LE
DERNIER ABBÉ.

I.

Les abbés du siècle dernier étaient de ces types curieux et divertissans que 1789 a détruits sans retour, et dont l’équivalent n’existe pas de nos jours. Ces heureux petits mortels ne faisaient rien du matin au soir, logeaient dans les mansardes, couraient la ville, portant les nouvelles, chantant les airs nouveaux et attrapant par ci par là une place dans un carrosse ou dans une loge d’Opéra. Ils ne dînaient pas tous les jours, mais le souper ne leur manquait jamais, à cause des chansons et des bons mots dont ils avaient tout un répertoire, et c’est un grand point que de ne pas se coucher l’estomac vide. Ils n’avaient pas de maîtresses, mais à force d’assiduité auprès des dames, ils obtenaient par occasion leur tour de faveur ; ils profitaient d’une querelle entre amans, d’une absence ou d’une rupture, et se trouvaient toujours là pour remplir l’intervalle entre l’intrigue qui finissait et celle qui allait commencer.

En 1770, il y eut donc un beau jour, sur le pavé de Paris, un jeune abbé sortant on ne sait d’où, qui n’avait ni père ni mère, et de frère aîné pas davantage ; il ne tenait à qui que ce fût sur la terre, et portait le simple nom de Cordier. Il n’était pas plus abbé que vous et moi, c’est-à-dire qu’il n’avait jamais ouvert un bréviaire, mais il avait pris la tonsure et le petit collet comme un passeport provisoire qui menait à toutes choses. L’abbé Cordier avait vingt ans, l’œil en amande, la face rose, la physionomie franche, un caractère doux, une gaieté inaltérable, de la complaisance, l’envie de plaire et pourtant beaucoup de modestie. Nous ne savons pas qui l’avait nourri et conduit jusqu’à ce bel âge de vingt ans, car le jeune abbé ne parlait pas de lui-même, et qui eût jamais pensé à lui faire conter l’histoire de son enfance ? De peur de rien changer à la vérité, nous le prendrons au moment où il se fit connaître.

L’abbé Cordier s’introduisit sur la scène du monde, on ignore par quel passage étroit ; toujours est-il que le 26 janvier 1770, il se trouva dans les coulisses de l’Opéra, où il n’avait point ses entrées, offrant une prise de tabac au directeur, M. Berton, qu’il ne connaissait pas. C’était le jour d’ouverture de la nouvelle salle, et l’on jouait la tragédie de Zoroastre. On admirait beaucoup les constructions, les ornemens et sculptures ; le public applaudissait ; les acteurs étaient en verve, les dorures toutes fraîches et les cœurs épanouis ; ce n’était pas un jour à chicaner les gens sur leur présence dans les coulisses.

À peine M. Berton eut-il insinué ses doigts dans la tabatière de notre abbé, qu’une familiarité agréable s’établit entre eux. M. Moreau, l’architecte du roi, et M. Vassé, le peintre, vinrent se joindre à lui pour féliciter le directeur. Le jeune abbé était charmé de l’heureuse distribution de l’intérieur, des sept portiques égaux de la seconde entrée, de la galerie de ronde qui offrait une quantité d’issues commodes ; il savait que l’ouverture de la scène avait trente-six pieds de largeur sur trente-deux de hauteur ; il admirait le bel ovale du plafond, le tableau représentant les muses et les talens lyriques rassemblés par le génie des arts. Apollon, porté sur un char enflammé, faisait fuir l’Ignorance et l’Envie ; des renommées d’un effet merveilleux, soutenaient des globes d’azur semés de fleurs de lys ; des enfans formaient une chaîne à l’entour avec des guirlandes. La salle pouvait contenir deux mille cinq cents personnes. On avait supprimé les poteaux qui divisaient et gênaient les loges. L’abbé Cordier venait d’examiner à fond tout cela. On voyait bien, disait-il, que M. Moreau avait puisé ses modèles en Italie. L’acoustique du bâtiment était excellente ; tout paraissait calculé, prévu et arrangé pour les aises du public et la fortune du théâtre. Ainsi s’exprimait l’abbé, au grand enchantement de ses trois auditeurs, qui se mirent aussitôt à l’aimer. Au lieu de lui demander comment il se trouvait là, M. Berton lui accorda sur-le-champ ses entrées ; M. Moreau le conduisit à sa loge pour le présenter à sa femme, et M. Vassé le pria de venir le lendemain dîner chez lui.

N’allez pas croire que l’abbé Cordier donnât des éloges à tout le monde par flatterie ou par intérêt. Jamais il n’eût parlé contre sa conscience. Il était facile à contenter, enthousiaste des choses vraiment belles, et si bienveillant par nature, qu’il trouvait du plaisir pour lui-même à louer les gens quand il pouvait le faire sans mentir.

À l’heure où commence cette histoire, l’inventaire des biens de notre abbé n’était pas considérable. Il avait en tout quatre écus de six livres, dont deux étaient dans la poche de sa veste ; les deux autres, roulés dans un papier, étaient destinés à sa portière. Sa garderobe se composait d’un habit et d’une culotte, d’un chapeau et d’une paire de souliers, c’est-à-dire qu’il n’avait rien en double. À la rigueur, cela pouvait s’appeler posséder le nécessaire. Il avait dîné le matin ; nous ne savons pas dans quelle maison. Quant à son loyer, il était payé d’avance ; mais le terme expirait dans deux mois. Cordier ignorait donc où il coucherait à la fin de mars, et il ne s’en inquiétait pas, tant il avait de confiance dans les bontés du ciel, qui pourtant ne le traitait pas en enfant gâté.

Le lendemain, à la table de M. Vassé, se retrouvèrent le directeur et l’architecte de l’Académie royale, avec les avocats du conseil de la Comédie-Française, tous gens qui aimaient et cultivaient les arts. L’abbé parlait en homme qui s’entendait un peu à tout, mais sans trancher de l’important et avec un air de conscience et de sincérité qui donnait du poids à ses opinions. Comme il était au milieu de personnes éclairées, la compagnie le goûta beaucoup. Il fit honneur aux bons morceaux, trouva le vin parfait, ne prit la parole qu’à son tour et conta une histoire gaie qui ne dura pas trop long-temps. M. Berton l’invita aussitôt pour le jour suivant, et M. Moreau pour le surlendemain. Une autre personne, qui donnait un grand régal chez le traiteur, le pria d’être de la partie. Cordier eut partout le même succès, et ses amphitryons lui offrirent l’un après l’autre le couvert à leur table une fois la semaine ; il se vit ainsi quatre dîners assurés. Il lui manquait encore le vendredi et le samedi ; mais c’étaient des jours maigres, et il se consola en pensant que, s’il venait à jeûner, le ciel lui en tiendrait compte pour son salut. Quant au dimanche, il l’abandonna au hasard, disant avec juste raison qu’il fallait bien hisser quelque chose à son étoile.

