Le livre des jeux d’esprit, énigmes, charades, logogriphes/Énigmes

Ch. Ploche — libraire, éditeur (p. 47-69).

Énigmes.


ÉNIGME 1.

Voici quel je suis à peu près :
Debout sur mille pieds je porte cinq cents têtes ;
Que de gens me donnent des fêtes
Pour me mettre en leurs intérêts !
De leur fortune alors je gouverne la roue :
Je mets la honte ou l’honneur sur leur front.
Qu’on me respecte et qu’on me loue,
Puisque j’ai dans mes mains et la gloire et l’affront.

Houdard de La Mothe.


ÉNIGME 2.

Je suis le même que j’étais,
Et cependant j’ai cessé d’être.
L’anagramme me fait paraître
Le même en latin qu’en français.
Songez donc, pour me bien connaître,
À ce que je suis et je fus :
J’étais naguère et ne suis plus.
Dans peu je dois encore éclore :
Mon trépas commence au matin ;
Et comme je tiens à l’aurore,
Vous pourrez me nommer demain.



ÉNIGME 3.

Au sein d’un antre ténébreux,
Ma voix prononce des oracles,
Et leur effet n’est point douteux ;
Jamais Trophonius ne fit tant de miracles.

Souvent les héros et les rois
Daignent me consulter au fort de leurs exploits.
Mon art, qui n’est pas frivole,
Prodigue à tout venant ses utiles secours.
Aux muets je rends la parole ;
Mais je ne puis rien sur les sourds.

M. B. L.


ÉNIGME 4.

En un seul mot j’offre une fleur, une île.
Une arme, un fruit, un royaume, une ville.



ÉNIGME 5.

Cinq voyelles, une consonne,
En français composent mon nom,
Et je porte sur ma personne
De quoi l’écrire sans crayon.

Voltaire.


ÉNIGME 6.

Quoique faites pour la lumière,
Nous ne nous montrons que de nuit ;
Celle ou celui qui nous conduit,
Doit avoir une main légère,
Et nous diriger de manière
Que l’on ne dise pas de lui
Ce qu’on dit quelquefois d’autrui :
Que toujours de ce qu’il doit faire
Il fait justement le contraire.

S…..


ÉNIGME 7.

Lecteur, je m’annonce avec bruit
Et sans jamais causer d’alarmes ;
Pourtant l’effet qui me produit
Fait bien souvent verser des larmes.

Je me répète quelquefois,
Mais toujours dépourvu de grâces,
Et le plus séduisant minois
Fait par moi d’horribles grimaces.
Je fais goûter quelque plaisir,
Un rien comme lui me fait naître,
Et l’instant qui me donne l’être
Tout aussitôt me voit mourir.
Mais il est temps que je finisse ;
Mon récit t’a rendu rêveur.
Courage, allons, mon cher lecteur !
Bon… t’y voilà… Dieu te bénisse.

M. de Beauchesne.


ÉNIGME 8.

De moi, quand je suis seul, on ne peut faire emploi ;
C’est pour cela qu’on m’associe
Avec certaine compagnie
Dont le plus petit nombre est encor plus que moi.
Je suis pourtant de bonne escorte ;
Par le puissant effet d’un talent singulier,
Avec mes compagnons quand je vais le dernier,
La troupe en est neuf fois plus forte.



ÉNIGME 9.

Je suis ce qu’on peut acheter
Et que l’on ne saurait prêter ;
Ce qu’on se plaît à tourmenter,
Ce qu’on voudrait toujours porter,
Et que le temps fait regretter.

M. le duc de Nivernois.


ÉNIGME 10.

Nous sommes deux frères jumeaux
Qu’une secrète antipathie
Force à demeurer dos à dos
Sans nous être vus de la vie.

Même vertu, même défaut,
Même humeur en nous se décèle
Quand je gèle, mon frère a chaud :
Lorsque j’ai chaud, mon frère gèle.
De bas en haut, de haut en bas
Nous alternons dans notre route :
Lorsqu’il y voit, je n’y vois pas ;
Quand je vois clair, il n’y voit goutte.
Quoique nous soyons bien connus
Sur la terre et même sur l’onde,
Nul mortel ne peut dans le monde
Se vanter de nous avoir vus.



ÉNIGME 11.

