Le folklore flamand/Folklore et démonologie

Isidoor Teirlinck
Le folklore flamand
Charles Rozez (1p. 81-99).

II. — FOLKLORE ET DÉMONOLOGIE.



Le mauvais esprit[1] des chrétiens est Satan, le diable (duivel, duvel), appelé parfois le « Kwaën » (mauvais, malin) ou « het Kwaad » (le mal). Le peuple flamand croit à l’existence d’une armée de diables qui opèrent sous la direction d’un chef, Lucifer.


1. Forme.

— On se représente le diable sous la forme d’une bête monstrueuse, noire, munie de longues cornes recourbées, ayant des pieds[2] de cheval (ou de boucs) et des griffes en guise de mains. Ses yeux brillent comme des charbons incandescents. Il a une queue. Il crache parfois de longues flammes par le nez et la bouche. Il peut se métamorphoser, se rapetisser et se grandir ; il prend souvent la forme d’un chien noir, hirsute ou d’un monsieur vêtu de noir. Dans ce dernier cas, il porte la barbe pointue, légèrement blonde, comme du lin fraîchement écangué : c’est pour cette raison qu’au Hageland et ailleurs, on nomme le duvet, le premier poil (vlasbaard), poil du diable (duvelshaar).

Quelquefois il se montre entouré de feu et de flammes, ou d’une fumée ardente. En disparaissant, il laisse derrière lui une puanteur infernale, une odeur de soufre ou des vapeurs pestilentielles.

Sa peau est hispide, rugueuse, élastique ; en beaucoup d’endroits le caoutchouc a reçu le nom de peau du diable (duivelsvel).


2. Vêtements et nourriture.

— Ses poils noirs et rudes forment son seul vêtement. Cependant, il se montre souvent à nous — dans beaucoup de contes notamment — comme un homme bien habillé, enveloppé d’un ample manteau noir ou brun ; mais il a toujours des pieds de cheval ou de bouc et des cornes qu’il s’efforce soigneusement de cacher.

Il mange du pain de diable (duvelsbrood), du fromage de diable (duvelskaas), du manger de diable (duvelseten) : le champignon vénéneux. Il boit la boisson du diable (duvelsdrank) : le genièvre[3] !


3. Demeure.

— Il habite l’enfer (hel, helle), un lieu souterrain, un puits très profond [4], où il grille éternellement les damnés et les martyrise de toute façon. On croit aussi qu’il est au purgatoire (vagevuur) où il torture aussi les pauvres âmes.

Dans l’enfer règne la plus grande obscurité : helledonker signifie très obscur, noir comme dans un four.


4. Travail, ruses, embûches.

— Le diable cherche à faire tomber des âmes dans ses filets. C’est sa besogne préférée.

Si quelqu’un se trouve dans des circonstances difficiles et critiques, le diable se présente et propose d’écarter toutes les difficultés. Si l’on a besoin d’argent, il en offre à profusion. Mais en échange de ses services, il exige l’âme, l’unique récompense désirée ardemment. Le troc est-il accepté, un contrat est rédigé et signé du sang de l’homme qui vend son âme. Cela se passe ordinairement à l’heure de minuit, dans un endroit écarté, souvent à un carrefour ou au cimetière. Celui qui a l’intention de vendre son âme au diable, vient au rendez-vous avec une poule noire[5] et reçoit, dans une petite boîte, une image de cire que personne ne peut bien décrire parce que peu l’ont vue (en Flandre orientale, Segelsem, etc. on l’appelle galgenaas[6] ; en Campine poepeken, poppeken, petite poupée). Toujours, il porte cette boîte sur lui et celle-ci lui fait faire, lui fait obtenir tout ce qu’il désire ; il peut faire des prodiges, car tous les diables sont ses humbles serviteurs. Ceux qui font ce pacte avec le malin, sont ordinairement des misérables et des malheureux ; souvent des domestiques qui errent comme loups-garous le soir et la nuit ; parfois un fermier, un industriel, un menuisier, un maréchal-ferrant qui, par ruse, parviennent à tromper leur nouveau maître et à sauver leur âme.

Dans certains cas, le diable se montre dans les cabarets où il remplace le quatrième joueur attendu mais non venu. On l’a vu au bal où il danse avec des filles qui, depuis lors, lui appartiennent. C’est pourquoi les paysans prétendent qu’il est très dangereux de jouer ou de danser avec des étrangers ou des inconnus.

