VII — L’ÉMOI DE JOSEPHTE


DEPUIS quinze jours, Josephte était de retour à Montréal, mais sans pouvoir ni sortir, ni visiter ses amies. Ce dont protestaient presque quotidiennement les Paulet. Mais un rhume, contracté par la jeune fille sur le bateau peu confortable qui la ramenait de Saint-Denis à Montréal, s’aggrava soudain au point de nécessiter la venue du médecin. Sa jeunesse triompha de cette poussée congestive aux poumons, et bientôt Josephte réclama elle-même des promenades. Enfin, un bel après-midi de novembre, vers cinq heures, elle apparut très élégante dans une toilette de réception sur le seuil du petit boudoir où sa belle-sœur cousait au profit d’une fête de charité.

— Comment, tu veux sortir, Josephte ? s’exclama celle-ci. Que dira le médecin ?

— Je t’en prie, cousine, ne me traite plus en invalide. Je suis tout à fait remise.

— Où vas-tu ? Ah ! oui, à la fête des Paulet. Tu es habillée avec beaucoup de goût. Ce chapeau de velours noir fait ressortir ta blondeur… Si tu n’étais pas un peu pâle, ce serait parfait… Ta grâce et ta jeunesse font du bien au cœur, ma petite fille.

— Cousine, je deviendrai vaniteuse, si tu m’adules ainsi.

— Toi ! Plût au Ciel !

— Qui sait si je n’adopterai pas certain jour cette manière de conquérir les cœurs ?

— Tiens !

— Hélène me le conseille. Cela lui réussit. Jules, par ailleurs, me reproche sans cesse ma simplicité.

— Alors, ce serait pour Jules Paulet ? Pour une conquête assurée ? Tu m’étonnes.

— Mais… oui, pour Jules Paulet.

Josephte souriait. Mais elle détourna bien vite les yeux sous le regard pénétrant de Mathilde Précourt.

— Cousine, c’est ma première sortie depuis que je porte le titre de débutante.

— Aussi, je suis surprise que tu ne te réserves pas pour notre grande soirée.

— Nous recevons toujours le trente novembre ?

Au plus tard. Mais dis donc, Josephte as-tu vu la liste des invités chez les Paulet ?

— Oui.

— Tu as dû la trouver longue. Hélène m’en a parlé. Mais, que fais-tu donc ? Ne t’attarde pas ainsi… Voilà que tu te rasseois.

— Je suis déçue. Tu ne m’accompagnes pas.

— Tu sais bien que je dois finir pour six heures cette layette que j’offre aux dames de l’Orphelinat catholique… Leur bazar doit remporter un franc succès… Avoue-le, ma petite fille, tu appréhendes cette réception chez les Paulet ?

— Peut-être ! Et je me demande pourquoi.

— Ils ont toujours tant de monde dans leur salon, des inconnus souvent. On y étouffe.

— Si la cohue me fatigue, la bibliothèque de M. Paulet est accessible pour qui en connaît la porte secrète.

— Josephte, n’y reste pas seule avec Jules, n’est-ce pas ? Ne te compromets pas avec lui.

— Je respecte facilement les convenances, voyons cousine. Blanchette m’accompagnera.

— Et puis, si tu ressens la moindre fatigue, reviens. Tu sais que le médecin ne trouve pas ton cœur très fort.

— Il se trompe et il te trompe. Mais si ton inquiétude est telle, pourquoi ne pas venir me réclamer vers sept heures ? Nous reviendrions ensemble. Sinon, il se pourrait qu’on me garde pour finir la soirée avec d’autres intimes. Du moins, Hélène m’a fait pressentir la chose.

— Comme si ce n’était pas suffisant de recevoir de cinq à sept ! Pauvre madame Paulet, ce qu’il lui faut tourbillonner pour plaire à sa fille aînée.

— Cousine, ta prévention contre Hélène te reprend. Tu sais pourtant que Madame Paulet s’amuse tout autant que ses filles dans ces sauteries improvisées.

Alors, laisse-moi à ma layette, et hâte-toi, petite mondaine. Bonne chance !

— Souris-moi, cousine, avant de partir. Ne te moque plus.