Sans moi l’on parvient rarement ;
Je mène au but, mais lentement ;
Je suis la devise du sage :
La jeunesse vive et volage
Trop souvent m’abandonne et toujours s’en repent ;
De moi l’on a besoin en tout temps, à tout âge,
Pour acquérir un beau talent
Et pour finir un grand ouvrage ;
La raison, l’esprit, le courage,
Sans moi sont des dons superflus ;
Et seule enfin, j’ai l’avantage
De donner du prix aux vertus.

Madame de Genlis.


ÉNIGME 12.

Vous voyez en moi le plurier
Du mot latin d’où je dérive,
En quelque nombre qu’on m’écrive,
On doit m’écrire au singulier.
Au reste, j’ai plus d’une allure :
Comique, tragique ou bouffon,

Pour mieux imiter la nature
Je change volontiers de ton ;
La peinture, la poésie,
La mécanique, l’harmonie,
Rivalisent pour mes succès.
Né sous le ciel de l’Italie,
Je suis pourtant si bon Français,
Qu’au sein de la douleur je danse,
Je soupire ou pleure en cadence ;
Et pour maint auteur ennuyeux,
Je sais captiver l’indulgence
Par le seul prestige des yeux.



ÉNIGME 13.

Si je n’ai pas le bonheur de vous plaire,
Lecteur, je n’en suis’pas surpris ;
Vous aurez beau dire et beau faire,
Je ne serai jamais de votre avis ;
Même en me renversant, je vous en avertis,
Vous ne me feriez pas changer de caractère.

M. C…..


ÉNIGME 14.

Chacun à tout moment me montre au bout du doigt.

M. Juhel.


ÉNIGME 15.

Lecteur, quand je te fais affront,
Aussitôt ta plume s’arrête ;
Souvent je fais gratter le front
À ceux qui n’ont rien dans la tête.
Je n’existe pas sans ma sœur ;
À l’esprit nous jouons des niches ;
Et grâce à plus d’un pauvre auteur,
Nous ne sommes pas souvent riches.



ÉNIGME 16.

Je ne suis encor rien, mais à la veille d’être ;
Que ne puis-je à tous ceux qui doivent me connaître
Promettre également des plaisirs assurés !
Trop inutile vœu ! Dès qu’on m’aura vu naître,
Je ferai des heureux et des désespérés.
Tout le monde m’attend, et cependant peut-être
Tel songe à m’employer qui n’en sera pas maître ;
On m’appelle d’un nom que je perds en naissant ;
Mon futur successeur à l’instant s’en empare.
Ainsi, jamais présent, par un destin bizarre,
Mon nom meurt et renaît dans le même moment.



ÉNIGME 17.

De la terre je suis un utile produit,
Et mes nombreux travaux honorent ma patrie ;
On me mange toujours à table avant le fruit,
Et je dus mes succès au feu de mon génie.
Je pare un entremets ou je peins la douleur ;
Je colore un bouillon, j’occupe la pensée ;
J’apaise l’appétit ou je touche le cœur ;
Parfois je suis de feu, parfois je suis glacée.
On me trouve partout, au collége, au salon,
À la cuisine, au bois, en maroquin, ou frite ;
Dans un temple fameux on révère mon nom,
Et je cuis dans une marmite.



ÉNIGME 18.

À Paris, Lisbonne on Berlin,
Madrid, Pétersbourg ou Turin,
Qu’il est séduisant, mon destin !
De la faveur du souverain
J’y suis un signe bien certain.
Mais dans la ville où Constantin
Transporta l’empire romain,
Où maintenant le Turc hautain,

En légitime suzerain,
Règne, dit-on, de droit divin,
Où, par un subtil tour de main,
Le Grec audacieux et fin
Rentrera quelque beau matin.
Qu’il est horrible mon destin !
Là, sur le soupçon le plus vain
D’un maître ombrageux et chagrin,
D’un trépas injuste et soudain
Je suis l’instrument inhumain.

F. X. G***t.


ÉNIGME 19.

Il est un monde en miniature,
Qui du grand monde est l’abrégé,
Monde magique, où la nature
N’a rien produit, rien arrangé.
Là, le mot est loin de la chose,
L’effet ne tient point à la cause,
Le milieu vient après la fin,
Et juillet arrive avant juin ;
Rien d’ailleurs ne lui manque à cet étrange monde,
Créé quelquefois par un sot.
On y trouve le feu, l’air, et la terre et l’onde,
Esprit et corps, ange et magot,
Plante, fossile, météore ;
On y trouve tout, en un mot,
Et mille autres choses encore.



