Imprimerie Jaunin Frères (p. 7-23).

LE FORGERON DE THALHEIM


I


En suivant la grande route blanche qui déroule son ruban à travers la vaste plaine de la haute Alsace, on aperçoit, sur la gauche, enserré de trois côtés par les dernières ramifications des collines jurassiennes qui viennent se terminer en forêts de hêtres, près de la voie publique, un petit village coquettement égaré sous un fouillis d’arbres fruitiers de la plus belle croissance. C’est Thalheim, dont le nom harmonieux dans la langue de Schiller a été oublié par tous les géographes qui se sont occupés de ce charmant coin de pays. Un ruisseau traverse en murmurant la localité. Sur les bords poussent follement des touffes de saules dont les feuilles argentées s’inclinent sur les ondes claires, quelquefois écumantes, quand les torrents des hivers y déversent leurs eaux troubles et violentées. Une délicieuse fraîcheur s’épand, en été, sous le dôme de verdure que forment les pommiers, les poiriers, les noyers et les cerisiers ; et, si, en automne, vous abordez au village, fatigué du chemin et peut-être de la vie, vous éprouvez, à l’aspect de ces maisons blanches entourées de ceps de vigne, un profond sentiment de bien-être et de doux repos.

Arrêtez-vous un jour à Thalheim, et vous n’en perdrez pas le souvenir.

À quelque cent pas des premières habitations, un peu écartée, mais reliée à la grande route par un chemin finement sablé et toujours bien entretenu, se dresse la cheminée noire d’une forge villageoise. La demeure à côté est proprette. Les sarments d’une vigne encadrent les fenêtres de leur feuillage dentelé. Les volets sont verts, comme le désirait Jean-Jacques Rousseau ! Et, à gauche de la porte, se trouve un jardinet partagé en quatre carrés minuscules par deux allées en croix, l’une plus longue que l’autre. Un buis vigoureux retient la terre brune : chaque printemps, une main habile passe de gros ciseaux sur les jeunes pousses. On voit des fleurs un peu partout, que le soleil du matin caresse jusqu’à midi : ce sont des géraniums, des héliotropes, des dahlias, des lis, et une superbe collection de rosiers, aux boutons de neige ou de feu. Bref, à la vue de ce paysage qu’on rêve une fois dans sa vie, on comprend aussitôt que l’on est dans un milieu honnête et bon, et involontairement, on se souhaite de couler ses jours sous ce toit rouge qu’a déjà noirci la fumée de la forge.

Cette modeste habitation, que plus d’un regarde avec envie, appartient en légitime propriété à une veuve du nom de Catherine Feller, qu’on appelle communément Käthel. Elle n’a qu’un fils, Robert, le plus beau gars de Thalheim, et dont le bras nerveux, en battant le fer sur l’enclume, fait résonner bruyamment, du matin au soir, les échos des alentours.

C’est un jeune homme aux franches allures, le visage régulier, bruni par le feu de sa forge, et presque toujours triste depuis son retour au pays, après l’affreuse guerre. Sa mère en raffole. Souvent, au milieu de son travail, elle s’arrête à le contempler avec admiration et songe sans doute, sous ce bon regard qui répond à son sourire maternel, à l’homme qu’elle a perdu pendant l’année terrible. Car, pour eux comme pour beaucoup d’autres, pour l’Alsace surtout, la guerre a été cruelle, implacable : les fanfares de l’ennemi ont sonné le glas funèbre de l’époux, et le fils, à cette heure néfaste, que la veuve n’a pas oubliée, passait le Rhin, comme prisonnier de l’Allemand.

J’ai connu et je connais encore de braves Alsaciens qui, lorsque le hasard ou l’ennui me conduisent dans la grande plaine, me parlent, la lèvre triste, de ce lugubre événement. Tout un monde d’angoisses se déroule à mes yeux, et il me semble, à les écouter ainsi, moi, hôte de passage, lire au fond de leur âme une douleur qu’on ne dépeint pas. Pour Robert, nature sympathique, bien développée par la lecture et la réflexion, doué d’une intelligence au-dessus de sa condition, il pensait souvent à la patrie perdue ; et, quand le souvenir de la défaite vécue venait le tourmenter, il avait comme une larme dans la voix, et ses regards, aussitôt, s’assombrissaient.