Ce fut dans la maison de l’architecte du roi que l’on prit surtout le jeune abbé en grande affection. Il y avait deux petites filles espiègles que M. Cordier parvint à contenir toute une soirée en leur faisant des tours de cartes. Mme Moreau, voyant qu’il amusait ses enfans, le pria de venir le plus souvent qu’il pourrait. L’abbé y mit toute la complaisance imaginable. Il s’échappait un moment des endroits où il se plaisait le plus, et chaque soir vers neuf heures, il arrivait pour le coucher des enfans ; il les asseyait sur ses genoux et leur contait le conte de Fine-Oreille ou celui de Monsieur le Vent, que les petites filles savaient par cœur, mais qu’il disait à ravir. Il usa aussi de discrétion en ne venant pas pour cela dîner plus fréquemment, à moins qu’il n’y fût contraint par la nécessité.

L’amitié qu’on avait pour notre abbé s’était accrue tous les jours, et il se trouvait fort heureux de son sort ; mais le mois de mars allait finir bientôt, et Cordier, qui n’avait pas un sou pour payer le terme de son loyer, était menacé de n’avoir plus de domicile, ce qui était fort grave.

Un soir, Mme Moreau tira de sa poche un portefeuille où elle écrivait les adresses de ses connaissances, et demanda en riant comment il se faisait qu’elle ne sut pas encore où demeurait son ami M. Cordier.

— Madame, répondit l’abbé, vous me demandez cela fort à propos, car dans trois jours il eût été bien tard, et je n’aurais su que vous dire.

— Est-ce que vous allez déménager ? dit Mme Moreau ; je vous plains. C’est fort ennuyeux.

— Déménager n’est pas le difficile, répondit Cordier ; ce n’est pas non plus de trouver un autre gîte, mais c’est de payer un terme d’avance qui est une grande affaire, à moins qu’on n’ait de l’argent.

Mme Moreau se leva sans rien répliquer, et prit à part son mari. Au bout d’un moment, elle revint, et après un peu de silence elle dit en travaillant à sa tapisserie :

— Monsieur l’abbé, nous avons là-haut une chambre qui ne sert à personne ; si vous voulez demeurer avec nous, mon mari vous offre ce petit logement.

— J’accepte sans me laisser prier, madame, et de tout mon cœur,

— Votre lit sera prêt demain ; vous viendrez quand il vous plaira.

Mme Moreau, voyant que le plaisir et la reconnaissance avaient ému l’abbé, lui tendit une main par-dessus son métier à tapisserie, et lui dit pendant qu’il y déposait un baiser respectueux :

— Les enfans seront bien contens d’avoir leur ami dans la maison.

Le lendemain, Cordier arriva, tenant sous son bras un petit paquet enveloppé dans un mouchoir, et qui ne pesait pas trois livres. On le mena au quatrième étage dans une chambre fort propre, et son déménagement se trouva fait.

II.

Les gens du siècle passé qui n’étaient pas bien dans les papiers de la fortune, avaient du moins en eux-mêmes un soutien, c’était le manque d’ambition. Jamais l’idée ne serait venue à un petit abbé de vouloir être un personnage, ni de perdre dans la triste passion de l’envie les belles années de la jeunesse. Lorsque Cordier ouvrit les yeux aux premiers rayons du jour, et qu’il se vit dans un beau lit en bois peint avec des rideaux de serge, avec quatre chaises de paille bien rangées le long des murs, et une commode en noyer, il fut tenté de se croire empereur d’Orient, comme le dormeur éveillé. Ce fut bien autre chose quand le valet de chambre de M. Moreau lui apporta du chocolat avec un petit pain, et qu’on lui donna une paire de pantoufles tandis qu’on cirait ses souliers ; pour le coup, il se crut servi par des génies dans le palais de la Chatte blanche. Il remercia Dieu, et s’habilla gaiement en fredonnant un air d’Acante et Céphise, dont la musique était du célèbre Rameau.

Pendant cette heureuse journée, l’abbé se sentit l’esprit plus léger que d’habitude. Avant de quitter la maison pour aller chez M. Berton, il descendit au salon, où étaient M. Moreau et sa femme jouant avec leurs petites filles. Mme Moreau, qui faisait danser un des enfans sur ses genoux, se mit à chanter en badinant la chanson suivante, qui n’a d’autre mérite que d’être connue de tout le monde :

Il était, il était
Une jeune fille,
Qui n’avait, qui n’avait
Qu’une chemise,
Et encore elle était
À la lessive.

Un nuage passa dans l’ame de Cordier en entendant ces paroles ; un peu de rougeur lui monta au visage. Il ouvrit sa tabatière et la referma sans y rien prendre ; puis il se leva, et, après avoir fait le tour du salon d’un air embarrassé, il tira M. Moreau par la manche de son habit.

— Monsieur, lui dit-il en hésitant, je ne pense pas que Mme Moreau, qui est la bonté même, ait envie de se moquer d’un homme qui lui est tout dévoué. Ce n’est d’ailleurs qu’une plaisanterie fort innocente…

— Qu’avez-vous, mon cher ami ? répondit l’architecte du roi ; je ne vous comprends pas.

— C’est, reprit l’abbé, que je n’ai en effet qu’une chemise, et qu’encore elle est à la lessive, comme dans la chanson.

— Soyez assuré, dit M. Moreau, que ma femme n’y entendait pas malice, et qu’elle ne sait pas si vous manquez de chemises. Votre veste est boutonnée jusqu’au rabat, et, pour ma part, je vous trouve fort bien vêtu. Cependant je dirai à ma femme de prendre garde une autre fois à ce qu’elle chantera.