ÉNIGME 20.

En peu de mots, voici les traits
Auxquels on peut me reconnaître :
J’aime à parler, j’aime à paraître ;
J’aime à prôner ce que je fais ;
J’aime à grossir ce que je sais ;

J’aime à juger, j’aime à promettre ;
J’annonce les plus beaux secrets :
Je n’en ai qu’un, celui de mettre
Tous les sots dans mes intérêts.



ÉNIGME 21.

De la Grèce, lecteur, je tiens mon origine ;
Je suis Grec en un mot, nul n’en pourrait douter,
Puisqu’ainsi mon nom se termine.
Quoi qu’il en soit, à bien compter,
Je n’ai qu’un pied ; il ne faut pas omettre
Que fort souvent il en vaut deux.
C’est ici que tu dois t’attacher à la lettre :
Ne me cherche pas loin, je suis devant tes yeux.

M. F. G***, de Sédan.


ÉNIGME 22.

Du mortel qu’en ces vers je trace,
Tâchez de deviner le nom :
C’est un vilain qui, de sa grâce,
Change le Pactole en poison.
C’est un ingrat, une âme basse,
Qui retient son maître en prison.

Panard.


ÉNIGME 23.

Je suis une cité de charmante structure :
J’ai pourtant contre moi des ennemis si forts
Qu’ils abattent mes murs et leur font mille torts,
Sans avoir de ma part reçu la moindre injure.
On est tenté toujours, en voyant ma figure,
De faire contre moi d’agréables efforts.
Quand mon maître me vend, mes habitants sont morts.
Et comme leur cité, je suis leur sépulture.

M. Navarre, professeur de géographie.


ÉNIGME 24.

Je ne suis ni feu ni phosphore,
Et cependant je procure le jour :
L’aurore du soleil annonce le retour ;
J’annonce celui de l’aurore.
Par mon secours j’ai plus de mille fois
D’un malheureux terminé l’esclavage ;
Et j’offre à tes yeux une croix,
Pour peu qu’en quatre on me partage.



ÉNIGME 25.

Je suis un joli corps, d’un très-joli volume,
Qui va, revient dans l’air, et sans pied porte plume.



ÉNIGME 26.

Que suis-je, moi, qui toujours t’environne,
Moi, qui, sans cesse, autour de toi bourdonne ?
Tu me sens, tu m’entends, et ne m’as jamais vu.
Tu vas, tu viens, partout je t’accompagne.
Voudrais-tu me saisir ? ce serait temps perdu ;
Tu sors, et sous ta clé tu me crois retenu,
Au même instant je te suis en campagne.
C’est là que librement
Je plane, je m’exerce :
J’y suis doux, caressant j
J’y brise, j’y renverse.
Je puis te donner le trépas,
Et sans moi tu ne saurais vivre.
Que plus d’un docteur, ici-bas,
Me guette pas à pas,
Et s’obstine à me suivre :
Le malheureux, hélas !
Que prouve son gros livre ?
Il prouve….. il prouve encor qu’il ne me connaît pas.
Je fus, de tous les temps, une énigme en physique,

Et je vois bien enfin qu’il faut que je m’explique,
Je puis me faire entendre. Écoute, et sois content :
Si Je t’échappe, autant en emporte le vent.
Le mot est dit, eh bien ! en es-tu plus savant ?



ÉNIGME 27.

Par la vertu de ma baguette
Je rassemble chez moi les vivants et les morts,
Et je note par étiquette
Leurs noms ainsi que leurs trésors.
Là, par l’orgueil des rangs chaque place est fixée ;
Ils ne sont pas égaux, je ne puis le nier ;
Les grands sont au rez-de-chaussée,
Tandis que les petits logent dans le grenier.
Parlerai-je de leur parure ?
Les uns brillent par la dorure ;
D’autres d’un pauvre habit sont à peine couverts.
Malgré leurs vêtements divers,
Mes hôtes vivent tous en bonne intelligence ;
Et dans leur compagnie il règne un tel silence,
Qu’on entendrait mouche voler.
À ce sage statut aucun d’eux ne déroge,
Et même alors qu’on l’interroge,
Chacun répond sans vous parler.



