacement du maximum vers le violet suit une loi bien simple ; la longueur d'onde qui lui correspond est inversement proportionnelle à la température.

Nous verrons dans la suite que certaines considérations pourraient nous porter à croire qu'après tout ces lois remarquables ne sont pas conformes à la réalité. Toutefois, il est certain que leur déduction appartient à ce qu'on a fait de plus beau en physique théorique, et qu'au premier abord elles semblent mériter une entière confiance. On peut invoquer à leur appui non seulement l'accord très satisfaisant avec les expériences de LUMMER et PRINGSHEIM, mais aussi la solidité des théorèmes dont BOLTZMANN et WIEN se sont servis dans leurs raisonnements. Il est vrai que la thermodynamique à elle seule ne leur a pas suffi; on a été obligé d'emprunter à la théorie électromagnétique de la lumière la notion d'une pression exercée par les rayons, et de faire intervenir le changement de longueur d'onde qui est produit, selon le principe bien connu de DOPPLER, par le déplacement d'une paroi réfléchissante; mais ces principes semblent être à l'abri de tout doute.

Vous voyez que le problème posé par KIRCHHOFF n'est pas entièrement résolu par notre dernière équation. Au lieu des deux grandeurs lambda et T, nous avons maintenant la seule variable lambda*T, mais la manière dont ce produit entre dans la fonction f reste à déterminer.

Pour pouvoir aller plus loin, il est indispensable de pénétrer le mécanisme intime- des phénomènes; il faudra se rendre compte des mouvements invisibles des petites particules du corps pondérable, et du lien qu'il y a entre ces mouvements et le champ électromagnétique dans l'éther. La théorie du rayonnement doit donc se rattacher aux théories moléculaires de la matière et se conformer à la méthode dont elles se servent.

Vous savez que CLAUSIUS a inauguré la théorie moderne des gaz et que MAXWELL et BOLTZMANN ont su donner un vaste développement à cette doctrine et à la théorie cinétique de la matière en général. Les travaux de ces physiciens fournissent un exemple remarquable de l'application de deux branches des mathématiques. En premier lieu, le calcul des probabilités y joue un rôle considérable, comparable à celui qui lui appartient dans la statistique. En effet, à part quelques résultats très simples, on ne peut faire presque rien dans la théorie des mouvements moléculaires sans se servir d'une méthode statistique. Comme il est impossible dé suivre dans leurs mouvements chacune des innombrables particules dont un corps se compose, on est obligé de grouper ensemble les molécules qui se trouvent dans un même état de mouvement, ou plutôt dont l'état est compris entre des limites suffisamment resserrées.

Quand on connaît le nombre des molécules appartenant à chaque groupe, on aura une image statistique de l'état du corps, et l'on pourra décrire les changements de cet état, si l'on réussit à indiquer comment les nombres en question varient d'un instant à un autre.

L'autre branche des mathématiques dont je dois dire quelques mots, est la géométrie polydimensionnelle, qui, dans les dernières années, a pris une grande importance pour plusieurs parties de la physique. Déjà, les physico-chimistes commencent à s'en servir pour coordonner les phénomènes compliqués qui se présentent dans leurs recherches. Tant qu'il s'agit des équilibres dans les systèmes formés de deux ou de trois substances, on peut employer une représentation de l'énergie libre ou du potentiel thermodynamique par une courbe ou une surface; la solution d'un problème est alors souvent ramenée à une construction géométrique. D'une manière analogue, on peut, dans l'étude des systèmes à un plus grand nombre de composantes, introduire une représentation graphique dans un espace à plus de trois dimensions. Bien entendu, on ne voit pas cette représentation, et en réalité l'avantage qu'on y trouve consiste dans l'emploi du langage de la géométrie polydimensionnelle, qui fait ressortir mieux que toute autre chose l'analogie des équilibres avec ceux qui se présentent dans des systèmes moins compliqués.

Signalons aussi, à ce propos, l'exemple donné par HERTZ dans son admirable traité sur les principes de la mécanique. Grâce à un mode d'expression qui a été modelé d'après celui de la géométrie à n dimensions, il a pu réduire tous les phénomènes du mouvement à cette loi fondamentale, que tout système matériel se meut avec vitesse constante suivant une ligne dont la courbure est la plus petite qui soit compatible avec les liaisons du système. Dans cette théorie, certains principes généraux, tels que celui de la moindre action, prennent une forme très claire, que, du reste, on peut leur conserver si l'on préfère les idées fondamentales de la mécanique ordinaire aux nouvelles hypothèses par lesquelles HERTZ a voulu les remplacer. Dans les questions de statistique, les méthodes de la géométrie polydimensionnelle se présentent immédiatement à l'esprit dès que le nombre des variables qu'on prend pour base du groupement est supérieur à trois. Si les divers cas qui font l'objet de la statistique ne se distinguent que par la valeur d'une variable unique, on peut, en prenant cette dernière pour coordonnée, représenter chaque cas par un point sur une ligne droite. Les cas dans lesquels la variable en question est comprise entre des limites données correspondront à des points situés sur une certaine partie de la ligne, et on connaît la loi de la distribution des différentes valeurs de la variable, quand on a exprimé en fonction de la coordonnée la densité de la distribution des points représentatifs.

Une méthode analogue peut être suivie quand le groupement se fait selon les valeurs de deux ou de trois variables ; la représentation graphique se fera alors dans un plan ou dans un espace. Ici encore, chaque cas particulier a son point représentatif, dont les coordonnées indiquent les valeurs des variables fondamentales, et la grandeur sur laquelle on devra porter son attention, est de nouveau la densité de la distribution, c'est-à-dire le nombre des points par unité de surface ou unité de volume.

On comprend facilement l'extension qu'on peut donner à ce qui précède. Lorsqu'il y a n variables fondamentales, on peut considérer leurs valeurs comme les coordonnées d'un point dans un espace à n dimensions; on dira que ces points, ou les cas qu'ils représentent, sont distribués dans un domaine polydimensionnel, et on entendra par densité de la distribution le nombre des points par unité d'étendue.

Cette définition suppose qu'on puisse évaluer la grandeur d'un domaine qui est limité d'une manière quelconque; en d'autres termes, la grandeur d'un intervalle qu'on laisse libre aux variations des grandeurs fondamentales. C'est un problème qu'on peut toujours résoudre après avoir fixé que la grandeur d'un intervalle dans lequel les variables x(1), x(2), ..., x(n) sont simultanément comprises entre x(1) et x(1) + d(x(1)), x(2) et x(2) + d(x(2)), ..., x(n) et x(n) + d(x(n)) sera représentée par le produit d(x(1))*d(x(2))*...*d(x(n)).

