Le grand sépulcre blanc/Les Esquimaux (suite)

Éditions Édouard Garand (p. 45-49).

CHAPITRE XIII

LES ESQUIMAUX suite


Rien n’est plus difficile à des hommes que de bien voir des hommes… Nous connaissons des objets, des choses, des faits ; nous ne connaissons jamais nos semblables. — La Pensée.

Edouard Rod.


Tous les jours Théodore se rendait à son observatoire. Les observations magnétiques l’intéressaient plus que tout autre travail. Il lui arrivait quelquefois de manquer quelques jours de suite ses visites à la case de Nassau. Il vivait alors dans une expectative anxieuse, car, lorsque ses absences se prolongeaient, Pacca, avec sa franchise et sa liberté natives se rendait à son observatoire. Elle s’installait sur un bloc de glace formant siège, tranquille, ne disant mot, mais suivant d’un œil intéressé tous ses mouvements, ajustant niveaux et compas, lisant les vernieres et inscrivant ses lectures sur un calepin. Son âme ardente et fière perçait dans le noir de ses yeux. À la dérobée, il lui jetait un coup d’œil et tout son être en recevait un choc. Maintes fois il dut recommencer un travail exigeant toute l’attention possible. Il ne s’en plaignait pas, car la présence de Pacca était pour lui un rayon de soleil dans la nuit arctique. Dans la demi-obscurité du jour, sa silhouette se détachait nettement sur les blocs de glace formant les murs de sa hutte, et il la comparait à un camée serti sur une porcelaine lactescente. Sa venue était un reproche muet à sa négligence. Sentant l’emprise que cette jeune fille prenait sur lui, qu’il n’était plus le maître de son cœur, il voulait réagir, mais sans succès. Il désirait posséder cet être dont l’apparition première l’avait bouleversé. Il se débattait dans un cercle vicieux. Il ne pouvait songer à habiter toujours ce pays et encore moins à éloigner cette jeune fille de son milieu en la ramenant avec lui à Québec. Pourtant, il la voulait sienne. Des tentations de civilisé l’assaillirent, mais il les repoussa, comme indignes de lui et de celle qui, rencontrée sous un autre ciel, fût devenue sa femme. Il ne voulait pas non plus que la confiance enfantine qu’elle reposait en lui fût abolie. Son âme jouissait de ces tiraillements contraires, mais bientôt la sérénité illuminait son front. Son travail terminé, il la reconduisait chez son père, s’entretenant doucement avec elle. Elle voulait surtout connaître la vie, les habitudes et les amusements des femmes blanches. De la civilisation, il ne lui montrait que le beau côté ne voulant pas souiller son intelligence d’un exposé des vices des Blancs.

Après chacune de ces absences, les visites recommençaient et les conversations ayant trait aux pays du Nord reprenaient. Un jour, il s’en fut avec Nassau, visiter ses trappes à renard. Ayant traversé la baie « Arctic », ils suivirent une étroite vallée, les conduisant cinq milles à l’intérieur où ils débouchèrent sur une plaine recouverte de six pouces de neige durcie. Quelques caribous hivernaient dans l’intérieur, car l’on constata que de leurs pieds d’avant ils avaient gratté la neige pour se nourrir des lichens qu’elle recouvrait. Pacca avait désiré les accompagner, mais son père lui avait dit : « Inutile, mon enfant, nous ne serons absents que la journée. Si nous partions pour trois ou quatre jours tu viendrais sûrement pour t’occuper de la lampe et veiller à l’entretien de nos habits. »