ÉNIGME 28.

Bien ou mal je fais sur la terre
Travaux de Mars, travaux des champs,
Traités de paix, traités de guerre,
Bisque à Paris, gamelle aux champs.
Je tiens le sceptre et la charrue ;
Ici je guéris, là je tue :
C’est moi qui donne, moi qui prends ;
C’est moi qui retiens, moi qui rends.
De l’humble cabane et du Louvre
Je ferme la porte et je l’ouvre.

Par moi les palais sont bâtis ;
C’est par moi qu’ils sont démolis.
Par moi la vigne fécondée,
Se voit par moi dépossédée
Des trésors dont je l’embellis.
Trop souvent je commets des crimes,
Je fais de très-grands biens aussi.
Je trace les plus belles rimes,
Je broche les vers que voici.



ÉNIGME 29.

Nous sommes tous égaux et nous sommes tous frères.
Toujours en l’air et toujours suspendus ;
Nous sommes des agents par qui sont étendus,
Les voiles des plus doux mystères.
Mais pour nous deviner, voici l’essentiel :
Le soleil comme nous est de figure ronde ;
Il fait le tour du monde,
Et nous le tour du ciel.



ÉNIGME 30.

Enfant de l’art, enfant de la nature,
Sans prolonger les jours, j’empêche de mourir ;
Plus je suis vrai, plus je fais d’imposture,
Et je devient trop jeune à force de vieillir.

J-J. Rousseau.


ÉNIGME 31.

Fille de l’art et mère du silence,
L’empire d’Apollon est mon pays natal ;
Inutile au barbon, nécessaire à l’enfance,
Pour un grand bien je fais un peu de mal.
Quoique d’un sexe né pour plaire
Jamais pourtant on ne me fait la cour.
Suis-je maussade ? oh ! non ; l’on me trouve, au contraire,

Douce, polie, et surtout faite au tour.
Chef sans soldats, roi sans couronne,
Le maître que je sers commande en souverain ;
Un peuple soumis l’environne,
Moitié grec et moitié latin.
Pour moi, quelque nom qu’on me donne,
Arbitre des honneurs qu’on rend à sa personne,
J’ai l’air d’un sceptre dans sa main.



ÉNIGME 32.

Je blanchis,
Je noircis,
J’embellis,
J’enlaidis
Je salis,
J’éclaircis,
Je détruis,
Je guéris.

M. T… e., de Rochefort.


ÉNIGME 33.

Nous sommes bien des sœurs à peu près du même âge,
Dans des rangs différents, mais d’un semblable usage.
Nous avons en naissant un palais pour maison,
Qu’on pourrait mieux nommer une étroite prison :
Il faut nous y forcer pour que quelqu’une en sorte,
Quoique cent fois le jour on nous ouvre la porte.



ÉNIGME 34.

Je donne en dix à deviner
Au plus expert en ce manège
Un champ qu’on ne peut moissonner
Que lorsqu’il est couvert de neige.

M. C…


ÉNIGME 35.

On voit en l’air une maison
Qui peut passer pour labyrinthe,
Où ceux qui cheminent sans crainte
Sont arrêtés en trahison.
C’est une fatale prison,
Un lieu de gêne et de contrainte,
Où leur pauvre vie est éteinte
Par un monstre plein de poison ;
Sa malice est ingénieuse,
Et de Vulcain la main fameuse
Dresse des pièges moins subtils ;
Son art de bâtir est extrême,
Et sa matière et ses outils
Se rencontrent tous en lui-même.

M. l’abbé Le Dru.


ÉNIGME 36.

Image naïve du temps,
Que rien n’arrête et ne devance,
Bien différent des courtisans,
C’est en reculant que j’avance.

M. Bucquet.


ÉNIGME 37.

Astre des grands et des petits,
D’ordinaire je ne me lève
Que quand l’astre commun se couche chez Thétis ;
Mon règne commence et s’achève
Au gré de ceux pour qui je luis.
Si quelquefois je souffre quelque éclipse,
J’en sors soudain plus éclairci.
Vous me cherchez bien loin, peut-être suis-je ici ;
Je puis éclairer tout jusqu’à l’Apocalypse,
Je puis bien m’éclairer aussi.