Parmi les théorèmes dans lesquels il est question de l'étendue de ces domaines polydimensionnels, il y en a un dû à LIOUVILLE, qui est d'une fréquente application dans les théories moléculaires. Considérons un système matériel dont le mouvement est déterminé par les équations de HAMILTON

q' = (dE/dp), p' = -(dE/dq),

où l'on a désigné par q les n coordonnées de LAGRANGE, par q' les vitesses, par p les moments correspondants, et par E l'énergie exprimée en fonction des coordonnées et des moments. À chaque système de valeurs des q et des p existant à un moment t(1), correspondront des valeurs déterminées q' ,p ' de ces variables à un instant postérieur t(2), et si nous laissons aux valeurs initiales la liberté de varier dans un domaine dS infiniment petit de l'étendue à 2n dimensions qui leur correspond, les valeurs finales seront limitées à un domaine dS' de l'étendue (q', p'). Le théorème de LIOUVILLE nous enseigne qu'on a toujours

dS' = dS.

J'espère que vous me pardonnerez cette digression, que j'ai cru avoir peut-être quelque intérêt pour ceux d'entre vous qui ont un peu perdu l'habitude de la géométrie polydimensionnelle.

Revenons maintenant aux mouvements dans un système de molécules. Dans le cas d'un gaz dont les particules sont considérées comme des points matériels, les composantes de la vitesse d'une molécule peuvent être prises pour variables fondamentales, et l'état sera stationnaire lorsque la densité de la distribution est exprimée par la fonction

(4) a*exp(-k*E),

où a et k sont des constantes, tandis que E désigne l'énergie cinétique d'une molécule. Cette formule exprime la loi bien connue de MAXWELL, que BOLTZMANN a su étendre à des gaz polyatomiques. Il trouva qu'on n'a rien à changer à la forme de l'expression (4). Si on prend pour variables fondamentales les coordonnées rectangulaires du centre de gravité d'une molécule, les composantes de la vitesse de ce point et les coordonnées et moments qui définissent les positions et les vitesses des atomes relatives au centre de gravité, la fonction représente toujours, pour un état stationnaire du gaz, la densité de la distribution dans l'espace polydimensionnel correspondant à toutes ces variables, c'est-à-dire que le nombre des molécules pour lesquelles les valeurs des variables se trouvent dans un certain intervalle infiniment petit sera donné par le produit de la grandeur de cet intervalle par la fonction (4).

Seulement, E doit signifier maintenant l'énergie totale d'une molécule, y compris l'énergie potentielle qui peut être due à l'action de forces extérieures, telles que la gravité.

Ce qui nous intéresse surtout dans ces théories, c'est la conclusion qu'on peut en tirer en ce qui concerne l'énergie cinétique d'une molécule ou d'un atome. On trouve qu'à température donnée, la valeur moyenne de cette énergie, pour autant qu'elle dépend du mouvement du centre de gravité, a une valeur entièrement déterminée, à laquelle on ne peut rien changer, ni par l'action de forces extérieures, ni par un changement d'état d'agrégation, ni même par une combinaison ou décomposition chimique. Cette énergie moyenne est proportionnelle à la température T et peut donc être représentée par alpha*T, où alpha est une constante universelle. Nous la verrons reparaître dans la théorie du rayonnement.

La méthode de BOLTZMANN est très générale, mais pourtant il y a des cas où elle ne s'applique pas, l'état intérieur d'un système pouvant être tellement compliqué qu'il devient difficile ou même impossible de choisir les unités ou les éléments pour lesquels on établira une statistique. Dans ces circonstances on peut se servir d'une autre méthode qu'on doit également à BOLTZMANN, et que GIBBS a mise sous une forme plus légèrement maniable.

Elle consiste à faire la statistique, non pas des molécules dont un corps se compose, mais d'un assemblage de corps entiers, qui peuvent tous être regardés comme des copies de celui qu'il s'agit d'étudier. Nous supposerons que le nombre N de ces corps soit très grand et qu'ils diffèrent plus ou moins les uns des autres par les positions relatives et les vitesses de leurs particules; alors nous pourrons faire la statistique de l'ensemble qu'ils constituent.

Définissons l'état d'un corps par n coordonnées générales q et par les moments correspondants p, et considérons ces variables fondamentales comme les coordonnées dans un espace à 2*n dimensions. Soit dS un élément de cet espace, phi*dS le nombre des points représentatifs ou, comme nous dirons pour abréger, des corps qui s'y trouvent. Au point de vue statistique l'état de l'ensemble est connu lorsque phi, la densité de la distribution, est donnée en fonction des q et des p.

Les N systèmes de l'ensemble doivent être regardés comme simplement juxtaposés, sans aucune action mutuelle. Cependant, l'état de chacun d'eux se modifiera par les mouvements et les forces intérieurs. Donc, les points représentatifs se déplaceront, et ce n'est que pour certaines formes spéciales de la fonction phi que, malgré ce déplacement, la distribution avec laquelle on commence se maintient. En se servant du théorème de LIOUVILLE, on démontre facilement qu'on a une telle distribution stationnaire, c'est-à-dire un état de choses dans lequel il y a toujours le même nombre de systèmes dans un élément dS, si l'on pose

phi = C*exp(-E/Thêta)

E étant l'énergie d'un système — qui dépend des coordonnées et des moments — et C et Thêta désignant des constantes. Un ensemble déterminé par cette équation est nommé par GIBBS un ensemble « canonique ».

Comme chaque système est indépendant des autres, chacun a une énergie constante, et son point représentatif se meut sur ce qu'on peut appeler une « surface de constante énergie ». Deux de ces surfaces, caractérisées par les valeurs E et E + dE de l'énergie, renferment une certaine partie de l'étendue 2*n-dimensionnelle totale, disons une « couche » mince et les points représentatifs qui se trouvent dans cette couche, où ils sont uniformément répandus, y resteront pour toujours. Cela posé, on peut enlever dans la pensée tous les systèmes qui se trouvent au dehors de la couche. Si ensuite, pour ceux qui y appartiennent, on fait abstraction des différences infiniment petites entre leurs énergies, on obtient un ensemble que GIBBS appelle « micro-canonique » et que BOLTZMANN avait déjà étudié sous le nom d'ensemble « ergodique ». Un ensemble de ce genre est caractérisé par la valeur de l'énergie commune à tous les systèmes, tandis qu'un ensemble canonique est défini par la valeur de la constante Thêta, que GIBBS nomme le "module".