Théodore n’osa insister, quoique Pacca lui eût lancé un long regard de regrets de ne pouvoir se joindre à eux. Il vit au cours de cette randonnée l’habilité avec laquelle ces pièges dont Nassau lui avait fait la description, étaient construits. Ils n’avaient pas été visités depuis une semaine et l’on y releva quatre renards blancs, dont trois étaient morts de froid dû à leur inaction forcée. De retour à l’iglou le soir, l’on continua la conversation sur la vie des Esquimaux : « Vous avez été témoin, l’automne dernier lui dit Nassau, de notre abandon du toupie pour l’iglou. Ce printemps, vous verrez le contraire, dès les premiers jours de juin. C’est un temps de misères pour les femmes. La chaleur du soleil fait crouler le toit des cabanes, et pour les tenir comparativement sèches, il faut tous les jours remplacer quelques blocs de neige par de nouveaux. Ces derniers, étant poreux, absorbent l’eau deux ou trois jours avant de dégoutter à leur tour, ce qui arrive lorsqu’une couche de glace s’est formée sur leurs surfaces par des gels et des dégels répétés. La terre n’étant pas encore assez nue pour y planter sa tente, c’est une lutte entre l’eau et la chaleur, jusqu’à ce que la voûte de l’iglou commence à s’enfoncer lentement. Alors, il n’y a plus de lutte possible et l’on déménage. Pendant ce temps, les hommes sont très occupés à la chasse aux phoques dont les peaux sont nécessaires pour réparer les tentes d’été et couvrir kayaks et oumiaks. Les chasseurs apportent les peaux aux femmes qui les tannent. Le toupie, ou habitation d’été est à dos d’âne ; l’arête, de six à dix pieds de longueur, est supporté à l’avant par deux bâtons croisés. L’arrière repose sur un treillis semi-circulaire. La hauteur totale au faîte est de six à sept pieds, et les plus grands peuvent avoir douze pieds par neuf. »

Un soir, au cours d’une causerie, l’ingénieur dit à son hôte : « Vous m’avez donné maintes informations sur la vie routinière de votre peuple, mais il y a un sujet que je n’ai pas encore touché. Il est un peu délicat, car il a trait aux mœurs intimes de vos gens. Mais, vu que vous avez demeuré plusieurs années dans un village chrétien, je sais que vous êtes au-dessus des superstitions et des croyances païennes, vous et les vôtres. Ainsi, quelle est la moralité des Inuits (Esquimaux) ?

« Nos gens, non christianisés, reprit Nassau, ont certaines coutumes qui répugnent aux Blancs et sur certaines d’elles je glisserai très légèrement, car je me demande, si le contact avec les traiteurs blancs n’est pas pour beaucoup dans ces manières libertines. Règle générale, l’Esquimau est strictement honnête. Le voleur, s’il s’en découvre un, est méprisé par tous ses concitoyens, et, un jour, il disparaît pour ne plus revenir. En notre pays, où la vie commune dépend de l’honnêteté et tous ses membres, la justice doit être expéditive. »

« Le mensonge n’est pas considéré comme une faute grave mais plutôt comme un excès de politesse. L’Esquimau répond à son interlocuteur d’une façon qu’il croit lui être agréable, et il arrive souventes fois alors que sa réponse soit loin de la vérité. Au point de vue des règles morales sexuelles, il n’occupe certainement pas un rang très élevé. Les liens du mariage sont très lâches et le divorce des plus faciles. La rupture a lieu quelquefois pour les motifs les plus insignifiants. Les principaux sont l’absence d’enfants mâles et l’incompatibilité de caractère. La polygamie est permise mais ne se pratique guère, car un homme a assez d’une femme à nourrir. »

« La jalousie chez l’homme est un raffinement auquel il ne voit goutte et qu’il ne peut comprendre, car il éprouve plutôt une certaine fierté que les charmes de sa femme soient appréciés par d’autres que lui. Lorsqu’un visiteur arrive dans un village, le principal de la tribu lui offre toujours de s’y reposer le premier soir, dans sa hutte. Un refus serait très blessant pour l’hôte, et l’impolitesse commise ne se répare pas. Cette apparente intimité peut rester dans les bornes de la décence, quoique les apparences puissent être toutes autres, car nos femmes sont modestes. »