L’abbé pressa la main de M. Moreau, et s’en alla chez le directeur de l’Opéra. Il le trouva en conférence avec Mlle Doligny de la Comédie-Française, qui venait solliciter un spectacle à son profit. Cette jeune actrice, qui jouait admirablement les ingénues, était fort aimée du public ; mais la jalousie de ses camarades lui donnait beaucoup de soucis, comme il arrive souvent aux gens de talent. On lui enlevait ses rôles sous le prétexte qu’elle avait au-dessus d’elle des chefs d’emploi. Dans la soirée à son bénéfice, ses amis voulaient qu’elle jouât, sur la scène de l’Académie, la pastorale d’Endymion de feu Fontenelle. M. Berton élevait des difficultés ; cependant il céda enfin, grâce aux instances de Cordier, qui pria en faveur de Mlle Doligny. Sans être fort jolie, cette jeune actrice avait une figure intéressante, un son de voix qui allait au cœur, de la gaieté, quelque chose dans les manières qui charmait à première vue. Cette aimable fille remercia Cordier d’avoir intercédé pour elle, et y mit tant de grace, que l’abbé en devint tout rouge de plaisir. Mlle Doligny savait par les bruits de coulisses qu’il était homme de bon conseil, et comme elle avait besoin d’être un peu soutenue au milieu de ses ennemis, elle désira qu’il vînt aux répétitions. Elle l’invita même à être dans sa loge le jour du spectacle à son profit, afin de la secourir au moment de sa toilette, s’il lui survenait quelque embarras. Cordier n’eut garde d’y manquer, et bien leur en prit à tous deux.

La jeune actrice avait commandé pour son rôle de Phœbé un croissant avec des pierreries. On n’apporta ce joyau de rigueur qu’une heure avant le lever du rideau, et il se trouva que le cercle d’or par où il s’attachait aux cheveux était beaucoup trop large pour la coiffure de Mlle Doligny. Il n’y avait pourtant pas moyen de jouer la lune sans un croissant. La pauvre actrice poussait des cris de désespoir, et ses camarades se réjouissaient déjà ; mais Cordier ne perdit pas la tête. Il était versé dans l’art du serrurier ; il s’arma d’une lime, fit un marteau avec une clé, un étau avec le tiroir d’une table, et se mit à l’ouvrage. En moins d’un quart d’heure, il eut arrangé le cercle d’or et posé lui-même le croissant avec goût dans la chevelure de la Phœbé.

Mlle Doligny sécha ses pleurs, se regarda bien dans la psyché, s’assura qu’il ne lui manquait plus rien, et se tourna enfin vers notre abbé. Elle était éblouissante de fraîcheur et de jeunesse.

— Embrassez-moi pour votre peine, lui dit-elle, avant que je mette mon rouge ; cela me portera bonheur.

Cordier baisa la belle Phœbé sur les deux joues, et les poisons de l’amour pénétrèrent pour la première fois dans ses veines. On venait de frapper les trois coups ; l’abbé regagna sa place à l’orchestre avec un cruel désordre dans l’imagination et un poids affreux sur le cœur, car quelle vraisemblance qu’un garçon pauvre comme lui pût réussir à rien auprès d’une ingénue de la Comédie-Française ? Il ne voulait pas même y songer, et ne rassemblait ses forces que pour chasser bien loin ses désirs.

Cependant Mlle Doligny obtint un véritable triomphe. Le parterre applaudit avec enthousiasme. Une pluie de bouquets accompagna la chute du rideau. Notre abbé courut, après le spectacle, à la loge de l’actrice ; mais il trouva la place encombrée par une foule d’amis et de grands seigneurs, qui se pressaient pour offrir les félicitations et les madrigaux. À peine s’il put, en se dressant sur la pointe des pieds, apercevoir la reine de la soirée couchée sur un sopha et enveloppée de fourrures. Il se retirait le cœur fort serré, quand une femme de chambre le saisit par le bras comme il traversait le vestibule, et lui mit un billet dans la main.


« Mon cher abbé, lui disait-on, votre baiser m’a porté bonheur, comme je m’y attendais. Venez demain déjeuner avec moi sur les dix heures du matin. Les sots et les complimenteurs n’entreront qu’à midi.

« Julie Doligny. »


— Grand Dieu ! s’écriait Cordier en bondissant au milieu des rues, elle m’accorde deux heures de tête-à-tête ! Que vais-je lui dire ? Comment lui cacher mon amour ?

La crainte et l’espérance allaient et venaient dans l’ame du jeune abbé. Lorsqu’il fut rentré dans sa petite chambre, il promena autour de lui des regards désolés, et le sentiment de sa pauvreté lui perça le cœur.

— Non, dit-il avec abattement, je n’irai pas m’exposer au feu de ses beaux yeux. Puisque les bonheurs excessifs ne sont pas faits pour moi, sachons au moins fuir les dangers. Il m’appartient bien de courtiser une actrice, à moi qui n’ai pas de chemise ! Allons, n’y pensons plus.

Cordier, ayant bravement pris son parti, se mit à chanter la chanson de Mme Moreau :

Il était, il était
Une jeune fille, etc.

Il ouvrit un tiroir de sa commode pour y serrer le billet de la séduisante Phœbé. Ô miracle ! ce tiroir contenait six chemises neuves ! Les merveilles de la civilisation, lorsqu’elles frappèrent les regards du jeune Barbare qui le premier traversa le Bosphore, n’eurent pas un éclat plus surprenant que celui de cette admirable trouvaille. L’abbé n’osait porter ses mains sur la toile fine, de peur qu’elle ne vînt à s’évanouir comme une illusion des sens.

— Ô madame Moreau ! dit-il avec émotion, vous êtes une seconde providence !

Le diable, qui était sans doute jaloux du bonheur de notre abbé, lui fit découvrir alors un petit trou au coude de son habit ; mais Cordier n’était pas homme à se déconcerter pour si peu de chose.

— Ce n’est rien que cela, dit-il gaiement ; on ne manque pas un rendez-vous faute d’un bout de fil noir pour faire une reprise.

Et il se coucha tout joyeux. Cette fois, il rêva qu’il était dans le paradis des Orientaux et que Mahomet lui-même n’avait pas une veste aussi belle que la sienne.

III.

Le lendemain, notre abbé regardait l’effet de sa chemise blanche dans son miroir à barbe. Il appela le valet de chambre pour avoir son habit qu’on avait emporté.

— Le voici, monsieur l’abbé, dit le domestique d’un air significatif.

Cordier passa une manche avec empressement et resta immobile de surprise.

— Mais c’est un habit neuf ! s’écria-t-il.

— Oui, monsieur l’abbé.

— Et d’où vient cela ?

— Je ne sais pas, monsieur. Mon maître m’a dit que c’était à vous, et je vous l’apporte.

— Allons ! Il vient à propos.

L’abbé descendit les escaliers en voltigeant sur la pointe de ses souliers, et une voix intérieure lui disait : Tu es un heureux mortel.