Quel est maintenant le parti qu'on peut tirer de ces considérations, qui, au premier abord, semblent peu propres à nous apprendre quelque chose sur ce qui se passe dans un système réel? Si elles peuvent nous être utiles, c'est parce que, dans les systèmes avec lesquels nous faisons nos expériences, le nombre des particules ou éléments constituants est excessivement grand. Grâce à cela, il est très probable, sinon certain, que les grandeurs qui sont accessibles à nos observations sont sensiblement les mêmes dans la vaste majorité des systèmes d'un ensemble ergodique, et qu'on obtiendra les valeurs de ces grandeurs pour un corps réel en prenant les moyennes des valeurs qu'elles ont dans un tel ensemble. On peut même dire que, lorsque, au lieu d'opérer toujours sur un même morceau de cuivre, par exemple, on répète les mesures un grand nombre de fois sur des morceaux différents, « égaux » les uns aux autres dans le sens ordinaire de ce mot, c'est en réalité sur les corps d'un ensemble micro-canonique qu'on fait les mesures. Substituer la considération des valeurs moyennes dans un tel ensemble à l'étude d'un seul et même corps, cela revient, en fin de compte, à négliger les petites différences qu'on trouverait, ou plutôt qu'on ne trouverait pas, parce qu'elles sont trop faibles, entre un échantillon de cuivre et un autre.

Quant à l'ensemble canonique, l'idée de s'en servir peut être regardée comme un artifice mathématique. Pour une valeur donnée du module Thêta, les systèmes de l'ensemble ont une certaine énergie moyenne E, et, lorsque les particules ou éléments de chaque système sont très nombreux, il semble permis d'admettre que le nombre des systèmes dans lesquels l'énergie diffère tant soit peu de cette valeur moyenne ost très petit par rapport au nombre total N. Par conséquent, les valeurs moyennes calculées pour l'ensemble canonique peuvent être considérées comme égales à celles qu'on trouverait pour un ensemble micro-canonique caractérisé par l'énergie E; elles pourront donc nous faire connaître, elles aussi, les valeurs qui se rapportent à un système réel.

Après ces préliminaires, qui peut-être sont devenus trop longs, nous pouvons enfin aborder notre problème principal. Il nous sera facile d'en trouver une solution remarquable, que M. JEANS a été le premier à indiquer.

Nous devons nous figurer le corps M qui se trouve dans l'enceinte parallélépipédique comme composé d'innombrables atomes animés d'un mouvement perpétuel; de plus, il y a des particules chargées ou électrons, soit libres, soit captivées à l'intérieur des atomes. Ces électrons prennent part au mouvement calorifique, et doivent être regardés comme les véritables sources du rayonnement. En effet, d'après les idées modernes, le mouvement d'une particule non chargée n'a aucune influence sur l'éther; un électron, au contraire, devient le centre d'un rayonnement toutes les fois que sa vitesse change en direction ou en grandeur. D'un autre côté, les forces électriques qui existent dans un rayon de lumière agissent sur les électrons et leur communiquent un mouvement qu'ils partageront bientôt avec les autres particules du corps. Voilà la cause de l'absorption des rayons, par laquelle une partie de leur énergie est transformée en chaleur.

Vu le nombre énorme des atomes et électrons, la diversité de leurs mouvements, et la complexité des rayons qui s'entrecroisent dans l'éther, la méthode statistique est toute indiquée, et, comme il semble difficile de l'appliquer à un seul système, nous aurons recours à la méthode de GIBBS. Examinons d'abord la question de son applicabilité à notre problème.

L'état de l'éther dans un système où se trouvent des électrons mobiles est déterminé par un système d'équations aux dérivées partielles qui, au premier abord, semblent bien différentes des équations de HAMILTON. Elles contiennent la force électrique, qui, grâce à un choix convenable des unités, peut être représentée par le même vecteur D que le déplacement diélectrique, la force magnétique H, la densité rho de la charge électrique, et la vitesse v avec laquelle un élément de la charge se déplace; enfin une constante c, égale à la vitesse de la lumière. En choisissant proprement les axes des coordonnées, et en indiquant par les signes Dx, Dy, Dz, Hx, etc. les composantes des vecteurs D, H, etc., nous aurons

(5) d(Dx)/dx + d(Dy)/dy + d(Dz)/dz = rho,

(6) d(Hx)/dx + d(Hy)/dy + d(Hz)/dz = 0,

(7) d(Hz)/dy - d(Hy)/dz = (1/c)*(((Dx)') + rho*(vx)), etc.

(8) d(Dz)/dy - d(Dy)/dz = (-1/c)*((Hx)'), etc.

À ces équations, il faut joindre les conditions qui doivent être remplies aux parois de l'enceinte. Je supposerai que ces parois sont parfaitement conductrices, ce qui les rendra parfaitement réfléchissantes; alors la force électrique D sera partout normale à la paroi.

On peut démontrer que les conditions que je viens d'énumérer déterminent complètement le champ électromagnétique dans l'éther, quand on connaît, outre l'état initial, la distribution de la charge des électrons et le mouvement de ces particules. Quant k ce mouvement lui même, il faudra tenir compte, en l'étudiant, d'abord des forces qui peuvent agir entre les électrons et les particules non chargées, et, en second lieu, de la force exercée par l'éther. Par unité de charge, les composantes de cette dernière sont données par

(9) Dx + (1/c)*(vy*Hz - vz*Hy), etc.

Comme je viens de dire, ce système de formules est bien différent des équations de HAMILTON. Cependant, on peut les y réduire. C'est ce qu'on peut faire en deux pas, dont le premier consiste dans l'établissement d'un théorème qui est analogue à celui de la moindre action et que j'exprimerai par la formule

(10) delta*(sum(t(1)...t(2))(L - U)*dt) = 0.

Ici, l'énergie électrique est représentée par U, l'énergie magnétique par L, et le signe delta se rapporte au passage d'un état de choses réel, qui satisfait à toutes les équations précédentes, à un état fictif, que je nommerai l'état ou le mouvement varié, et que nous précisons comme il suit, à partir de l'état réel qui existe à un moment quelconque t, nous donnons des déplacements infiniment petits aux électrons, et un changement infiniment petit aux composantes Dx, Dy, Dz, tels que l'équation (5) ne cesse pas d'être vraie, et que les conditions aux parois restent remplies. Ces déplacements et variations peuvent être des fonctions continues quelconques du temps ; quand ils ont été choisis, nous connaissons pour chaque instant la position variée des électrons et le champ électrique varié dans l'éther. Le mouvement varié n'est autre chose que la succession de ces états variés, et les nouvelles vitesses des électrons, les valeurs de (Dx)', (Dy)', (Dz)' et les grandeurs

(Dx)' + rho*(vx), etc.,

qu'on peut appeler les composantes du courant varié, se trouvent complètement définies. Entendons ensuite par H le vecteur déterminé par les équations (6) et (7), et calculons la valeur de L pour les deux mouvements par la formule

L = (1/2)*(sum((H^2)*dV)),

où dV est un élément de volume ; nous aurons alors la valeur de delta(L). Pareillement, nous obtiendrons delta(U) en prenant pour les deux mouvements l'intégrale

U = (1/2)*(sum((D^2)*dV)).