« J’ai fait, cette expérience, repartit Théodore, lors de mon arrivée à Agou, l’automne dernier. Sigailto, chez qui je m’étais retiré, m’a fait cette politesse à laquelle j’ai dû me plier pour ne pas froisser mes hôtes. Comme vous n’ignorez pas que sa femme est bancale, très vieille, très laide, édentée, et qu’elle a un œil dégoulinant sur sa joue hâve, j’ai pu reposer sur la même couche qu’elle sans inconvenances. Ma tentation eût été de m’en éloigner et de rabrouer son mari de son excès de politesse, car sa douce moitié était en plus parfumée à l’huile rance. En me pliant à ce caprice de mon hôte, j’ai satisfait aux règles d’une étiquette qui, en certaines circonstances, pourraient avoir ses charmes. Cet acte réellement méritoire m’a valu l’estime du vieux Sigailto et de tous les siens.

Racontant ce fait Théodore jetait un coup d’œil à la dérobée vers Pacca, mais elle refusait absolument de lever son regard. Quant à la grand’mère, elle riait aux éclats de la bonne farce arrivée au Cablouna, que dans son for intérieur elle chérissait bien pour toutes les friandises qu’il lui apportait, mais qu’au fond elle considérait comme un intrus dans leur cercle familial.

« Est-ce vrai, Nassau, lui demanda son interlocuteur, que les Esquimaux pratiquent l’échange des femmes ? J’ai eu occasion d’entendre ce fait raconté, mais depuis que je suis ici, et je viens presque tous les jours à votre village, je vois toujours les mêmes couples ensembles ? »

« Malheureusement, répondit-il, cette coutume païenne existe encore. Elle n’a lieu qu’une fois l’an, au printemps, après certaines fêtes religieuses présidées par le sorcier. Il y a deux points à considérer dans cette coutume, satisfaire aux manquements de certains tabous dans le courant de l’année, et s’assurer de la survivance de la race. »

« Comment cela ? »

« Nos enfants s’unissent jeunes. La population de chaque village est très restreinte, de cinquante à deux cents âmes. Nous sommes tous consanguins rapprochés et il s’ensuit que les familles sont très peu nombreuses, quatre enfants étant l’exception. Les femmes stériles sont communes et pour remédier au mal, l’on se sert d’un plus grand mal. Cet échange est encore plus apprécié si les visiteurs sont des étrangers non apparentés à leurs hôtes. Il dure trois semaines. Les femmes sont bien traitées par leurs maris et l’entraide est mutuel. Tous aiment beaucoup leurs enfants. Les châtiments corporels sont inconnus parmi nous, et un enfant adopté ou acheté est traité comme les enfants issus du mariage. »

« Nos vieillards sont respectés et bien soignés. S’ils n’ont pas d’enfants, la communauté s’en occupe. En cas de famine, ils se laisseront volontairement mourir de faim pour sauver les enfants et les adultes vigoureux. Quand la mort a accompli son œuvre, le corps est tiré sur terre à un endroit convenable et recouvert de cailloux pour le protéger des animaux carnassiers. On place près de son cadavre les outils essentiels à sa subsistance. Le corps est sorti de l’iglou par un trou pratiqué dans le mur et non par la porte. L’iglou est alors abandonné et un autre est construit par les survivants. Les païens croient à la survivance de l’âme, mais d’une manière vague. Après la mort d’un des leurs, la chasse et la pêche sont interdites quelques jours, les femmes ne sortent pas et font entendre des gémissements plaintifs et aigus. On ne secoue pas les lits et on ne doit pas couper de neige à faire fondre. Les hommes ne travaillent ni fer, ni bois, ni ivoire, ni pierre. Les effets ayant appartenu au mort ne sont pas portés par les survivants et ils sont abandonnés. Les femmes ne doivent ni sécher leurs souliers, ni se peigner, ni se laver. »

« Ce dernier précepte doit être assez facile à observer, car sous ce rapport vos congénères ne font pas d’abus, » reprit Théodore.