On le voit aussi, promettant et procurant un fils à des mariés sans enfants, à la condition d’être maître absolu de ce fils, après une période déterminée d’avance (après 5, 10 ans, etc.)[7].

Dans certaines sagas, le diable pose ses griffes sur un mur, sur une pierre, sur une porte, et l’empreinte noire qui reste, est ineffaçable.

Un homme peut être possédé du diable ; il commet alors des actions infâmes et blasphème comme une bête immonde. Le curé doit l’exorciser, et ses formules d’incantation et son eau bénite ne réussissent pas toujours à expulser le mauvais esprit.

Lorsque le temps, fixé dans le contrat, est écoulé, le diable se présente, à l’improviste, devant sa victime, la saisit avec violence et s’envole avec elle dans les enfers.

Dans quelques contes, on rencontre Satan sous la forme d’un lutin joyeux qui trouve un malin plaisir à jouer des tours pendables aux malheureux mortels.


5. Réunions.

— Les diables se réunissent entre eux ou avec leurs partisans (sorciers et sorcières, loups-garous, etc.), toujours à l’heure de minuit, à des jours fixes (ordinairement un vendredi, jour néfaste) et en des endroits déterminés.

D’après quelques-uns, ils s’assemblent de préférence :

Le vendredi saint ;

Le vendredi après Pâques ;

La nuit après le jour le plus long ;

La nuit des SS. Simon et Juda (28 octobre) ;

Le vendredi après la Pentecôte.

Pendant ces jours et ces nuits, aucun diable n’erre sur la terre ; tous sont en enfer et rendent compte, à leur chef Lucifer, du travail effectué.


6. Moyens de protections.

— Comment échappe-t-on aux embûches du diable ?

La croix[8] est toute-puissante et chasse tout mal. Le nom de Dieu, une exclamation dans laquelle ce nom est employé, les prières (le pater surtout) suffisent pour l’écarter. Le diable est réduit à l’impuissance par l’eau bénite. Quelques locutions populaires, données plus loin, n’ont pas d’autre origine.

Le buis sacré protège les champs, les maisons, les étables. Aussi le paysan possède une ample provision de cette plante aromatique.

La personne qui a vendu son âme au diable, emploie parfois la ruse pour se sauver. En ceci, elle est souvent secondée par la femme qui, plus maligne que le plus malin des êtres, réussit à arracher l’âme précieuse aux griffes du diable.


7. Autres croyances populaires.
— On croit, dans la province d’Anvers, que les âmes des personnes, mortes en duel, appartiennent au diable ; on dit la même chose des âmes des enfants morts sans baptême.

Dans quelques localités, on admet que le diable devient le maître absolu des chevaux qui ont transporté un cadavre de la mortuaire à l’église.

Il est aussi le maître des cloches qui sonnent avant d’avoir été baptisées.


8. Contes[9], Sagas, anecdotes.

— Ils sont nombreux. En voici quelques-uns :

a. Contes de diables dupés.

Dans beaucoup de localités flamandes (et wallonnes), on parle d’une grange du diable (Duivelsschuur, Duvelsschuur) : elle était construite par le diable, en exécution d’un contrat, mais laissée inachevée, parce que le paysan contractant (ou sa femme), par un ingénieux stratagème, était parvenu à tromper l’architecte infernal. Un exemple :


la grange du diable à hamelgem.
(De Duvelsschuur te Hamelgem).

À la ferme de Hamelgem, située au hameau d’Ophem[10], vivait un paysan qui, depuis longtemps, désirait bâtir une nouvelle grange, mais n’avait pas réussi à réunir l’argent nécessaire. Un jour, il revint à la ferme avec une si ample moisson qu’il ne sut réellement où mettre les gerbes. Il s’écria imprudemment :

« Je donnerais bien mon âme au diable, s’il voulait me construire, avant demain matin, une nouvelle grange ! »

Et voilà que le diable se montre et lui dit :

« J’accepte la proposition ; cette nuit, je construirai une grange. »

« Et vous voulez mon âme ? » demande le fermier.

« Oui !… Ne l’avez-vous pas proposé vous-même ? »

Le paysan réfléchit une minute, puis il dit :

« Et si je vous donne l’âme de mon fils aîné, est-ce bien aussi ? »

« Certainement ! L’une âme vaut l’autre ! »

L’accord fut conclu. Une seule condition fut imposée cependant au diable : la grange devait être achevée avant le chant du coq !

