Le diable est aux vaches/Antoine et le Sauvage


XXII

Antoine et le Sauvage


— C’est vous qu’êtes le marichal ? dit Antoine au Sauvage, dès que celui-ci l’eut rejoint à l’étable.

— Oui, Monsieur.

— J’ai entendu dire, continua Antoine, entre deux touches et en refoulant le tabac de sa pipe du revers de son pouce, j’ai entendu dire que vous soigniez du secrette ?

— On fait pas toujours comme on veut.

— Vous allez me dire que j’sus ben curieux, mais quoi est-ce qu’y ont donc ses alimaux ?

— Un sort, Monsieur, un sort d’hiver ! Il est entré c’t’automne par un côté de la grange ; à présent il est logé partout, jusque dans le fumier, le foin, l’eau et le poil… Faut le faire sortir malgré lui : et pas par où il est entré ; il reviendrait tout de suite. Faut le faire sortir par le fin faîte de la grange.

— Ah bin !…

— Voulez-vous lui rendre service à votre voisin ?

— Vous le voyez ! J’étais venu pour ça.

— Peux-tu trouver cinq ou six bons hommes pour un bi ?

— Une courvée ?

— Oui, une courvée, un bi, n’importe,

— C’te relevée ?

— Tout de suite ; au plus vite.

— Oui ! et des bons ! le Père Tremblay (mon beau-père), ses trois garçons, tous des premiers hommes ; et leurs petits gars, des bonnes jeunesses aussi. À part ça, le grand Djoe, le saigneux de cochons du Huit[1] ; vous le connaissez p’t’être ? Puis Lésime, mon voisin arboutant… Y viennent toutes d’achever de faire boucherie chu moé ; y peuvent même commencer avant dîner si vous voulez.

— As-tu de la planche chez vous ?

— Oui ; pourquoi ?

— Ben, avant dîner qu’ils fassent, premièrement, comme une manière de tuyau carré, un peu plus grand du bas que du haut, une quinzaine de pieds de long, deux pieds carrés au moins, deux par trois pieds disons.

— Mais pourquoi ça ?

— Pour faire sortir le sort. Puis dis-leur, quand ils viendront de ne pas me poser deux fois la même question. C’est important.


  1. 8e rang.