Le maître d’école dans les oasis

Le maître d’école dans les oasis
Revue pédagogique, premier semestre 18829 (p. 428-431).

LE MAÎTRE D’ÉCOLE DANS LES OASIS



Dans tous les pays musulmans, c’est une règle générale, et à peu près absolue, qu’à côté de chaque mosquée ou de chaque chapelle il y ait une école ; mais l’instruction, pas plus que le culte, n’a ni budget, ni subvention alloués par l’administration. Les mosquées et les chapelles sont fondées par des personnes pieuses, ou par de hauts fonctionnaires, qui immobilisent des propriétés dont le revenu est consacré à l’entretien de l’édifice et à la rétribution du personnel du culte. Dans les dépendances de la mosquée il y a toujours un local affecté à l’école des jeunes enfants, et c’est l’administration des revenus des mosquées qui est chargée de l’ameublement et de l’entretien de ce local.

Lorsqu’il ne se trouve pas de mosquées dans le quartier, les habitants se cotisent pour la location d’une salle et pour l’achat des fournitures, très simples d’ailleurs. L’école primaire s’appelle mekteb (lieu où l’on apprend à écrire) ; dans plusieurs localités, on préfère le mot mesid, que le grammairien Djawaliki considère comme une altération de mesdjed.

L’instituteur ou mouaddeb cumule le plus souvent avec ses modestes fonctions celles d’imam (directeur de la prière), de kaïm (sacristain), ou de moueddin (qui annonce la prière). Dans les mosquées dont l’école dépend, un traitement et des prestations en nature lui sont attribués pour les fonctions du culte qu’il remplit, mais il ne reçoit aucun subside pour les leçons. Les parents des élèves lui donnent une rétribution, qui varie, selon leur fortune, de 45 à 60 francs par an. Outre l’allocation mensuelle, l’instituteur reçoit des cadeaux à l’époque de certaines fêtes religieuses, et chaque fois que l’élève aborde une nouvelle section du Koran ; c’est ce qu’on appelle nefka. dans les oasis. Dans les tribus dont le territoire est dépourvu de chapelle ou zaouïa (prieuré), chaque douar (hameau où groupe de tentes) de quelque importance à une tente en poil de chameau, qui est fournis soit par le cheikh, soit par l’assemblée des notables, et destinée à servir de salle d’école, sous le nom de cheria ; seulement le maître n’obtient que des présents en nature et fort peu d’argent.

Pour les familles les plus riches, un employé du culte, choisi parmi les plus âgés, parce qu’il doit pénétrer dans l’intérieur du harem ou gynécée, vient donner des leçons aux enfants, £t, dans cette circonstance, il n’est pas rare que les jeunes filles participent à l’enseignement qui à lieu au sein de la famille.

Il n’y a pas de règle établie pour la surveillance de l’instituteur et la tenue de son école. Dès que sa conduite donne lieu à de graves sujets de plainte, les habitants de l’oasis s’adressent au cadi (juge) et provoquent son changement ; mais si l’école a été installée par les particuliers eux-mêmes, le remplacement s’effectue selon le vœu de la majorité.

Le premier enseignement consiste à apprendre aux jeunes musulmans, entre l’âge de six à douze ans, la copie, la lecture et la récitation du Koran, sans s’inquiéter du sens, et par conséquent sans qu’ils puissent le comprendre. Il est d’usage que les élèves récitent le livre sacré deux ou trois fois en enlier, pendant qu’ils fréquentent le mekteb ; ils apprennent en même temps l’écriture, qui est presque un art chez les mahométans. On ne se fait aucune idée de la lenteur du procédé qu’emploie le maître pour tracer les modèles. À défaut de papier, il dessine sur des planchettes de noyer, blanches avec soin, le verset à étudier, et chaque écolier travaille séparément, le classement par division et par rang de force n’étant usité nulle part. De là une perte de temps considérable. Un fait à remarquer, c’est que la plus parfaite égalité règne dans ces écoles primaires : l’enfant du riche est assis à côté de l’enfant du pauvre ; ils ont pour lien la prière. Lorsqu’après les exercices ordinaires, l’instituteur prend la parole, c’est pour inculquer aux plus âgés, tantôt par des préceptes, tantôt par des citations, Vidée de Mahomet. Tout est ramené à cette idée, sans laquelle la doctrine musulmane n’aurait pas £a raison d’être. Voici en quels termes elle est exprimée : « La première chose créée a été la substance de Mahomet, et c’est de cette substance que Dieu à tiré tout ce qui existe. — Dieu avant de créer le monde eut en vue l’idée de Mahomet, et cette idée jeta trois rayons. Du premier rayon Dieu fit le ciel où repose son trône, du second le monde que nous habitons, du troisième Adam et toute sa race. Tout ce qui subsiste, existe donc par la lumière de Mahomet, et il n’est rien qui n’émane de son essence. » Au fond, le but que se proposent les hommes chargés de l’éducation de l’enfance, est de faire bien comprendre la supériorité de l’islamisme sur les autres religions. Aussi voit-on appendu aux murs de chaque école un tableau calligraphique représentant ce verset du Koran où Mahomet, peu soucieux de la vérité, fait annoncer sa mission par Jésus-Christ lui-même : « Ô enfants d’Isreël, Dieu m’envoie auprès de vous, conformément aux livres saints qui avaient fait connaître ma venue ; et je vous annonce un prophète qui viendra après moi ; son nom est Amed. » (Koran, sourate LXI, vers. 6.)

À Biskara, qui est la plus intéressante des oasis sahariennes, à cause de son intelligente population, l’administration militaire a pu créer, en 1851, une école française où tous les enfants, de race berbère pour la plupart, sont venus s’instruire avec tant de bonne volonté, qu’aujourd’hui la langue française est aussi usitée que l’arabe dans les jardins de dattiers. C’est un fait qui a été constaté par la caravane parlementaire, vers la fin de l’année 1879.