Le diable est aux vaches/Le coq à Baptiste

XXIX

Le coq à Baptiste


Jimmy Tremblay, qui avait toujours été pas mal cocassier, mais l’était encore plus depuis son retour des États, venait d’entrer dans l’étable, portant sous son bras l’unique coq du troupeau de poules de M. Pinette.

Le pauvre animal faisait pitié, tant il était sale, maigre et vermineux.

Le Sauvage dit à Jimmy : « Tu connais ça, toé, de l’onguent gris !.... »

Tout le monde se mit à rire, car on savait que Jimmy était récemment revenu du chantier précisément parce que l’usage de l’onguent gris y était devenu nécessaire, — temporairement au moins, — pour tout le monde.

Or, la mère Parlaplein elle-même était obligée d’admettre que, malgré tous ses défauts, Jimmy possédait au moins une vertu : celle de la propreté.

C’est pourquoi il était venu passer dans sa famille le temps des fêtes, en attendant que la nécessité de l’onguent mercuriel au chantier fut disparue.

— Mets lui gros comme un pois d’onguent partout où il a des bibittes, continua le Sauvage, désignant le coq ; mais fais attention, c’est poison.

Et s’adressant à M. Pinette :

— L’année prochaine tu ferais ben mieux de te construire un petit bâtiment exprès pour tes poules. Un seul lambris de planches, le devant exposé au sud, avec un grand châssis vitré et deux bons châssis en coton jaune commun. Chaque fois qu’il fera beau, et quand même il ferait froid, tu tiendras ces deux châssis ouverts toute la journée, pour que le soleil et l’air y entrent…

Au moyen d’un crayon de charpentier, le Sauvage esquissa grossièrement sur le mur encore tout « frimassé », la charpente et l’intérieur du bâtiment proposé, lequel devait avoir quinze pieds carrés et pouvait contenir, disait-il, une cinquantaine de poules.

Rappelant ses souvenirs l’auteur a pu retracer les grandes lignes de la construction et de l’aménagement intérieur esquissés sur le mur de l’étable par l’ex-palefrenier de l’école vétérinaire américaine.

Et il est heureux d’en fournir à la fin de ce roman un dessin assez fidèle.

Le Sauvage énuméra les divers soins à donner aux volailles, puis sortit d’une crèche un sac contenant une grossière poudre noire, et dit à M. Pinette : « Tiens toujours de ça devant les poules, du commencement de l’année à la fin. Tiens-en toujours aussi devant les tout petits poulets. Donne-z’en aussi à tes porcs ; ça les tiendras en appétit, ça les « tonera »[1] et ça les empêchera de manger leurs petits. »

« On dirait à la voir que c’est du charbon ou de la poudre qui vient de l’enfer ; mais crains pas ; y a rien de mieux, pour la volaille surtout… »

Le docteur sauvage dut interrompre ici ses ordonnances.

Un autre personnage venait d’entrer et réclamait l’attention de Baptiste.

C’était le meunier.

— Tiens, disait-il à Baptiste, je t’ai apporté ta gaudriole, remets-moi le gru…

— La gaudriole mais je l’ai reçue, fit Baptiste.

— Eh non ! Le Toine s’est trompé de poche. Quand t’as passé, à matin, si t’avais attendu ains seulement dix minutes tu l’aurais eue…

— Si j’avais su !

— Je t’ai crié ; mais je voyais que t’étais pressé ;… c’est pour ça que je t’ai dit : « Je te l’enverrai par le Toine, je pense que c’est lui qui s’en vient avec sa jument grise, j’entends sa clochette fêlé… J’ai cru que t’avais entendu ; ton associé, ce mecieu-là, fit-il en désignant le Sauvage, s’est redeviré. Vous avez pas entendu, l’ami ?

L’ami, c’est-à-dire le Sauvage, avait de bonnes raisons pour garder


«… de Conrart le silence prudent. »


Aussi se contenta-t-il de murmurer négligemment : « On avait le vent contraire, voyez-vous… »


  1. De l’anglais to tone : tonifier.