Le mont Pilâte en Suisse

LE MONT PILATE,


EN SUISSE.

Quelques écrivains anciens ont appelé cette montagne Mons pileatus, parce que son sommet est presque toujours environné de nuages qui la couvrent comme un chapeau, et le nom moderne s’est formé par corruption du nom latin. Mais cette étymologie paraît beaucoup trop simple aux habitans du canton de Lucerne, où la montagne est située ; ils font dériver son nom de celui du gouverneur de la Judée, et voici ce qu’on trouve à cet égard dans une chronique du pays.

Ponce-Pilate, profondément affligé de la part qu’il avait prise à la condamnation du Christ, se rendit à Rome, où il se donna la mort. On jeta son corps dans le Tibre ; mais son ame, bourrelée de remords, ne put y rester, et poussa de tels cris, qu’on fut obligé de l’en tirer pour le déposer dans le Rhône où il ne se trouva pas mieux. Transporté à Genève et plongé dans le lac Léman, il poussa de nouveaux cris. On lui donna pour dernier asile un des petits lacs disséminés sur les montages du canton de Lucerne. Son naturel inquiet et turbulent s’y manifesta de plus belle, et chaque fois qu’on jetait une pierre dans l’eau, il excitait des bourrasques épouvantables. Enfin un magicien renommé dans le pays le conjura, et eut avec lui une longue conversation, à la suite de laquelle il lui démontra l’inconvenance de sa conduite. Pilate promit formellement qu’il se tiendrait tranquille désormais ; mais il obtint en retour qu’on ne jetterait plus de pierres dans le lac, et que chaque vendredi-saint il aurait la faculté de sortir pour faire un tour de promenade en habit de juge. En conséquence de cet arrangement, on le voyait toutes les années, le vendredi-saint, parcourir la montagne qui depuis reçut son nom, et on fut ainsi délivré des cris affreux qui épouvantaient auparavant le pays. Mais malheur à ceux qui osaient regarder en face le proconsul romain ; une mort prompte et certaine était la punition de leur coupable audace.

Cependant quelques mécréans s’avisaient encore de temps en temps de jeter des pierres dans le lac, et les magistrats de Lucerne, redoutant la colère de Pilate, finirent par défendre l’accès de la montagne. Gessner ayant voulu s’y rendre un jour, fut obligé d’obtenir une permission spéciale. Rien cependant ne s’opposa à sa marche : il trouva un site solitaire et tranquille où bientôt quelques individus le suivirent. Depuis cette époque, dit-on, les bergers enhardis par l’exemple de Gessner parcourent ces lieux et y conduisent leurs troupeaux. Ils rencontrent aujourd’hui de gras et abondans pâturages sur les plateaux du mont Pilate, que la superstition rendit long-temps l’objet d’une ridicule terreur.

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