Cependant, à la longue, ces souffrances intimes se calment, leur âpreté mordante s’émousse. Au moment où le lecteur fait connaissance avec notre héros, il n’en causait déjà plus volontiers ; seulement, si on lui adressait cette question : Êtes-vous heureux, sous le régime du casque à pointe ? un éclair traversait ses yeux, et sa bouche n’avait qu’un rire amer. Parfois, il est vrai, Robert répondait brusquement :

— Non.

Ou bien :

— Il vaut mieux ne rien dire.

Comme je l’ai écrit plus haut, sa mère, une bonne femme, l’idolâtrait, mais sagement. Pour être heureuse, si tant est que le bonheur soit possible ici-bas, il lui fallait de la joie au visage de son fils. Et ce dernier, malgré sa tristesse, avait, pour cette excellente créature, des explosions de folle tendresse. Ils menaient une existence simple, dévoués l’un à l’autre ; depuis l’année fatale, aucune ombre n’avait passé sur leur vie calme et retirée. Lui, du matin au soir, toujours à la forge, suffisant à peine à sa tâche, les bras sans cesse en activité, battant le fer avec entrain, parfois sa voix se mêlant aux âpres froissements de l’acier. Elle, dans le ménage, tenu proprement, mettant tout son savoir-faire à la préparation d’un frugal repas, soignant ses fleurs, son orgueil aussi et l’ornement de la maisonnette ; puis, quand ces occupations minutieuses lui laissaient quelque liberté, bêchant, dans les beaux jours, les quatre carrés du jardinet où croissaient les légumes vigoureux et frais. J’oubliais le linge de Robert, d’une blancheur éclatante, séché au soleil, sur une corde ou sur la haie vive, devant l’habitation, besogne délicate où Käthel déployait toute son habileté.

Le soir, lorsque la forge avait éteint son feu, après le souper, Robert s’asseyait près de sa mère, à la table de chêne massif, dont les bords usés attestaient le long service qu’elle avait fait dans la famille. Un livre ouvert devant lui, la tête dans les mains, tranquille et presque content, il lisait, ou étudiait, ou rêvait, et la veuve, tout en filant sa quenouillée, le regardait, l’admirait, le contemplait, et parfois, fatiguée de l’emploi de sa journée, s’endormait, ses doigts blancs tordant encore machinalement le fil. — Si l’ouvrage était intéressant, après l’avoir parcouru, une, deux fois, il en parlait à sa mère, lentement, d’une voix grave, souvent émue. C’était comme une seconde jouissance, plus sensible, puisqu’il y mettait du sien, la forme et l’accent. De préférence, par goût et par habitude, il recherchait les sujets d’histoire, les pages de la Révolution, de l’unique, de la vraie, et, une fois lancé dans ces faits merveilleux qui nous terrassent encore, malgré la distance, son regard s’illuminait, son geste devenait éloquent, ses lèvres paraissaient inspirées. Enfant du peuple, il en comprenait et en sentait toutes les palpitations. Placé sur une autre scène, Robert Feller eût été un grand homme peut-être ; les circonstances, selon le mot de Napoléon Ier, en avaient fait un forgeron, et il ne s’en plaignait pas.

Toute la semaine était naturellement consacrée au travail, à l’exception du dimanche qu’il employait, le matin, à son instruction, et l’après-midi, à des courses dans les environs de Thalheim. Il aimait surtout, de la saison des fleurs à celle des fruits, à parcourir les grands bois qui limitent la plaine au midi, du côté de la Suisse. Une joie pour lui que ces promenades sous le feuillage vert clair du hêtre, dans les taillis ensoleillés sur les crêtes des collines, où l’on respire si avidement l’arôme pénétrant des vieux pins. Quand son pied avait atteint le sommet des pentes boisées, il s’arrêtait, et, non sans douleur, il laissait son regard errer mélancoliquement dans l’immense panorama alsacien. Un silence profond l’enveloppait, troublé seulement par quelques rares bêtes sauvages qui s’enfuyaient à son approche, ou par le chant d’un oiselet que la présence d’un être humain n’effrayait pas trop. Il apercevait, en bas, les flancs des coteaux, puis, plus loin, les villages de la plaine, cachés à l’entrée des bois, étagés sur le bord des étangs, les champs de blé aux épis dorés et, enfin, tout au fond, l’horizon bleuâtre des Vosges. Un beau spectacle !

