Le grand dictionnaire historique/éd. de 1759/Préface de l'édition de MDCCXVIII


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Sommaire

PRÉFACE

DE L’ÉDITION DE MDCCXVIII.


L’Art de disposer les faits historiques suivant l’ordre alphabétique, est le moyen le plus commode pour faciliter aux hommes la connoissance de l’Histoire. Toute autre méthode est sujette à des recherches difficiles & ennuyeuses. Si l’on suit l’ordre chronologique, il sera nécessaire, quand on voudra être éclairci de quelque fait, ou de la vie de quelque homme illustre, de savoir auparavant le temps dans lequel ce fait est arrivé, & le siécle dans lequel cet homme a vécu. On n’a pas toujours ces époques présentes & c’est souvent ce qu’on cherche. Il en est de même dans la Géographie. Voulez-vous savoir en quel pays une ville. est située ? Il vous faudra parcourir tout le monde, si vous n’avez un Dictionnaire, où vous puissiez trouver son nom sans peine, & qui vous indique en même temps la situation de cette ville, & les circonstances les plus remarquables pour vous la faire connoître.

Cependant, cet art si commode & si utile a été long-tems ignoré, non seulement pour ce qui regarde l’Histoire, mais aussi pour la Grammaire. Ce sont les Grammairiens qui l’ont mis les premiers en usage, pour chercher les mots. Phrynicus & Julius Pollux, qui vivoient sous l’empire de Commode, s’en sont servis, & après eux Hésychius d’Alexandrie, Erotien & Harpocration. Etienne de Byzance qui vivoit avant l’empire de Justinien, employa cette méthode pour donner une Géographie des peuples & des villes, qui fut abrégée sous le regne de Justinien par Hermolaüs. Suidas, qui vivoit long-temps après, sous le regne d’Alexis Comnéne, dans l’onziéme siécle, ayant entrepris de faire une compilation de plusieurs dictionnaires dont il a nommé les auteurs à la tête de son ouvrage, ajouta aux interprétations des mots, la vie des savans & des princes, & divers points d’Histoire : ensorte que l’on peut regarder son ouvrage comme le premier Dictionnaire historique, mais fort imparfait. Son exemple a été long-temps sans être suivi ; & ce n’est que dans le siécle passé que l’on a fait revivre cette méthode, de rapporter l’histoire, les vies des empereurs, des rois, des, auteurs, des hommes illustres, les faits remarquables, la fable, les peuples & les villes, dans l’ordre alphabétique. C’est ce qu’entreprit le premier Charles Etienne, dans son Dictionnaire latin historique, géographique & poëtique, sur les mémoires de Robert Etienne, imprimé pour la premiere fois l’an 1566, & depuis en 1621 & en 1638. Ce Dictionnaire, tout imparfait qu’il est, n’a pas laissé d’être d’un grand usage. L’an 1670, Nicolas Lloyd, Anglois, l’augmenta, le perfectiona, & le fit imprimer à Oxford. On peut dire que cet Ouvrage est le premier des Dictionnaires historiques qui soit parvenu à quelque degré de perfection ; car celui de Juigné, qui avoit été imprimé à Paris dès l’an 1664, & dont il se fit huit éditions jusqu’en 1672, n’est presque qu’une traduction françoise de celui de Charles Etienne. Le Dictionnaire de Lloyd, auquel il avoit travaillé près de trente ans avec soin, fut bien reçu du Public, qui devoit avoir obligation à un homme d’avoir consacré la plus grande partie de sa vie à ramasser des faits historiques pour les exposer dans une méthode facile à tous ceux qui vouloient s’en instruire. Ce fut sur le plan de Lloyd, que M. Moréri travailla à son Dictionnaire historique, dont il donna la premiere édition à Lyon en un volume in-fol. l’an 1674. Quelque temps après, Moréri entreprit une seconde édition beaucoup plus ample, qui fut commencée à Lyon l’an 1681. Mais il mourut avant qu’elle fut achevée. Moréri ayant été précepteur des enfans de M. de Pomponne, ministre & secrétaire d’état, le sieur Parayre, premier commis de ce ministre, prit soin de faire achever l’impression du second volume, qui n’est pas à beaucoup près si rempli que le premier, & il dédia ces deux volumes au roi, en son nom.