Le hasard avait trop fait pour Cordier depuis vingt-quatre heures pour qu’il ne s’amusât pas un peu à lui rabattre de sa joie. En arrivant chez Mlle Doligny, le cœur enflé par l’espoir, l’abbé vit, en traversant la salle à manger, qu’on avait dressé une table de quatre couverts. Deux étrangers attendaient au salon ; l’un était un mondor, et l’autre un officier des gardes.

— Adieu le tête-à-tête ! pensa l’abbé. Comment diable aussi ai-je pu me mettre dans l’esprit que cette créature divine avait jeté les yeux sur moi ?

L’espérance s’envola ; mais Cordier n’en garda pas moins une contenance ferme, et sentit qu’il fallait montrer sa bonne humeur des dimanches. L’ingénue parut bientôt dans une toilette fort jolie. Elle remercia le mondor d’un collier de perles dont il venait de lui faire présent, et donna la main au militaire en l’appelant son cousin. Cordier avait la mort dans l’ame. Cependant on se mit à table ; le courage lui revint lorsqu’il vit que sa présence donnait aussi de la peine à ses rivaux, et que, de plus, ils n’avaient point d’esprit. Il se mit en frais, se ranima peu à peu et conta des histoires.

— Ma foi, messieurs, dit Mlle Doligny aux deux autres convives, vous êtes tristes comme des capucins.

On parla de la pièce d’Endymion tout en mangeant des asperges.

— L’abbé, reprit l’ingénue, racontez-moi quelques bons mots de Fontenelle. Je les aime fort, et il en a beaucoup dit.

— Je n’en sais qu’un, répondit Cordier ; mais il montre assez combien le personnage était sensible. Fontenelle avait un vieil ami d’enfance qui s’appelait l’abbé Dubos, et avec lequel il déjeunait tous les matins. Ils aimaient tous deux les asperges et en mangeaient tant que la saison en durait ; mais Dubos les voulait à la sauce et Fontenelle à l’huile, ce qui était entre eux un éternel sujet de querelles et de plaisanteries. Un jour, au moment où ils allaient manger leur plat favori dont on avait préparé la moitié d’une façon et l’autre moitié de l’autre manière pour satisfaire tous les goûts, M. Dubos tombe subitement frappé d’apoplexie. Fontenelle se baisse, prend la main de son ami, lui tâte le pouls et reconnaît qu’il est mort. Aussitôt il ouvre la porte et crie au domestique : Préparez toutes les asperges à l’huile !

— Je connaissais ce mot, dit le mondor.

— Moi, dit le militaire, je ne le connaissais pas, mais je n’y trouve rien de plaisant.

L’abbé comprit qu’ils étaient jaloux tous deux, et inventa des histoires de son cru pour voir si elles seraient connues du mondor, et si elles auraient l’approbation de l’officier. En sortant de table, il s’aperçut que ses deux rivaux le toisaient avec des airs de dépit. Chacun d’eux tâchait de prendre Mlle Doligny à part pour lui glisser des mots à l’oreille.

— Vous pouvez vous expliquer tout haut, messieurs, dit l’actrice. Je ne suis pas une marquise, et je ne fais rien en cachette. Il faut, dites-vous, que je me décide pour quelqu’un ? Il n’est pas bien de n’avoir pas encore d’amant ? Mon choix est fixé. Monsieur l’abbé Cordier est mon affaire. J’ai lu dans ses yeux qu’il est amoureux de moi, et je vous déclare qu’il me plaît beaucoup.

L’abbé tomba sur ses genoux et saisit avec transport la main qu’on lui offrait.

— Ah ! madame, dit-il d’un air pénétré, voici la première fois qu’une aussi grande joie entre dans mon cœur. Jamais je ne perdrai le souvenir de cet instant, et je défie le ciel de me donner une peine qui l’efface de ma mémoire.

Cette parole était imprudente, comme on le verra par la suite, mais c’est ainsi que parlent les gens amoureux, et d’ailleurs Mlle Doligny n’ayant à cette heure que de tendres sentimens dans le cœur, répondit qu’elle était charmée de l’amour qu’elle inspirait. Le mondor et le militaire enfoncèrent leurs chapeaux sur leurs oreilles et s’en allèrent en frappant les portes ; mais on ne s’aperçut pas de leur sortie. Notre abbé devint l’Endymion de la Phœbé. Le nom lui en resta, et dans les coulisses on l’appela l’abbé Endymion tant que durèrent ses amours.

Le bon Cordier n’était pas de ces gens vaniteux qui mettent la plus forte part de leurs plaisirs dans l’ostentation. Il aimait Mlle   Doligny pour elle-même et non pour la gloire qu’il en retirait. Elle lui eût plu aussi bien si elle n’eût été qu’une simple bergère. C’était une chose plaisante que de voir cet homme modeste, et qui n’avait pas seulement deux culottes, passer devant la cour brillante de la jeune actrice, recueillir les douces œillades à la barbe des marquis les plus hauts sur talons, et conduire à son bras cette fille si recherchée. On en riait tant qu’on pouvait, mais on enrageait sous cape. Mlle Doligny eut vent de quelques moqueries sur la pauvreté de son Endymion. Elle voulait donner à Cordier un habit magnifique en velours cramoisi et lui faire quitter le petit collet ; mais il eut le bon sens de n’y pas consentir. Tout ce que l’ingénue put obtenir de lui, fut qu’il porterait, pour l’amour d’elle, une veste de soie noire, qu’elle broda de sa main. Le jour que sa maîtresse lui envoya cette veste, l’abbé trouva dans la poche une bourse bien garnie. Les scrupules le prirent à la gorge à cette découverte. Il courut chez sa belle, et, ne sachant comment lui dire ce qu’il avait dans l’esprit, il la regarda timidement en frappant sur sa poche de manière à faire sonner les pièces d’or.

— Je vois à votre mine ce que vous pensez, lui dit-on. Si j’étais une princesse, vous n’auriez pas de ces sottes délicatesses. Eh bien ! sachez, monsieur, que je veux être pour vous au-dessus de la plus fière princesse du monde. Si vous avez le cœur assez mal placé pour être honteux d’accepter quelque chose de moi, jetez cela par la fenêtre.

— Ne vous fâchez point, dit l’abbé ; j’ai le cœur où il faut l’avoir, et je vous remercie de toute mon ame.

M. Moreau se mit à rire en apprenant les triomphes de son ami Cordier.

— Prenez garde à vous, lui disait-il, mon cher Endymion. La lune est changeante ; elle ne vous aimera que le temps d’un quartier.