Cependant il trouvait, dans la disposition réglementée de son temps, quelques heures pour le vieil ami de son père, Jean Schweizerl, bûcheron et charbonnier de son état, qui habitait une petite maisonnette au coin d’une vaste forêt, derrière Thalheim, à droite de la route qui va à Doernlach. Ce n’était pas trop loin de leur demeure, deux kilomètres à peu près, et il franchissait volontiers cette distance, non pas pour les beaux yeux de Georgette, la fille de Jean, mais bien pour causer un brin avec le père lui-même et aussi pour passer à côté de la tuilerie de Joseph Teppen, dont l’aimable enfant, Suzanne, comptait vingt printemps de soleil et de fleurs à l’époque où commence ce récit.

Jean Schweizerl frisait la soixantaine ; il paraissait encore plus vieux que son âge. Depuis un temps immémorial, du moins la mère de Robert s’exprimait ainsi, Jean était une pratique de la forge. Les haches du bûcheron avaient une bonne renommée ; elles mordaient le bois à grands éclats et, Jean éprouvait une espèce d’orgueil en déclarant que son ami Jacques Feller pouvait seul les forger ainsi, dures et brillantes. De là était née, entre le bûcheron et le forgeron, une profonde sympathie que la mort n’avait pas brisée, car Robert conservait pour le compagnon de son père l’affection loyale de l’auteur de ses jours.

Georgette, la fille de Jean, avait dix-huit ans. Ses yeux noirs, bien fendus, laissaient filtrer entre de longs cils bruns comme une flamme douce qui réchauffait le cœur. Ses cheveux étaient abondants, avec ce reflet bleuâtre que moirent les rayons du soleil. Ils tombaient en deux tresses épaisses sur des épaules rondes et, dénoués, ils pouvaient s’enrouler autour d’une taille exquise, ni trop forte, ni trop faible. On l’appelait la bûcheronne.

S’aimaient-ils, Robert et Georgette ? Non, à moins qu’on ne veuille prendre pour de l’amour la cordiale amitié qui les unissait. Ils se voyaient toujours avec plaisir, s’entretenaient parfois des mystères de la forêt, des joies de l’été coulé sous les arbres feuillus et des tristesses de l’hiver, long et froid. Et c’était tout, au sincère désespoir de Jean Schweizerl qui, dans un coin de sa vie, avait déjà arrangé une place pour son gendre Robert Feller. Ce dernier semblait ne pas comprendre la tendre sollicitude de son vieil ami.

Et, pourtant, nous pouvons affirmer que Robert eût bien fini par s’apercevoir de la singulière beauté de Georgette si, de Thalheim à la demeure du bûcheron, il n’eût pas rencontré, de temps à autre, deux yeux bleus et une charmante tête de blonde. Ces yeux et cette tête, dont se préoccupait si intimement et presque malgré lui Robert le forgeron, appartenaient à Suzanne Teppen, à Suzanne, la perle de la contrée, la meilleure fille du village, et la plus riche avec cela, un visage souriant et clair, des joues rosées et l’or bruni des épis mûrs dans les cheveux. Quel gracieux tableau quand, svelte dans sa robe d’indienne de Mulhouse, la chevelure également partagée en deux tresses soyeuses, elle aspirait avec volupté le parfum des roses dans leur grand jardin ! Une page de printemps à inspirer un maître, une figure d’enfant naïve à faire sourire un Greuze. C’était bien la blonde Alsacienne, naturellement simple, avec les profonds regards de ses yeux bons, aux cils châtains, frangeant sur une peau veloutée, légèrement transparente.