On peut démontrer maintenant que l'équation (10) est toujours vraie, pourvu que les déplacements des électrons et les variations de D s'annulent pour t = t(1) et t = t(2). Réciproquement, on peut trouver les équations (8) et les forces (9) en partant de la formule (10).

Il importe de remarquer que, pour arriver à cette équation, il n'est nullement nécessaire de penser à une explication mécanique des phénomènes électromagnétiques, dans laquelle L serait considéré comme l'énergie cinétique, et U comme l'énergie potentielle. Il nous suffit que nous ayons une équation de la même forme que celle qu'on rencontre dans la mécanique ordinaire.

Jusqu'ici nous n'avons parlé ni des particules sans charge, ni des actions non électromagnétiques. On en tiendra compte en comprenant sous le symbole U l'énergie potentielle de ces actions, et sous L l'énergie cinétique des particules (et des électrons eux-mêmes, si nous voulons leur attribuer une masse matérielle).

Passons maintenant du principe de la moindre action aux équations de HAMILTON. À. cet effet, il est nécessaire d'introduire un système de coordonnées q, propres à définir la position des particules et le champ électrique dans l'éther.

Je commencerai par choisir un nombre de coordonnées que j'appellerai toutes q(1), qui déterminent la position des particules non chargées, et un système de grandeurs q(2) qui fixent la position des électrons. Pour simplifier, je considérerai ces derniers comme des corps rigides; alors nous pouvons prendre pour chacun d'eux les coordonnées de son centre, et les angles qui déterminent son orientation.

Il nous reste à choisir les coordonnées pour le champ électrique dans l'éther. Or, quel que soit ce champ, on peut toujours le décomposer en deux parties super— posées, dont la première est le champ qui existerait si les électrons se trouvaient en repos dans les positions indiquées par les coordonnées q(2), tandis que la seconde satisfait partout à la relation

d(Dx)/dx + d(Dy)/dy + d(Dz)/dz = 0,

chacune des deux parties remplissant les conditions aux parois. La première partie est entièrement déterminée par les coordonnées q(1), et le théorème de FOURIER nous permet d'écrire pour la seconde

(11)

Dx = Sigma((q(3))*(alpha) + (q'(3))*(alpha'))*cos(((u*Pi)/f)*x)*sin(((v*Pi)/g)*y)*sin(((w*Pi)/h)*z),

Dy = Sigma((q(3))*(beta) + (q'(3))*(beta'))*sin(((u*Pi)/f)*x)*cos(((v*Pi)/g)*y)*sin(((w*Pi)/h)*z),

Dz = Sigma((q(3))*(gamma) + (q'(3))*(gamma'))*sin(((u*Pi)/f)*x)*sin(((v*Pi)/g)*y)*cos(((w*Pi)/h)*z),

Ici, on a pris pour axes des coordonnées trois arêtes du parallélépipède, et on a représenté par f, g, h, les longueurs de ces arêtes. Les coefficients u, v, w, sont des nombres entiers et positifs, et pour chaque système (u, v, w) de leurs valeurs, on a introduit deux directions déterminées par les cosinus alpha, beta, gamma, alpha', beta', gamma', ces directions étant perpendiculaires entre elles et à celle qui est déterminée par u/f, v/g, w/h. De plus, pour chaque système (u, v, w), il y a deux coefficients q(3) et q'(3); enfin, les sommes doivent être étendues à toutes les combinaisons possibles des u, v, w. Ce sont les grandeurs q(3), q'(3) — indiquées dans la suite par le seul symbole q(3) — qui seront les coordonnées pour l'éther.

Il s'agit maintenant d'indiquer les valeurs des énergies U et L. Lorsqu'un champ électrique ou magnétique résulte de la superposition d'un nombre de champs élémentaires, l'énergie se compose de plusieurs parties, dont les unes appartiennent aux champs élémentaires pris séparément, tandis que chacune des autres provient de la coexistence de deux champs élémentaires. Dans le cas qui nous occupe, il y a d'abord les champs électriques dépendant des coordonnées q(2) et q(3). Quant aux champs magnétiques, chacun d'eux correspond à une certaine distribution du courant électrique.

Quand une coordonnée q(2) change avec le temps, c'est-à-dire quand un électron se déplace, nous avons un courant de convection, combiné avec un courant de déplacement dans l'éther ambiant; l'intensité de ces courants, et celle du champ magnétique qu'ils produisent, sont alors proportionnelles à q(2). D'un autre côté, le changement d'une coordonnée q(3) déterminera un courant de déplacement dont on trouvera les composantes en différentiant par rapport à t les expressions (11). Ce courant et son champ magnétique sont proportionnels à la dérivée q'(3).

Remarquons encore que, dans l'expression pour l'énergie électrique, il n'y a ni de termes avec le produit d'un q(2) par un q(3), ni de termes qui contiennent le pro— duit de deux q(3) différents. Pareillement, les produits de deux q'(3) feront défaut dans l'expression pour l'énergie magnétique.

En fin de compte, on peut écrire

(12) U = U(0) + (1/16)*f*g*h*Sigma((q(3))^2),

U0 étant une fonction des coordonnées q(1) et q(2), et

(13) L = L(0) + ((f*g*h)/(16*(c^2)))*Sigma(((q'(3))^2)/((Pi^2)*((u^2)/(f^2) + (v^2)/(g^2) + (w^2)/(h^2)))) + Sigma(i,j)((l(i,j))*(q'(2*i))*(q'(3*j)))

où L(0) est une fonction homogène du second degré des dérivées q'(1) et q'(2). Le dernier terme de L contient tous les produits d'un q'(2) par un q'(3), chaque produit étant multiplié par un coefficient qui est une fonction des coordonnées de l'électron auquel se rapporte q'(2*i). Ce coefficient dépend des valeurs de u, v, w, alpha, beta, gamma, correspondant à la coordonnée q(3*j), mais non pas de cette coordonnée elle-même.