Houdard de la Mothe.


ÉNIGME 38.

De filer le produit de ma riche semence
Le secret, par Isis, aux mortels fut donné ;
Je naquis, dit l’histoire, aux bords d’un fleuve immense,
Dont le nom mémorable est mon nom retourne.



ÉNIGME 39.

La pauvreté m’enorgueillit,
Pauvre Je me redresse ;
Et quand la fortune me rit,
Opulent je m’abaisse.
Mes cheveux couvrent mon trésor
Dans leur verte jeunesse ;
Dès qu’ils deviennent couleur d’or
Ils tombent de vieillesse.
Vos aïeux, en vrais étourdis,
Ont causé leur misère,
Pour avoir dépouillé jadis
Mon oncle ou mon grand-père.



ÉNIGME 40.

Avec un guide impitoyable ;
Je parcours les monts chevelus,
Où je poursuis un monstre, aux humains redoutable ;
C’est aux jeunes taillis que je chasse le plus,
Et souvent j’y vais faire un carnage effroyable
De ces monstres cruels, sous mes dents abattus.

Houdard de la Mothe.


ÉNIGME 41.

Sur quatre pieds je vous présente
Un petit mot à triple entente.
Voulez-vous, sans beaucoup d’efforts.
Me deviner ? il suffit que je dise

Qu’on me voit, sous les trois rapports,
À la pointe du jour, en Champagne, à l’église.



ÉNIGME 42.

Je présente sur ma surface
Le chaud, le froid, la poussière et la glace,
Le bruit, le calme et le deuil et les ris,
Le beau monde et la populace.
Je me dépouille et refleuris.
Tantôt j’occupe un large espace,
Et tantôt je me rétrécis ;
Je ne change jamais de place,
Et je fais le tour de Paris.



ÉNIGME 43.

J’ai mes camps, mes soldats,
J’ai mes ennemis à combattre ;
Quelquefois je les bats,
Quelquefois je me laisse battre.
J’ai de bons généraux,
J’en ai qui ne sont pas habiles ;
Mais souvent les plus sots
Ne me sont pas les moins utiles :
Je marche, j’attaque et prends feu…
Ne tremblez pas, tout ceci n’est qu’un jeu.



ÉNIGME 44.

Je suis l’enfant et le roi de la terre,
Autrefois j’ai servi le maître du tonnerre ;
Mais de mille attributs que j’ai,
Celui-ci peut suffire à me faire connaître :
Tant que chez mon patron je demeure engagé,
Je lui suis inutile et dangereux peut-être ;
Je ne rends service à mon maître,
Que quand j’en reçois mon congé.

Houdard de la Mothe.


ÉNIGME 45.

J’habite dans les airs sans user de mes ailes ;
Il est d’importantes nouvelles
Dont c’est à moi de décider :
Qu’on vienne me les demander,
Je rends, quoique sans voix, des réponses fidèles ;
Mais pour m’entendre il faut me regarder.



ÉNIGME 46.

Je sers et j’ai servi toujours
À l’être qui rugit, à l’être qui raisonne ;
J’annonce la nuit et le jour :
Car sans moi le soleil n’eût éclairé personne.
Ami lecteur, devine-moi…..
Je marchais devant les apôtres.
Si tu peux me voir chez les autres,
C’est preuve que je suis chez toi.

A***.


ÉNIGME 47.

Souvent je change de nature,
Et mon usage est assez singulier
Tantôt je sers au cavalier,
Tantôt je nourris sa monture.
De légumes, parfois, je me compose aussi ;
À mon sujet, maint étourdi,
Sans réfléchir, cherche dispute :
Alors il faut en venir sur le pré ;
Alors, pour se tirer sain et sauf de la lutte,
Heureux qui me porte à son gré !



ÉNIGME 48.

C’est sur la vanité que mon pouvoir se fonde :
La beauté me chérit, et me cherche en tous lieux.
Si je n’existais pas, il n’est personne au monde
Qui pût voir à son gré ce qu’il aime le mieux.

Panard.


ÉNIGME 49.

Les visages par moi se trouvent embellis ;
J’entretiens sur le teint et la blancheur des lis,
Et l’incarnat des roses.
De l’esprit et du corps je me vois le soutien ;
Et ceux qui ne m’ont pas n’ont rien,
Quand même ils auraient toutes choses.