Mais la fermière qui avait entendu la conversation, résolut de sauver son fils.

Elle n’en dit rien à son mari et se mit au lit comme d’habitude. Pendant la nuit, elle se leva doucement et alla voir où en était le travail.

Des centaines de diables étaient occupés et travaillaient ferme. Les murs se dressaient et on était en train de mettre le toit en place. La femme crut qu’il était temps d’agir elle courut au poulailler et saisit brusquement le coq. Celui-ci, effrayé, fit entendre son kikeriki sonore[11] et, au même moment, s’envolèrent tous les diables. La femme vit que son stratagème avait réussi : la grange était là, devant elle ; mais la façade restait inachevée, il manquait une assise de pierres : une ouverture l’indiquait nettement.

Son fils était sauvé !

Le diable se vengea cependant.

Lorsqu’on voulut battre le grain, tassé dans la nouvelle grange, un domestique jeta la première gerbe sur l’aire et jura :

« Godv… ! En voilà une ! »

« En voici deux ! » cria le diable, qui se trouvait derrière lui ; il le précipita en bas et lui cassa le cou. Le malheureux garçon n’eut pas même le temps de réciter un acte de contrition : le diable saisit son âme et s’envola dans les enfers.

On n’a jamais su fermer l’ouverture. On avait beau y fourrer des pierres, le diable venait et les arrachait. Ce n’est que depuis quelques années qu’on a démoli la grange et qu’on l’a remplacée par une autre[12].


Quelques pauvres artisans, des misérables qui avaient vendu leur âme au diable, usèrent aussi de ruse pour se sauver. Le finaud est un maréchal-ferrant (V. Maréchal- petit-Maréchal, p. 46 de ce livre), un tisserand, un meunier, une fileuse, un chasseur, un fermier. Exemple :


la vieille fileuse.

Il y avait une fois[13] une femme qui avait toujours gagné sa vie en filant. Mais elle était devenue vieille et usée, de sorte qu’en filant elle ne gagnait plus grand’chose.

Un jour, elle alla ramasser du bois mort dans une forêt, et elle se sentit tellement triste qu’elle se dit :

« Je suis vieille et usée, je ne sais plus travailler, et je suis si triste de voir que je ne sais plus gagner mon pain ! »

Et voilà qu’elle rencontre un monsieur.

« Ma bonne petite femme, vous avez l’air bien triste ! »

« Je suis usée ; j’ai toujours gagné ma vie en filant, et maintenant je ne sais plus travailler. »

« Je vous donnerai à manger, » dit le diable, car c’était lui, « si vous voulez faire ce que je demande de vous »……

« J’écoute ! »

Il faut me vendre votre âme, et je vous apporterai chaque jour une pierre[14] de lin filé, et cela pendant sept ans. Tous les jours, pendant ces sept ans, vous tâcherez de deviner quel est mon nom ; si vous devinez juste, vous gardez votre âme ; si vous devinez mal, vous la perdez. Voulez-vous ? »

« Oui ! »

Et chaque jour le diable apportait une pierre de lin filé ; chaque jour la vieille femme devinait, mais elle devinait toujours mal !…

Le dernier jour des sept années était vers sa fin, et la vieille, triste à mourir, pensait :

« C’est la dernière fois que je puis deviner et si je devine mal, je perds mon âme ! »

Un chasseur entra dans sa maisonnette.

« Voulez-vous me donner à boire, ma vieille mère ? »

« Oh oui ! »

Et il but.

« Que vous avez l’air triste, ma bonne vieille ! »

« Oui ! mais il m’est défendu de vous dire pourquoi ; et puis, vous ne sauriez pas m’aider tout de même ! »

« Qui sait ? » répondit le chasseur. « Je dois cependant vous raconter l’aventure extraordinaire qui m’est arrivée dans la forêt, il y a un instant ; il se trouvait là un monsieur qui filait et qui chantait toujours :

« La petite femme, ne peut deviner mon nom et je m’appelle joueur de fifre ![15] »

Là-dessus le chasseur s’en alla.

« Cette fois, je devinerai juste ! » pensa la petite vieille.

Peu après le diable lui apporta le lin filé et il riait dans sa barbe :

« Allons, ma mère, devinez donc pour la dernière fois ! »

« Je pourrais bien deviner juste ! » répondit-elle.

« Un peu vite ! » s’écria-t-il avec impatience.

« Joueur de fifre ! »

Et le diable s’envola et elle fut sauvée.