Par un raisonnement qu'il est inutile d'indiquer ici, la formule générale (10) conduit maintenant à des équations qui sont semblables à celles de LAGRANGE et qui pourraient servir à traiter les problèmes qu'on étudie ordinairement à l'aide des formules (5)-(9). Par exemple, dans l'expression pour la force exercée sur un électron, il y aura un terme qui contient les vitesses q'(2) de cet électron, multipliées par les grandeurs q'(3); ce terme représente la force qui est due au mouvement de la particule dans le champ magnétique.

Notons aussi que l'équation relative à une coordonnée q(3) a la forme

(l4) ((f*g*h)/(8*(c^2)))*((q"(3*j))/((Pi^2)*((u^2)/(f^2) + (v^2)/(g^2) + (w^2)/(h^2)))) + Sigma(i)((l(i,j))*(q"(2*i))) + Sigma(i)(((d(l(i,j)))/dt)*(q'(2*i))) + (1/8)*f*g*h*(q(3*j)).

Les termes contenant q"(2*i) peuvent nous faire connaître la radiation émise par les électrons; nous savons déjà qu'une telle radiation existe toutes les fois qu'il y a des accélérations q"(2).

Du reste, lorsque les électrons se trouvent en repos, de sorte que q'(2) = 0 et q"(2) = 0, la formule (14) montre que q(3*j) peut subir des changements périodiques représentés par

q(3*j) = a*cos(nt + s),

où a, n et s sont des constantes.

Si l'on substitue ces valeurs dans les équations (11), celles-ci prennent la forme correspondant à des ondes stationnaires. La longueur de ces ondes est donnée par

(15) lambda = 2/(sqrt((u^2)/(f^2) + (v^2)/(g^2) + (w^2)/(h^2))),

et la durée des vibrations par

tau = 2/(c*(sqrt((u^2)/(f^2) + (v^2)/(g^2) + (w^2)/(h^2)))),

de sorte qu'on retrouve la relation générale

lambda = c*tau.

Dans ce qui précède nous avons parlé des équations de LAGRANGE. Celles de HAMILTON s'en déduisent par le procédé ordinaire, si l'on introduit les moments p qu'on obtient en différentiant l'expression (13) par rapport aux grandeurs q'.

Une des conditions qui est nécessaire pour que la méthode de GIBBS puisse être appliquée à notre système, se trouve maintenant remplie. Cependant il y a encore une difficulté. Dans chacun des systèmes dont nous pourrions composer un ensemble, le nombre des coordonnées q(3) qui définissent le champ électrique dans l'éther est infini, et il paraît difficile de faire la statistique par rapport à un nombre infini de variables. Il est donc nécessaire de remplacer le système réel avec son nombre infini de degrés de liberté par un système fictif pour lequel ce nombre n est limité, et de traiter le système réel comme un cas limite dont on s'approche de plus en plus en faisant accroître le nombre n. Le cas est analogue à celui d'une corde vibrante qui a également un nombre infini de coordonnées. Ici, on peut limiter ce nombre en supposant que la masse soit concentrée en des points placés à des distances finies sur un fil qui lui même est sans masse appréciable, un expédient dont on s'est souvent servi pour trouver les modes de vibration d'une corde continue. On pourrait suivre la même voie dans l'étude d'un système électromagnétique, si l'on pouvait commencer par des équations ne contenant que les valeurs des grandeurs électromagnétiques dans un groupe de points situés à des distances finies les uns des autres. Ce remplacement des équations différentielles par des équations à différences finies est facile lorsqu'il s'agit des formules qui s'appliquent à l'éther libre, mais il m'a été impossible de faire la même chose pour les équations qui contiennent la densité rho de la charge.

Heureusement, il y a un autre artifice. Le nombre des coordonnées d'un système mécanique peut être diminué par l'introduction de nouvelles liaisons; on peut, par exemple, imaginer un mécanisme qui empêche une corde de se mouvoir comme elle le ferait en donnant les harmoniques au delà d'un certain nombre de vibrations, tout en la laissant libre de donner les tons inférieurs. D'une manière analogue, nous obtiendrons un système ne possédant qu'un nombre fini de degrés de liberté, si nous imaginons dans l'éther des liaisons qui excluent les champs électriques représentés par les formules (11), pour lesquels la longueur d'onde (15) serait inférieure à une certaine limite lambda(0). C'est avec ce système fictif que nous pouvons former un ensemble canonique de GIBBS au module Thêta.

Parmi les propriétés d'un tel ensemble il y en a une qui est d'un intérêt spécial pour notre but. Supposons qu'une des coordonnées q, ou un des moments p n'entre dans l'expression pour l'énergie E que dans un terme de la forme alpha*(q^2) ou beta*(p^2). On démontre alors que la valeur moyenne de la partie de l'énergie qui est indiquée par ce terme, c'est-à-dire de la partie de l'énergie qui correspond à l'ordonnée ou au moment en question, est donnée par la moitié du module Thêta.

Ce résultat s'applique à quelques-unes des variables que nous avons à considérer. En premier lieu, si m est la masse d'une particule non chargée, disons d'une molécule, du corps M, et q(1) une des coordonnées rectangulaires du centre de gravité de cette molécule, l'énergie L contient le terme (1/2)*m*((q'(1))^2) ou ((p(1))^2)/(2*m), si p(1) est le moment correspondant à la coordonnée q(1). Evidemment, ce moment ne se retrouve dans aucun autre terme de L; la valeur moyenne dans l'ensemble canonique, de la partie de L qui lui correspond est (1/2)*Thêta, et on trouve (3/2)*Thêta pour la valeur moyenne de l'énergie due au mouvement du centre de gravité de la molécule. En effet, on peut répéter le raisonnement précédent, en entendant par q(1) la deuxième ou la troisième coordonnée de ce point. Fixons maintenant notre attention sur un nombreux groupe de molécules égales contenues dans le corps M; soit v le nombre de ces molécules.

L'énergie totale qu'elles possèdent en vertu du mouvement de leurs centres de grag vite, aura dans l'ensemble canonique la valeur moyenne (3/2)*v*Thêta, et il faudra lui attribuer la même valeur dans le seul corps M.

Nous avons déjà vu que l'énergie en question peut être représentée par alpha*nu*T, T étant la température et alpha une constante universelle. La comparaison des deux résultats montre que le module Thêta doit être proportionnel à la température du corps, et que l'on a

Thêta = (2/3)*alpha*T.

