Paris : Louis-Michaud (p. 119-122).

FÊTE À L’ÊTRE SUPRÊME[1]



Ces fêtes de la Raison avaient déplu à Robespierre, parce qu’il n’en était pas l’inventeur ; d’ailleurs, un cri sourd d’indignation s’élevait contre ce mélange d’idolâtrie et d’athéisme, dont on voulait composer une religion nouvelle.

Robespierre en fut jaloux, c’était un misérable avocat de sept heures[2] ; ce qu’il avait lu, il l’avait mal lu. Il crut qu’il pouvait jouer le rôle de Mahomet, et réintégrer l’Être Suprême dans tous ses droits. Il avait beau jeu, après les lupercales, après les parades infâmes que de misérables charlatans avaient fait jouer à Paris et dans les départements pour établir une cérémonie simple, auguste et touchante. Mais Robespierre n’avait point d’imagination ; il n’avait aucune de ces qualités brillantes qui flattent et qui séduisent ; il était sec, et il devint ridicule quand il voulut faire le pontife. Sa fête à l’Être Suprême consistait dans un discours qu’il n’avait point fait, et dont il fit périr l’auteur. Il fit brûler deux mannequins qui représentaient l’athéisme et le fanatisme, il y mit le feu lui-même ; armé d’un gros bouquet, il regardait à travers les branches tout ce qui se passait. Il marchait à la tête de la Convention nationale ; mais celle-ci laissait respectueusement entre elle et lui une distance de quinze pieds.

Cette fête fut silencieuse, sa nouveauté portait l’étonnement dans tous les esprits ; on attendait ce qui devait sortir de ce titre pompeux.

Il fallait bien manquer de génie pour, sur un si grand théâtre, et dans des circonstances si favorables, ne point frapper quelque chose de grand, ou du moins qui en eût l’air. Il parlait à une nation qui attendait un culte, et il ne sut lui rien dire. Jamais prophète n’avait eu à son début un auditoire aussi nombreux ; il fut platement métaphysicien ; il fut de tous les novateurs connus, le plus misérable en moyens, et le plus stérile en ressources. Élevé sur une estrade adossée au palais du dernier roi des Français, monarque (car il le fut ce jour-là), il ne sut pas faire un geste digne du rôle et du jour où il se trouvait.

Oh ! s’il eût su apporter une vieille bible sous son bras, poser la main dessus, et dire ; « Voilà le livre des temps et des nations ; je l’adopte et je me joins aux communions protestantes ; séparons-nous de Rome, réunissons-nous au Christ ; » le monarque devenait pontife et l’interprète d’une religion épurée et réformée.

Je suis sûr que ce conseil lui a été donné, mais Robespierre, qui n’avait point voyagé, était l’ignorance personnifiée. Il méconnaissait la loi et la règle des intermédiaires. Son orgueil opiniâtre se jetait dans les extrêmes, refuge


FÊTE À L’ÊTRE SUPRÊME
Gravure de Duplessis-Bertaux.

des esprits médiocres. Sa pièce fut froide et fut sifflée, et le

parodiste du législateur de la Mecque marcha des planches de son trône-autel à celles de l’échafaud.

Toutes les places portèrent les inscriptions qu’il avait dictées : Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être Suprême et l’immortalité de l’âme. Quand je veux m’identifier au cerveau qui a tracé de pareilles lignes, j’ai beau me métamorphoser en mille manières, je ne puis deviner le sens qu’il voulait leur donner. Elles sont tout à la fois si ineptes et si ridicules, qu’on est tenté de penser qu’il n’y avait pas fait attention lui-même.

Ces inscriptions subsistèrent encore longtemps après son supplice, et cela paraît tout aussi inconcevable que de les avoir vu élever par tant de mains dociles.

  1. 8 Juin 1794 (20 prairial an II).
  2. On appelait de ce nom au Palais des procureurs renforcés, qui, sous le nom d’avocats, n’avaient qu’une facilité parlière et vide de sens et qui ne tarissaient point en phrases. (Note de Mercier.)