Comme les Dictionnaires ne sont jamais parfaits, & qu’il est presque impossible qu’on n’y omette beaucoup de choses, on fit travailler à un Supplément, qui composa un troisiéme Volume, imprimé à Paris, l’an 1689. Il se fit aussitôt en Hollande plusieurs éditions du Dictionnaire historique, dans lesquelles on inséra le Supplément, en mettant chaque article à son rang, avec beaucoup d’additions, dans les éditions de 1696, 1698 & 1702, en quatre volumes in-fol. Le sieur Bayle, recommandable dans la république des lettres, par son érudition, & par sa maniere agréable d’écrire, entreprit de son côté un Dictionnaire, pour servir de Supplément & de correction à celui de Moréri. La premiere édition de ce Dictionnaire est de l’an 1697, & la seconde plus ample, de 1702. Jean-Jacques Hofman, professeur à Basle, donna vers l’an 1680, un Lexicon universel, auquel il fit depuis des additions, & qui a été imprimé en Hollande l’an 1698 : édition dans laquelle on a fondu les Dictionnaires historiques & le Glossaire de Ducange. Cependant on fit travailler à Paris à une nouvelle édition du Dictionnaire de Moréri, qui fut achevée l’an 1699. Voici de quelle maniere l’auteur de cette édition s’explique dans sa Préface.

« Il y a peu de livres dans la république des lettres dont l’utilité s’étende plus loin que celle d’un Dictionnaire historique. Tout le monde en est convaincu par sa propre expérience, car quel plus grand secours pour ceux, qui, sans avoir la force d’essuyer les fatigues inséparables de l’étude, ne peuvent néanmoins se résoudre à tout ignorer ? Cherchent-ils à s’instruire d’un point d’Histoire ? l’ordre alphabétique le présente d’abord à la vue, & leur en dévelope les circonstances avec assez de netteté, pour leur donner lieu de s’en faire honneur dans les conversations, unique & foible avantage où se bornent la plupart d’entr’eux. Quoique les savans, beaucoup moins faciles à satisfaire, poussent ordinairement plus loin leurs recherches, ils ne trouveront pas moins leur compte dans l’usage de ce Dictionnaire. Ont-ils à se plaindre d’un défaut de mémoire ? un nom propre, une époque, un fait leur est-il échapé ? c’est-là qu’ils sont surs de le retrouver. Veulent-ils creuser & même épuiser une matiere ? les citations leur en facilitent les moyens, en leur apprenant quels auteurs ils doivent prendre pour guides. C’est envain qu’ils voudroient se flater ; quelque habiles qu’ils soient, ils ne peuvent tout savoir par eux-mêmes, & la vie n’est pas assez longue pour leur permettre d’embrasser tant de notions différentes. L’art seul étoit capable de suppléer à leur foiblesse, dans un ouvrage tel que celui-ci, où l’on a prétendu rassembler les connoissances de tous les siécles & de toutes les nations. Fable, histoire, & ce qui en dépend nécessairement ; religions, cérémonies, gouvernemens, mœurs, coutumes, événemens de paix & de guerre, généalogies, monumens de peinture, de sculpture, d’architecture, critique, productions d’esprit, tout est du ressort d’un Dictionnaire historique. Pour porter une si grande diversité de matieres à leur derniere perfection, il ne faudroit pas moins qu’un génie universel & infatigable, mais où le rencontrer ? De si grands efforts sont infiniment au-dessus des forces d’un seul homme. »

C’est ainsi que cet Éditeur s’étoit expliqué dans la préface qu’il mit à la tête de l’édition qui parut l’an 1699. « Dans la suite, chargé, dit-il, du soin d’une seconde révision & considérant le Dictionnaire historique, comme un vaste bâtiment, composé de plusieurs parties inégales & bizarement assemblées, il commença par former un plan sur lequel il pût travailler surement, & crut devoir pressentir le gout du public, en lui communiquant un projet, que voici.

