Imprimerie Jaunin Frères (p. 271-288).

xv


— Eh bien, mon fils, disait Käthel, quinze jours après la nuit terrible, faut-il aller chez Teppen ?

— Pourquoi donc, ma mère ?

— Dame ! Pour renouveler la demande en mariage.

— Non !

— Non ?

Et la bonne femme regardait son grand garçon.

— Je ne comprends pas ton hésitation, fit-elle.

— Je n’hésite pas le moins du monde, mère. Je ne veux pas que tu fasses cette démarche.

Et de nouveau elle le regarda.

— Explique-toi plus clairement.

— Voici : J’aime Suzanne, cela est certain ; elle m’aime, je n’en doute pas. Mais il y a autre chose que je sais aussi : c’est le refus avec lequel le père Teppen te reçut, lorsque, il y a six mois, tu te présentas chez eux pour ce motif-là. Je ne t’en ai rien dit, mère, mais j’ai bien souffert. Teppen est un orgueilleux, il faut que son orgueil soit brisé…

— Ta ! ta ! ta ! Tu déraisonnes, mon gars. Joseph Teppen est riche ; on peut lui pardonner quelques défauts. Toi-même, tu n’es pas la perfection incarnée.

Elle ne le croyait pas, au moins, ce qu’elle affirmait ainsi, relativement à son fils.

— Je le regrette, mère, avait répondu Robert. Mais, j’ai aussi mon honneur à moi. Il m’a refusé Suzanne. Qui te dit qu’il ne me la refuserait pas encore une fois ? Et puis, vois-tu, ajouta-t-il, le tuilier s’imaginerait que nous voulons conclure ce mariage hâtivement, pendant que tout sentiment de reconnaissance n’est pas tout à fait éteint en lui. Or, je ne veux pas cela.

— Quelles idées singulières tu as cependant ! murmura la mère, ne sachant pas si elle devait admirer ou plaindre son Robert.

Enfin, attendons, puisque tel est ton bon plaisir ! fit-elle encore, en se rendant dans une des chambres situées au-dessus du rez-de-chaussée où était Georgette, tandis que Robert regagnait la forge où Thomas s’essayait les bras sur une grosse barre de fer rougie.

Pendant ces deux semaines, la maison de la veuve Käthei avait été témoin de sombres douleurs. Georgette, que les frayeurs éprouvées la nuit de l’inondation avaient abattue, s’était mise au lit le soir même de leur arrivée à la forge et, deux jours après, son enfant mourait avant d’avoir vu le jour. On avait cru, un instant, que la bûcheronne ne résisterait pas à son mal ; mais sa robuste nature triompha de la maladie et des appréhensions de ses amis. Elle vécut.

Käthel disait que le bon Dieu avait été juste de faire un ange de la petite créature. Robert ne manifestait aucune opinion à ce sujet, bien qu’il fût heureux de l’issue qu’avait trouvée cette pénible situation. Quant à l’ouvrier Thomas, s’il ne disait rien, il n’en pensait pas moins à la fille de Jean Schweitzerl, et même il n’était pas trop jaloux de la mémoire d’Otto Stramm.

Suzanne aurait bien voulu rester à la forge pour soigner a malheureuse amie ; mais il y avait les mauvaises langues, puis son père lui avait brusquement déclaré que ce m’était pas la place d’une jeune fille. La veuve Käthel avait donc, à elle seule, la direction du ménage et la charge de garde-malade. Elle remplissait sa tâche sans beaucoup de fatigue, car son cœur d’excellente mère lui murmurait des espoirs riants pour d’avenir de son fils et de celle qu’il aimait.

A la tuilerie, l’inondation avait causé de sensibles ravages. Le rez-de-chaussée de la maison était sens dessus dessous, pour ainsi dire. L’eau avait entraîné au loin la batterie de cuisine. Les gros meubles avaient résisté à la force du courant, le secrétaire, entre autres, où Teppen renfermait ses papiers et sa caisse ; mais tout avait eu à souffrir du contact de l’élément liquide.