— Tu deviens sentimentale.

— Ou bien promets-moi de venir vers sept heures.

— Eh bien, oui ! Je promets. Ton hésitation à partir ressemble presque à un pressentiment. Qui sait si tu n’auras pas besoin de moi, ce soir !

— J’ai toujours besoin de toi, cousine, murmura assez bas, Josephte.

— Quel air triste ! Veux-tu bien…

— Oui, oui, je pars… À tantôt !

Lorsque Josephte Précourt pénétra dans le salon des Paulet, un grand nombre de personnes le remplissaient déjà. La jeune fille atteignit non sans peine les maîtres de la maison et elle dut s’arrêter souvent pour échanger quelques mots dans les divers groupes de ses connaissances. Enfin, Hélène, qui recevait avec sa mère, l’aperçut. Elle poussa une exclamation de plaisir.

— Josephte, te voilà ! J’ai craint que Mme Précourt ne te découvre quelque savante petite maladie afin de t’empêcher de venir. Comme tu es belle ! N’est-ce pas, maman, que Josephte sera la reine de ma réception ?

— Elle l’est partout, cette chère enfant… Ah ! voici Jules. C’est cela, mon fils, éloigne-toi avec une bien jolie fille à ton bras…

— Et dans mon cœur, ajouta Jules entre haut et bas.

— Vous dites, Jules ?

— Rien de nouveau, hélas ! À quoi bon vous le répéter, Josephte ?

— De la mélancolie ? Le cadre ne s’y prête guère. Votre salon est ravissant sous ces fleurs, avec ces lumières que les cristaux des lustres renvoient de façon éblouissante.

— Pourtant, ce cadre convient à peine à votre beauté.

— Jules, ne parlez pas ainsi. Vous savez que je n’aime pas les compliments.

— Vous ne voulez pas que je vous admire ?

— Je ne veux pas que vous me le disiez.

— Enfin, je vais me résigner… J’ai tant d’autres ambitions auprès de vous… Ne froncez pas les sourcils, mais dites-moi plutôt si Hélène vous a parlé d’une petite danse qu’on improviserait après cette solennelle réception ?

— Oui.

— Vous serez des nôtres ?

— Cousine Mathilde en décidera tout à l’heure.

— Oh ! nous aurons l’honneur d’avoir Mme Précourt dans notre salon ? Faveur rare.

— Je le crois, du moins.

— Je plaiderai chaudement ma cause. Mais vous, Josephte, cela vous plaira-t-il de finir la soirée avec nous ?

— Mais oui.

— Quelle petite figure mystérieuse que la vôtre ! Que signifie au juste ce oui ?

— Vous savez que je viens volontiers chez vous.

— Surtout quand je suis absent.

— Jules !

— Vous danserez plusieurs fois avec moi, ce soir ? La première et la dernière danses, je les quête humblement tout de suite.

— Si je reste, vous les aurez. Je ne tiens nullement à faire tapisserie.

— Pour cela seulement ?

— Vous dansez bien…

— Voilà une bonne parole, la première. Mais venez que je vous fasse servir une glace.

— Jules, conduisez-moi dans la bibliothèque.

— Vous vous sentez fatiguée ?

— Un peu étourdie par tout ce beau monde… C’est un succès que votre fête.

— Venez, nous serons en effet très bien dans la cité des livres.

— Où est Blanchette ?

— Naturellement, vous redoutez un tête-à-tête avec moi… Bien. Entrez seule. Je cours à la recherche de Blanchette et aussi de quelques rafraîchissements.

Josephte entra à pas lents. Elle soupirait comme si l’un des désirs secrets de son cœur n’avait pas été exaucé… La bibliothèque, peu éclairée, lui parut accueillante. Au fond, une vaste cheminée renvoyait la chaleur de son foyer. Une bûche énorme y crépitait joyeusement. Josephte se pencha sur la haute glace placée à l’entrée de la pièce. Elle refit un des nœuds de velours noir qui garnissaient son corsage de velours bleu turquoise. Puis, elle se laissa tomber dans un fauteuil… Tout à coup, une porte à gauche, qui donnait sur la rue, s’ouvrit brusquement. La voix d’une bonne prononça : « Entrez, Monsieur. Je vais m’assurer du retour de M. Paulet. C’est étrange, je le croyais en voyage. »

Un peu confuse de se trouver mal à propos dans la pièce, Josephte se leva dans l’intention de se retirer. Elle jeta un rapide coup d’œil sur le visiteur, une connaissance peut-être… Elle étouffa un cri, porta la main à son cœur et s’écroula sur un siège, avec ce seul mot dit dans un souffle : Michel !

