Le mécanisme du toucher/Préface

A. Colin (p. i-iv).


préface

La réforme de l’enseignement musical sur une base scientifique n’est plus aujourd’hui qu’une question de temps. Des faits sûrement acquis s’opposent à ce qu’on persévère dans la pratique de moyens insuffisants, erronés.

Grâce à l’analyse expérimentale, les influences multiples exercées par le toucher de l’artiste sur le caractère de l’enfoncement de la touche, sont expliquées. Et puisqu’on ne s’étonne pas de ce qu’une série de balances maintenues en équilibre puissent transmettre des poids subtilement différenciés permettant d’établir les rapports les plus complexes, pourquoi s’étonnerait-on de ce que la façon de toucher un clavier permette de produire les sonorités les plus variées, discordantes ou harmonieuses ; car le mécanisme du clavier fonctionne comme celui de balances susceptibles de mesurer les diversités d’attouchements les plus intimes. Les touches maintenues en équilibre enregistrent sur les cordes, par le soulèvement du marteau, le toucher transmis. Cet enregistrement sera d’autant plus parfait que les impulsions transmises sont plus parfaites.

Nous nous sommes attachée à analyser les degrés de perfection du toucher artistique, ce qui nous a permis de découvrir les dissemblances des mouvements réalisés par des exécutants divers. Cette dissemblance est de nature à modifier la conception des dimensions du clavier qui ne peuvent être appréciées objectivement pendant l’exécution. Au grand pianiste le clavier paraîtra d’autant plus petit que tous les mouvements qu’il transmet lui coûtent moins d’efforts. Au mauvais exécutant le clavier paraîtra au contraire très agrandi parce que les moindres mouvements lui coûtent des efforts conscients ou inconscients qui lui font croire que les écarts qu’il réalise sont plus grands et les touches qu’il enfonce plus résistantes, plus lourdes.

Ces différences initiales de la conception du clavier expliquent en une certaine mesure qu’un artiste peut non seulement jouer admirablement une œuvre à première vue, mais la jouer très rapidement par cœur et la retenir longtemps, car cet ensemble de faits est la conséquence des mouvements qu’il réalise. Ces différences initiales expliquent aussi pourquoi un mauvais exécutant défigure une œuvre musicale jouée à première vue ou non, qu’il la retient par cœur par des procédés anti-artistiques et l’oublie s’il ne la rejoue pas souvent. Ces faits sont la conséquence des mouvements qu’il réalise et qui diffèrent absolument de ceux réalisés par un pianiste dont le jeu est musical et la sonorité harmonieuse.

Ces vérités établies, l’affinement des sensations et des mouvements s’impose dans l’étude d’art : on ne peut instruire dans le vrai sens du mot sans faire penser les mouvements exécutés et les sons évoqués. Pour exercer cette puissance suggestive, il est nécessaire de perfectionner l’organisme par le perfectionnement de l’appareil tactile.

Ce perfectionnement peut s’acquérir : 1o par l’étude des mouvements basés sur le développement de la force statique des muscles : l’immobilité ; 2o par l’analyse du mécanisme du toucher et des diversifications de contacts et d’attouchements.

Les idées émises ici sont le complément expérimental de celles exposées dans notre ouvrage La musique et la psycho-physiologie. Nous nous sommes contentée d’indiquer certaines questions, quoique nouvelles, très sommairement, parce que nous les avions traitées déjà dans l’exposé général de nos théories sur l’art et sur l’enseignement.