Les habiles gens sont trop instruits des défauts qui se trouvent dans le Dictionnaire de Moréri, pour ne pas souhaiter qu’on s’applique sérieusement à les réformer. On a tenté plusieurs fois de le faire, soit en Hollande, soit à Paris, & toujours avec trop peu de succès, pour répondre à l’idée que les savans en avoient conçue. Il n’y aura pas lieu de s’en étonner, si l’on fait attention sur la maniere dont les quatre volumes de cet ouvrage ont été formés. Différentes personnes y ont travaillé à diverses fois, & les mémoires des uns & des autres y ont été employés indifféremment : de-là vient ce grand nombre de fautes & de contradictions, qui frapent les moins éclairés. Pour y remédier, il falloit reprendre cet ouvrage par le fonds, & garder un ordre certain dans la distribution des articles ; il falloit n’en laisser passer aucun, sans le vérifier sur les auteurs originaux, & c’est ce que l’on n’a point fait jusques ici. Ceux qui ont été chargés de revoir les éditions de Hollande, se sont contentés de corriger quelques fautes des plus sensibles. Peu soigneux d’entrer dans le détail de tous les articles, ils en ont épargné un très-grand nombre, où les bévues n’étoient pas moins fréquentes, que dans ceux qu’ils ont corrigés. A l’égard du fonds, ils ne s’en sont guères embarassés ; & ils ont cru nue ce seroit un travail trop étendu, d’y rétablir la chronologie sur un calcul uniforme, & d’y ranger les articles dans un ordre plus clair & plus précis.

L’engagement où je me suis trouvé de revoir après eux le Dictionnaire historique, dans l’Edition qui s’en est faite à Paris en 1699, m’avoit fait dresser une espece de plan, pour tâcher de rendre le corps de cet ouvrage plus régulier ; mais il me fut impossible de suivre ces idées, parceque l’impression étoit commencée lorsque je me chargeai de ce travail. Ainsi, pour éviter une trop grande inégalité, je me vis souvent contraint de m’en tenir au dessein sur lequel on avoit ébauché les premieres feuilles. D’ailleurs, j’avois trop peu de temps devant moi ; on imprimoit chaque jour deux feuilles & je m’étois imposé l’obligation de fournir à mesure les corrections & les augmentations que je jugeois les plus nécessaires : une si grande rapidité m’empêcha de profiter de mes réflexions. Aujourd’hui que la carriere m’est ouverte de plus loin, je vais rassembler quelques remarques dans ce projet, que j’abandonne à la critique : prêt à réformer mes idées, lorsqu’on m’en fera connoître le défaut, & résolu de mettre en œuvre les nouvelles découvertes qu’on voudra bien me communiquer.»

I. Je commence par la Chronologie. Pour peu que l’on ait fait de progrès dans l’Histoire on sait assez qu’à moins de l’y prendre pour guide, on est à tout moment en danger de s’égarer. Si cette science est utile dans une histoire complette dont la suite & l’enchaînement semblent marquer à peu près la date des faits qui y sont rapportés, elle est absolument nécessaire dans un ouvrage tel que celui-ci où les évenemens de plusieurs siécles, qui sont rassemblés quelquefois dans une même page, doivent du moins être distingués les uns des autres par des épooques fixes : ordre auquel Moréri & ses continuateurs se sont rarement assujetis. Quelquefois ils débitent les faits les plus irnportans, sans les accompagner d’aucune date : Presque par-tout, même dans l’histoire sacrée & dans l’histoire grecque, la plus proche des temps fabuleux, ils n’emploient point d’autre époque que celle de la fondation de Rome ; ce qui ne paroit pas moins irrégulier, que s’ils se servoient de l’hégire dans l’histoire de France. Quant aux années du monde, ils n’embrassent point de supputation uniforme. Quoiqu’ils s’attachent ordinairement à celle de Torniel & de Salian, ils ne laissent pas en d’autres ocsasions de suivre indifféremment Scaliger, le P. Petau, Riccioli, & même les chronologistes les plus opposés entr’eux, tels que sont ceux qui comptent suivant la version des Septante, & ceux qui s’en tiennent au calcul de la Vulgate. Outre que ce mélange de chronologies différentes répand une difformité visible dans tout le corps de l’ouvrage, il y jette encore une confusion qu’il est presque impossible de débrouiller. Car comme il y a peu d’histoires dont il ne soit fait mention plus d’une fois dans le Dictionnaire, par rapport aux différens noms des acteurs qui y ont eu part, souvent la même action dans ces différens articles, y est rangée sous différentes dates, parceque les extraits ont été empruntés de divers auteurs, dont chacun supputoit à sa maniere.