M. Berton lui accordait davantage.

— Cela ira, disait-il, jusqu’à la nouvelle lune de vingt-huit jours.

Mais quand le second mois fut commencé, il fallut trouver d’autres railleries, et il n’en restait plus qu’une seule dans le calendrier.

— Quand arrivera l’éclipse ? demandaient les mauvais plaisans.

— Quand le soleil me voudra jouer un mauvais tour, répondait l’abbé. Je suis préparé à tout évènement, comme le sage.

La tendresse de Mlle Doligny pour son petit abbé se soutenait malgré les plaisanteries. Elle alla tout doucement jusqu’à l’accomplissement de l’année entière, ce qui nous paraît être la bonne mesure pour une ingénue.

Un marquis du bel air vint se jeter à la traverse et fouler aux pieds le bonheur de notre pauvre abbé. C’était un homme prodigue et ruiné de toutes les façons, criblé de dettes, fatigué de corps et blasé d’esprit, un homme adorable enfin, selon les goûts du temps. Il supplanta Cordier dans l’espace de deux heures, et n’eut besoin que de paraître pour vaincre, comme le défunt empereur César. Cordier vit le coup de foudre qui le frappait, et demeura un peu interdit.

— Mon cher garçon, lui dit son infidèle, vous m’avez souvent donné l’assurance que vous auriez du courage, s’il m’arrivait de ne plus vous aimer. Voici le moment de montrer votre bravoure. Il va sans dire que nous resterons toujours bons amis, car vous me feriez de la peine en cessant pour cela de venir me voir.

— J’aurai du courage, répondit l’abbé ; mais ne comptez pas m’avoir parmi vos suivans. Je ne descendrai pas m’asseoir au banc des violons, moi qui ai tenu le siége du chef de musique.

Après cette réponse digne des temps anciens, l’abbé se retira héroïquement ; mais il ne retrouva pas du tout la force dont il avait fait parade, et dont les indifférens et les égoïstes seuls sont capables. Il gardait un visage impassible en public, et ses amis ne soupçonnaient pas l’état cruel où il était. Son cœur était déchiré mille fois par jour ; tous les objets qui frappaient ses regards lui rappelaient le bonheur perdu. Des souvenirs accablans le troublaient à chaque pas.

— Hélas ! disait-il en se tordant les bras, pourquoi me suis-je précipité dans ce monde des passions loin duquel j’aurais pu vivre paisiblement ? Quels êtres sont donc ces femmes qui demeurent toujours dans cet enfer et y respirent à l’aise comme l’oiseau sur les buissons ?

Et puis au moment de maudire le nom de son ingrate, le pauvre garçon en avait des remords, et remerciait le ciel de lui avoir donné au moins quelques jours heureux avant de mourir. En un mot, Cordier était en proie au désespoir. Il résolut d’abandonner une existence vouée à l’amertume. Il se mit en tête de se faire trapiste ; mais son étoile était d’une humeur plus folâtre qu’il ne l’imaginait, comme on le verra tout à l’heure.

IV.

L’abbé Cordier fit un marché avec un maître de voiture pour être conduit à la Trappe, située près d’Avranches ; il mit dans sa poche une bourse où il lui restait encore quinze louis d’or, et partit avec un très léger bagage sans dire à personne où il allait. On était alors au mois de mai. Les chaleurs du printemps se répandaient dans la campagne, les arbres et les champs prenaient des airs de fête ; mais Cordier, tout entier à ses douleurs, demeurait morne en face des beautés du paysage. Il voyageait d’ailleurs dans une mauvaise guimbarde avec des marchands de bestiaux qui n’étaient pas gens à le distraire. Il s’enfonça le plus avant qu’il pût dans ses sombres pensées, et demeura en silence, contre son ordinaire, tout le long du chemin.

Le quatrième jour, on arriva sur le soir au petit bourg de Mortain, situé non loin d’Avranches. On descendit à l’unique auberge du lieu pour la dernière couchée. L’hôtelière était une jeune femme de vingt-cinq ans, qui avait des yeux engageans, des appas fort arrondis, les mains propres, la bouche fendue et la taille bien serrée dans le tablier le plus blanc du monde. Cordier ne songeait guère à remarquer tout cela, et d’ailleurs il n’était point dans son humeur de courtiser les aubergistes. Il poussait la modestie jusqu’à n’avoir pas l’idée qu’avec sa jolie figure, il pût frapper au premier regard l’imagination d’une femme. L’hôtelière, qui ne pensait pas à se faire trappiste, s’aperçut tout de suite que l’abbé était un beau garçon, et qu’il paraissait plongé dans l’affliction. Elle fut prévenue en sa faveur aussitôt qu’elle vit son air triste et sa jambe faite au tour. La curiosité s’en mêlant, elle voulut savoir qui était ce gentil voyageur, et d’où lui venait sa mélancolie ; c’est pourquoi elle lui fit dresser une table dans une chambre à part, tandis qu’elle mit le couvert des marchands de bestiaux dans la cuisine.

Notre abbé mangea son potage sans dire mot ; mais, lorsqu’il eut avalé un civet de lièvre et vidé la moitié d’une bouteille, il se trouva moins accablé. L’hôtelière, qui le servait elle-même et qui le regardait d’un œil compatissant, jugea que le moment était favorable pour entrer en conversation. Elle prit donc une chaise, et, s’asseyant en face de son hôte, elle lui demanda s’il trouvait le dîner bon.

— Je le trouve excellent, répondit Cordier.

— Vous répondez cela par complaisance, reprit l’hôtelière, car on voit, monsieur l’abbé, que vous ne sentez pas le goût de vos morceaux, tant vous êtes rêveur. Je gage que vous ne sauriez pas dire ce que vous venez de manger ?

— C’est la vérité, madame ; je n’ai pas l’esprit à ce que je fais, et cela vient de ce que je suis l’homme le plus malheureux qui soit sur la terre.

— Mon Dieu ! quel dommage ! que j’en suis fâchée ! Quel est donc ce malheur si grand ? Pouvez-vous me le conter, monsieur l’abbé ? je n’en dirai rien.

— Volontiers, madame, ce sera peut-être un soulagement que de parler de mes peines.