M. L. C. D. F. J.


ÉNIGME 50.

Un pied de ma longueur
Est la juste mesure ;
Il l’est aussi de ma largeur :
Cependant du carré je n’ai point la figure.



ÉNIGME 51.

Je fus demain, je serai hier.

Fontenelle.


ÉNIGME 52.

Devine-moi, car j’en suis digne :
Je me cache lorsque je sers ;
C’est presque toujours dans les vers,
Et l’on me trouve à chaque ligne.

M. Ch. Bourgeois.


ÉNIGME 53.

Je suis petit, petit, n’allant pas jusqu’à l’once ;
On me rencontre à chaque pas ;
J’ai tout vu, j’ai tout fait, mais souvent ce n’est pas ;
Et tel qui l’assure et l’annonce
Se trouverait dans l’embarras,
Si tu lui montrais pour réponse
Mes pieds en haut, ma tête en bas.


ÉNIGME 54.

Je suis, je ne suis plus, j’étais, et je vais être ;
Veut-on me retenir, je suis mort pour jamais,
Mais pour jamais aussi je suis prêt à renaître ;
Je meurs toujours, toujours je nais.



ÉNIGME 55.

Ma mer n’eut jamais d’eau ; mes champs sont infertiles.
Je n’ai point de maison, et j’ai de grandes villes.
Je réduis en un point mille ouvrages divers.
Je ne suis presque rien, et je suis l’univers.



ÉNIGME 56.

Je suis, mon cher lecteur, tout au bout de ta main ;
Je commence la nuit et je finis demain.



ÉNIGME 57.

Je suis la merveille du monde.
Les plus rares beautés, les plus riches trésors,
S’étaient dans mon vaste corps,
Où tout bien et tout mal abonde.
J’ai par toute la terre un célèbre renom,
Des petits et des grands mon sein est le refuge.
Devinez, qui je suis : l’on me donne le nom
D’un berger, d’un prince et d’un juge.



ÉNIGME 58.

Dans le champ du dieu Mars on connaît ma valeur ;
Je suis inanimée et j’anime à la gloire ;
Je fais dans les combats voler à la victoire ;
Et souvent d’un vaincu ma voix fit un vainqueur.

M. Bouvet.


ÉNIGME 59.

On m’a souvent pour une obole ;
J’exige des soins assidus :
Si l’on me perd, on se désole,
Si l’on me gagne, on ne m’a plus.



ÉNIGME 60.

Depuis que je suis née on me voit sans repos
Toujours renouveler ma course vagabonde,
Et celui qui me fit en prononçant deux mots
M’obligea de courir jusqu’à la fin du monde.



ÉNIGME 61.

D’un père lumineux je reçois la naissance,
Et tends toujours à monter vers les cieux.
Souvent je manque à l’indigence,
Et fais pleurer les plus heureux.
Souvent aussi l’ambitieux
N’obtient que moi pour récompense.



ÉNIGME 62.

Je suis de bizarre figure,
Sans pieds, sans mains, courbé, bossu,
Et je dois beaucoup plus à l’art qu’à la nature
L’honneur d’être partout reçu.
Je rends le cœur sensible et tendre,
J’émeus les passions ; je charme les ennuis ;
Je parle tout mort que je suis ;
Mais on aurait peine à m’entendre,
Ou je m’expliquerais très-mal
Sans le secours d’un animal.



ÉNIGME 63.

Quel est cet animal ? sa marche est singulière ;
Il va sur quatre pieds lors du soleil levant,
Sur deux à son midi, sur trois à son couchant.
Devine, ou de tes jours je finis la carrière.

M. Valant.


ÉNIGME 64.

Employez, gens d’esprit, ici votre savoir :
Qu’est-ce ? Sans hésiter pour résoudre ce doute,
Qu’au plus clair du midi nos yeux ne peuvent voir,
Et que nous voyons bien quand nous ne voyons goutte ?



ÉNIGME 65.

Des choses d’ici-bas ôtez la moindre chose,
La diminution y paraît à l’instant ;
Mais autrement de moi la nature dispose,
Car plus vous en ôtez et plus je deviens grand.



ÉNIGME 66.