Toutefois, c’est dans le bâtiment à côté, où les ouvriers travaillaient, que les dégâts étaient le plus visibles. Tout était plus au moins perdu. Environ quinze mille tuiles, qu’on avait préparées quelques jours auparavant, étaient anéanties. La roue, les courroies et les engrenages portaient également des traces de dévastation, sans parler de la chaussée de l’étang, de l’écluse et du chenal qui devaient être remis à neuf.

On pouvait évaluer les pertes à neuf ou dix mille francs.

Ce n’était rien, puisqu’il n’y avait pas eu mort d’homme.

Aussi, huit jours après, la famille Teppen reprenait possession de sa demeure. Ils avaient, occupé, pendant ce temps, une maison qu’ils possédaient au village et qu’on avait meublée, à la hâte, tant bien que mal. Les ouvriers de même s’étaient déjà remis bravement à l’ouvrage, et les voitures, chargées de terre rouge et de glaise, arrivaient nombreuses à la tuilerie.

Joseph Teppen, absorbé par ces travaux imprévus, n’avait pas parlé du nouveau projet de mariage qu’il avait rapporté de son dernier voyage. Il semblait l’avoir oublié, perdu de vue. Cependant, quand sa fille était devant lui, avec des roses aux joues, car l’espoir était rentré dans son cœur, cette idée reparaissait dans son esprit, mais sans le préoccuper autrement.

Toutefois, comme Suzanne ne « voyait rien venir », elle retomba bientôt dans ses rêveries et ses tristesses. La mère aussitôt le remarqua et, n’y pouvant. plus tenir, elle dit à son mari :

— Vois-tu, Joseph, il nous faut marier Suzanne.

— N’est-elle pas bien chez nous ?

— Elle ne se plaint pas, mais cette incertitude dure trop longtemps. Tu sais qu’elle aime Robert Feller.

— Ah ! tu y reviens !

— Eh ! qu’as-tu donc contre ce jeune homme ?

— Rien !

— Eh bien ?

— Laisse-moi !

Il n’y avait pas à insister : ce « laisse-moi » de Joseph Teppen était vraiment décisif.

Et cependant, la mère de Suzanne, qui s’était promis sans doute d’exaspérer son mari, trouvait toujours une occasion de reprendre le même sujet.


Un jour du mois de mai, le tuilier, vers les trois heures de l’après-midi, après une conversation de cette nature avec sa femme, partit sans dire où il allait, pour la forge de Robert Feller. Thomas n’était pas là ; son maître l’avait envoyé au village pour un travail pressant chez le maire Victor Hèlbing.

Lorsque Joseph Teppen parut à l’horizon étroit que limitait la porte de la forge, Robert, d’un œil attristé, regardait, par la fenêtre ouverte, sa mère et Georgette assises devant la maison, au soleil dont les rayons faisaient monter aux joues de la bûcheronne une coloration aussi pure que celle des roses naissantes qui ornaient les coins du petit, jardin.

— Eh ! bonjour, Robert, toujours au travail ?

— Mais oui, Joseph Teppen, qu’y a-t-il pour votre service ?

— Tu le sauras tantôt.

Puis, il s’adossa contre une poutre et, durant un instant, il observa Robert qui était en train de forger un soc de charrue.

— Tu connais ton métier.

— Pas mal !

— Quel âge as-tu ?

— Vingt-huit ans.

— Et tu ne songes pas à prendre femme ?

— Moi ?… mais, j’ai le temps.

En prononçant ces mots, le jeune homme baissa la tête pour cacher la rougeur qui venait d’empourprer subitement son visage.

— Hum ! fit le tuilier, souriant d’un air narquois, voilà une réponse qui ne me paraît rien moins que sincère.

Robert garda le silence.

Le père de Suzanne reprit :

— À propos, as-tu toujours ces vilaines idées ?

— Qu’entendez-vous par là ?

— Oui, tu me comprends bien. Tu détestes encore l’Allemand ?

Le forgeron ne répondit pas.

— Pourquoi ce silence ?

— Parce qu’il est certaines choses qui me font mal lorsque j’y pense.

— Enfant ! On n’y pense pas. Regarde-moi.

— Eh bien ?

— Je partage tes opinions, mais je m’empresse de les oublier.

— Tout le monde ne peut pas vous imiter.

