Le mystère des Mille-Îles/Partie IV, Chapitre 7

Éditions Édouard Garand (p. 46-47).

— VII —


L’inspection révéla que l’avion était en parfait état. Cependant, comme la veille, Hughes s’aperçut que le mécanisme d’envol était faussé. Il essaya pendant une heure de le réparer, mais sans grand succès, semblait-il.

Que faire ? Rester et accepter le risque de passer une autre nuit sur l’île ? Ce serait un danger trop grand, car les envoyés de Jarvis ne continueraient pas à atermoyer. Alors, accepter la proposition du vieux gardien et abandonner l’avion ?

Hughes eut une idée soudaine.

— J’ai trouvé la solution, dit-il. Mon hydroplane ne peut s’envoler, mais, par ailleurs, il doit fonctionner à la perfection. Il est agencé de telle sorte qu’il peut voguer sur l’eau pendant plusieurs minutes. Alors, voici ce que nous allons faire : Nous allons mettre l’avion à l’eau, faire partir le moteur et glisser à la surface. Nous pourrons ainsi nous rendre à la terre ferme et aborder près des habitations, où nous serons en sûreté. L’hydroplane ne veut pas remplir sa fonction de véhicule de l’air ; eh bien, nous en ferons un bateau. Il vaudra toujours le yacht et même mieux, puisqu’il est plus rapide. Et, ainsi, je n’abandonnerai rien aux assaillants.

On décida de partir sans délai.

Renée recueillit ses objets les plus précieux et en fit un paquet qu’on ficela dans la carlingue.

Aidé du gardien, Hughes réussit à mettre l’avion à l’eau.

On prit quelque nourriture ; Hughes chargea les deux revolvers qu’il possédait et l’on s’installa sur les sièges.

Les jeunes gens firent leurs adieux au vieux couple qu’ils laissaient derrière eux, en leur promettant de ne pas les oublier et d’assurer bientôt leur sort.

Avant de partir, Hughes embrassa longuement sa compagne.

— Je suis heureux de quitter l’île, car, ainsi, je vous rends à la liberté, dit-il. Mais j’éprouve aussi quelque mélancolie, car j’ai connu ici le plus grand bonheur de ma vie, celui de vous rencontrer…

— Nous y reviendrons, Hughes, quand l’orage se sera apaisé, répondit Renée.

Le jeune homme regarda tout ce qui l’entourait. Mais il se secoua bientôt.

— Et, maintenant, s’écria-t-il, il s’agit de prendre nos dispositions. Le voyage d’ici à la terre ferme n’est pas long, d’autant plus que nous irons très vite. Mais il va nous falloir traverser une zone dangereuse. Quand nous quitterons la baie, les hommes de Jarvis, aux aguets, nous apercevront et nous donneront la chasse, ou bien tireront sur nous. Car il faut absolument passer près de leur île pour nous diriger vers les habitations. De l’autre côté, nous tomberions dans une forêt où les mécréants auraient beau jeu pour nous massacrer : nous ne devrons le salut qu’à la fuite parmi une agglomération humaine, où ils n’oseront pas nous suivre… D’un autre côté, je ne puis faire un long détour pour éviter l’île, d’abord parce que mon avion ne pourrait peut-être pas, dans l’état où il est, tenir longtemps l’eau ; et, ensuite, parce que, si nous prenons trop de temps, les autres pourrons nous rejoindre avant que nous soyons en sûreté… Nous allons donc passer près d’eux, mais à toute vitesse, avant qu’ils aient le temps de mettre leur yacht en mouvement. Quand ils partiront, nous serons déjà loin. La rapidité est donc la condition de notre salut.

« Pour être prêts à toute éventualité, il va nous falloir surveiller le moindre mouvement de l’adversaire.

« Par conséquent, ma chère Renée, prenez cette jumelle marine et ayez l’œil ouvert. S’il se produit quelque chose, avertissez-moi immédiatement à l’aide de ce petit appareil téléphonique, d’invention récente et qui permet de communiquer malgré le bruit du moteur.

« S’il y a bataille, vous vous jetterez au fond de la coque. Me le jurez-vous ?

— Oui, répondit Renée. Mais ne vous exposez pas vous-même.

— Ne craignez rien.

« Et, maintenant, en avant !

Hughes fit jouer le démarreur automatique. Une suite d’éclatements se fit entendre : le moteur fonctionnait à merveille.

Parmi les éclaboussures d’eau soulevées par l’hélice et qui scintillaient au soleil, l’avion se mit en marche, d’abord lentement, puis à une vitesse terrifiante.

Les deux amoureux allaient au-devant de leur sort… vers la liberté ou vers la mort…

Sur la rive, les vieux domestiques-geôliers de Renée Vivian se serraient l’un contre l’autre. Ils pleuraient.