Le parc du mystère/20

Monsieur de Homem Christo
à Madame Rachilde.

Je ne répondrai pas à votre dernière lettre, Rachilde… parce qu’elle ne s’adresse pas à moi.

Nous avons fait ensemble le tour du Parc du Mystère et nous voici revenus devant la grille monumentale qui sépare le rêve de l’action. Quarante chevaux piaffent, frémissants, de l’autre côté de la barrière, sur la grande route de la Vie qui mène à Paris, carrefour des races, place publique du monde. J’entends déjà le ronflement du moteur qui s’impatiente et s’emballe à l’approche du maître. Dans cinq minutes je serai au volant et j’aurai repris ma course. Grisé de vitesse, je boirai les obstacles. Je traverserai, sans détourner la tête, les plaines fatiguées où l’automne fait sa moisson. J’écraserai des feuilles mortes.

Je n’ai plus de souvenirs. Je n’ai point de regrets. Absorbé par le commandement de cette machine dangereuse qui mène au but, ou à la mort, il ne m’est plus permis de m’attarder aux vaines réflexions métaphysiques. Je vais tout droit mon chemin sans me soucier des commentaires des passants entraînés dans le tourbillon. Tant pis si je les éclabousse. Je suis pressé. L’heure est folle. Il faut agir. La foule attend, massée aux portes de la Ville. Elle réclame des chefs ou des martyrs. J’appuie sur l’accélérateur… encore… encore… encore !

Rachilde, ma chère Rachilde, priez pour moi. Au revoir ou adieu !

H. C.

Octobre 1922.