— Peut-être ! Mais là n’est pas la question. Soumettons-nous sans murmurer : l’avenir n’est à personne.

— Pardon ! Il est aux peuples malheureux.

— Enfin ! soit, n’en parlons plus.

— Je n’ai pas soulevé ce sujet.

— Tu as réponse à tout.

— L’adversité et la douleur rendent sérieux.

— Ah ! oui, la douleur, à ton âge ! On ne la connaît pas.

— Qui sait ? En tout cas, il n’y a qu’à ouvrir les yeux : on retrouve partout ses traces.

Et, en disant cela, il montrait Georgette.

— C’est vrai encore ! reprit le tuilier, et il sembla réfléchir.

Mais, voyons, Robert, ajouta-t-il, que diable ! Tu me fais une figure par trop désolée. Tu es jeune. Aimes-tu toujours Suzanne ?

Le jeune homme ne s’attendait pas à cette question.

Il cessa son travail, et son regard chercha à deviner ce qui se passait au fond des yeux légèrement moqueurs de Joseph Teppen.

Puis :

— Oui, toujours ! fit-il.

— Tu l’épouserais volontiers ?

— Vous plaisantez, n’est-ce pas ?

— Bon ! Le voici de nouveau ! Nullement, mon cher Robert, je ne plaisante pas. Je te demande, d’un ton calme, comme un bon père que je suis : Veux-tu Suzanne pour femme ?

Robert, encore incertain, ne sut que dire.

— Ah ! ça, mais réponds donc !

— Vous n’en doutez pas ?

— Presque, tant tu mets de lenteur à me satisfaire. Eh bien, mon brave garçon, retiens mes paroles : Suzanne est à toi.

Le fils de Käthel crut qu’il allait devenir. fou.

— Est-ce possible ? balbutia-t-il.

— Mais, très possible, tout à fait possible, très vrai ! Je te donne ma fille, mais là, je te la donne, entends-tu, cette fois ?

Robert, vivement, saisit la main du tuilier.

— Pas cela, embrasse-moi.

Et il ouvrit ses bras où se précipita le forgeron, heureux, indiciblement heureux.

Quand le premier transport de joie fut apaisé, Joseph Teppen reprit :

— Oh ! pour cela, ce n’a pas été sans difficulté, je te l’avoue franchement, que je me suis décidé à venir ici pour te parler ainsi. Mais, je ne pouvais plus vivre une heure tranquille. Tous les jours, ma femme et ma fille me font un visage, il faudrait voir ça ! Tout comme le tien, il n’y a qu’un instant. Des yeux rouges, des joues pâles, des fronts ridés, des lèvres sans sourires, des allures de martyres ! Est-ce que réellement je serais un si cruel tyran ? Dame ! Peut-être. Mais, sacrebleu ! sais-tu que toi-même, tu as admirablement joué ton rôle ! Je t’aurais refusé encore un coup, si toi ou ta mère aviez renouvelé votre démarche. Mais, monsieur fait le fier, il se fâche, il boude, comme s’il possédait le Pérou ou la Californie, et il faut que moi, Joseph Teppen, veuille bien prendre la peine de chercher mon gendre quelque part. Pour ça, à vrai dire, je te devais cette visite : j’avais assez mal reçu ta mère, il y a six mois. Enfin, l’affaire est réglée, nous sommes d’accord, tu es aux anges et nous allons partir. Cette folle de Suzanne est capable d’en pleurer… de joie, c’est sûr !

Ah ! mais il y a ta mère encore !

Et les deux hommes, ayant quitté la forge, se dirigèrent vers Georgette et la veuve Käthel. Quand cette dernière entendit l’étonnante nouvelle, elle pensa tomber des nues. Était-ce Dieu possible ?

Mais Joseph Teppen était là qui souriait, finement, d’un air bon enfant, en assistant, témoin intéressé, à cette soudaine explosion de bonheur. Vrai ! cela valait bien sa démarche.

