Le parfait secrétaire des grands hommes/Lettre 21

Texte établi par Georges GirardLa cité des livres (p. 47-48).
GRÉGOIRE DE TOURS


À la bienheureuse royne Radegonde.


Bienheureuse royne,

M’avés mandé aulcunes particularité touchant l’histoire, voulant, m’avés vous dis, en instruires les jeunes filles qui sont venues en votre monastère pour y vivre à l’ombre de vos vertus. C’est me faire grand oneur ; aussy ne veux faillir à vostre mandement.

Cetuy jour vous conteray quauleuns du rex Clovis, li Ier rex chrétien.

Il estoit une loi parmy les Francs de partager tout le butin entre les gens de guerres, mais iceluy rex, quoiqu’alors idolastre, demanda une foi, à la suyte d’un combat, qu’on mit à part un vase sacré pris dans. une esglise pour le rendre à l’evesque Rémy de Reims. qui le lui avoit demandé. Mais un soldat insolent s’y oposa, disant qu’il en vouloit avoir sa part. Et come li rex insistoit, iceluy soudat dona un coup de sa hache sur le vase et le cassa. Le rex dissimula pour lors sa colère parce que telle estoit la loy ; mais quelque tems après il advint que, dans une revue générale, li rex remarqua iceluy soudat dont les armes n’estoit pas en estat, et, come pour ce il se trouvait en punicion de mort, li rex lui fendit la teste de sa hache en disant : Tu frapas ains le vase sacré.

C’est ainsi que ce rex savoit rendre justice. Je ne vous dy rien plus, mais une autre fois vous conteray autres aventures.

Je prins Dieu vous avoir en ses bones graces.

Ce X juing VCXXXV.

Grégoire,
evesq. de Tours.