C’était Michel Authier, en effet, venu en sa qualité d’avocat auprès de M. Paulet. Il avait été invité à la réception, mais avait dû décliner l’honneur d’y apparaître faute d’une toilette appropriée. Puis, Michel craignait d’y rencontrer Josephte. Pour leur première rencontre, inévitable maintenant, car il était au courant à la fois de la maladie et du rétablissement de Josephte par Hélène Paulet, il avait vraiment rêvé d’un autre cadre. Cette entrevue émouvante, à laquelle assisterait sans doute Hélène et Jules, peut-être ce ravisseur du trésor qu’il aurait convoité lui-même, n’eût été le malheur des temps, il y songeait souvent, jamais sans un serrement de cœur. Qu’en résulterait-il ? À vrai dire, ce rendez-vous d’affaires, où on le convoquait à l’heure


Elle étouffa un cri, porta la main à son cœur et s’écroula sur un siège, avec ce seul mot dit dans un souffle : Michel !

d’une réception, l’avait surpris. Mais enfin, un incident avait pu se produire et justifier tout à fait l’entretien. Quelle n’eût pas été sa stupéfaction s’il avait su qu’Hélène avait machiné elle-même cette petite visite, afin d’enlever le consentement du jeune homme qu’elle voulait avoir pour sa danse… Avec quel soin, par ailleurs, la jeune fille avait rédigé le mot qu’elle écrivait au nom de son père. Elle notait qu’il arrivait de voyage et réclamait immédiatement un document que Michel connaissait très bien…

Michel reconnut aussitôt Josephte. La voyant chanceler, il se précipita, la soutint, puis saisissant la main de la jeune fille, il y appuya un moment le front, il se releva, effrayé. La pâleur de Josephte faisait peine à voir. Elle ne bougeait plus, la tête renversée au dossier, les yeux fermés. Le jeune homme aperçut sur un guéridon une carafe d’eau pure. Il y courut, versa de l’eau dans un verre, et revint se pencher sur Josephte. Non loin de lui, la porte s’ouvrit bientôt. Blanchette et Jules Paulet apparurent. Un court instant, tous deux demeurèrent sur le seuil, interdits. Puis, ils s’approchèrent en hâte. Les yeux de Jules lançaient des éclairs. Hautain, il interpella Michel :

— Que faites-vous ici, monsieur ? Que veut dire cette scène dont paraît souffrir Mlle Précourt ?

— Pardon, monsieur, vous dites ? répliqua non moins hautain, Michel qui se redressait et faisait face à Jules.

— Je t’en prie, Jules. Laisse M. Authier. Cours chercher un peu de vin. Pauvre amie, elle est à peine remise de sa maladie. Elle ne peut supporter aucun choc…

— Blanchette, je vais d’abord reconduire M. Authier. Il me doit des explications.

— À quel titre, monsieur ? demanda Michel, un peu indigné.

— Jules, tu es ridicule… Viens m’aider plutôt à transporter Josephte sur le divan là-bas.

Mais à ce moment la jeune fille ouvrit les yeux et regarda vaguement autour d’elle. Elle refusa de la tête, l’offre renouvelée de Blanchette. Elle ne voulait pas bouger du fauteuil. Michel recula alors vers la porte, ses yeux douloureusement rivés sur Josephte, qui prenait un peu de l’eau que lui tendait Jules. Elle cherchait à reconquérir des forces, cela était évident, à mettre fin à cette scène pénible.

— Jules, je te le répète, va plutôt chercher du vin. Cela remettra tout à fait notre amie. Cette fois tu m’entendras, j’espère ?