Cordier raconta ses amours avec Mlle Doligny, et comment elles avaient fini. L’hôtelière, les deux coudes sur la table et la tête posée entre ses mains, la bouche à demi ouverte, écoutait le récit de toutes ses oreilles. Elle n’avait jamais entendu parler des théâtres de Paris, et toutes ces aventures lui semblaient tirées d’un conte de fées. Elle ne se sentait pas de joie d’avoir sous les yeux le héros de cette histoire. L’abbé, qui ressentait les effets bienfaisans de la digestion, se plaisait à chaque minute davantage dans la situation où il était ; l’intérêt que lui montrait la belle hôtelière adoucissait remarquablement ses peines. Quand son histoire fut achevée, il fit un gros soupir et murmura sur le ton d’un berger de Fontenelle :

— Hélas ! c’est la dernière fois que je parle à quelqu’un de mes chagrins.

— La dernière fois ! s’écria l’aubergiste : eh ! pourquoi donc ?

— Parce que demain je vais entrer à la Trappe.

— Sainte Vierge ! à la Trappe ! Dans un si bel âge ! Ah ! que ne puis-je vous en détourner ! Excusez-moi, monsieur l’abbé, mais je suis toute bouleversée de ce que vous me dites.

La bonne hôtelière se leva et sortit en pleurant de tout son cœur. Cordier, ému de voir une amitié si tendre, en eut aussi une larme dans les yeux. Le soir, lorsqu’il se coucha, il s’avoua tout bas à lui-même qu’il était ébranlé dans ses résolutions. Le lendemain, au point du jour, l’hôtelière entra dans sa chambre :

— Monsieur l’abbé, lui dit-elle, on va mettre les chevaux à la voiture ; mais, si vous m’en croyez, vous resterez à dormir la grasse matinée. Demain je vous mènerai dans ma cariole à Avranches, si vous tenez encore à votre projet d’entrer à la Trappe.

Les esprits sont faibles le matin, pendant le demi-sommeil. L’abbé ouvrit un œil, étendit les bras et dit qu’il voulait bien rester jusqu’à demain ; puis il se tourna sur le côté pour recommencer à dormir. On partit sans lui. Sur le coup de dix heures, Cordier descendit, un peu honteux de sa faiblesse. L’hôtelière, qui avait mis un bonnet neuf, lui parut plus fraîche et plus jolie que la veille. Elle lui servit un excellent déjeuner et lui tint encore compagnie. Elle le mena ensuite promener dans son jardin, lui offrit des fleurs et fit mille choses pour lui être agréable qui le touchèrent de plus en plus. Il ne partit pas le lendemain, parce que l’hôtesse le pria d’attendre pour aller à Avranches jusqu’au samedi suivant, qui était jour de marché. Nous ne savons pas au juste ce qui se passa entre la belle hôtelière et M. Cordier ; mais quand le samedi fut venu, il ne fut pas question de la Trappe, et Mme l’aubergiste envoya sa servante au marché avec la cariole. On a dit seulement dans le bourg qu’un enfant grimpé sur un mur avait vu dans le jardin l’abbé qui embrassait son hôtesse comme un vrai tourtereau. Plus d’une semaine après, Cordier était encore à Mortain, ne songeant pas du tout à se retirer du monde.

Un beau jour, avant le soleil levé, on dormait encore dans l’auberge ; Cordier se trouvait, je ne sais pourquoi, dans la chambre de l’hôtelière, lorsqu’on frappa au dehors à coups redoublés.

— Holà ! hé ! ma femme ! criait-on ; viendras-tu m’ouvrir tout à l’heure !

— Qu’est-ce que ce bruit ? demanda l’abbé en s’habillant à la hâte.

— C’est mon mari qui revient de voyage.

— Votre mari ! quoi ! vous êtes mariée ?

Ils n’y avaient pensé ni l’un ni l’autre.

L’hôtelière se mit à la fenêtre et cria qu’elle allait descendre ; mais une servante venait d’ouvrir la porte, et le mari, qui montait déjà l’escalier, rencontra l’abbé en manches de chemise.

— Voilà donc pourquoi l’on ne m’ouvrait pas ! dit l’aubergiste outré de colère. Il s’en passe de belles en mon absence. Je vais d’abord assommer ce petit godelureau.

L’hôtelier courut après Cordier en levant un gros bâton noueux qu’il tenait à la main. Heureusement l’abbé sut esquiver le coup en se baissant à propos. Il gagna la rue d’un bond et se sauva par les champs. Comme il croyait toujours avoir le mari et le bâton noueux à ses trousses, il joua des jambes pendant une demi-heure, et ne s’arrêta qu’au milieu d’une forêt où il tomba, épuisé de fatigue, au pied d’un arbre.

Tout cela semblait un rêve à notre pauvre abbé, tant l’évènement avait été brusque et surprenant. Il lui fallut cinq minutes de réflexion pour bien comprendre ce qui lui arrivait et mesurer l’étendue de son infortune.

— Quelle aventure ! s’écria-t-il enfin. Passer ainsi du suprême bonheur à la plus affreuse position ! être perdu dans les bois, sans habit, et n’avoir pas mis hier au soir ma bourse dans la poche de ma culotte ! désespoir ! Il y a de quoi se pendre !

Il se serait pendu en effet à quelque branche, s’il eût tenu une corde ; mais n’ayant pas le nécessaire pour se tuer, il se mit à chercher quelque chaumière où l’on voulût bien lui donner un morceau de pain pour déjeuner.

Cordier, qui ne connaissait pas les chemins et n’osait pas retourner du côté de Mortain, s’égara dans la forêt. Il trouva enfin des bûcherons qui travaillaient, et leur demanda s’il n’y avait pas près de là quelque habitation. Ces bonnes gens lui indiquèrent une forge qui n’était pas loin. Il y alla aussitôt, dirigé par le bruit que faisaient les ouvriers. À côté de la forge était une jolie maison, située au plus épais du bois et entourée d’un jardin bien entretenu. La porte en était ouverte. L’abbé, poussé par la faim, entra sans hésiter. Les bûcherons lui avaient appris que le maître de forges s’appelait M. Durand et que c’était un excellent homme. Il demanda donc à parler à M. Durand. On le conduisit dans un cabinet où il trouva un gros homme d’assez bonne physionomie, qui mit sa plume sur son oreille pour l’écouter.

— Monsieur, lui dit l’abbé, je viens de Paris pour me faire trappiste à Avranches, et je me suis égaré dans les bois. Aurez-vous la bonté de me faire donner un peu de pain et de m’indiquer la route qu’il faut suivre pour aller au couvent de la Trappe ?