Mais aussi, comme Joseph Teppen était fier de son enfant ! Et il le pouvait bien, car on le serait à moins. Quant à Suzanne, elle ignorait certainement les charmes de ses vingt ans, tant elle mettait de bonne grâce dans ses relations avec tout le monde. Levée à la pointe du jour, aux chants des oiseaux, disait son père, elle s’amusait un instant à écouter les douces mélodies qui la réveillaient ; puis ses cheveux lissés et lustrés, son joli minois baigné dans l’eau fraîche, elle descendait lestement de sa chambrette et s’en allait vaquer, à côté de sa mère, aux soins du ménage. On lui laissait complète liberté dans le choix de ses occupations journalières. Mais Suzanne était une excellente pâte de fille, ayant déjà, à son âge, une notion vraie de la vie et de ses besoins, et possédant assez de caractère, ou mieux de volonté pour arrêter son imagination dès que cette folle du logis s’aventurait au loin.

Son éducation s’était naturellement ressentie de ses goûts. Elle eût pu, comme bien d’autres, passer deux ou trois années au couvent. Mais cela n’était pas son fait. Il lui fallait l’air pur des champs, le clapotis de l’eau sur la grosse roue de la tuilerie, la brise embaumée des âcres parfums des bois, les fleurs du printemps et les chaudes soleillées de l’été. Aussi lorsqu’on lui avait parlé d’aller vivre derrière les murs d’un pensionnat à la mode, elle avait nettement déclaré à ses parents qu’elle en savait assez pour sa position, qu’elle n’ambitionnait qu’une existence calme, sous l’aile maternelle, à l’abri des passions du monde. Et là-dessus la mère l’avait embrassée follement sur les deux joues, et chacun s’en était bien trouvé, sauf le père, qui aurait voulu, pour sa Suzanne, un avenir plus brillant. Mais, où prendre le courage d’attrister des yeux couleur de ciel quand ils ne demandent qu’à sourire ?

Néanmoins, Joseph Teppen s’était bel et bien promis de veiller sur les premiers pas de son enfant. Ce trésor ne serait certes pas enlevé à sa barbe, comme il arrive fréquemment. Son gendre devait remplir certaines conditions ; autrement, le tuilier ferait la sourde oreille. En cela, semblable à beaucoup de pères de famille, Joseph Teppen entendait que ses volontés fussent exécutées. Il n’avait pas amassé cette belle fortune qui le plaçait à la tête des habitants de la vallée pour la jeter au visage d’un va-nu-pieds quelconque, et sa fille par-dessus le marché. Donc, tout à fait tranquille de ce côté, le père de Suzanne s’occupait avec une rare intelligence de sa tuilerie mécanique.

Parlons-en un peu, le voulez-vous ? de cette tuilerie, une création de Joseph Teppen, puisqu’elle jouera un rôle important dans notre simple histoire. Grande, bien appropriée au rendement qu’on exigeait d’elle, elle avait subi, deux années après la guerre, de profondes améliorations. Le ruisseau de Thalheim déversait une partie de ses eaux dans un vaste étang que le tuilier avait fait creuser derrière sa maison, et qui communiquait avec la roue par un canal large d’un mètre et demi et élevé de trois à quatre. Cela n’ayant pas suffi, car, en été, la sécheresse pouvait mettre le réservoir à sec, et l’usine prenant toujours de nouveaux développements, le père Teppen avait appelé à son secours la force de la vapeur, et une machine était venue dresser sa haute cheminée en briques rouges à proximité de l’habitation. Il y avait de l’ouvrage pour vingt-cinq à trente ouvriers, de janvier en décembre, et les affaires marchaient rondement. Faisant flèche de tout bois, comme on dit, n’ayant de scrupules que juste ce qu’il en faut, traitant de billevesées les regards que maint Alsacien jetait vers l’ouest, le tuilier avait recherché et obtenu.la faveur de nouveaux maîtres, et déjà diverses commandes, assez avantageuses, justifiaient sa politique prudente. Il avait l’habitude de dire : On est dans ce monde pour vivre et laisser vivre ; puisqu’on nous a poussés dans les bras des Allemands, restons-y ; le plus fin ne se met jamais martel en tête pour ces sortes de misères ; il roule sa pelote, s’enrichit et passe ses vieux jours.au sein de l’aisance.

