Le diable est aux vaches/Généalogie et épopée de nos héros


Généalogie et épopée de nos héros.


Tout le monde se rappelle que le Père Pinette dont nous avons résumé dernièrement la vie admirable avait émigré des vieilles paroisses pour s’établir dans la forêt vierge des « Tonnechipes » où il nous a été donné de faire connaissance également avec son fils Jean-Baptiste, avec le charlatan sauvage (qui soignait-du « secrette » et autres personnages de marque.

Or dans les vieilles vieilles paroisses d’où était originaire le père Pinette, les familles du même nom étaient devenues si nombreuses que pour les distinguer entre elles une branche cadette avait fini, on ne sait trop pourquoi, par s’appeler Cassepinette.

Jean Cassepinette, que tout le monde appelait Ti-Jean, était né de parents à l’aise, cultivateurs intelligents et industrieux ; mais lui, le cher enfant ! il était devenu un sujet d’inquiétude, un véritable cauchemar pour tous les siens.

Pas méchant toutefois, mais paresseux à la maison, paresseux à l’école, étourdi, irréfléchi, volage, insoucieux et n’aimant que le plaisir.

À six ans, il fumait déjà à la cachette dans les bâtiments ; et à l’école, il mâchait de la gomme tout le temps de la classe et faisait partout le désespoir de la maîtresse ; à douze ans, il chiquait comme un matelot, et à treize, il marchait au catéchisme pour la troisième fois, mais en était encore renvoyé pour inconduite et légèretés habituelles.

A seize ans, il parlait de se marier avant d’avoir jamais gagné un sou ; sans compter qu’il avait déjà presque morfondu un poulain et fait attraper le souffle à une jument, à force de courir les veillées.

Son idéal, à lui, c’était la veillée, surtout la veillée dansante, où sur le violon il exécutait déjà, pas mal, la grondeuse, les foins, et même « L’arlapaïpe » (horn pipe).

Son rêve, en attendant le mariage, c’était un cheval à lui tout seul, mais un cheval tout attelé, harnaché de blanc et à la dernière mode, et, surtout, fringant ; telle la pouliche brune qui poussait dans l’écurie paternelle, et qu’il bourrait d’avoine à la dérobée et comblait de petits soins, alors qu’il ne se fut pas dérangé cinq minutes pour bouchonner une vache malade ou lui offrir un seau d’eau.

La famille lui avait promis cette pouliche, la voiture et les accessoires, à condition qu’il méritât le tout par un peu de travail et de bonne conduite.

Toujours revêche à l’idée de faire le train tout l’hiver, et surtout d’apprendre à traire les vaches ; obsédé d’un autre côté par l’envie d’acheter à la pouliche l’équipage convoité, Jean prit le parti, un automne, de mettre fin à tout cela en allant hiverner dans les chantiers de la frontière et se gagner de l’argent.

Le père Cassepinette, comme toute la famille, s’opposa beaucoup à l’exécution de ce projet d’enfant prodigue.

Mais ce fut peine perdue.

On fut bientôt obligé à la ferme d’engager un homme pour remplacer Jean, qui, en compagnie de sept ou huit garnements de son âge avait pris le chemin de la frontière de la bondrée ou des « lignes » comme on disait indifféremment.