L’abbé Pierre Gravel (p. 10-16).

AINSI PARLE M.  GROULX…


« Nous sommes désunis, profondément désunis, c’est un fait brutal. L’union nationale n’a jamais si peu existé au Canada que pendant cette guerre. Et, sous prétexte de la préserver ou de la maintenir, jamais, pouvons-nous ajouter, on ne l’a si gauchement trahie. »

« Pour reconstituer la fraternité des peuples, les empires politiques ou militaires, les grandes concentrations économiques n’ont été, dans les temps anciens comme dans les temps modernes, que des entreprises à rebours. À l’intérieur, les empires ont trop souvent brimé, écrasé les petits peuples, et, par là même, les ont exaspérés. À l’extérieur, par leurs convoitises, par leur accaparement anormal des terres et des richesses du monde, empires et concentrations économiques ont provoqué des compétitions, des concentrations rivales, déchaîné des guerres féroces. »

« Selon les uns, la grande responsable de notre mésentente entre les races, ce serait l’Histoire. Et l’on a vu des esprits chimériques, pour ne pas dire davantage, prôner le rêve assez bizarre, — je ne dis pas grotesque, en dépit de l’envie que j’en ai, — le rêve d’un enseignement uniforme de l’Histoire du Canada d’un océan à l’autre, par le moyen d’un manuel unique, où l’Histoire elle-même, passée au rabot ou à la lime, ne serait plus écrite naturellement qu’avec une encre mêlée de miel et… d’un peu de suif de mouton. »

« Quand l’histoire objective ne ferait rien d’autre qu’enseigner aux Canadiens français à ne pas considérer nécessairement la conquête anglaise comme un « bienfait providentiel », l’expulsion des Acadiens comme une entreprise de tourisme un peu bousculée, un thème poétique à l’usage d’un Longfellow ; à ne pas confondre un Craig avec un Sherbrooke, un Sydenham avec un Bagot, un Metcalfe avec un Elgin ; à ne pas prendre le Rapport Durham pour des souhaits du jour de l’an ou pour le simple accès de bile d’un lord qui aurait trop bien dîné ; l’Union des Canadas pour une accolade fraternelle, les lois scolaires des provinces anglaises, un Règlement XVII, pour des monuments de sagesse législative ou une chance unique d’apprendre l’anglais ; quand, pour tout dire et pour faire trêve à la boutade, l’histoire objective, école de vérité, n’apprendrait rien d’autre à nos compatriotes qu’à faire quelque distinction entre la justice et l’injustice, entre le respect du droit et le mépris du droit, à ne pas prendre nécessairement un coup de pied pour une politesse, à savoir enfin en quel pays nous vivons et avec qui nous vivons, et à régler là-dessus nos attitudes morales et politiques, pareille histoire, j’ose le dire, travaillerait efficacement à la bonne entente au Canada, parce que la bonne méthode pour faire la paix avec les Anglo-Canadiens — j’aurai l’occasion de m’en expliquer plus clairement tout à l’heure, — ce n’est pas de faire des Canadiens français un peuple de naïfs et d’esclaves, mais un peuple aux yeux ouverts et d’une échine aussi dure que l’échine anglaise. »

« Cette histoire camouflée, éminemment propre à faire de nos compatriotes une race d’encaisseurs joyeux de soufflets et d’injures, une race de résignés à toutes les humiliations, les politiciens de tout poil peuvent essayer si cela leur plaît, de l’imposer à nos écoles. Pour ma part, je crois connaître des maîtres qui ne l’enseigneront pas et des petits Canadiens français et des petites Canadiennes françaises qui ne l’apprendront jamais. »

« Ce n’est pas ce qui s’est passé hier qui nous divise ; c’est ce qui se passe aujourd’hui ; ce sont les injustices qu’on perpétue. »

« Eh ! bien, aux faiseurs d’histoire à rebours qui veulent absolument que nous ayons un estomac et des dents de loup, je ne demande qu’une chose : qu’ils se décident donc à nous montrer nos victimes ! Qu’ils nous montrent la minorité, le faible que nous avons écrasés, le droit que nous avons piétiné. Qu’ils nous citent un cas, un seul où la passion nationale nous aurait emportés hors des frontières de la justice et du droit. »

« Extrémistes, les Canadiens français ! Je ne connais chez eux qu’une forme d’extrémisme : l’extrémisme dans la candeur et la bonasserie ; l’extrémisme dans l’aplatissement devant l’Anglais. »

« Dieu merci ! nous ne convoitons le bien ni le droit de personne en ce pays ; nous ne nourrissons contre personne le moindre désir de vengeance. Et si l’on voulait seulement nous laisser tranquilles et nous donner, non pas deux parts de justice, mais notre petite part de justice, on pourrait démobiliser tous les prédicants de bonne-entente et les renvoyer à leur effort de guerre. »

« Si le temps et l’expérience peuvent, en effet, enseigner quelque chose, c’est la faillite éclatante, totale, de notre politique de candeur excessive, de coopération sans condition, et, plus encore, de ce que j’appellerais notre diplomatie roucoulante ou soupirante, d’autres diraient : bêlante. Car enfin si les Canadiens français sont encore maltraités chez eux, serait-ce qu’ils auraient refusé de coopérer à l’édification et à la paix de ce pays ? Coopérer, ils l’ont toujours fait jusqu’à la faiblesse, jusqu’au sacrifice de leurs intérêts les plus sacrés, par conséquent jusqu’à la sottise. »

« Laissons donc à d’autres la dénonciation à temps et à contretemps du provincialisme. Retenons plutôt que les provinces ont toutes les raisons du monde de se refuser à devenir des colonies d’Ottawa.

En résumé, quand nous tiendrons notre vie économique bien en mains, nous commencerons d’être respectés. Quand nous aurons trouvé le courage et les moyens de nous gouverner nous-mêmes et pour nous-mêmes, on nous baisera les mains. »

« Un catholique est trop riche pour emprunter à des communistes ou à des socialistes. Le Canada français de demain, création originale, sera la chair de votre chair, la fleur de votre esprit. Il jaillira resplendissant de jeunesse et de beauté, de votre souffle de jeunes Français, de votre sociologie de fils du Christ. Vous le ferez pour qu’enfin, dans la vie d’un petit peuple qui n’a jamais eu, quoi qu’on dise, beaucoup de bonheur à revendre, il y ait une heure, un jour de saine revanche, où il pourra se dire comme d’autres : j’ai un pays à moi ; j’ai une âme à moi ; j’ai un avenir à moi ! »