Le parfait secrétaire des grands hommes/Lettre 36

Texte établi par Georges GirardLa cité des livres (p. 63-64).
CHRISTOPHE COLOMB


À M. Rabelais.


Ce xx novembre.


Mon jeune amy,

Je reprens le récit de mes adventure que désirez tant connoistre. Vous disois doncques que j’estois de retour en Espagne et que ji fus repçeu à la cour, où le Roy, la Royne et tout chascun furent esmerveillés des nouvelletés que j’apportay.

On loua fort les perroquets pour estre de plusieurs belles couleurs, aulcuns d’ung verd luisant et autre d’ung vif rouge outre-meslé de diverses naïfves couleurs et qui resembloient peu à ceux qu’on connoissoient jà, venant d’autres contrées.

Les connils que j’apportay estoient petits, ayant les oreilles et la queux comme ung rat et la couleur grise. On loua aussy grandement les coqs que j’apportay qui sont meilheures que les paons et on fust esmerveillés surtout de voir ces hommes que j’amenay avec nous, lesquels portoient petites boucles en or aux oreilles et aux narines percées à ces fins et qui n’estoyent ny blanc ny noirs, mais come de couleur olives ou de coins cuits.

Le Roy estoit fort attentif au récit que je luy faisois, s’esmerveillans de ce que ces peuples n’avoyent habits, lestres, ne monnoye, ne fer, ne bled, ne vin, ne animal aulcun qui fust plus grand qu’ung chien, ne grand navire, et ne peut avoyr patience quant il ouyt dire qu’ils se mangeoient l’ung l’autre et que tous estoyent idolastres et me dit que, si Dieu le faisoit vivre et luy prestoit santé, il osteroit cette abominable inhumanité et déracineroit l’idolastrie de ces terres qui viendroyent à sa domination et puissance. Enfin il me reçu fort galamment.

Sur ce, je vous salue.

Xpo Colomb.