M. Durand reconnut tout de suite qu’il n’avait pas affaire à un mendiant.

— Bien volontiers, mon garçon, répondit-il. Un morceau de pain ! cela ne se refuse pas. Je vous offrirai davantage : on va sonner le déjeuner ; je vais dire qu’on vous mette un couvert à ma table. Vous avez là une chienne d’envie, de vous faire trappiste. Est-ce par vocation, ou par suite de quelque chagrin ?

— C’est parce que je suis malheureux.

— Bah ! le diable n’est pas toujours attaché à la peau des gens. Laissez là votre idée de la Trappe. Voulez-vous travailler dans mes forges ?

— Nous verrons cela, monsieur ; donnez-moi le temps de réfléchir.

— Oui, nous allons en causer. Venez que je vous prête une veste. Il ne faut pas que vous soyez en manches de chemise pour déjeuner avec ma femme et ma fille.

M. Durand avait un fils en voyage. Il prit dans les habits de ce fils une vieille veste de campagne, qui se trouva parfaitement à la taille de Cordier. Le déjeuner étant prêt, notre abbé fut conduit dans la salle à manger, et il prit place entre Mme Durand et Mlle Charlotte sa fille, qui avait dix-huit ans et qui était jolie. Il mangea bien, plaisanta de bonne grace sur son appétit dévorant, fit rire les dames et raconta son histoire, sans parler cette fois de ses amours. M. Durand et sa famille ne voyaient personne ; ils s’amusèrent des discours de notre abbé. Au dessert, le maître de forges, qui était un grand buveur, excita son hôte à lui tenir tête. L’abbé but un peu d’eau-de-vie par complaisance, et, sans perdre son air simple et modeste, il se mit pourtant en bonne humeur. M. Durand l’engagea cordialement à passer une couple de jours dans sa maison.

V.

En sortant de table, le maître de forges, selon l’habitude des propriétaires, mena son hôte voir ses basses-cours et ses potagers. Ils allèrent ensemble visiter les usines, et dans cette promenade, Cordier admira tout avec politesse. Ils s’arrêtèrent à regarder des ouvriers en charpente qui avaient à tailler une table en ovale, et qui ne savaient comment s’y prendre. Ces braves gens, par ignorance, traçaient sur le bois des cercles à l’infini, sans pouvoir réussir à calculer exactement leurs mesures. L’abbé, qui savait un peu de tout, se souvint alors du procédé simple qu’on trouve dans les livres de géométrie descriptive pour tracer des ovales de toutes grandeurs, et qui se formule ainsi : Placer aux deux foyers de l’ellipse les extrémités d’un fil égal en longueur au grand axe, et tracer avec un crayon que l’on place de manière à tenir le fil toujours tendu. Cordier mesura les deux foyers de l’ellipse avec un compas, y fixa deux clous auxquels il attacha un morceau de ficelle, et décrivit, en moins d’une minute, un ovale parfait de la grandeur désirée. M. Durand fut saisi d’admiration, et les ouvriers, qui cherchaient en vain depuis une heure à résoudre ce problème, auraient pris volontiers notre abbé pour un sorcier.

— Comment ! dit le maître de forges, mais vous êtes donc un mathématicien ?

— Je n’en sais guère plus que cela, répondit l’abbé en riant.

— C’est beaucoup, par ma foi. Il n’y a pas à vingt lieues à la ronde un homme qui en sache autant que vous. Si vous voulez appliquer vos connaissances dans mes usines, je vous donnerai un bon emploi et des appointemens fort honnêtes.

— Excusez-moi, monsieur, dit Cordier ; je suis trop franc pour vous tromper. Je ne tiens pas à l’argent, et je ne suis pas capable de m’appliquer long-temps au même travail ; je ne ferais pas votre affaire.

— C’est dommage ! c’est pardieu dommage ! répéta plusieurs fois M. Durand.

Mlle Charlotte était une grande et jolie fille qui avait des yeux bleus et des doigts effilés. L’isolement et son goût pour la lecture lui avaient donné des idées romanesques. L’abbé ne lui montra pas les mathématiques, mais il lui enseigna des jeux de cartes pour occuper les heures de la soirée. La jeune personne était versée dans la botanique, et Cordier en avait quelques notions. Ils cueillirent ensemble une foule de fleurs dont ils cherchèrent les noms dans les livres. On fit encore dans les talens de notre abbé une découverte importante. Le lecteur nous pardonnera-t-il de l’avoir mené jusqu’à cet endroit sans lui dire que Cordier savait jouer de la flûte, non pas en virtuose, mais de façon à enchanter un maître de forges des bois de Mortain ? De tous temps les sons de la flûte ont flatté agréablement les sens des jeunes filles. Or, il y avait une flûte dans la maison, et Mlle Charlotte jouait du clavecin. Ils firent de la musique ensemble, et dès-lors leurs cœurs eurent un grand sujet de sympathie. La demoiselle levait ses yeux bleus sur l’accompagnateur dans les momens où le morceau avait de la passion ; de son côté, le joueur de flûte abaissait ses yeux noirs sur la jeune personne en soufflant avec plus de tendresse. Sans se parler, ils se disaient ainsi beaucoup de choses, tandis que le père dormait et que la mère travaillait à l’aiguille.

Cordier n’était pas un séducteur, puisque dans le très petit nombre de ses bonnes fortunes, il n’y en eut pas une seule où il n’ait laissé faire au beau sexe les premières avances ; mais une fois amoureux, il ne connaissait plus rien, et ne savait guère opposer la raison aux flammes qui le consumaient.

Lorsque deux cœurs se sont entendus, ils savent bien trouver les petites occasions de communiquer ensemble. Cordier, qui occupait une chambre au second étage de la maison, avait l’habitude de s’asseoir un moment au bord de la fenêtre, et de regarder le paysage avant de se coucher ; Mlle Durand faisait de même à l’étage inférieur : elle toussait timidement deux ou trois fois, et l’abbé lui répondait en manière de bonsoir. Le matin, ils recommençaient ce manège. C’eût été une chose bien innocente, s’ils s’en étaient tenus là, mais on en vint bien vite à échanger quelques mots, et puis des conversations s’engagèrent. On parlait d’abord du clair de lune, et ensuite du bonheur de vivre deux tout seuls au milieu des bois. Leur imagination se montant peu à peu, ils supprimaient de la surface du globe, sans y prendre garde, le père et la mère, la nourrice et les domestiques, pour se créer un intérieur selon leurs goûts. Quand l’abbé sortait de sa chambre, il fermait la porte avec beaucoup de bruit ; aussitôt celle de la jeune personne s’ouvrait, et ils se rencontraient comme par hasard ; ils descendaient les escaliers côte à côte, le plus lentement possible et en silence. Mlle Charlotte rougissait ; Cordier devenait tremblant. Enfin, un beau matin, ils s’embrassèrent naturellement. Par malheur, les mères ont des yeux de lynx pour lire dans l’ame de leurs filles ; Mme Durand reconnut sur-le-champ le danger qui menaçait ; elle courut chez son mari, et le pria de congédier Cordier sans différer.

