Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique2, second semestre 1878 (p. 674-677).

V.
L’OUTILLAGE HORTICOLE.

Ne demandons pas aux gens plus qu’ils ne peuvent donner et ne compliquons pas à plaisir ce qu’il n’est point nécessaire de compliquer. Si nous nous adressions à de riches bourgeois, nous demanderions beaucoup ; nous voudrions cloches et châssis, pompes d’arrosage, arrosoirs en cuivre, bêches et houes de plusieurs dimensions, sarcloirs, râtissoires, plusieurs râteaux, plantoirs de luxe, truelle, paillassons, abris divers, trousses d’arboriculteur, je ne sais plus quoi. Pour avoir tout cela, il en coûterait cher.

Soyons modeste avec les instituteurs qui ont les commencements difficiles et la fin un peu différente de celle des gros rentiers.

Une bêche, une houe, un arrosoir de fer-blanc, un râteau à dents de fer, une râtissoire à pousser, un plantoir fait à la serpe ou au couteau, un cordeau avec ses deux piquets, une brouette ordinaire avec coffre, un sécateur, une serpette, une scie, leur suffiront.

Nous avons connu de pauvres diables qui n’avaient pas même de quoi acheter ce modeste outillage et qui se tiraient honnêtement d’affaire malgré cela. Nous en avons vu qui, à défaut d’arrosoir, prenaient le seau de la maison, l’emplissaient d’eau, y trempaient le balai de bouleau et le secouaient sur leurs planches à légumes. Les mêmes se construisaient des râteaux de bois pour niveler, dresser le terrain et recouvrir les graines. Quelques poignées de paille leur tenaient lieu de paillassons pour abriter les jeunes plantes pendant les nuits froides. Et c’étaient encore ceux-là qui, à défaut de sarcloir et de râtissoire, sarclaient et éclaircissaient les semis avec un morceau de fer pointu et une fourchette de fer recourbée. C’est chez eux que nous avons vu pour la première fois des cloches en osier qui protégeaient leurs haricots contre les gelées blanches, et les plantes repiquées contre l’ardeur du soleil. Quand ils voulaient imiter les jardiniers de profession qui font des couches avec du fumier de cheval, des coffres et des châssis vitrés, ils ouvraient une fosse, y entassaient de la tannée et recouvraient la nuit avec une porte.

Nous citons ces faits uniquement pour montrer que les hommes qui ont des idées dans la tête et l’envie de bien faire, ne sont pas difficiles sur les moyens d’exécution et ne se noient point dans une rivière pendant que d’autres se noieraient dans un ruisseau.

Nous n’avons pas à entrer ici dans la description des outils de jardinage qu’il faut aux instituteurs. Ce serait dépenser du temps et du papier en pure perte, deux choses dont nous sommes le plus possible économe. En décrivant des objets connus de tout le monde, nous n’apprendrions absolument rien aux instituteurs, et nous aurions l’air d’écrire pour la postérité. Le seul instrument que l’instituteur serait excusable de ne point connaître. c’est la râtissoire à pousser. Il est donc le seul dont nous devions l’entretenir.

C’est un outil fort simple qui ne vaut pas plus de 2 francs à 2 fr. 50 c. et dont les formes sont variables, Telle râtissoire à pousser ressemble à une pelle à feu sans rebords, très-coupante, qui serait munie d’un long manche. Telle autre ressemble à un triangle ou à une truelle de maçon coupant de deux côtés. Une autre forme est celle d’une lame de 4 à 5 centimètres de largeur avec deux branches de fer faisant demi-cercle et se réunissant à une douille qui reçoit le manche en bois. Quelle que soit la forme de la lame, il importe qu’elle soit relevée comme celle de la pelle à feu. Sans cela, on serait forcé, pour s’en servir aisément, de couder le manche comme dans la grosse pelle anglaise des terrassiers. Or, c’est justement parce que les manches des râtissoires sont droits que la lame est légèrement relevée. On peut ainsi l’employer sans baisser le dos.

Pour ce qui est de la longueur des lames, elle est subordonnée aux cultures en lignes dont on se propose de sarcler les intervalles. Si les lignes sont, par exemple, à 30 centimètres l’une de l’autre, la râtissoire ne devra fonctionner que sur une largeur d’environ 95 centimètres, de manière à ne pas offenser les plantes. Si les intervalles étaient moindres, la largeur de la lame devrait nécessairement être moindre aussi.

Avec la râtissoire qu’on pousse devant soi, on coupe rapidement les mauvaises herbes en écorçant la terre et on nettoie une planche en moins de temps que nous n’en mettons à vous le dire. Nous nous souvenons d’un cultivateur qui employait trois femmes pendant quatre mois de l’année à sarcler à la main environ 40 ares de potager ensemencé à la volée. Il eut le bon esprit de ne plus faire que des cultures en lignes, et avec la râtissoire à pousser, il put, en ne travaillant que deux heures par jour, faire la besogne des trois sarcleuses.

Les cultures en lignes n’ont pas seulement le mérite de rendre les sarclages expéditifs ; elles ont celui en outre de supprimer les herbes inutiles dès qu’elles se montrent. Avec les cultures de plantes semées à la volée qui ne permettent pas l’emploi de la râtissoire, on est obligé d’attendre que les herbes inutiles puissent être saisies avec la main, et, pendant ce temps-là, elles mangent l’engrais et boivent l’eau indispensables aux bonnes plantes. Ajoutons qu’elles gênent celles-ci dans leur développement.

Lorsque la râtissoire a passé dans les intervalles d’une planche, tout n’est pas fini sans doute ; il faut compléter le travail en sarclant à la main sur les lignes ; mais cela s’exécute si vite qu’il n’y a pas lieu d’en prendre souci.