Le lierre du lycée Lamartine

Le lierre du lycée Lamartine
Revue pédagogiquenouvelle série, tome VI (p. 301-302).

LE LIERRE DU LYCÉE LAMARTINE

A M. NAVARRE

J’ai voulu revoir le lycée
Où mon enfance pleura tant ;
C’est bien là que je l’ai laissée ;
Elle m’accueille en sanglotant.

C’est aujourd’hui Pâque-fleurie :
On a lâché les écoliers ;
Je remonte, l’âme attendrie,
Mon passé, par ces escaliers.

Loin de mon pays de lumière,
Où l’hiver même est réchauffant,
Entre ces murs de froide pierre,
Il fut dur, mon exil d’enfant.

« Voyez-vous, dis-je au nouveau maître,
Qui me reçoit en vieil ami,
Chaque détail, par tout mon être,
Réveille l’enfant endormi.

» Il s’éveille, il sort de moi-même ;
Hélas ! il ne me connaît pas ;
Moi, je le connais et je l’aime,
Ce petit qui pleure tout bas.

» Pour un moment il veut revivre ;
Ses yeux sont grands ouverts, — voyez !
Si nous marchons, il va nous suivre…
Oh ! comme ses yeux sont noyés !

» Sur ses traces, la petite ombre
Remet ses deux pieds, pas à pas…
Il pleut ; au fond du hangar sombre,
Elle regarde vers là-bas !

» Le ciel rit ; dans le libre espace
Le pauvre petit spectre, en pleurs,
Suit des yeux chaque oiseau qui passe
Et qui peut aller voir des fleurs !

» Il s’assied au banc de la classe
Où son chiffre est encor gravé ;

Il retrouve partout sa trace,
Et refait — ce qu’il a rêvé !

» Mauvais rêve, dis-je au bon maître :
(Et je sentis mon cœur serré…)
J’étais grondé, puni peut-être,
Seulement pour avoir pleuré ! »

Puis, honteux, après un silence :
« Je n’apprenais pas ma leçon
Pour rêver du ciel de Provence,
Et du lierre de ma maison !…

> Certes, il faut lire dans un livre,
Mais aussi dans les fleurs des bois,
Et si Virgile nous enivre,
C’est qu’un oiseau chante en sa voix !

» Quand nous disons rosa, la rose,
Montrez-nous les rosiers aimés,
Ou n’apprenez que de la prose
À l’enfant que vous enfermez !

» Cette muraille, ah ! qu’elle est haute !… »
— « Oui, nos petits ne l’aiment pas,
Dit le maître, bon comme un hôte :
Ils jouent mieux sous ces murs plus bas… »

Alors, mon enfance oubliée
Revint vers nous et lui parla…
« Oh ! murmura sa voix mouillée,
Monsieur, plantez un lierre, là ! »

— « Monsieur, me dit le jeune maître,
Si vous revenez dans dix ans,
Vous ne pourrez plus reconnaître
Ce mur en horreur aux enfants…

» Un lierre en couvrira la pierre,
Verdure d’hiver et d’été…
Les oiseaux viendront dans le lierre,
Car le lierre sera planté… »

Je crus voir, en passant la porte
Du lycée aux murs étouffants,
L’ombre de mon enfance morte
Qui jouait avec des enfants.