Nassau fut froissé de cette remarque. « Ne croyez pas que ce soit par plaisir ou insouciance que nous soyons malpropres, dit-il. N’oubliez pas que pendant huit mois tout est gelé. L’eau de la mer n’est pas propice aux ablutions. L’exiguïté de nos ustensiles de pierre ne contient que la quantité d’eau requise pour nous désaltérer et encore ne faut-il pas oublier d’y mettre sans cesse de la neige. Vu le peu de chaleur produite par nos lampes, celle-ci fond très lentement. Mais, à propos, l’automne dernier, vous avez été deux mois absent du bateau, combien de fois vous êtes-vous lavé ? »

« Pas une seule fois, dut-il répondre, car tel était bien le cas. Il avait oublié cet incident. Il ne s’était pas lavé, parce qu’il y avait impossibilité de ce faire. J’ai essayé quelquefois de me débarbouiller avec de la neige, mais elle était tellement rude que j’ai dû y renoncer. Il me semblait que je faisais usage d’une râpe. »

« De plus, répliqua Nassau, la longueur de temps que prend la décomposition de toute matière animale, fait de la propreté personnelle une question de sentiment. Dieu y a pourvu par la salubrité du climat.

Ce que vous m’avez raconté de votre réception à Agou, vous prouve, n’est-ce pas, que les Inuits sont très bons et très hospitaliers. Ils sont aussi très lents à la colère et je ne crois pas me tromper en vous disant que vous autres, les Blancs, paf ! vous perdez tout contrôle et vous vous emportez au moindre incident désagréable. Et, s’ils sont fiers et indépendants, ils ont de la reconnaissance pour les faveurs reçues. Mon peuple est un bon peuple ! »

« Causez moi donc, maintenant, de leurs croyances et superstitions, tenant lieu de religion ? » demanda le jeune ingénieur.

« Il est assez difficile à un non-initié de saisir toutes les nuances de leurs pensées à ce sujet, car l’idée de la vie future est assez vague pour les païens, n’ayant que des traditions orales pour se guider. Tous croient à une déesse suprême qu’ils appellent Sedna. Les Esquimaux, loin au sud, lui donnent un autre nom, Nuliacoque, je crois, mais toutes deux ont la même origine. Les vieilles gens nous racontent que Sedna était une jeune fille timide qui ne voulut épouser aucun des jeunes gens qui la demandèrent en mariage. Elle était courtisée par un goéland ayant pris la forme humaine. Il lui disait habiter une île superbe, où la nourriture était abondante et où il avait construit un palais aux lianes d’un rocher. Elle se laissa conter fleurette, si bien que son cœur et ses sens s’émurent, et elle consentit à devenir sa femme, l’accompagnant sur son île. S’y étant rendue, elle constata avec désespoir qu’elle avait été cruellement trompée. La magnifique maison qu’il lui avait décrite était un nid grossier perché sur de hauts rochers, n’offrant aucun abri contre les intempéries. Quant aux repas gargantuesques dont il l’avait entretenue, ils se composaient de poisson pourri. Regrettant son escapade, elle pleurait et gémissait, en butte aux tracasseries des autres goélands qui la harcelaient sans cesse. Un jour, elle parvint à envoyer un mot à son père le priant de venir à son secours. Ce dernier, qui aimait et regrettait sa fille, se rendit à sa prière, et vint, l’enlever un jour que son mari était absent. Lorsque celui-ci découvrit l’enlèvement, il souleva une grande tempête. Les flots en furie menaçaient d’engloutir la frêle embarcation sur laquelle elle et son père s’étaient enfuis. Pour sauver sa vie, il jeta sa fille par-dessus bord. Comme elle se retenait au bordage de l’embarcation, il lui coupa les doigts un à un pour lui faire lâcher prise, ceux-ci se changeant en baleine, morse, phoque et autres animaux aquatiques. Son père lui creva ensuite un œil. Elle s’enfonça dans l’eau, entrant ainsi au ciel sous-marin dont elle devint la reine, vivant dans une maison de pierre, gardée par un chien, que quelques-uns disent être son mari. Son père se noya plus tard et s’en fut la trouver. Son emploi consiste à torturer les âmes des méchants. Les âmes des animaux aquatiques vont la rejoindre trois jours après leur mort, lorsque leur vigile auprès de leurs corps matériels est terminée. Voilà pourquoi nos gens ont tant de respect pour les corps de ces animaux et observent une foule de « tabous » à leur égard. Les Esquimaux ont aussi une déesse des animaux terrestres, appelée Pukamma, mais tous s’entendent à placer le ciel au fond des mers où le gibier est abondant, et où leurs âmes habiteront des palais de pierre dans une joie et des délices éternels. Il y a, d’après eux, trois degrés de ciel, correspondant plus ou moins à l’idée du purgatoire, de l’enfer, et du paradis. »