L’argent qu’elle avait reçu de son lin, lui permit de vivre désormais à son aise.

Et si elle n’est pas morte, elle vit encore[16] !


le fabricant et son secret

Un fabricant vendit son âme au diable, en échange d’un secret recherché qui devait le rendre très riche en fort peu de temps.

Et il devint très riche !

Mais il oubliait, dans son bonheur, qu’il devait livrer son âme un certain jour, fixé d’avance.

Et ce jour était arrivé !

Et en sortant de sa fabrique, un soir, avec un bout de chandelle allumée en main, il vit, là devant lui, le noir diable :

« Je viens chercher votre âme ! »

« Oh ! laissez-moi vivre aussi longtemps que durera cette chandelle !… Voyez, il n’y a plus qu’un petit bout !… Je dois régler encore certaines affaires. »

« Soit ! »

Mais le fabricant se trouvait justement à côté d’un puits très profond.

Et il y jeta sa chandelle !

Le diable vit qu’il était dupé. Il fit entendre un cri tel que toute la maison trembla, et il s’envola.

Le fabricant fit combler le puits.

Le bout de chandelle dure encore[17] !

(Segelsem.)

b. Dans certaines légendes (sagas), on parle de diables qui jouent et dansent avec les mortels.

Volksleven, I, 66, écrit :

À Lubbeek, dans un cabaret, il y avait, un dimanche soir un homme qui jurait de façon atroce. On jouait aux cartes. Soudain entra un inconnu ; il joua aussi et jura plus fort que

l’autre. Celui-ci, par mégarde, laissa tomber une de ses cartes ; il se baissa pour la ramasser, mais fit entendre un cri terrible. Qu’avait-il vu ? L’étranger avait des sabots de cheval ! En même temps, les autres joueurs virent une ombre noire qui s’enfuit par la cheminée. Le diable — c’était lui ! — s’était envolé, mais la salle resta remplie d’une puanteur de soufre !


Dans le même numéro de la même revue, on raconte qu’une jeune fille de Berchem mourut phtisique, parce qu’elle avait dansé avec un étranger qui n’était autre que le diable.


c. La griffe du diable (Duvelsklauw) à Hamme.

Il y a quelques années on pouvait encore voir la griffe du diable dans le mur d’une maison à Hamme. Cela donnait beaucoup de soucis aux habitants qui usèrent de tous les moyens pour la faire disparaître. Ils firent venir le maçon ; celui-ci voulut enlever l’empreinte en taillant et en creusant ; mais il n’y parvint pas. Au fur et à mesure que son outil entrait dans le mur, la griffe y entrait aussi. Alors il essaya de l’enterrer en mettant, au-dessus, d’autres pierres. Peine inutile ! Enfin, il prit de la chaux et badigeonna tout le mur : ce fut en vain ! La griffe se montra sur ce fond blanc, plus nette et plus claire qu’avant. Un des voisins conseilla aux habitants de chasser la « mauvaise main » (kwaaihand) par des prières et une neuvaine. Ce qu’ils firent ! Après le neuvième jour, il ne resta plus trace de la griffe du diable[18].


d. Origine de la Dendre.

Un jour, le diable eut l’idée de labourer, et ce fut dans la contrée de Hekelgem. Mais, après avoir fait ce travail pendant quelque temps, il en eut assez il prit les pierres et les mottes de terre et les jeta de chaque côté de la charrue.

Le sillon creusé forme maintenant la rivière la Dendre, et les pierres et les mottes jetées sont les collines que l’on rencontre dans les environs d’Hekelgem, à trois quarts de lieue de la rivière[19].

D’autres prétendent que le sillon était tellement profond que le diable vit bien qu’aucune semence n’aurait pu y germer. Quelques-uns disent que l’eau, étant entrée dans le sillon, le diable fut forcé d’abandonner son labour.


Le Bourdon ardent (heete huzzel, horzel) de Lennick.

Le nom de Heeten Huzzel était donné à un homme d’une force peu commune, un domestique de ferme qui avait vendu son âme au diable. On raconte (à Lennick, Goyck, Leerbeek, Kaster) des histoires étonnantes à propos de cet homme. Il pouvait à son aise (op zyn honderd gemakken !), arracher les plus grands arbres, porter des sacs remplis de fèves, tellement pesants, que trois autres hommes ne parvenaient pas à les déplacer seulement ; oui, il pouvait arrêter un chariot attelé de quatre chevaux !

