Paris : Louis-Michaud (p. 245-246).

BAGATELLE



Ce nom rappelle la maison de plaisance du comte d’Artois qui s’est réfugié à Édimbourg dans un vieux et gothique palais, mais admirable en ce qu’on n’y peut saisir un prisonnier pour dettes ; et le ci-devant prince s’y est confiné pour éviter les poursuites de ses créanciers.

C’est une spéculation que de louer une maison lorsqu’elle rappelle les idées royales ; on y dresse des illuminations, on y fait jaillir de brillantes fusées, des bombes éclatantes ; tandis que l’explosion des boîtes, le fracas des palais enchantés qui s’écroulent deviennent l’image de la chute de ces grandeurs qui, au même lieu, s’environnaient de tous les plaisirs, qui n’étaient jamais des réjouissances publiques.

Des feux d’artifice s’élancent de l’Élysée-Bourbon ; et pour un écu on achète le privilège de fouler avec la multitude ces magnifiques jardins, où l’on n’entrait pas, lorsqu’ils n’étaient visités que par les amis, les adulateurs et les proxénètes du prince.

Ce n’est pas là une petite jouissance pour l’ennemi de l’ancien régime, pour le fier républicain et même pour le philosophe qui se souvient de l’orgueil insolent des princes, ou de leur insouciance pour le mérite et pour la vertu.

Bagatelle réveille une foule d’idées qui ne sont point à la gloire de son ancien possesseur ; mais pouvant alors disposer de quelques bénéfices, il fut chanté par l’abbé Delille, parodiste de Virgile, qui fit aussi des vers pour payer des dons qu’il avait reçus ou qu’il sollicitait. Poètes, musiciens, vendeurs de son et de fumée, non, vous ne donnez point l’immortalité ; vous consacrez seulement quelquefois une célébrité honteuse. La muse intéressée de l’abbé Delille l’appelle son Maître et presque un second Auguste.