« Nassau, reprit Théodore après cette narration, en quoi consistent au juste les « tabous » ?

« Ils consistent surtout, lui répondit celui-ci, dans le mode employé pour tuer les animaux, et l’époque la défense de manger telle ou telle viande est en vigueur. Il y a aussi des règles à observer pour le travail des différentes saisons. Quand les « tabous » ont été violés, le coupable doit en faire une confession publique en présence d’un sorcier. Ce dernier s’hypnotise, entre en transe et communique avec son esprit inspirateur, qui fait part de la confession à Sedna, ce qui absout le pêcheur de sa faute. »

« Le crime le plus hideux pour une femme est de cacher une fausse-couche. Enceinte, elle ne doit pas manger certaines viandes. Après l’accouchement, elle est considérée comme impure pour deux mois, et elle ne doit pas visiter les autres membres de la communauté. Il y a aussi des coutumes à observer à la mort des parents. Une description exacte de tous ces règlements conduirait très loin, car ils sont très minutieux dans les plus petits détails. »

« Quel est au juste l’état civil de « l’Anguécouk » dans les tribus esquimaudes ? lui demanda Théodore.

« L’« Anguécouk » reprit Nassau, possède des pouvoirs surnaturels. Il est le médium entre Sedna et ses adorateurs. Il guérit, jette des sorts, et prédit l’avenir. Il opère avec l’aide d’un esprit familier, appelé « tonwak ». Cet esprit est toujours l’âme d’un animal, le plus souvent celle du morse ou de l’ours polaire. Le sorcier est craint, et quelquefois méprisé de la collectivité. Ses incantations produisent un certain malaise moral et physique. Tombant dans un état cataleptique, les yeux désorbités, la figure contrefaite, la voix absolument changée, il prédit l’avenir ou menace la tribu des foudres du ciel. À son réveil, couvert de sueurs, hébété, faible comme un enfant, il doit se coucher quelques heures avant de reprendre ses forces. »

« Y a-t-il une préparation quelconque pour qui veut étudier la sorcellerie ? »

« Certainement. Pour devenir sorcier, il faut être instruit et initié aux mystères secrets par un autre sorcier. La profession est même ouverte aux femmes, mais bien peu d’elles en font partie. Le novice se prépare à la venue de son « tonwak » par des incantations et un jeûne sévère. Toute séance est accompagnée d’un chant monotone, rythmé par le battement d’un tambour. Celle-ci peut durer d’une à trois heures. »

Pour terminer ce chapitre déjà long, il sera fait une courte mention des vêtements portés par les Esquimaux et des jeux auxquels ils participent.

Les vêtements d’été et d’hiver sont faits de peaux. Pour l’hiver, la peau de caribou est employée. Le costume des deux sexes se compose de deux capots, de culottes, de bas et de souliers. Ils portent deux costumes, celui de dessous, le poil en dedans, et celui de dessus, le poil en dehors. Le capot d’homme descend en bas des hanches. Il n’a pas d’ouverture, de sorte qu’il se passe par dessus la tête. Y attaché se trouve le capuchon formant coiffure. Cet habit, il s’appelle le « coulétang » et les femmes y déploient leurs talents en y cousant des lisières de couleurs différentes, et une frange au bas. Les culottes sont larges, n’ont pas d’ouvertures, descendent au genou, et sont retenues à la ceinture par une corde en babiche. Les bottes, qui s’useraient très vite à la marche sont protégées par un mocassin de peau de phoque.