Vous voyez que Joseph Teppen ne manquait pas d’une certaine philosophie pratique, tout tuilier qu’il était.

Son entourage ne pensait pas tout à fait comme lui (en apparence, du moins). Sa femme Marguerite n’avait, à vrai dire, aucune opinion. Les ouvriers suivaient le patron. Quant à Suzanne, elle n’allait pas si loin. Elle manifestait franchement sa manière de voir. Son bon sens se révoltait à l’idée qu’elle aussi avait servi de rançon de guerre. Et, intérieurement, elle détestait de la belle façon tous ces fringants gendarmes qu’elle voyait brûler la route, au galop de leurs chevaux.

Nous ferions preuve d’inexactitude si nous négligions de dire que souventes fois déjà Suzanne avait remarqué Robert Feller dans les alentours de la tuilerie. La mine sérieuse du forgeron, un brin attristée, lui plaisait. Et, quand, longeant la haie du jardin pour se rendre chez son vieil ami Jean Schweizerl, Robert saluait la jeune fille, celle-ci avait pour lui un de ses plus séduisants sourires. D’ailleurs, au village, on parlait très avantageusement du fils de la veuve. On le savait brave. L’audace chez l’homme éveille la sympathie chez la femme. À Reichshofen, il avait été décoré ; le général avait même cité son nom à l’ordre du jour. De plus, on le connaissait comme nourrissant toujours, au fond de son cœur, une haine vivace contre l’envahisseur et cela, peut-être plus que sa fière prestance, avait prédisposé Suzanne Teppen en sa faveur.

Le père de la jeune fille l’estimait médiocrement. Il ne pouvait, il est vrai, nier qu’il n’eût de solides qualités. Mais cette sottise de vouloir rester Français, en dépit des circonstances, l’excitait, lui qui semblait avoir accepté avec tant de facilité la perte de sa nationalité.

Toutefois, il ne songeait pas longtemps à ces vétilles et il était à cent lieues de croire que Robert eût jamais des visées sur sa fille. Si de temps à autre il lui donnait de l’ouvrage, ce n’était cependant pas par bienveillance, mais simplement pour ne pas froisser son épouse qui, elle, aimait la veuve, parce qu’elles avaient vécu, pour ainsi dire, la même vie pendant leur enfance. L’une et l’autre étaient d’un village voisin, de Dœrnlach, et si, à cette heure, la, fortune paraît élever une barrière entre elles, leurs souvenirs sont assez sincères et assez profonds pour ne pas tenir compte de leur situation réciproque. D’ailleurs il ne faudrait pas admettre que Joseph Teppen fût sorti de bien haut ; au contraire, de même que le forgeron Jacques Feller, le père de Suzanne avait débuté pauvre comme Job. La chance, la chance capricieuse avait fait le reste.

Robert ne s’était pas encore demandé quel intérêt il avait à passer auprès de la tuilerie Teppen, lorsqu’il allait chez le bûcheron Jean Schweizerl, et, pourtant, il lui eût été difficile de renoncer à l’innocent plaisir de saluer, ou seulement d’entrevoir la blonde fée qui répondait au doux nom de Suzanne. Depuis quelque temps — on était en juillet — ses promenades avaient pris cette direction constante. Autrefois, alors qu’il n’avait pas la tête emplie de regards bleus et de sourires roses, il explorait, dans ses sorties, un peu tous les environs ; mais à présent, sa mère le regarde, en secouant la tête, prendre invariablement le chemin du haut par la tuilerie du père Teppen, pour faire une visite au père de Georgette. Et elles se renouvellent tous les dimanches, parfois même à la tombée de la nuit, après la fermeture de la forge, les promenades de son fils !

— Sûrement il aime Georgette ! se disait la veuve Feller, cherchant des raisons pour expliquer la conduite de Robert.