Le tuilier voulait également emmener la mère Käthel. Ah ! cela non, et cette pauvre Georgette, qui lui tiendrait compagnie ? La laisser seule ? Jamais ! Elle revenait si bien à la vie. On le voyait à ses joues que le sang colorait, à ses yeux qu’une douce mélancolie éclairait. Malgré les souffrances morales et les douleurs physiques, la bûcheronne n’avait rien perdu de son originale beauté. Au contraire. Son teint, ambré aux tempes, ressortait plus vivement encore sous la chevelure noire ; son corsage s’était développé, et certes un peintre se fût senti inspiré à la vue de cette belle fille dont l’image emplissait la tête de l’ouvrier Thomas.

Vous peindre la surprise de Suzanne lorsqu’elle aperçut celui qu’elle aimait, entrer, à la suite de son père, dans la grande chambre restaurée de la tuilerie, est au-dessus de nos modestes facultés. Comme sa figure refléta bien ce qui se passa dans sa jeune âme ! Ce fut un mélange de joie, d’inquiétude, de bonheur, de trouble et d’ivresse. Elle serait morte à cette heure qu’elle n’eût pas eu regret d’avoir vécu. D’ailleurs, à vrai dire, ce sont ces minutes-là qui comptent dans notre existence.

Ah ! comme la constance, la fidélité, la foi en l’avenir étaient enfin dignement récompensées ! Tout fut oublié en cet instant : les misères, la douleur, le désespoir âpre et les larmes secrètes. Elle était comme aveuglée par tant de félicité. Un nouveau soleil se levait, le soleil de l’amour qui se connaît, se sent, se voit et se dit éternel. Et son père, son bon petit père qui lui souriait toujours, qui la contemplait d’un air qu’elle ne lui avait jamais vu ! Ah ! oui, il méritait qu’on le punît de sa dureté exécrable ; et, mettant aussitôt sa pensée en action, elle sauta au cou du bonhomme et couvrit son visage d’une pluie de baisers.

— La, la, ma fille, voilà un mauvais jaloux qui te regarde, dit le père après avoir répondu aux caresses de son enfant.

Puis il la poussa dans les bras de Robert.

— Eh bien, tu ne veux donc pas l’embrasser, lui ?

Mon Dieu ! on ne refuse jamais d’obéir à de pareilles sommations.

Marguerite Teppen eut également sa part de tendresses, et, tout heureuse de la résolution qu’avait enfin prise son mari, elle descendit lestement à la cave d’où elle rapporta bientôt une excellente bouteille de vieux bourgogne, le vin des grandes occasions.

Les verres eurent un joyeux cliquetis.

— À ta santé, mon garçon ! dit le tuilier qui semblait rajeuni, tant la joie qui brillait dans tous les yeux était contagieuse. Sans ce maudit étang, tu ne serais pas ici.

— C’est vrai, père, répliqua notre forgeron qui s’habituait déjà à sa nouvelle parenté. Aussi je marquerai d’un grand trait ce jour de ma vie, n’est-ce pas, ma Suzel ?

Et on causa, animés peu à peu par le précieux jus de la vigne qui croît là-bas, du côté de la France, car la mère Teppen ne se fit pas faute de courir une seconde fois au cellier. Le père bavardait comme à vingt ans. Il avait l’esprit un peu moqueur, mais sa femme riait de ses épigrammes qui passaient en n’effleurant que la peau. Il la trouvait belle encore, plus charmante que sa fille. Et il riait aussi de ce qu’il disait, des bêtises, et taquinait sa fille, sa chère Suzanne, dont les yeux bleus avaient des phosphorescences célestes. Quant au forgeron de Thalheim, il jouissait pleinement de tout ce qu’il voyait et entendait, et cela produisait sur ses sens l’effet d’un verjus capiteux. Comme c’était bon, la vie.

À la tombée de la nuit, Robert se leva pour partir, le cœur débordant d’une franche allégresse. Le jour du mariage n’était pas fixé ; mais c’était pour l’automne prochain, à la fin de novembre ou au commencement de décembre, le fiancé ayant prié Joseph Teppen de bien vouloir attendre, pour cette grande fête, le retour de son vieil ami Jean Schweizerl.

— Ah ! ça ! tu es un noble caractère, permets-moi de te le dire, fit le tuilier. Sans le bûcheron, nous… Enfin, ne parlons plus du passé. Otto Stramm était un lâche.

