Paris : Louis-Michaud (p. 185-186).


BON À SAVOIR



On sait aujourd’hui que Monsieur de Blankenbourg était le plus grand ennemi de son frère et de son roi, qu’il préparait sourdement toutes les embûches où il pouvait tomber, croyant recueillir pour son compte tout le fruit qui résulterait de sa perte. C’était un bel esprit que ce Monsieur ; et comment passait-il pour tel ? Le voici : voici comme monseigneur avait de l’esprit douze fois par semaine, et pouvait parler devant un cercle d’Académiciens. Il pouvait parler, dis-je, à peu près par le même procédé que la poupée parlante des boulevards répondait aux demandes des crédules et curieux parisiens.

Un nommé Férès, son valet de chambre-secrétaire, lui communiquait sur des sujets préparés et convenus, les demandes et les réponses. Quand monsieur sera à son petit lever, disait Férès à Monsieur, j’ouvrirai une question difficile. Sur ce sujet, ses favoris présents donneront la torture à leur esprit pour la résoudre ; et sur le champ, par une réponse adroite et imprévue, monsieur les tirera d’embarras, et tout le monde alors s’écriera : Monsieur est un puits de science ; monsieur est le prince le plus instruit du royaume.

Le comte de Provence, gorgé périodiquement de l’esprit de son secrétaire, ne rappelle-t-il pas la voix humaine de l’orgue qui ne résonne si plaisamment que par l’intermédiaire de l’organiste caché derrière les tuyaux. Au temps présent, il y a des fournisseurs d’esprit et plus que jamais. C’est que tous les hommes en place en ont besoin plus ou moins ; et quand ils ne font pas ou ne peuvent pas faire, ils font faire.

Il y a donc des fournisseurs de tout genre, fournisseurs de pain, fournisseurs de viande, fournisseurs de vins, de vinaigre, d’eau-de-vie, fournisseurs de harnois, de selles, de bâts, fournisseurs de chandelles, de pipes, de jambes de bois, de béquilles, enfin des fournisseurs d’esprit, mais ce sont ceux qui gagnent le moins, parce qu’on n’y a recours qu’à la dernière extrémité, et que l’on marchande encore.