Gervais Clouzier, 1680 (1 / 2, pp. 22-26).
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IIL y a des Chevaux malades qui perdent absolument le manger: il faut autant qu’on le peut les délivrer du mal qu’ils souffrent, par le choix des bons remedes, & par une juste & convenable application d’iceux, & sur toutes choses essayer, dans tous les remedes qu’on fera, à leur donner de l’appetit ; & que l’effet du remede soit non seulement pour les guerir, mais encore pour ne les pas dégoûter : pour y parvenir on doit avoir recours à chaque maladie en particulier ; mais à present l’on n’en peut parler qu’en termes generaux. C’est une maxime tres-bonne, qu’on doit faire tout fon possible quand on a un Cheval qui ne veut prendre aucun aliment, de l’obliger à en prendre par toutes sortes de voyes, qui ne sont pas contraires à son mal, afin de n’estre point contraint à luy en donner par force &: avec la corne, comme c’est l’usage ordinaire : car estant obligé d’en venir là, il luy faut lever la telle avec la corde, ce qui le contraint beaucoup ; & quand il a la fiévre, elle l’augmente, ne pouvant avoit librement son haleine. Ce n’est pas qu’on ne puisse faire avaller un breuvage à un Cheval, sans se servir de la corde ; mais les incommoditez que nous venons de dire ou une partie s’y trouvent toûjours.

Je ne puis approuver le procedé de ceux qui ayant des Chevaux qui ont perdu le manger depuis douze ou quinze heures, soit qu’ils ayent la fievre ou non, leur donnent d’abord une ou deux peintes de lait avec des jaunes d’œufs : ils croyent avec cette nourriture bien restablir leurs Chevaux, de tout le desordre que les jeûnes precedens leur ont fait souffrir ; mais outre qu’il n’y a nul péril de laisser une couple de jours un Cheval sans manger, cette nourriture est tres-peu convenable à leur estomac, elle est plutoft capable de leur faire du mal quand ils n’en auroient pas ; d’ailleurs le lait qui est d’une bonne & facile nourriture, a cela de commun avec tous les bons alimens, qu’il se corrompt aisement dans un estomac déreglé, il se caille &c donne de violentes tranchées, & s’il ne sort pas par la bouche, ce qui ne peut arriver aux Chevaux qui ne vomissent point, il s’endurcit & fait des obstructions de consequence. Aussi Hippocrate qui le conseille dans plusieurs rencontres, le deffend avec raison dans Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/37 Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/38 Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/39 Chap.
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vouloir passer pour habile, le plus grand nombre de ceux que je vous donne sont de mon invention, & tous composez avec raisonnement & methode, sans en faire de mystere ny de secret, ne m’en estant pas reservé un seul, afin de faire jouir le Public de mon travail. Avant que je sceusse le peu que le temps & l’expérience m’ont appris, je tenois les remedes qui m’avoient reüssi, si chers & si cachez que je ne les donnois que tres rarement, presentement je m’en suis desabusé. C’est une maxime que j’ay toujours trouvée véritable, que dans tous les Arts ceux qui excellent n’ont jamais de jalousie contre ceux de leur profession ; tout au contraire les demy sçavans ne peuvent souffrir qu’on loüe les autres, bien loin de les loüer eux-mesmes, ils s’imaginent que c’est autant de rabattu de leur gloire. Je ne pretens point à la qualité ny au titre de sçavant ; mais j’ay tiré un tres bon augure de ce que l’estime qu’on en fait de ce Livre à cause du chagrin à quelques personnes qui veulent qu’on les croye tres-habiles.

Du moment qu’il parut, la pluspart des fameux Mareschaux se deschainerent contre la méthode que je prescris de traitter les maladies des Chevaux ; par ce que je ne suy pas leur ancienne routine ; depuis quelques personnes de qualité qui ont confiance en moy, ayant eu des Chevaux malades, ont ordonné à leurs Mareschaux de suivre de point en point ce que j’ordonnerois, ils ont veu que la chose a reüssi en mille occasions : ils se sont rendus, & peu à peu ils ont lu mon Livre & ont quitté en partie la vieille routine, & de l’un à l’autre ils y sont presque tous venus: de sorte que depuis quinze ou seize ans, presque toute la Medecine des Chevaux est changée à Paris, & tous les jours des Mareschaux me viennent demander advis sur les Chevaux malades qu’ils traitent, & par ce moyen ils satisfont leurs chalans, qui presque tous lisent mon Livre & veulent que leurs Mareschaux la suivent de point en point quand leurs Chevaux ont quelque infirmité. Si cela continuë de la sorte comme toutes les apparences y sont, dans peu de temps la Médecine des Chevaux sera en bon estat, & les choses se feront dans un meilleur ordre que par le passé. Ce Livre a produit cet effet, ce qui n’est pas peu de chose.