En second lieu, chaque coordonnée q(3) de l'éther ne se montre que dans un seul terme

(1/16)*f*g*h*((q(3))^2),

de l'expression pour l'énergie électrique. Nous en concluons que, dans l'ensemble canonique, l'énergie qui appartient à une seule coordonnée q(3) est donnée, en moyenne, par

(1/2)*Thêta = (1/3)*alpha*T,

et celle qui appartient aux deux coordonnées q(3) et q'(3) que nous avons introduites pour un système de valeurs des nombres u, v, w, par

(2/3)*alpha*T,

forme de la fonction du rayonnement est une conséquence presque immédiate de ce résultat. Il est permis de supposer que les dimensions f, g, h, du parallélépipède sont très grandes par rapport aux longueurs d'onde qui entrent en jeu. Cela posé, on trouve

((4*Pi)/(lambda^4))*f*g*h*d(lambda)

pour le nombre des systèmes (u, v, w) pour lesquels la longueur d'onde est comprise entre les limites lambda et lambda + d(lambda), et

((8*Pi*alpha*T)/(3*(lambda^4)))*f*g*h*d(lambda),

pour l'énergie électrique moyenne dans les systèmes de l'ensemble canonique, en tant que cette énergie appartient à l'intervalle (lambda, lambda + d(lambda)). L'énergie doit avoir cette même valeur pour le système que nous étudions, ce qui donne

((8*Pi*alpha*T)/(3*(lambda^4)))*d(lambda),

pour l'unité de volume. Remarquons enfin que dans l'éther qui entoure le corps M, l'énergie magnétique est égale à l'énergie électrique, et nous voyons, en nous bornant toujours à l'intervalle d(lambda), que la valeur totale de l'énergie par unité de volume est

((16*Pi*alpha*T)/(3*(lambda^4)))*d(lambda),

et que la fonction du rayonnement est donnée par

(16) F(lambda,T) = ((16*Pi*alpha*T)/(3*(lambda^4))).

Avant d'entrer dans une discussion de ce résultat, je dois mentionner la belle théorie du rayonnement qui a été développée par M. PLANCK. Ce physicien suppose qu'un corps pondérable contienne des particules dans lesquelles des oscillations électriques peuvent avoir lieu, la plus simple image qu'on puisse se former d'un tel «résonateur» étant celle d'un seul électron qui peut vibrer autour de sa position d'équilibre. Chaque résonateur a sa propre période de vibration, et nous admettrons que toutes les périodes se trouvent représentées dans le corps.

Or, PLANCK considère d'un côté l'équilibre entre les vibrations des résonateurs et le rayonnement dans l'éther, et d'un autre côté le partage de l'énergie qui se fait entre les résonateurs et les particules ordinaires. La première partie de la théorie est basée sur les équations du champ électromagnétique; dans la seconde, PLANCK suit une marche semblable à celle dont on s'est souvent servi dans les théories moléculaires.

Elle revient à examiner quelle distribution de l'énergie doit être considérée comme la plus probable. Ici, une idée nouvelle est introduite. PLANCK suppose qu'un résonateur ne puisse pas gagner ou perdre de l'énergie par degrés infinitésimaux, mais seulement par des portions ayant une grandeur finie et déterminée ; ces portions seraient inégales pour des résonateurs à périodes de vibration tau différentes. En effet, il attribue à l'élément d'énergie en question la grandeur

h/tau,

où h est une constante.

Enfin, par un raisonnement dans lequel je ne puis le suivre ici, il obtient la formule suivante pour la fonction du rayonnement:

F(lambda,T) = ((8*Pi*c*h)/(lambda^5))*(1/(exp((3*c*h)/(2*alpha*lambda*T)) - 1)).

Cette équation montre un accord très satisfaisant avec les résultats expérimentaux de LUMMER et PRINGSHEIM. Elle a la forme de la formule (3), et elle conduit à un maximum de F pour une valeur de lambda qui est inversement proportionnelle à la température.

Pour de grandes valeurs de la longueur d'onde, on peut remplacer

exp((3*c*h)/(2*alpha*lambda*T))

par

(3*c*h)/(2*alpha*lambda*T),

et la formule de PLANCK devient identique à celle qu'on trouve par la méthode de GIBBS. Cet accord des résultats obtenus par deux méthodes bien différentes est très curieux, mais malheureusement il n'existe que pour les grandes longueurs d'onde. Selon la théorie que je vous ai présentée, la formule (16) devrait être vraie pour toutes les longueurs d'onde au dessus de la valeur que j'ai nommée lambda(0); dans le cas limite qu'on obtient en faisant diminuer de plus en plus cette dernière, l'équation devrait même s'appliquer à toutes les longueurs d'onde, si petites qu'elles soient.

C'est ce résultat que j'avais en vue lorsque je disais que peut-être les lois de BOLTZMANN et de WIEN ne pourraient être maintenues. Il est vrai que la fonction que nous avons trouvée rentre dans la forme générale (3), mais il n'y a plus de maximum, et si l'on étend l'intégrale de la fonction à toutes les longueurs d'onde, de 0 à l'infini, on obtient une grandeur infinie. Cela veut dire que, pour être en équilibre avec un corps d'une température donnée, l'éther devrait contenir une quantité infinie d'énergie; en d'autres termes, si on commence par un corps doué d'une quantité finie d'énergie, cette dernière se dissiperait entièrement dans l'éther. Nous pouvons ajouter qu'à la longue elle s'y trouverait sous forme d'ondes excessivement courtes, et que même, parce que le produit alpha*T diminuerait de plus en plus, l'énergie qui correspond aux longueurs d'onde au dessus de quelque valeur fixe arbitrairement choisie tendrait vers 0.

Tout cela semble bien étrange au premier abord et j'avoue que, lorsque JEANS publia sa théorie, j'ai espéré qu'en y regardant de plus près, on pourrait démontrer que le théorème de 1' « equipartition of energy », sur lequel il s'était fondé, est inapplicable à l'éther, et qu'ainsi on pourrait trouver un vrai maximum de la fonction F(lambda,T). Les considérations précédentes me semblent prouver qu'il n'en est rien, et qu'on ne pourra échapper aux conclusions de JEANS à moins qu'on ne modifie profondément les hypothèses fondamentales de la théorie. Du reste, on serait conduit à des résultats analogues si on appliquait la méthode de GIBBS à d'autres systèmes possédant une infinité de degrés de liberté. On peut se figurer, par exemple, deux systèmes de molécules, dont les centres se meuvent dans un plan fixe, les molécules du premier système se mouvant dans ce plan comme les particules d'un gaz se meuvent dans l'espace, et celles du second système étant attachées à des cordes tendues dans une direction perpendiculaire au plan. On trouverait sans doute que, par les chocs mutuels, l'énergie d'un tel système s'accumulerait de plus en plus dans les cordes, y produisant des vibrations à longueurs d'onde extrêmement courtes.