— Pauvre Georgette ! murmura Suzanne. Que je lui souhaite une soirée comme celle-ci !

Et Robert s’éloigna, Suzanne avec lui. Ne fallait-il pas saluer aussi la mère Käthel ? Elle ne resterait pas longtemps, un quart d’heure tout au plus. Le temps était clair, et le soleil envoyait encore ses derniers rayons dans la plaine alsacienne.

Robert et Suzanne trouvèrent la mère à la cuisine où elle préparait un souper de circonstance. Ah ! Dieu ! qu’elle avait bien fait, la future bru, de venir dire un petit bonsoir et embrasser Käthel !

Dans la chambre, Georgette et Thomas, celui-ci rentré depuis quelques instants seulement, s’entretenaient du mariage. Les mots s’embarrassaient sur leurs lèvres, le Suisse, ce bon enfant, paraissant tout timide auprès de cette belle jeune fille. Lorsque Robert, en entrant, les vit ainsi, l’un vis-à-vis de l’autre, elle déjà bien remise, lui, honnête et fort, une singulière pensée agita son esprit.

— Peut-être ! se dit-il, comme conclusion.

Et tout ce monde heureux, même Georgette, babilla jusqu’au moment où le forgeron reconduisit sa fiancée à la tuilerie de papa Teppen.



De nouveau l’hiver est là,’avec son manteau de neige et ses frimas que décembre a laissé tomber sur la vaste plaine, silencieuse comme toujours, depuis l’heure fatale où elle a pleuré des larmes de sang. Dans le village de Thalheim on ne parle plus guère d’Otto Stramm, dont les travaux ont été terminés hâtivement par un autre employé de l’administration. Aux prochaines fleurs, quelques personnes seules s’en souviendront encore ; mais, comme nous tous, elles se garderont bien de remuer ces cendres presque éteintes au fond des cœurs.

En revanche, on causait beaucoup du mariage de Suzanne Teppen avec Robert Feller ; même quelques amis de la famille affirmaient, longtemps à l’avance, que Georgette et Thomas assisteraient à la noce, comme fille et garçon d’honneur, leur union à eux ne devant se célébrer, mon Dieu ! oui, qu’au printemps.

Jean Schweizerl n’avait pas espéré un tel bonheur pour sa vieillesse. Le bûcheron est de nouveau à la Ravine, et lorsque Georgette et Thomas lui ont avoué simplement leur amour, il a été obligé, pour croire à ce qu’il entendait, de les presser à tour de rôle et même les deux ensemble dans ses bras fatigués. Le bon revoir !

Ah ! quel festin ! Et quelle franche gaîté parmi les convives de la noce ! Une vingtaine de personnes avaient été invitées, le plus beau monde de Thalheim. La grande salle de la Demi-Lune était pleine. Gaspard Tonder exultait. Et Joseph Teppen, dont la mine réjouie attestait un sincère désir de vivre encore plusieurs années pour faire sauter ses petits enfants sur ses genoux, avait un mot affable pour tous. La tuilerie, ce jour-là, était fermée, mais les ouvriers, la veille, avaient reçu double salaire.

Après le premier plat, Victor Helbing, le maire, se leva et dit :

— À la santé des nouveaux mariés !

Le choc des verres répondit à cette aimable invitation.

Alors le vieux Jean Schweizerl, que Robert avait mis à côté de sa Suzel, s’exprima ainsi :

— Je bois ce verre à la patrie, à l’Alsace et à la France !

Puis il le vida d’un trait, et le lança sur le plancher où il se brisa en mille pièces.

— Bien parlé ! s’écria Robert, et tous d’applaudir.


Quand le forgeron de Thalheim, franchit, ce soir là,’avec sa jeune femme le seuil de la maison où il avait passé une jeunesse solitaire, il murmura ces mots à celle qu’il avait choisie pour la compagne de son existence :

— Je jure, ma Suzel, que ma vie entière sera consacrée à ton bonheur. Mais, quoi qu’il arrive, joie ou douleur, n’oublions pas qu’un jour la patrie, celle que nous pleurons et aimons, peut faire un suprême appel au dévouement de tous ses enfants.


FIN