Pour remédier à ce désordre, j’ai jugé qu’il seroit bon de réduire l’histoire sacrée & l’histoire ancienne sous les loix d’une même chronologie, des plus approuvée : telle paroit être aujourd’hui celle d’Usserius, dont les annales ne s’étendent que jusqu’au commencement de l’empire de Vespasien. A l’égard des siécles qui ont suivi la naissance de Jésus-Christ, j’ai observé dans la distribution de leurs années l’ordre qu’a gardé M. de Tillemont dans ses ouvrages historiques ; & depuis le point où ces mémoires nous manquent, jusqu’à notre temps, c’est sur l’Abrégé chronologique du P. Labbe que j’ai cru devoir me regler. Bien plus, pour suivre la maniere de compter la plus usitée, j’ai regardé l’ére chrétienne comme le centre où doivent être rappellées les autres époques. J’ai donc employé par tout cette ére, ou plutôt l’ére que nous appellons vulgaire ; mais j’ai cru devoir lier ce calcul universel, avec celui qui convenoit le plus aux peuples & aux empires, dont j’étois obligé de rapporter quelques traits d’histoire. Sur ce plan, chaque événement de l’histoire sacrée, de l’histoire des premiers empires, & même de l’histoire grecque, jusqu’à la premiere olympiade, sera rangé sous certaine année du monde, réduite à l’ére de Jésus-Christ. Ainsi Abraham mourut l’an du monde 2183, & 1821 avant J.C. Am-Essis, sœur d’Aménophis, commença de regner en Égypte l’an du monde 2239, & avant l’ére chrétienne 1765. Acrise, roi d’Argos, succéda à son frere Boëtius vers l’an 2661 du monde, & avant l’ére chrétienne 1343. Quoique ce dernier article dépende de l’histoire grecque, je m’y sers encore des années du monde ; mais depuis l’institution des olympiades, c’est par elles seules que je compte dans l’histoire grecque, sans pourtant omettre l’ére chrétienne. Par exemple, Abydos ville d’Asie, sur le détroit du Bosphore ou de Constantinople, fut prise par Philippe, roi de Macédoine, la premiere année de la CXLV olympiade, 200 ans avant J.C. Dans l’histoire romaine, j’ai recours à l’époque de la fondation de Rome, & aux consulats. Accius, Actius ou Attius, poëte latin, naquit sous le consulat d’Hostilius Mancinus, & d’Attilius Serranus, l’an de Rome 583 & avant l’ére chrétienne 171. Depuis Jésus-Christ, je suppute simplement par les années de l’ére chrétienne. Abgar, roi des Arabes, & souverain d’Edesse, vivoit sous l’empire de Trajan, lorrque ce prince soumit l’Arménie, l’an 107 de l’ére chrétienne. Abgar, roi d’Edesse, vivoit sous l’empire d’Antonin le pieux, vers l’an de J.C. 138. Comme j’ai cru, dans un ouvrage tel que celui-ci, ne devoit pas citer la Période Julienne, qui semble n’être faite que pour les savans, je me suis aussi dispensé d’employer les éres particulieres de quelques princes & de quelques peuples, telles que celles de Nabonassar, des Seleucides, de Dioclétien, &c. Il n’en est pas de même de l’ére de Mahomet, appellée l’hégire : je m’en suis toujours servi dans l’histoire de ses sectateurs, parceque leurs historiens l’ont employée par-tout ; mais je l’ai toujours unie à l’ére chrétienne, suivant la réduction qu’en a fait Gravius. Aaron, cinquiéme calife de la maison des Abbassides, appellé par nos historiens Aaron, roi de Perse, vivoit du temps de Charlemagne, & mourut l’an de l’hégire 193, & de l’ére chrétienne 808. Voila les changemens qui m’ont paru nécessaires dans la chronologie.

