Le diable est aux vaches/Où un scandale éclate


VII

Où un scandale éclate


N’empêche pas qu’un jour, même les plus laconiques commentateurs des événements locaux eurent à enregistrer un fait inouï dans l’histoire du Trois, et en particulier dans celle des familles Pinette et Charlot.

Le petit Baptiste avait eu quelques mots, disaient les uns, une grosse pique, affirmaient les autres, avec son voisin le Toine, et ce dernier s’était oublié jusqu’à lui montrer le poing et à lui dire, blanc de colère, et devant le Père Tremblay, de l’autre bout du rang : « Ah ! tu te laisses manigancer par les créatures à c’t’heure, hein ? Tu ferais bien mieux d’arranger ton fronteau !… Pi ta part de route !… On se tue dedans… C’est une honte pour le Toa. Tout le monde disent qu’y faut venir dans le rang le plus riche de la paroisse pour trouver des mauvais chemins !…

« Mais, attends un peu, mon gâs ! J’vas voir Lésime dimanche ! c’est lui qu’est inspecteur c’tannée, puis ça va changer ! Puis pourtant, j’sus pas hère pour les chemins !… Tout le monde peut le dire ! Mais ça va changer… Puis tes clôtures tu vas les relever, va ! On n’aura plus besoin de retenir notre respire pour les empêcher de tomber quand on passera à ras…

«… Ah ! c’est pas du temps de ton défunt père, que le Bon Dieu ait pitié de son âme, » continua Antoine, s’adoucissant un peu et portant la main à son chapeau en éclisses de frêne, « c’est pas du temps de ton défunt père qu’on a jamais vu une traînerie pareille !… T’en élève des petits gâs là ! Pi tes vaches, tes belles vaches ! a sortiront ains seulement[1] pas de ton étable le printemps prochain ; remarque ben ce que je te dis là ! Tes cochons aussi ont fini de fouiller les pétaques des autres. Pi toé, t’as fini de te vanter à la porte de l’église que t’as récolté des 200 minots d’avoine puis des 300 minots de sarrasin ! C’est avec un siau bleu pi pas un demi-minot que tu vas mesurer ta grosse récolte c’t’automne. Eh ! fendant de couillon que t’es ! T’as fini d’ambitionner sû le monde, mon vire-capot !… »


  1. Onze fois depuis six mois j’ai écrit « ains seulement », et dix fois j’ai trouvé dans l’imprimé : AINSI. Ains seulement est du vieux français. On le trouve dans Montaigne, au 16e siècle. Nos gens ont conservé l’expression, mais prononcent généralement « en seulement ». Dans le vieux français, elle signifiait « mais seulement ».