Un jour, il devait étendre, sur un champ, le fumier disposé en monceaux. Lorsque, le soir, le fermier, son maître, vint voir, il constata que le Bourdon ardent n’avait rien fait de toute la journée. Comme il grondait son ouvrier, celui-ci dit :

« Attendez ! »

Il se posta auprès d’un tas et ordonna :

« Chacun à son poste !… À moi le mien, à chacun le sien ! »

Et en un rien de temps, tout le fumier fut étendu !

Le fermier ne vit pas les aides du Bourdon ardent ; mais, sans aucun doute, c’étaient des diables ![20].

Le diable, dans certaine saga, fauche le grain, à la place d’un valet de ferme qui lui a vendu son âme. V. Volk en Taal, IV, 118.


Grimoires ou livres du diable, livres des sorciers

(Tooverboeken, duvelsboeken.)

Le peuple croit à l’existence de ces livres. Voici ce que l’on raconte à Schelle :

« Il y a un livre, disent les vieilles personnes, qui vous ensorcelle, si vous y lisez « trop loin » (indien gij er te ver in leest). Cependant, si vous avez le temps de revenir (en lisant) au point de départ (indien gij ver genoeg kunt teruglezen), aucun mal ne s’ensuit. — Il arriva qu’un jour une femme — elle se trouvait dans la prison de Saint-Bernard — lut trop loin dans un tel livre et qu’elle n’eut pas le temps de revenir au point de départ. Soudain elle se vit entourée d’une troupe de diables qui la saisirent et l’entraînèrent. On répandit le bruit que la femme était décédée subitement et on fit célébrer quand même le service funèbre. Dans le cercueil, on mit, à la place du cadavre, du bois et des cailloux. Car la femme était et restait partie[21]. »


« Ceci est arrivé il y a bien longtemps : Sur la Goorschrans[22], à Boisschot, vivait un fermier qui possédait des grimoires. Un jour, revenant de la ville, il vit le toit de sa maison complètement couvert d’oiseaux noirs. Il comprit tout

de suite ce qui était arrivé : ses fils, malgré défense faite, avaient lu dans ses livres et étaient déjà si loin (hadden zoo ver gelezen) que les diables, sous la forme d’oiseaux noirs, étaient venus se placer sur le toit. Que fit le fermier ? Il courut au grenier, y prit un boisseau de graines de spergule et les versa sur le bûcher (houtmijt). Après, il ordonna aux esprits infernaux de ramasser toutes les graines éparpillées. En un clin d’œil, tous les oiseaux étaient sur le bûcher pour exécuter l’ordre du fermier. Entre-temps, celui-ci prit son grimoire et lut à rebours pour chasser les diables. Quand il eut fini, tous les oiseaux noirs étaient partis[23]. »


9. proverbes, dictions, locutions se rapportant au diable.


Le diable et sa mère (de duvel en zijn moere.) — Dans quelques locutions populaires on en parle. Le diable bat sa mère (de duivel slaat zijn moere), dit-on, quand il pleut et qu’en même temps le soleil brille. Quelques-uns ajoutent : « et marie sa fille (en huwt zijn dochter). » — Mourir comme le diable et sa mère (sterven lijk de duvel en zijn moere !) signifie : mourir subitement, sans les sacrements. — Dans la Flandre occidentale (De Bo), on emploie l’expression de duivel en zijne moere chaque fois qu’une affaire promet d’être grandiose et qu’en réalité ce n’est rien du tout :

Men zou zweren dat de duivel en zijn moere daar te zien zijn, en ’t is niets met al !

On jurerait que le diable et sa mère y sont à voir, et ce n’est rien du tout !

Dans le Hageland on dit d’une chose importante :

Men zou zweren, dat het de duivel en zijn moer is !

On jurerait que c’est le diable et sa mère[24] !

Le diable craint l’eau bénite ; d’où les locutions :

Kijken, schreien lijk een duivel, die wijwater gelekt heeft.

Regarder, pleurer comme le diable qui a lapé de l’eau bénite.

Spartelen als een duivel in een wij watervat, in een wijwaterflesch.

S’agiter comme un diable dans un bénitier, dans une bouteille à eau bénite.


Les locutions suivantes ont leur origine dans la croyance populaire qui prétend que le diable peut posséder le corps d’un homme :

Van al de duivels bezeten zijn ; — Van al de duivels droomen ; — Al de duivels hebben hem vast ; — De duivel zit in hem ; — Z’heeft den duivel in haar lijf ; — Hij ontbindt zijnen duivel ; — Den duivel spelen, draaien, scheren, jagen ; — Van zijnen duivel maken ; — Van den duivel gebeten, getikt, enz. zijn ; — Enz.