II. La Géographie n’étoit guères mieux traitée. La plupart des articles qui regardent l’ancienne géographie, avoient été puisés, non dans les premieres sources, mais dans des auteurs modernes, qui souvent n’ont pas eux-mêmes consulté les originaux : ce qui paroît visiblement par les bévues dont on charge les anciens auteurs, par l’infidélité des citations, & par l’obscurité qui confond l’histoire des villes de même nom, quoique ces villes soient exactement distinguées par Strabon, & par les autres anciens. Je ne chargerai point ce projet d’un nombre d’exemples inutiles, & je me contenterai de ceux qui se présentent dès l’entrée même du Livre ; tels que sont les articles Abando, fleuve de la haute Ethiopie ; Aba, montagne de l’Arménie ; Aba ou Abée, ville de la Phocide ; & Abée, ville du Péloponnèse. Il paroit encore que l’on a trop négligé de débrouiller les noms différens que les changemens de domination ont fait prendre aux villes : erreur qui tantôt multiplie les articles inutilement, & tantôt confond ceux qui devroient être distingués. Ce n’est qu’avec une extrême exactitude qu’il est possible de réparer ces défauts ; & l’on prétendroit vainement y réussir, si l’on s’en rapportoit à la bonne foi de nos Dictionnaires géographiques. Leurs auteurs, peu scrupuleux s’embarassent rarement de nommer leurs garants, & semblent affecter de vouloir toujours être crus sur leur parole. Pour éviter de s’égarer sur leurs traces, c’est aux anciens Géographes qu’il faut avoir recours ; encore faut-il souvent se défier de leurs commentateurs.

On croiroit que la Géographie moderne est exposée à de moindres difficultés. Un grand nombre de Voyageurs ont du l’éclaircir dans ces derniers siécles ; cependant la diversité de leurs relations ne laisse pas d’embarasser extrêmement ceux qui s’attachent à les suivre. L’unique moyen de marcher surement, c’est de faire une très-grande différence entre ceux qui se sont légitimement acquis la réputation de gens éclairés & sinceres, & ceux qui semblent n’avoir écrit que pour imposer à la crédulité de leurs Lecteurs. Les compilateurs du Dictionnaire historique n’ont pas été fort exacts dans ce discernement : ce qui paroit dans l’article Aa, riviere, & dans un grand nombre d’autres, dont la discussion grossiroit trop ce projet.

