Le grand dictionnaire historique/éd. de 1759/Abou-Joseph


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Index par tome


ABOU-JOSEPH, est le même que Jacob ben Ibrahim-ben-Habib-al-Koufi, qui fut compagnon de Giomeid, & disciple des fameux docteurs Amasch & Jahia ben Saïd-al-Ansari. Les califes Hadi & Aaron le firent grand justicier de Bagdet ; & ce fut lui qui porta le premier le titre de Cadhi-al-Codhat, c’est-à-dire, juge des juges, qui est une dignité approchante de celle de chef de justice & de chancelier en France. Ce fut aussi lui qui donna un habit particulier aux docteurs de la loi, & qui mit en vogue la doctrine & la secte d’Abou-Hanifah. Il amassa de fort grands biens en très-peu de temps ; & il les devoit plutôt à son industrie qu’à la fortune, car il étoit décisif & fertile en expédiens. Voici un exemple de ce qu’il savoit faire.

Le calife Aaron ou Haroun al-Raschid étant devenu amoureux d’une des esclaves & concubines de son frere Ibrahim, voulut l’acheter de lui à prix d’argent : il lui offrit pour cet effet trente mille dinars ou écus d’or ; mais Ibrahim avoir juré qu’il ne la vendroit ni donneroit à personne. Cependant comme le calife son frere le pressoit fort, & vouloit avoir cette esclave à quelque prix que ce fut, il consulta Abou-Joseph sur ce qu’il avoit à faire en cette occasion. Ce docteur lui dit : « Si vous voulez éviter le parjure, donnez-la à moitié, & vendez-la à moitié au calife. Ibrahim fut ravi de cet expédient, & envoya aussitôt son esclave à son frere, lequel ne laissa pas de lui envoyer la somme entiere qu’il avoit offerte : mais Ibrahim qui étoit ravi d’être sorti d’un si grand embaras, en fit présent aussitôt au cadhi. Aaron ayant en sa possession la fille qu’il avoit tant désirée, voulut coucher avec elle dès la même nuit ; mais la loi s’opposoit à ses désirs, car selon le droit des musulmans, un frere ne peut pas coucher avec la concubine de son frere, si elle n’a auparavant passé par les mains d’un autre. Abou-Joseph consulté sur cette difficulté, conseilla au calife de faire épouser cette femme à un de ses esclaves, à condition qu’il la répudieroit aussitôt, & la lui remettroit entre les mains. Ce mariage fut exécuté ; mais l’esclave devenu amoureux de sa nouvelle épouse, ne voulut point entendre parler de divorce, & voulut la retenir, nonobstant l’offre qui lui fut faite de dix-mille dinars. Ce fut alors qu’Abou-Joseph eut besoin de toutes les subtilités de sa jurisprudence, pour satisfaire en même temps à la conscience & aux désirs de son maître. Mais il sortit encore de ce mauvais pas, en lui conseillant de donner cet esclave, dont il étoit toujours le maître, à la femme qu’il avoit épousée ; car par ce moyen le lien du mariage seroit rompu, puisque, selon la loi musulmane, une femme ne peut être mariée à son propre esclave. Ceci ayant été exécuté, le divorce suivit, & la femme retourna entre les mains du calife. Ce prince fut si bon gré à son cadhi des expédiens qu’il lui avoit donnés, que les dix mille dinars qu’il avoit offerts à l’esclave lui furent aussitôt comptés : mais ce n’est pas là tout le gain que fit notre docteur dans cette consultation, car le calife ayant fait présent de cent mille dinars à cette femme, dont il étoit éperdument amoureux, celle-ci en reconnoissance des offices que le cadhi lui avoit rendus, la délivrant des mains d’un esclave, pour la faire passer en celles d’un si grand prince, lui fit présent de dix mille autres dinars, desorte que cet habile jurisconsulte gagna cinquante mille écus d’or en une seule nuit. Ce docteur ayant avoué un jour son ignorance sur une question qui lui fut proposée, on lui reprocha qu’il recevoit de fort grosses pensions du trésor royal, & que cependant il ne s’acquittoit pas de son devoir, puisqu’il ne décidoit pas les points de droit sur lesquels on le consultoit ; il répondit agréablement : Je reçois du trésor à proportion de ce que je sais ; mais si je recevois à proportion de ce que je ne sais pas, toutes les richesses du calife ne suffiroient pas pour me payer. * D’’Herbelot, biblioth. orient.


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