Être possédé de tous les diables ; — Rêver de tous les diables ; — Tous les diables le possèdent ; — Le diable est en lui ; — Elle a le diable dans le corps ; — Il délie son diable ; — Imiter le diable (c’est le sens) ; — faire de son diable (traduction littérale) ; — être mordu, touché, etc. du diable ; — Etc.

Attacher le diable à quelqu’un (iemand den duivel aandoen) signifie taquiner, agacer, importuner quelqu’un. Ailleurs on entend donner le diable à quelqu’un (iemand den duivel geven).

Il est difficile de courir au plus vite avec le diable (het is lastig met den duivel om het zeerst loopen) : il est difficile de vaincre plus fort, plus agile que soi.

Le diable tient la chandelle (de duivel, houdt de keerse) veut dire le diable s’en mêle. On dit parfois : de duivel lucht (licht) de keerse. Aussi : cela se fera à moins que le diable ne s’en mêle (dat zal gebeuren of de duivel zal dekeers houden). — Allumer une petite chandelle en l’honneur du diable (voor den duvel een keersken ontsteken) a le sens de : appeler le diable à son aide, invoquer le diable.

Si l’on fait une chose, le matin de bonne heure, on dit :

Ik doe het eer de duivel zijn paneel schudt.

Je le fais avant que le diable ne secoue son panneau (c’est-à-dire sa porte). Le diable ne meurt pas : Faire quelque chose pour l’âme du diable (iets over duivels ziele, over duvels dood doen), c’est donc faire une chose inutilement.

J’étais cité par le diable (ik was als van den duivel gedaagd), se dit quand on est effrayé au plus haut point. On entend parfois : j’avais vu le diable (ik had den duivel gezien !)

Comme le diable est un gaillard turbulent et difficile à maîtriser, on dit à un vantard :

Och ja ! ge zoudt den duivel op een kussen binden, zoo hij het u toeliet !

Oh oui ! vous lieriez le diable sur un coussin, s’il vous le permettait bien entendu !

Quand une chose s’est passée il y a bien longtemps, on dit en riant :

Het is gebeurd als de duivel een klein manneken was.

C’est arrivé lorsque le diable était petit garçon !

Un avare insatiable fait comme le diable : plus il a, plus il veut avoir !

Un coquin ne se fie pas à un coquin :

Zooals de duivel is, betrouwt hij zijn gasten !

Il se fie à ses ouvriers (ses adhérents) comme le diable.

Le diable le sait (dat weet de(n) duivel) est une exclamation qui indique que l’on ne sait absolument rien.

Un diable d’homme (een duvel van een mensch) est une expression qui a un grand nombre de sens différents : c’est un homme mauvais, méchant, importun, grand, fort, en un mot : être supérieur en son genre. — Une diablesse (duivelin) est une mégère.

Si, concernant certaine affaire, on ne désire rien connaître, on dit :

Ik geef er den duivel van !

Je m’en moque, je m’en désintéresse !

Celui qui ne craint personne, ne craint ni Dieu ni Diable (vreest God noch duivel !)

On peut être trop sot pour danser devant le diable (men kan te zot zijn om voor den duivel te dansen), et on se confesse au diable (men gaat bij den duivel te biechte), si l’on se fie à un homme faux et rusé.

Le diable est noir ; c’est pourquoi on entend dire en riant :

Soort zoekt soort, zei de duivel, en hij pakte nen koolbrander (schouwveger) bij zijnen kop. — Veel geschreeuw en weinig wol, zei den duivel, en hy schoor het g.. van een verken !

Qui se ressemble, s’assemble, dit le diable, et il saisit un charbonnier (un ramoneur) par la tête. — Beaucoup de bruit et peu de laine, dit le diable, et il rasa le d.... d’un cochon !

Un finaud, un rusé est : den duivel te plat, te slim, te heet, te rap, te sterk, etc. (plus malin que le diable).

Et tout le monde comprend la locution suivante, bien souvent employée :

Als men van den duivel spreekt, ziet men zijnen steert ; — of : rammelen zijn beenen ![25].

Quand on parle du diable, on voit sa queue ; — ou bien on entend ses os qui remuent !