Le costume des femmes consiste en vêtements analogues à ceux des hommes, mais d’une coupe différente. Le « coulétang » est plus ample, le capuchon plus grand et plus profond, car la mère y porte son enfant jusqu’à l’âge de deux ans. Ces coulétangs portent en avant un tablier descendant jusqu’aux genoux et une queue plus longue en arrière. Les Esquimaux voyageant en hiver enlèvent vêtements extérieurs et sous-vêtements lorsqu’ils se couchent. Ceux-ci sont placés sur l’iglou afin que le froid y enlève toute humidité, vu qu’il n’y a aucun autre moyen de sécher les effets mouillés. S’habiller le matin, lorsque le thermomètre enregistre de 40 à 50 degrés sous zéro n’est pas un très agréable passe-temps.

En été, hommes et femmes ne portent qu’un seul complet, plus léger que ceux portés l’hiver, et fait de peau de phoque. Les bottes sont alors imperméables et semelées de peau de morse très épaisse pour protéger le pied en marchant sur les cailloux de la grève. Les deux sexes portent les cheveux longs, les hommes les laissent flotter sur le dos, les femmes les relèvent en tresses. Les hommes portent la barbe en tant que celle-ci veut bien croître. Ils ne s’épilent pas.

Les Esquimaux croient au proverbe : « Mens sana in corpore sano », car lorsque leur temps n’est pas pris par la chasse ou le travail, ils ont quantité d’amusements pour s’égayer. Ils aiment à badiner, sont moqueurs et saisissent vite une pointe. Le football est l’amusement populaire, hommes, femmes et enfants y jouent. Le ballon est fait de poils de caribou. Parmi les amusements intérieurs il y a quantité de jeux d’adresse exécutés avec des ficelles. Une étude illustrée très intéressante par Monsieur Jenness a été publiée au cours de l’année par le ministère de la Marine à Ottawa. Ils ont un jeu d’osselet dont les jetons sont en ivoire sculpté, représentant des animaux et des oiseaux aquatiques, mais ils n’ont pas de jeux de hasard.

Les fillettes, comme celles des pays civilisés, s’amusent partout à jouer à la maman.

Les fêtes chantantes sont des concours entre virtuoses des différentes tribus. Pour l’ouverture de ce grand opéra, un vieillard se place au centre de l’espace laissé libre par les spectateurs. Il prélude par un entrechat tout à fait gracieux, sautillant légèrement. Sa femme entonne alors le chant, les autres femmes de la bande l’accompagnant, en chœur. L’air est limité à trois notes à peu près, en clef mineur. Le refrain invariable après chaque portée, répété deux fois est « Ai-Yia-Yaé-y-ai-y-ai-y-aé ». Le chant appartient à l’homme et est de sa composition, sur une mesure s’adaptant à l’air chanté. Les sentiments ainsi exprimés sont ceux de l’amour. Les chasses, les saisons et certains états d’âme intimes sont quelquefois rendus d’une manière très poétique et tout à fait originale.

Dès qu’un artiste est fatigué, il est remplacé par un autre et le tournoi se continue ainsi des heures durant.


Note de l’auteur. — Pour la rédaction de ces deux chapitres, outre ses nombreuses notes personnelles, l’auteur a aussi eu recours aux différents rapports des expéditions arctiques 1903-1904, 1908-1909 publiés par le Ministère de la Marine. Toutes ces observations ont été contrôlées par l’auteur qui vécut plusieurs mois, seul, avec les Esquimaux, se pliant à leurs coutumes, usages et mœurs.