III. C’est à la Distribution des Articles qu’il faut maintenant passer. Il semble d’abord qu’elle ne souffre aucune difficulté, & que les différentes matieres devroient se ranger d’elles-mêmes par l’ordre alphabétique ; mais cet ordre, tout naturel qu’il est, ne laisse pas d’être susceptible de certain choix : je m’explique. Une même ville, une même province, est appellée de plusieurs noms, qui commencent par différentes lettres de l’alphabet. Il m’a paru qu’il falloit toujours placer l’article sous le nom le plus connu, sans néanmoins supprimer les autres noms dans leur rang alphabétique, mais en les y conservant sans suite, & seulement pour les renvoyer au nom principal. J’avoue que Moréri & ses continuateurs ont connu cette méthode ; & je me suis fait un devoir de la pratiquer plus constamment qu’eux. Ils ont été plus négligens sur le choix qu’ils devoient faire entre deux ou trois noms différens, que porte une même personne chez les anciens. Souvent ils rangent un Romain suivant la lettre de son premier nom, qui lui est commun avec un million d’autres Romains ; au lieu qu’ils devoient le placer sous la premiere lettre de son nom de famille, moins général & même plus connu. Ainsi Marc-Antoine, dans la derniere édition de Hollande, tomboit sous la lettre M, devoit être employé à la lettre A, sous laquelle je l’ai rappellé dans la derniere édition de Paris : reste à faire dans cette édition grand nombre de changemens semblables. Les noms des modernes, sur-tout, se sentent de ces transpositions ; le Dictionnaire historique les distribue souvent sous leurs noms propres, Pierre, François, &c. au lieu de les faire venir par ordre de surnom, qui pourtant est celui par lequel on peut les distinguer.

IV. Quelque incommodes que soient ces transpositions, elles sont encore moins défectueuses que les changemens essentiels qui se sont glissés dans les noms propres. L’affectation d’habiller à la françoise ces noms étrangers, les a rendus presque méconnoissables dans mille & mille endroits. Non seulement les terminaisons grecques & latines y ont été quelquefois bizarement transformées, contre l’usage reçu ; mais dans le corps des mots mêmes, on a changé des lettres, qui souvent déterminoient la signification, ou caractérisoient la langue. Pourquoi, par exemple, ôter à des mots grecs l’y, qui leur est si naturel, pour lui substituer l’i, qui forme un autre sens ? Si c’est pour s’assujétir au caprice d’une orthographe moderne, & souvent vicieuse, on poura peut-être passer cette licence à ceux qui se la sont donnée, dans les mots ordinaires ; mais dans les noms appellatifs, on aura toutes les peines du monde à la souffrir, parcequ’elle les métamorphose absolument. Cependant, pour me conformer, autant que le bon sens le peut permettre, aux manieres les plus générales, quoique peut-être les moins sures, lorsque je me vois obligé de travestir les noms étrangers, je tâche au moins de les donner ensuite dans leur langue naturelle, entre deux crochets, comme on l’a judicieusement observé dans les éditions de Hollande. Je n’ai pas jugé devoir user de la même indulgence à l’égard des noms qui ont été grossierement altérés ; je me suis contenté de les conserver seuls, & sans aucun corps d’article, en la place qu’on leur a fait usurper mal à propos, pour leur donner ailleurs, avec plus d’étendue, celle qui leur appartient de droit. Ainsi je renvoie Achias petit-fils d’Hérode, à Achiab ou Aquiab ; Acholius, au mot Acolius ; Achrede au mot Achride.

V. Un autre défaut qui se rencontre dans le Dictionnaire historique, c’est que la plupart des histoires n’y sont pas toujours complettes. On se contente de rapporter quelques circonstances de la vie d’un héros, sans conduire la narration, jusqu’au dénoument qui doit la terminer. Rien n’est plus rebutant pour le lecteur, qui voit tromper à regret les justes mouvemens de sa curiosité, qu’un début éclatant avoit fait naître. La cause de cette mutilation n’est pas difficile à deviner. Lorsque les faiseurs d’extraits ont trouvé dans un auteur quelque trait d’histoire qui pouvoit être allégué, ils s’en sont accommodés, tout imparfait qu’il étoit, sans se mettre en peine, pour lui donner la derniere main, de fouiller chez d’autres historiens. Ce n’est qu’à force de travail qu’on peut suppléer à leur négligence ; & c’est une obligation que je m’imposerai toujours, sur tout dans les évenemens, dont la suite méritera le plus d’être éclaircie.