10. Finissons notre deuxième chapitre en énumérant quelques objets et quelques plantes qui doivent leur nom au diable.

Objets.

Dans la Flandre orientale (Segelsem), on appelle Duvele un instrument aratoire, le scarificateur.

Dans la Flandre occidentale (De Bo) Duvel est :

1° Un outil de cordonnier ;

2° Un jouet d’enfant ;

3° Une espèce de râpe ;

4° Une espèce de chariot très solide ;

5° Un support pour la perche des archers, lorsque ceux-ci y mettent les oiseaux.

Dans le Haspengouw (Rutten), on donne le nom de Duivel à un instrument qui sert à battre le grain.

Plantes.

Duiveleten, duivelteten (Manger du diable) = champignon. On dit encore : Duivelsbrood (Pain du diable). Partout.

Duiveljong (Enfant du diable) = la célèbre Mandragore (Fl. occ.)[26].

Duivelsbaard (Barbe du diable) = Nigelle de Damas (appelée en Bavière : Teufel im Busch)[27].

Duivelsbedstroo (Paille du lit du diable) = Ononis spinosa L. la Bugrane (Fl. occ.)[28].

Duivelsbeet[29] (Morsure, mors du diable) = 1° Scabiosa succisa L., le véritable Mors du diable ; 2° la Renoncule âcre[30] (Vollezeele).

Duivelsbloem (Fleur du diable) = 1° le Mors du diable ; 2° l’Anémone des bois ou la Sylvie (Vollezeele).

Duivelsgras (Herbe du diable) = la plante mythique, le Gui[31] (Denderwindeke).

Duivelskaas (Fromage du diable) = Champignon (Hageland, Haspengouw). Chez Kiliaen : « Duivelskaese. Fungus. »

Duivelkers[32] (Cerise du diable) = Bryone ou Vigne sauvage.

Duivelsklauw (Griffe du diable) = 1° Anémone des bois (Pepingen) ; 2° Érodie à feuilles de ciguë (De Bo).

Duivelsmelk[33] (lait du diable) = 1° Euphorbe ; 2° Laiteron.

Duivelsnaaigaren[34] (Fil à coudre du diable) = 1° Cuscute, plante parasite très nuisible ; 2° Chèvrefeuille (Hageland) ; 3° Panicaut (Hageland).

Duivelskop (Tête du diable), Duivelskolf (Crosse du diable) = racines du Nénuphar (Dodonée).

Duivelskruid (Herbe du diable) = Anémone des bois (Dod.).

Duivelseieren[35] (Œufs du diable) = Phallus impudicus L., une espèce de champignon (Dod.).

Duivelsoog[36] (Œil du diable) = Adonis annuus (Segelsem).

Duivelspluim = Polypode vulgaire, une Fougère (Fl. occid.)