— Chère Blanchette,… Jules,… merci,… vous êtes bons, murmura Josephte en se renversant de nouveau au dossier du fauteuil. Jules Paulet, à regret, sortit enfin.

M. Authier, pria soudain Blanchette, en se retournant, ne partez pas encore, de grâce. Elle avait vu dans la glace le mouvement de retraite du jeune homme.

— Je le crois bien qu’il ne partira pas, cria à cet instant la voix joyeuse d’Hélène. Elle entrait dans la bibliothèque. Ah ! fit-elle aussitôt en fronçant les sourcils et en reculant. Elle apercevait Josephte, toute pâle, dans un fauteuil et Blanchette s’empressant auprès d’elle, tandis qu’un peu plus loin, Michel DesRivières-Authier, debout, les yeux à terre, avait la mine d’un coupable. Donc, l’inévitable rencontre s’était produite. Elle n’y avait pas assisté. Que s’était-il passé ? Sa sœur Blanchette venait de compter là vraiment une petite victoire sur elle,

— Ma chère Josephte, s’exclama-t-elle en se ressaisissant, qu’as-tu donc ?

— Un malaise passager, mais réel, tu le vois, Hélène, répondit Blanchette, un peu narquoise.

— Mais encore ?

Cette question demeura sans réponse. Deux autres personnes pénétraient dans la bibliothèque ; madame Précourt, prévenue par Jules et celui-ci, apportant enfin un cordial.

— Eh bien, Josephte, fit madame Précourt, n’avais-je pas raison de craindre cette première sortie ?

Elle aperçut, à cet instant, non loin d’elle, le pauvre Michel dont les yeux anxieux se posaient sur elle. Le jeune homme s’avança un peu, et s’inclina profondément devant elle.

— Michel ! Comment, tu étais ici ? Mon cher enfant, quel plaisir de te revoir… Mais que signifie ton entrée un peu mystérieuse ? Car tu es un des invités, je suppose ?

— Certes ! Madame, répondit vivement Hélène.

— En effet, Madame, reprit d’un ton assez brusque Jules, son frère… Mais j’ai posé à M. Authier, tout à l’heure, à peu près la même question que vous. Et avec d’autant plus de raison que sa présence ne semblait désirée… par personne…

— Tu te trompes, Jules, reprit sa sœur. M. Authier a été appelé, ici, par papa, un rendez-vous d’affaires.

— Papa ? Impossible… Voyons, tu sais bien…

— Comment, impossible, répliqua en hâte, Hélène, en foudroyant son frère du regard et en scandant ses mots. Qu’en sais-tu d’abord, toi ?

— Je me retire, en tout cas, mesdames, et vous prie de me pardonner cette intrusion… combien je la regrette, déclarait le pauvre Michel, qui ne comprenait rien à cette discussion du frère et de la sœur.

— Michel, intervint alors madame Précourt, tu fais route avec nous, n’est-ce pas ? Nous avons besoin de toi. Je n’accepte aucun refus, mon cher enfant.

— Si je puis vous être utile, je n’y songe certes pas ! balbutia tristement Michel. Hélas, il venait de voir tressaillir Josephte. Sa présence lui était intolérable, il le devinait.

— Comment, Madame, et moi que ferais-je ? se récria Jules, que l’air résolu de madame Précourt avait pris par surprise et figé jusque là. Je vous en prie, ne me privez pas du bonheur d’entourer ma chère Josephte de soins et d’attentions.

— Non, Jules, je ne puis accepter car vous vous devez à vos invités. Ce serait abuser de votre courtoisie.

— Madame, sincèrement, il n’y a que deux invités pour moi en ce moment : vous et Josephte.

— Merci, Jules, encore grand merci, mais non vraiment, nous ne pouvons accepter. Michel, hâte-toi. Fais avancer jusqu’ici notre voiture. Josephte n’en peut plus.

Michel sortit et revint bientôt. Tout était prêt pour un départ immédiat.

— Madame Précourt, vous nous enlevez Josephte, mais accordez-nous quelque chose en retour, supplia Hélène.

— Que veux-tu, Hélène ?

