Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique2, second semestre 1878 (p. 660-664).

II.
LE JARDIN DE L’INSTITUTEUR.

Il serait à souhaiter que toute maison d’école eût son jardin. Malheureusement il n’en est pas ainsi et c’est d’autant plus regrettable qu’on ne sait pas toujours comment s’y prendre pour réparer cet oubli. Les communes ont beau se montrer bien disposées et prêtes à s’imposer des sacrifices, on ne trouve pas aisément un coin de terre à acheter dans le proche voisinage de l’étole et on ne se soucie point de trop s’éloigner pour en avoir un. Mais prenons patience ; les difficultés s’aplaniront sans doute avec le temps. Les municipalités y sont trop intéressées, d’ailleurs, pour ne pas redoubler d’efforts et de bon vouloir. Aujourd’hui on n’admet plus d’école communale sans jardin, et l’on a raison.

Si nous avions le choix entre une terre excellente et une terre médiocre, il est évident que nous n’hésiterions pas. Peut-être, cependant, serait-il préférable dans le cas particulier d’exercer l’instituteur sur une terre de petite qualité. Il aurait la satisfaction de l’améliorer et le public pourrait constater les améliorations. Pour ce qui est de l’étendue de ce jardin, nous ne nous y arrêterons guère. Nous nous contenterions de 2 à 300 mètres. Pour un homme qui n’est pas cultivateur de profession, qui n’a que de courts loisirs, c’est bien assez de cette étendue ; peut-être trouvera-t-il qu’en terre forte c’est déjà trop. Il ne nous en coûterait rien de lui donner satisfaction là-dessus. L’essentiel, à nos yeux, est que le travail ne surmène pas le travailleur et qu’il soit exécuté d’une façon irréprochable. Si peu que l’on voudra, mais le mieux qu’on pourra. Il ne s’agit point ici d’en mener large, afin de gagner de bonnes journées ; il s’agit de montrer aux enfants de beaux spécimens de culture et de leur donner entre deux coups de bêche ou deux coups de serpette des explications sur diverses choses. La curiosité est de leur âge ; ils sont questionneurs jusqu’à l’indiscrétion, et le temps qu’on dépense à leur répondre n’est pas le plus mal dépensé.

La clôture du jardin ne nous regarde pas ; c’est une affaire toute communale, et laissât-elle à désirer, l’instituteur est bien forcé de s’en arranger. Il est clair que si nous avions voix au chapitre, nous la demanderions en briques ou en pierres avec chaperons, afin de mettre des arbres en espalier. Les palissades ne durent guère, coûtent beaucoup et ne servent à rien ; les haies vives prennent trop de place et logent trop d’insectes et autres petits animaux nuisibles.

Les communes rurales qui annexent à la maison d’école un terrain clos, devraient, à notre avis, s’imposer les frais de drainage de ce terrain. Ce drainage n’est pas seulement utile, en ce qu’il débarrasse le sol d’un excès d’eau qui peut s’y trouver, il est utile encore en ce qu’il favorise la circulation et le renouvellement de l’air. C’est donc une opération d’assainissement et d’aération qui donne presque partout de bons résultats. Mais comme on ne se soucie guère de mettre en mouvement des draineurs de profession pour ouvrir des rigoles et poser des tuyaux dans un jardin de peu d’importance, nous serions probablement mieux écouté, si nous donnions le conseil d’ouvrir des allées à une certaine profondeur et de les remplir de cailloux ou de pierraille avec une couche de fin gravier et de sable par-dessus.

Nous n’osons guère parler de la largeur de ces allées, car elle reste subordonnée à la superficie du jardin. Avec un jardin d’une étendue respectable, deux hommes marchant aisément de front sans se toucher indiquent la largeur suffisante. Mais avec un jardin de petites dimensions, il convient d’y regarder de près et de prendre moins ses aises. C’est à l’instituteur de réfléchir et d’arrêter ses dispositions comme il l’entendra.

Nous l'engageons seulement, quand c’est possible, à diviser son jardin en quatre carrés égaux au moyen de deux allées croisées à angle droit et d’une allée de pourtour, qui longera la haie, ou bien, s’il y a palissade ou mur de clôture, qui réservera un mètre de terrain entre elle et la palissade ou le mur. Si l’on ne ménage pas d’espace cultivable entre une allée de pourtour et une haie, c’est que les escargots, les limaçons et la vermine réfugiée dans la haie ravageraient les plantes. Le voisinage d’un mur ou d’une palissade n’a pas cet inconvénient.

Les quatre carrés du jardin destinés à la culture des légumes, seront encadrés par des plates-bandes d’un mètre environ de largeur limitées extérieurement par les allées principales et intérieurement par le sentier de pourtour des planches à légumes. Les plates-bandes de l’encadrement recevront des arbres fruitiers soumis à la taille et des fleurs de distance en distance. Les plates-bandes qui toucheront aux palissades ou aux murs recevront des arbres en éventail, des légumes et aussi des fleurs.

Les plates-bandes, c’est-à-dire les bandes de terrain qui entourent les planches de légumes comprennent une bordure et une contre-bordure. La bordure est la partie qui touche à l’allée ; la contre-bordure est la partie parallèle qui touche au sentier. Ce sont là des expressions dont il faut se souvenir, parce qu’on s’en sert fréquemment dans le jardinage. Exemple : vous planterez des fraisiers ou de l’oseille en bordure ; vous planterez de l’ail, de l’échalote, de la ciboule en contre-bordure.

Avons-nous besoin d’ajouter que l’eau est indispensable à la prospérité des plantes et que la meilleure après celle de pluie est l’eau de rivière. Nous la souhaitons nécessairement le plus près possible du jardin de l’instituteur ; mais les souhaits ne mènent à rien et, à défaut de la rivière, on devra demander au puits ou à quelque autre source l’eau nécessaire au jardin. Dans ce cas, on aura soin d’en faire provision d’avance, d’en remplir un bassin ou une grande futaille et de la laisser prendre la température de l’air avant de s’en servir.