  1. Ce chapitre se rattache intimement au précédent. Cependant, à cause de l’étendue de la matière, nous avons cru devoir traiter séparément de la démonologie.
  2. Une seule fois il a des pieds de vache. Voy. De zwarte Poel te Everberg dans Volkskunde, III, 181.
  3. Voy. Joos, I, 40 : Van de Stokerijen.
  4. Ik wensch hem in het diepste van de helle, dit-on très souvent : je voudrais qu’il fût au plus profond de l’enfer !
  5. Volkskunde, II, 239.
  6. Ce mot n’a donc pas le sens donné par la plupart des dictionnaires : galgenaas = gibier de potence.
  7. Volkskunde, 1890, 110.
  8. Voy. plus haut, p. 72.
  9. Le diable reçoit souvent, dans les contes, les noms de : Lamen, Lepelpuit, Kokuit, Rauw, Tange (Debo). Vaelande, un poète de la Fl. occ., parle de : Duivel Toone, Duivel Taatje, Duivel Lamen, Duivel Kaatje. R. Valerius donne encore les noms de : Moentjen, Krombeen, Koof, Kortstaart. Dans les provinces d’Anvers et de Brabant, on l’appelle : Pekmanneken, Pitjepek, Montjepek, Monkepek, de Zwarte. Nous avons entendu les mots : Heintjepek, Jantjepek, dans la Fl. or. Kiliaen a les noms : Moon = daemon, et Moonkenpek = cacodaemon. — Chez Cannaert, p. 243, on trouve le nom de Roelandt.
  10. Dépendance de la commune de Brussegem. Lire un article de Pol de Mont sur les édifices du diable, dans la revue Volkskunde, II, 177 : Heidensche Reuzen in Christene Duivels vermomd.
  11. Dans beaucoup de pays, on croit que le chant du coq chasse les mauvais esprits. Voy. Sloet, 240 ; Grimm, Myth., III, 408. On trouvera plusieurs exemples plus loin.
  12. Communication de A. De Vreught (Meysse). Voy. aussi : Volkskunde, II, 180, de Blauwschuur te Kesselloo ; idem, 181, de Zwarte Poel te Everberg, où il est question d’un moulin ; idem, II, 182, de Duivelsschuur van Bierbeek (les diables sont remplacés par des Altermannekens) ; — ’t Daghet, 5e année, p. 19, de Duivelsschuur van Opvelp ; — Wolf, n° 187 : de Duivelsschuur van Galmaarde ; — Joos, I, 47 ; — Volksleven, I, 43 : de Duivelsschuur van Neerdorpen ; — Volk en Taal, III, 177 ; — Plönnies, Ruse de femme, p. 187.
  13. Er was nen keer, expression consacrée.
  14. Steen, vieux poids = 8 livres.
  15. Fijfelaar ! dans une variante (Volksleven, V, 14), il s’appelle Mispelsteertje = Queue de nèfle !
  16. Joos, I, 51. Voy. Grimm, Myth. I, où l’on trouve quelque chose d’analogue : il s’agit de saint Olaf. Le diable y porte le nom de « Wind und Wetter » et l’auteur ajoute : « Mit des bösen Geistes Namen vernichtet man seine Kraft, » (au moyen du nom de l’esprit malin, on détruit sa force). Voy. aussi ’t Daghet 1888, 184 ; on y donne au diable le nom de Kadullekes ! — Voy. encore Joos, I, Duivel en Wever ; Joos, I, et Joos, III : Duivel en Mulder ; — Joos, I, 52, Duivel en Jager ; — Joos, III, 35, Duivel en Boer ; — Volksleven, III, de Duivelstoren ; — Volk en Taal, II, 33, Duivel en Mulder ; — Idem, II, 134. Smidje-smee (Voy. plus haut le conte de Maréchal-petit-Maréchal) ; Idem, III, 108, Duivel en Wever.
  17. Het keersken is nog niet opgebrand !
  18. Volk en Tal, IV, 119. Dans le même numéro, on parle d’une griffe du diable, creusée dans un des piliers du cimetière d’Hamme.
  19. Wolf, 288.
  20. Ces détails ont été recueillis à Leerbeek. À Lennick-Saint- Martin, on dit que le Bourdon ardent vivait dans une grotte (un trou, een spelonk), que le curé de Lennick-Saint-Martin alla avec lui a Cologne et que là, étant à l’église, le valet se sauva par le trou de la serrure. Pour plus de détails, Cf. De Gronckel, Payottenland.
  21. Volksleven, III, 98. Lire aussi : Le Diable-lessiveur, Joos, I, 107 ; Het wonder keersken (La chandelle merveilleuse), Joos, III, 80 ; Wie dat er den mensch leerde de tanden van de zage overhands trekken, Volk en Taal, IV, 165.
  22. Nom d’une ferme.
  23. Volksleven, V, 46. Y lire l’article intéressant : Iets over Tooverboeken.
  24. Comp. avec le démon anglo-saxon Grendel (Riegel) et sa mère, Grendeles motor.
  25. Voy. De Bo, Schuermans, Tuerlinckx, Rutten, Harrebomaeus, etc.
  26. Plante employée par les sorcières.
  27. À cause de la collerette à divisions capillaires qui entoure la fleur bleue.
  28. À cause des piquants.
  29. Racine, en apparence, coupée par des dents.
  30. En Autriche : Teufels abbiss (Jessen).
  31. Plante sacrée des Druides, plante maudite pour les chrétiens.
  32. Chez Cordus : Teufelskirsche ; chez Bock et Fuchs, Teufelskirssen.
  33. Plantes à latex blanc ; celui de l’Euphorbe est corrosif.
  34. Teufelszwirn (Jessen). Le 1° s’enroule autour du lin et de quelques autres plantes et les fait périr ; le 2° autour de rameaux d’arbustes ; le 3° a des racines très longues.
  35. Teufelsei (Jessen). Forme d’abord, sur la terre, des boules de la grosseur d’un œuf, que l’on confond parfois avec la Morille, malheureusement !
  36. Teufelsauge (Jessen) : à cause de la couleur, d’un rouge ardent, de la fleur.