Je ne veux pas nier que la méthode de GIBBS ne soit un peu artificielle et qu'il ne soit préférable d'établir la théorie du rayonnement sur l'examen de ce qui se passe, non pas dans un ensemble, mais dans un seul et même système. Aussi ai-je fait une tentative dans cette direction il y a déjà quelques années. On a de bonnes raisons pour croire que les métaux contiennent des électrons libres animés d'un mouvement rapide, dans lequel ils se heurtent contre les atomes métalliques après avoir parcouru des trajets d'une très petite longueur. Les changements de vitesse qui sont produits par les chocs doivent donner lieu à une émission dont on peut chercher à calculer les particularités, et on obtient la valeur de la fonction F en combinant le résultat avec celui qu'on trouve pour l'absorption; on voit facilement, en effet, que l'état de l'éther dans notre enceinte est entièrement déterminé par les pouvoirs émissif et absorbant du corps pondérable M.

Pour simplifier, j'ai effectué le calcul pour une mince plaque métallique. En me bornant à de grandes longueurs d'onde, j'ai trouvé une formule identique à celle que nous venons de déduire au moyen de la méthode de GIBBS. Cela est très satisfaisant, mais je n'ai pas réussi à appliquer ce procédé direct à des longueurs d'onde plus petites. Dès qu'on renonce aux simplifications qui sont permises pour les grandes longueurs, il devient très difficile de débrouiller le rayonnement par le théorème de FOURIER et de calculer d'une manière exacte l'absorption produite par un essaim d'électrons fourmillant entre les atomes du métal. Pour faire ressortir encore mieux la difficulté du problème, j'ajouterai que les ondes qui existent dans l'éther sont continuellement éparpillées par les électrons, et que cette dispersion est accompagnée d'un changement des périodes lorsque les électrons se trouvent en mouvement.

La méthode basée sur la considération d'un ensemble canonique a le mérite d'embrasser tous ces détails, parce que les équations de HAMILTON qu'elle prend pour point de départ comprennent toutes les actions qui existent entre le3 électrons et l'éther.

Du reste, quel que soit notre jugement sur les différentes théories, leur résultat commun, que pour les grandes longueurs d'onde la fonction du rayonnement a la forme

F(lambda,T) = ((16*Pi*alpha*T)/(3*(lambda^4))),

peut être considéré comme définitivement acquis. Si on compare avec cette formule les mesures faites sur les rayons infra-rouges extrêmes, on peut en déduire la constante universelle a. Cela nous donne la valeur aT de l'énergie moyenne d'une molécule gazeuse à la température T, et ensuite, parce que nous connaissons la vitesse du mouvement calorifique, la masse des molécules et atomes. C'est M. PLANCK qui, le premier, a montré la possibilité de ces calculs, dont le résultat s'accorde admirablement avec les nombres obtenus par des méthodes entièrement différentes.

On voit aussi que l'énigme posée par le fait que la fonction F(lambda,T) est indépendante des propriétés spéciales des corps n'est pas restée sans solution; c'est l'énergie d'agitation des particules constituantes, représentée par alpha*T, qui détermine l'intensité du rayonnement dans l' éther.

Dans la formule de PLANCK, il y a encore la constante h qui est commune à tous les corps, et si l'on adopte la théorie de ce physicien, on peut espérer découvrir un jour la signification physique de cette constante, ce qui constituerait un progrès de la plus haute importance.

Il me reste à parler de la manière dont la théorie de JEANS, dans laquelle il n'y a pas d'autre constante que le seul coefficient a, peut rendre compte du maximum dans la courbe du rayonnement que l e s expériences ont mis en évidence. L'explication donnée par JEANS — et c'est bien la seule qu'on puisse donner — revient à dire que ce maximum a été illusoire; si on a cru l'observer, ce serait parce qu'on n'avait pas réussi à réaliser un corps qui fût noir pour les petites longueurs d'onde.

En effet, il ne faut pas perdre de vue que la formule que nous avons trouvée pour la fonction du rayonnement, qui dépend du rapport entre les pouvoirs émissif et absorbant d'un corps, ne nous apprend rien sur la grandeur de ces pouvoirs pris séparément. Un exemple bien simple, dans lequel je me bornerai à l'intensité de l'émission, peut nous faire voir que l'échange d'énergie entre la matière et l'éther peut devenir de plus en plus lent à mesure que la fréquence des vibrations augmente.

Supposons qu'un électron, se mouvant le long d'une ligne droite, soit repoussé par un point fixe de cette ligne avec une force inversement proportionnelle au cube de la distance x. Nous pouvons poser alors, en choisissant convenablement le moment t = 0,

x = sqrt((a^2) + (b^2)*(t^2)),

où a et b sont des constantes positives, et

(17) (d^2)(x)/d(t^2) = ((a^2)*(b^2))/(sqrt(((a^2) + (b^2)*(t^2))^3))

C'est cette accélération qui produit le rayonnement, et pour décomposer ce dernier en des parties qui se distinguent par la longueur d'onde, nous devons développer la fonction (17) à l'aide du théorème de FOURIER. Or, si on veut déterminer l'amplitude des vibrations de la fréquence n, c'est-à-dire de la longueur d'onde (2*Pi*c)/n, on est conduit à l'intégrale

sum(0...infini)((cos(n*t))/(sqrt(((a^2) + (b^2)*(t^2))^3)))*dt,

qui tend vers la valeur

(1/(a*(b^2)))*(sqrt((Pi*b*n)/(2*a)))*exp(-((a*n)/b)),

pour de grandes valeurs de n. À cause du facteur exponentiel, cette expression finit par devenir extrêmement petite. Il est permis de présumer qu'on obtiendra un résultat semblable lorsqu'un électron se meut sous l'influence d'une force suivant une loi différente, et que l'absorption deviendra très faible en même temps que l'émission. Il se pourrait donc fort bien que le corps dont se sont servis LUMMER et PRINGSHEIM, tout en étant équivalent à un corps noir pour de grandes longueurs d'onde, ait eu un pouvoir émis3if beaucoup plus petit que celui d'un tel corps pour les ondes les plus courtes.

Remarquons aussi que la petitesse des pouvoirs émissif et absorbant doit avoir pour conséquence qu'en ce qui concerne les petites longueurs d'onde l'équilibre entre l'éther et un corps pondérable s'établit avec une extrême lenteur. On peut même dire que l'équilibre final, dans lequel l'énergie se serait uniformément distribuée sur une infinité de modes de vibration, constituerait un état qu'il est impossible de se représenter et qui ne sera jamais atteint dans un temps fini. En réalité il n'y aurait qu'une transformation continuelle de l'énergie dans la direction de cet état.