Ma figure est plaine et montagne,
Et sur l’un et l’autre horizon
Tous mes matériaux croissent à la campagne,
Pour devenir, par l’art, le toit d’une maison,
Mais maison d’une étrange espèce,
Où loge une immortelle hôtesse
Qui me fait en toute saison
Servir à sa fierté comme à sa politesse.
Souvent assujetti sous les plus viles lois,
J’ai pour maître un valet, un rustre ;
Mais en revanche quelquefois,
Tout éclatant d’un nouveau lustre,
Je fais un prince d’un bourgeois.

Houdard de la Mothe.


ÉNIGME 67.

Je suis en fonctions plus élevé qu’aucun,
Mais sans ambition, sans espoir qui la fonde ;
Avec l’air brusque et fier, j’obéis à chacun ;
Et pourtant c’est bien moi qui mène tout le monde.



ÉNIGME 68.

j’ai ma tête avec mon cou,
Je ne suis qu’un cou sans mon cou ;
Dans le bois j’entre avec mon cou,
Et je sors d’un tronc sans mon cou ;
De fer, de cuivre avec mon cou,
Mais de chair et d’os sans mon cou,
J’assujettis avec mon cou,
Et suis sous un chef sans mon cou ;
Sous mille pieds avec mon cou,
Sur mille épaules sans mon cou ;
Comme on me frappe avec mon cou,
L’on me caresse sans mon cou.

Mademoiselle Nic…court.


ÉNIGME 69.

Lecteur, je suis un objet creux
Que l’on peut diviser en deux ;
Le haut renferme un corps qui nous vient d’une bête
Par lui-même il ne pourrait rien ;
Mais dans le bas plongeant sa tête,
Il dit ou du mal ou du bien.

M. Gouin (de Fougères).


ÉNIGME 70.

Je porte le nom du séjour
Le plus riche de ceux où Plutus tient sa cour.

C’est le doux printemps qui fait naître
Les mets dont j’aime à me repaître.
L’été, l’automne aussi me donnent des repas :
C’est pourquoi ces saisons ont pour moi des appas.
Mais avec soin toujours au froid je me dérobe ;
Tel que cet ancien, qui, couvert d’un manteau,
Dit : Omnia mecum porto.
Partout où l’on me voit sur ce terrestre globe,
Je porte avec moi mon berceau,
Mon palais, et ma garde-robe,
Mes magasins et mon tombeau.

Panard.


ÉNIGME 71.

Pétillant et plein de chaleur,
Rarement avec moi l’on dort ou l’on s’ennuie ;
Je guéris la mauvaise humeur,
J’affaiblis la mélancolie.
En Europe, en Asie, on vante ma vertu ;
Autant que moi jamais étranger n’a su plaire ;
On m’accueille en tous lieux, et je suis devenu
Un superflu fort nécessaire.

Madame de Genlis.


ÉNIGME 72.

En honorant les morts, instruire les mortels,
C’est et ce fut toujours ma triste destinée ;
Tantôt simple, tantôt ornée,
Dans l’église, aux pieds des autels,
J’annonce qui tu fus et que tu cessas d’être.
Partout où l’on me voit paraître
Je suis compagne du cercueil ;
Enfin je dois mon existence
Parfois à la reconnaissance,
Rarement au mérite, et souvent à l’orgueil.



ÉNIGME 73.
(Traduction de l’Allemand.)

Qu’est-ce que Dieu ne voit jamais,
Et qu’un chrétien voit à la messe ?
Devinez, et je vous promets,
Lecteur, un merle blanc dont j’ai créé l’espèce.

Mademoiselle ***.


ÉNIGME 74.

Je suis un courtier d’Angleterre,
Plus vigoureux, plus fort de reins
Que la jument des quatre paladins
Qui les portait tous quatre en guerre.
Je bois souvent sans nul besoin ;
Mais je fais mainte et mainte lieue
Sans manger avoine ni foin.
On me ferre, on me frotte, on m’équipe avec soin,
Et l’on me bride par la queue.



ÉNIGME 75.

D’un berger de Juda j’illustrai le courage,
Il fut par moi l’espoir d’un trône chancelant ;
Et vingt siècles plus tard, sur un autre rivage,
Mon nom fit chanceler un empire puissant.

P. C. D.

FIN.