VI. Il semble que les auteurs du Dictionnaire aient trop souvent négligé l’histoire de leur siécle, pour ne moissoner que dans celle des siécles les plus reculés. Les recherches de l’antiquité sont trés-curieuses, on en convient, mais elles ne doivent pas exclure la connoissance des événemens importans qui se sont passés, ou de notre temps, ou de celui de nos peres. Un héros, pour avoir vécu de nos jours, n’en est pas moins héros ; au contraire, ses aventures nous intéressent d’autant plus, que le temps nous en approche de plus près, & nous le fait connoître plus distinctement. C’est sur ce principe que je crois devoir donner quelque soin à conserver la mémoire des grands hommes qui ont vécu presque à nos yeux, soit en France, soit ailleurs, & à marquer les dernieres révolutions des états qui nous sont les plus connus.

VII. La Fable mérite à son tour quelques réflexions. Outre que la diversité d’opinions des anciens mythologistes la rend d’elle-même assez confuse, ce n’est point d’eux que les compilateurs du Dictionnaire ont tiré leurs mémoires ; c’est de quelques modernes, la plupart de peu d’autorité. Souvent même ils en ont retenu les allégories forcées, qui donnent la torture au bon sens, & qui font languir le lecteur le plus avide. De peur de tomber dans les mêmes défauts, je n’ai conservé du sens moral des fables, que ce qui m’en paroissoit de plus naturel & de plus utile ; & j’ai préféré par-tout Homere, Hésiode, Apollodore, & les Scholiastes, à Noël le Comte, à Baudouin, & à d’autres modernes de même trempe.

VIII. On ne peut nier que les citations ne soient en quelque maniere la base & le fondement de tout un Dictionnaire. C’est par elles seules qu’un auteur se disculpe, & qu’un savant peut s’éclaircir des faits qui sont rapportés dans le corps de l’ouvrage. On ne peut donc y être exact, & ce n’est pas un petit tavail de rétablir les citations fausses, obscures, ou équivoques, qui terminent la plupart des articles. C’est alors, sur-tout, qu’il faut ne se reposer qu’à bon titre sur les ouvrages de la secnde main, & qu’il faut remonter, autant que faire se peut, aux sources originales.

IX. Ce seroit ici le lieu d’examiner s’il est à propos de faire quelque retranchement dans le Dictionnaire, pour le rendre plus parfait. Tous les savans décideront sans hésiter, qu’un semblable ouvrage ne devroit être grossi que de faits curieux ou utiles. J’en conviens avec eux ; mais ils doivent aussi m’accorder que dans la révision d’un Dictionnaire, qui est de la portée de tout le monde, on doit sur-tout éviter d’effaroucher les foibles, qui se paient plus d’apparence que de raison. Supprimez quelques bagatelles, ils ne manqueront pas d’inférer de-là que vous en avez usé de même à l’égard des choses les plus essentielles. Vous aurez beau vous récrier, & citer pour vous trois ou quatre savans du premier ordre, vos raisons ne seront point entendues, ce sera le public qui vous jugera, & vous serez condamné à la pluralité des voix. Ainsi, pour m’épargner les reproches qu’une conduite trop sévere m’attireroit infailliblement, je conserverai, même malgré mon penchant, quelques faits de peu d’importance, qui auront été insérés dans cet ouvrage par ceux qui m’ont devancé ; & je me contenterai, en réformant par-tout l’élocution, d’en retrancher quelques superfluités de mots & de phrases, qui font traîner le style, & qui le jettent dans une langueur insupportable.

X. Reste à parler ici des Généalogies, ausquelles Moréri a donné rang dans ce Dictionnaire. Le public est extrêmement partagé sur le droit qu’elles peuvent avoir d’y entrer. Quelques beaux Esprits de profession, gens accoutumés de trancher, leur donnent nettement l’exclusion, & prétendent qu’elles enflent mal-à-propos un Livre destiné pour des recherches plus solides. Les autres, beaucoup moins rigides, regardent les généalogies comme une partie essentielle d’un Dictionnaire, où l’on doit découvrir d’un seul coup d’oeil tout ce qui concerne l’histoire universelle & l’histoire particuliere. Sur ce pied, pour céder au plus grand nombre, bien loin de retrancher absolument les généalogies, je m’attacherai à les perfectioner : & si je suis réduit à en supprimer quelques-unes, je n’userai de cette rigueur que contre quelques familles obscures, que l’intérêt ou la faveur auront fait glisser entre les autres plus illustres. »

C’est sur ce projet que parut l’édition de ce Dictionnaire l’an 1704. Il y en a encore eu une depuis, qui parut en 1707, dans laquelle on a inséré plusieurs nouveaux articles.