En terminant cette discussion, je ne puis nullement prétendre vous avoir présenté une solution définitive du problème proposé. En physique théorique on ne peut faire autre chose qu'examiner les différentes hypothèses et évaluer leurs degrés de probabilité en indiquant les conséquences qu'on peut tirer de chacune d'elles. Eh bien, si l'on compare la théorie de PLANCK et celle de JEANS, on trouve qu'elles ont toutes les deux leurs mérites et leurs défauts. La théorie de PLANCK est la seule qui nous ait donné une formule conforme aux résultats des expériences, mais nous ne pouvons l'adopter qu'à condition de remanier profondément nos idées fondamentales sur les phénomènes électromagnétiques. On le voit déjà lorsqu'on considère qu'un seul électron qui se meut d'une manière quelconque émet des rayons de toutes les longueurs d'onde; évidemment, il est impossible d'appliquer à un tel cas l'hypothèse des éléments d'énergie dont la grandeur dépend de la fréquence. La théorie de JEANS, au contraire, nous oblige à attribuer à un hasard pour le moment inexplicable l'accord entre les observations et les lois de BOLTZMANN et de WIEN.

Heureusement on peut espérer que de nouvelles déterminations expérimentales de la fonction du rayonnement permettront une décision entre les deux théories.


  • NOTE ADDITIONNELLE.

Quelque temps après le Congrès, M. W. WIEN a eu l'obligeance de me faire remarquer que je ne m'étais pas suffisamment rendu compte des difficultés qu'on rencontre dans la théorie de JEANS, et, en y réfléchissant de nouveau, j'ai reconnu qu'en effet les considérations exposées dans ma conférence ne suffisent pas à faire disparaître le désaccord qui existe entre cette théorie et les observations. Dans les expériences de LUMMER et PRINGSHEIM, le pouvoir émissif du corps rayonnant pour les petites longueurs d'onde à été considérablement inférieur à celui qu'on déduit de notre formule (16); donc, si cette équation était la vraie expression du rayonnement d'un corps noir, le rayonnement mesuré par ces physiciens aurait été beaucoup moindre que celui d'un tel corps et, en vertu de la loi de KIRCHHOFF, le pouvoir absorbant du système qu'ils ont employé devrait avoir été inférieur à l'unité à un degré qu'il est impossible d'admettre (l).

Du reste, on peut faire ressortir l'insuffisance de la théorie de JEANS par un calcul bien simple. Prenons, par exemple, le cas d'une plaque polie en argent, ayant la température de 15°, et comparons, pour la lumière jaune, le pouvoir émissif E(1) de ce corps à celui (E(2)) d'un corps noir à la température de 1200°. Sous l'incidence normale, l'argent poli réfléchit environ 90% de la lumière incidente; son pouvoir absorbant est donc égal à 1/10 et on aura E(1) = (1/10)*(E(3)), si l'on désigne par E(3) le pouvoir émissif d'un corps noir à 15°. D'un autre côté, la formule (16) exige que, pour une longueur d'onde déterminée, le pouvoir émissif F(lambda,T) soit proportionnel à la température absolue, d'où l'on déduit E(3) = (288/1473)*(E(2)) = (1/5)*(E(2)) et, par conséquent, E(1) = (1/50)*(E(2)).

Or, à la température de 1200°, un corps noir (dont le pouvoir émissif surpasse celui de tous les autres) brillerait d'un éclat bien vif, et une substance douée d'un pouvoir émissif cinquante fois plus petit, devrait sans doute être visible dans l'obscurité.

Il est donc bien certain que, si l'on excepte les ondes très longues, les corps émettent beaucoup moins de lumière, en proportion de leur pouvoir absorbant, que ne le demande la théorie de JEANS. Cela nous prouve que la théorie qui se base sur les équations ordinaires de l'électrodynamique et sur le théorème de l'«equipartition of energy», doit être profondément remaniée; on devra introduire l'hypothèse de particules rayonnantes, telles que les résonateurs de PLANCK, auxquelles, pour une raison ou une autre, les théorèmes de la mécanique statistique ne soient pas applicables.

(1) Des mesures directes de ce pouvoir ont montré qu'il ne diffère qu'extrêmement peu de l'unité. (Voir LUMMER et PRINGSHEIM, Physikalische Zeitschrift, 9, 1908, p. 449).

Il ne faut pas croire, cependant, qu'en adoptant cette manière de voir, on puisse venir à bout de toutes les difficultés. Il est tout au moins très probable que, dans quelques corps, notamment dans les métaux, il y ait, outre les résonateurs, des électrons libres, et je ne vois aucune raison pour laquelle la théorie de GIBBS ne s'appliquerait pas à ces particules. On serait donc conduit à ce résultat paradoxal que l'état d'équilibre entre l'éther et la matière pondérable qui s'établit par l'intermède des résonateurs, ne serait pas identique à celui qui se produit par l'échange d'énergie, d'une part entre la matière et les électrons, et d'autre part entre ces derniers et l'éther, conséquence qui serait en contradiction avec les lois de la thermodynamique, d'après, lesquelles il ne peut y avoir qu'un seul état d'équilibre.

On pourra peut être éviter cette contradiction en se représentant — je parle toujours des petites longueurs d'onde — l'échange d'énergie qui s'opère par l'intermède des résonateurs comme beaucoup plus rapide que celui qui est dû aux électrons libres. Si la différence qui existe entre les deux modes d'action sous le rapport de leurs vitesses est très grande, on peut concevoir que dans nos expériences tout se passe comme si les électrons libres n'existaient pas, et que pourtant, pourvu qu'on leur laisse un temps suffisamment long, ces mêmes électrons finissent par faire sentir leur influence. Alors, en fin de compte, JEANS aurait raison, le système tendant vers l'état final dont nous avons parlé et dans lequel les résonateurs seraient sans influence, parce que leur énergie diminuerait de plus en plus; mais cela n'empêcherait pas qu'au point de vue expérimental on ne dût s'en tenir à la théorie de PLANCK.

Malgré la présence des électrons libres qui, à la longue, dérangeraient l'équilibre provisoire qu'on observe, les actions qui amènent cet équilibre peuvent très bien êt re telles que leurs effets s'accordent avec la seconde loi de la thermodynamique.

Il n'est guère nécessaire d'ajouter qu'on doit s'exprimer avec beaucoup de réserve sur ces questions délicates. Sans doute, la théorie se simplifierait considérablement s'il y avait quelque moyen d'échapper entièrement aux conséquences que M. JEANS a signalées.