Le naufrage de l’Annie Jane/Le récit/9

Le fidèle messager (p. 49-52).


CHAPITRE IX.

DÉPART POUR GLASGOW.


Notre tour arriva bientôt. Nous n’étions plus que trente-deux naufragés sur l’île, y compris le capitaine, le médecin, le cuisinier, qui restèrent après nous pour prendre soin des effets. La goélette qui devait nous transporter à Tobermory était à la veille de mettre à la voile, et nous dîmes adieu au capitaine et à nos hôtes. La traversée devait être courte, mais faute de vent, nous ne fîmes que huit milles le premier jour. La nuit venue, nous nous courbâmes sur nos valises, la goélette n’étant destinée qu’au transport des marchandises n’avait pas de cabines. Le lendemain, nous avions une brise favorable, et nous étions à peu de distance de Tobermory lorsqu’une subite rafale de vent déchira les voiles qui étaient vieilles. Voyant qu’il était impossible de lutter contre le vent et les vagues, le capitaine se décida à se diriger vers une baie de l’île de Cana, lieu très sûr, disait-il, et qu’il connaissait fort bien, afin d’y passer la nuit. La nuit nous surprit avant que nous pûmes mettre ce dessein à exécution. Nous étions au milieu des écueils : d’épaisses ténèbres nous entouraient et la pluie tombait par torrents. Toutefois, grâce au sang-froid du capitaine et à l’adresse des matelots, nous pûmes braver le danger. Il était très difficile de diriger le bateau, et parfois, nous étions tellement près des rochers que nous pouvions les toucher de la main. Je crus un moment à un nouveau naufrage. Plusieurs des matelots de notre vaisseau naufragé me dirent plus tard qu’ils avaient eu plus peur que sur l’Annie Jane. Enfin, grâce à Dieu, nous sortîmes de cette impasse pour nous diriger vers l’île de North Uist. Le temps devenant plus favorable, nous mîmes le cap sur l’île de Skye. Le lendemain matin, nous jetâmes l’ancre ; nous nous sentîmes enfin en sûreté, et nous allâmes nous reposer. Vaine tentative ! la faim, la fatigue, l’irritation de nos nerfs rendirent tout sommeil impossible. Le jour suivant, le capitaine et quelques autres personnes prirent la chaloupe et se rendirent à terre ; nous étions dans la baie de Bracadale. Ils ne revinrent que vers quatre heures de l’après-midi. Nous n’avions rien mangé depuis le départ ; pensant faire le voyage en quelques heures, nous n’avions point emporté de vivres avec nous. Vers le soir, un bon repas nous fut servi dans les maisons qui avoisinaient le rivage. Le pasteur de l’endroit, entre autres, vint nous voir et pourvut libéralement à nos besoins. On nous donna des charrettes pour porter nos effets et aussi les passagers malades ou blessés jusqu’à Portree, dont nous étions éloignés de 24 milles. Sous la conduite d’un guide, nous partîmes à quatre heures de l’après-midi, sans nous occuper de la fatigue qui nous accablait. Il nous fallait marcher à travers les champs, les vallées, les marais et escalader les montagnes. La pluie nous surprit en chemin, et eut bientôt pénétré à travers nos habits. Nous hâtâmes notre course au milieu de la plus profonde obscurité. De jolis bosquets d’arbres, de belles maisons de campagne annonçaient les approches d’une ville. À minuit nous étions à l’hôtel, harassés de fatigue, et heureux de goûter un paisible sommeil, après avoir remercié le Seigneur de sa merveilleuse protection. Le lendemain, qui était un dimanche, nous reçûmes plusieurs visites, et nous fûmes l’objet de mille délicates attentions, et de nombreuses questions nous furent faites sur les circonstances relatives à notre naufrage. Déjà plusieurs rumeurs défavorables couraient sur le compte du capitaine Mason. Quelques personnes le disaient responsable de notre malheur. Mais nous le savions innocent, et nous nous fîmes un devoir de l’exonérer de tout blâme, et d’imposer silence aux calomniateurs.