Paris : Louis-Michaud (p. 215-216).

RIBIÉ, DIRECTEUR



Successeur de Nicolet, qui, sur ses tréteaux donne toutes ces pantomimes où figurent les moines qu’on ne voit plus en France, les nonnes ensanglantées, les pénitents noirs, tous les frocs, tous les cordons et les sandales de l’antique moinaille : il est homme à nous mettre sur son théâtre toutes les farces religieuses ; et j’ai entendu dire qu’on y allait bientôt jouer la messe. Les avis sont déjà partagés et les paris ouverts ; on va même jusqu’à dire que tel gros vicaire qui demande l’aumône, représentera comme ci-devant le rôle à merveille, qu’il sucera le calice avec une délectation qui sera saisie de tous les spectateurs, d’autant qu’il y a longtemps qu’il n’a goûté de vin. On se disputera le rôle de célébrant, vu que les burettes seront très larges, et qu’il y aura un épais gâteau pour hostie. La ressemblance, dit-on, sera effrayante, et telle que les dévotes croiront plutôt voir Satan, que de croire à l’identité. Tout à côté de la petite messe, on dira la grande : celle-ci aura un calice qui tiendra deux pintes ; l’autre n’aura qu’un coquetier.

Les frais de cette pantomime ne seront pas coûteux ; y a des chasubles, des chapes, des surplis, des étoles, des dalmatiques et des soutanes à vendre de tous côtés : on s’en faisait des robes de chambre ; autant les conserver en leur entier pour amuser les Théophilanthropes, et faire rire les protestants.

Cet entrepreneur, doué d’une imaginative qui ne le cède en vigueur à personne qui vive, a été d’abord marchand de pierres à détacher, puis batteur de caisse sur les tréteaux de spectacle ; comédien, directeur de théâtre à Rouen, enfin, directeur de tous les gestes muets qui semblent nous annoncer la résurrection de ce genre si cher aux Romains et pour lequel ils se divisèrent en factions.

Aujourd’hui, on rencontre le directeur Ribié (et il n’a pas d’autre titre sur tous les boulevards) on le rencontre, dis-je, menant les chevaux les plus fins, précédé ou suivi d’un écuyer vêtu à la Franconi ; et le modèle d’une voiture élégante est celui qui traîne le directeur de l’un à l’autre spectacle, car il en dirige deux ; il dirige deux républiques.

Ainsi, j’ai vu Poultier moine, joueur de gobelets, Stentor de spectacles forains, acteur chez le grimacier, même auteur, puis représentant du peuple, et pour couronner tant de gloire, journaliste, et l’ami des lois[1] ! mais le directeur Ribié a plus de renommée que lui.

  1. Le conventionnel Poultier d’Elmotte fut encore militaire, commis à l’Intendance de Paris et chanteur à l’Opéra.