L’édition de 1712 a été augmentée d’un volume entier. Non seulement on y a inséré plusieurs articles nouveaux, mais on y a retouché & réformé plusieurs articles anciens, & on a comme refondu le corps de l’ouvrage. L’histoire ecclésiastique, qui étoit la plus négligée dans le Dictionnaire, & cependant la plus importante, se trouve dans cette édition très-fidélement écrite. On y a réformé & étendu plusieurs articles qui la concernent. Les vies des peres & des auteurs ecclésiastiques, & les choses qui regardent leurs ouvrages y sont rapportées avec exactitude : celles des saints, dont il n’y avoit auparavant qu’un petit nombre dans le Dictionnaire, y sont insérées. La chronologie y est réformée en plusieurs endroits. On y a ajouté quantité d’articles sur l’histoire & sur la géographie ancienne & moderne ; & on y a même inséré les antiquités grecques & romaines. On y a mis des notes critiques, soit pour éclaircir les difficultés qui se rencontrent dans les faits rapportés, soit pour fixer la chronologie, soit pour indiquer ce qu’il y a de faux ou de douteux dans les articles. Les généalogies ont été revues, restituées & continuées par un homme très-habile sur cette matiere. Le style a été corrigé en plusieurs endroits. Enfin on a pris tous les soins possibles pour rendre cette édition correcte, & en retrancher les fautes, qui s’étoient glissées dans les autres éditions, soit dans les articles, soit dans les citations.

Les Dictionnaires sont semblables à ces fleuves qui reçoivent continuellement de nouvelles eaux. Celui-ci, depuis son commencement, s’est si prodigieusement accru, qu’on auroit eu lieu d’espérer qu’il n’y avoit plus rien à ajouter à l’édition précédente : cependant le Supplément imprimé en Hollande en 1716, contenant un très-grand nombre d’articles nouveaux, a donné lieu d’augmenter considérablement cette derniere édition : On a examiné & retouché avec soin ce Supplément, & on en a extrait tous les articles qui pouvoient raisonnablement entrer dans ce Dictionitaire, où ils ont été insérés dans leur ordre alphabétique.

On a encore revu, corrigé & augmenté plusieurs articles pour les rendre plus parfaits. La Bibliothéque orientale de M. d’Herbelot, & quelques Dictionnaires chronologiques & géographiques, n’y ont pas été oubliés, non plus que les généalogies des étrangers : On a eu soin de corriger exactement les fautes qui auroient pu s’être glissées dans les autres éditions. Enfin on n’a rien négligé de ce qui pouvoit rendre cette édition plus complette que les précédentes. Si quelqu’un entreprend d’y ajouter quelque chose, on lui dire avec raison, In sylvam ne ligna feras. En effet c’est ici une forêt de toute sorte d’arbres, où l’on peut cueillir des fruits de toute sorte de nature. Ce qui concerne la théologie, la philosophie, l’histoire, qui en fait le principal objet, les sciences & les arts, la vie des hommes illustres ; & une infinité d’autres matieres, s’y trouvent traitées avec exactitude & avec assez d’étendue. En un mot, c’en un livre pour les savans & pour les ignorans, dans lequel on trouve un fonds de science qui instruit les derniers, & qui met les premiers au fait des choses qu’ils savent déja. Le succès que ce Dictionnaire a eu jusqu’à présent, ne donne pas lieu de douter que cette derniere édition, beaucoup plus parfaite que les précédentes, ne soit bien reçue du Public.




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