— Renvoyez-nous bientôt, M. Authier. — C’est un de nos meilleurs danseurs ! Je ne valse bien qu’avec lui maintenant. Ne protestez pas, M. Authier. Ce sera en vain. Notre petite sauterie a quelque chose d’intime, d’imprévu, qui n’exige aucun faste…

— Écoute, ma petite Hélène, dit madame Précourt en souriant, je ne dispose pas ainsi de Michel… S’il veut revenir, il est libre de le faire.

M. Authier, dites oui, vite, tandis que mon frère, en bon amoureux, adresse ses adieux à Josephte. Je vous en prie ?

— Eh bien, oui ! répondit enfin Michel, d’une voix haute et soudain durcie. Il venait de voir Josephte lever un regard confiant et… tendre, lui semblait-il, sur Jules Paulet qui lui parlait assez bas et de très près.

Quelques minutes plus tard, la voiture des Précourt filait vers la rue Notre-Dame. Le silence régnait à l’intérieur du véhicule. Tout à l’heure, malgré l’empressement que Michel voulait mettre auprès de Josephte. Jules Paulet parvenait encore à le devancer.

Ce fut lui qui mit la jeune fille en voiture, qui l’enveloppa de la couverture, qui pria le cocher d’aller doucement. Michel n’eut à s’occuper que de Mme Précourt. En passant près du réverbère allumé où se tenait la voiture, Michel rencontra un moment le regard de Josephte Précourt. Il y lut une telle sympathie, une telle compréhension de la situation où il se débattait, que son cœur en fut réchauffé. L’indifférence glaciale dont Josephte ne se départait pas envers lui se trouvait un peu compensée par les égards affectueux de madame Précourt. Et comme elle venait de dénouer délicatement la situation, dans la bibliothèque ! Oui, sa princesse de jadis avait compris qu’il fallait rompre la glace tout de suite entre Josephte et lui. Apparemment, pour les témoins de la scène un peu pénible qui avait eu lieu, ce retour à la maison de Mme Précourt allait tout remettre au point. On causerait, on s’expliquerait, des souvenirs seraient évoqués… Tout au fond de lui-même, par ailleurs, Michel se sentait satisfait des airs courroucés que Jules Paulet lui lançait… même en se rendant compte de la partialité de Josephte envers lui… Un peu de rancœur se glissa, dans l’âme de Michel, contre sa petite amie d’enfance qui venait de lui témoigner presque de l’aversion… Et c’est pour cela, oui uniquement pour cela, qu’il avait décidé de retourner chez les Paulet. Il tenait à prendre sa revanche. Hélène Paulet le lui en avait fourni le moyen, et de cela, il lui serait toujours reconnaissant.

On arriva. Michel sauta à terre et tendit la main à Mme Précourt. Il voulut en faire autant pour Josephte, mais madame Précourt s’y opposa. Elle prit Josephte tout contre elle et chargea Michel d’ouvrir pour elles deux la porte de la maison. Elle lui présenta la clé, avec un regard mi-suppliant, mi-souriant. « Une nouvelle délicatesse de ma princesse, pensa Michel. Elle devine que Josephte qui n’a pas même un regard pour moi, repousserait peut-être mon aide. »

— Michel, tu es bien aimable de nous avoir escortées, fit Mme Précourt, en s’arrêtant sur le seuil de la porte. Retourne maintenant auprès d’Hélène Paulet. Elle semblait furieuse de me voir t’accaparer. Mais j’y ai bien quelques droits, n’est-ce pas, mon enfant ?

— Tous les droits, Madame, répondit le jeune homme de sa voix chaude. Alors, vraiment, vous n’avez plus besoin de mes services ?

— Non. Bonsoir, Michel. Reviens bientôt nous voir.

— Il se pourrait. Bonsoir, Madame… Bonsoir, Josephte, fit le jeune homme en saisissant soudain la petite main glacée de la jeune fille et en la pressant.

— Bonsoir, Michel, murmura celle-ci, sans lever les yeux ni répondre à sa pression.

Et ce fut tout. Les dames Précourt s’engouffrèrent dans l’escalier, et Michel, triste, un peu désemparé, reprit le chemin de la maison des Paulet.