— Mon jeune ami, dit le bon maître de forges à son hôte, ma femme croit que vous faites la cour à ma fille. Je ne m’en fâche pas, j’aurais agi tout de même à votre âge ; mais vous ne pouvez pas l’épouser, n’ayant pas le sou. Il faut, s’il vous plaît, quitter la maison.

— Je n’ai rien à répondre à cela, dit Cordier ; il est vrai, monsieur, que j’aime mademoiselle votre fille, et que je n’ai pas le sou. Vous m’avez donné l’hospitalité pendant une semaine, et j’en suis pénétré de reconnaissance. Adieu, monsieur ; je vais partir, mais j’en ai bien du regret.

— Pauvre garçon ! Tenez : voilà cent écus que je vous prête, vous me les rendrez quand vous aurez trouvé la fortune. N’allez pas à la Trappe ; je vais vous faire mener sur le chemin de Paris.

Mme Durand voulait que l’abbé s’éloignât sans revoir sa fille ; mais Mlle Charlotte s’échappa de la maison, et accourut au moment où l’abbé allait monter en voiture.

— Monsieur Cordier, dit-elle avec émotion, l’on nous sépare ! Est-ce que je ne vous verrai plus ?

— Hélas ! mademoiselle, je le crains bien, car je vais peut-être mourir de chagrin.

— Ah ! si vous mourez, faites-le-moi savoir ; je ne vous survivrai pas. Donnez-moi quelque chose que je puisse garder en souvenir de vous.

L’abbé ôta de son doigt une petite bague qui lui venait de Mlle Doligny ; c’était tout ce qu’il pouvait offrir. La jeune personne lui donna en échange un mouchoir brodé.

— Vous ne vous en séparerez jamais ! dit-elle.

— Jamais ! répondit Cordier en le mettant sur son cœur.

Mme Durand arriva sur ces entrefaites ; l’abbé s’élança dans le fond de la voiture, et les chevaux partirent.

— Adieu ! adieu ! lui cria encore Mlle Charlotte.

Le pauvre abbé ne comprenait pas qu’on pût se séparer d’une personne aussi aimable ; il lui semblait que les démons s’étaient emparés de lui par force, et le voituraient dans les chemins de traverse pour le tourmenter. Il gagna la grande route au milieu de ces tristes pensées, et le cocher de M. Durand, l’ayant mené à l’auberge, lui souhaita un bon voyage. Un carrosse public qui allait à Paris, emporta Cordier. À mesure qu’il s’approchait de la grande ville, l’ordre se rétablissait dans ses idées et sa mémoire : il se rappela bientôt qu’il s’était mis en voyage à cause d’un désespoir d’amour, et il soupira en rêvant à l’ingrate ingénue ; puis il se souvint de l’hôtelière de Mortain, et donna le mari à tous les diables, avec son bâton noueux ; mais lorsqu’il revint, après ce long circuit, à la fille du maître de forges, il faillit étouffer de douleur.

— Ah ! dit-il, j’aurais mieux fait de rester à Paris, que de courir les champs ; je n’aurais eu qu’une peine, au lieu d’en avoir trois. Grand Dieu ! quelle expérience ! je sais ce qu’il en coûte, de vouloir se faire trappiste.

En débarquant à Paris, Cordier loua une petite chambre dans un quatrième étage de la rue Montmartre ; il en paya prudemment le terme d’avance. Il s’en alla dîner ensuite au cabaret, puis il fit cirer ses souliers et lut les affiches des théâtres : on jouait La Fausse Agnès ! son cœur battit en voyant le nom de Mlle Doligny.

À onze heures du soir, l’abbé était dans les coulisses de la Comédie Française, debout à la même place qu’autrefois, et suivant des yeux tous les mouvemens de son infidèle.

— Vous voilà, mon cher abbé ! dit la jeune actrice en s’arrêtant devant lui ; on disait que vous étiez à la Trappe.

— C’est un grand hasard, si je n’y suis pas entré.

— Est-ce par une aventure piquante ?

— Par une suite d’aventures bien étranges.

— Venez me voir demain pour me conter cela.

— Non pas demain ; il me serait encore trop pénible de retourner chez vous en ami.

— Vous m’aimez donc toujours ?

— Je ne puis m’en empêcher aussitôt que je vous vois.

— Tant pis ! l’abbé, cela vous donne du chagrin.

— Avez-vous été heureuse, au moins, avec votre marquis ?

— Il m’a plantée là, le traître ; mais je ne suis pas comme vous, je me suis consolée. Aujourd’hui, j’appartiens à un receveur des gabelles qui me fait mourir d’ennui ; j’ai bien envie de le congédier. Je n’ai pas ri depuis un mois. Vous me manquez avec vos histoires.

— Si vous vouliez m’avoir demain, il y aurait un moyen sûr de me mettre en gaieté.

— Je vous entends. Allons ! venez toujours, et l’on verra s’il nous reste un brin de tendresse pour un ancien ami.

L’abbé sortit tout palpitant de joie et d’espérance. Il se promit, en homme sage, de profiter du caprice de l’ingénue sans penser au réveil du lendemain, et de noyer en même temps son amour dans l’ivresse de ce dernier bonheur.

Pour tout l’or de l’univers, Cordier n’aurait pas voulu tromper Mlle Doligny dans l’instant où elle se montrait pour lui si bonne fille. Il raconta naïvement, sans y rien changer, ses deux aventures avec l’hôtelière et la fille du maître de forges. L’actrice en riait de tout son cœur. L’abbé eut pourtant un peu de confusion lorsqu’il avoua qu’il avait donné la bague de sa première maîtresse ; mais Mlle Doligny s’écria :

— Dieu soit loué ! je tremblais en pensant que vous n’aviez pas un seul bijou à offrir à cette aimable enfant. Non-seulement je vous pardonne, mais je vous prie d’accepter une autre bague pour vous en servir en pareille occasion.

Mlle Doligny était de ces femmes dont l’imagination s’exalte aisément. Le récit de l’abbé lui parut si drôle et si amusant, qu’elle lui laissa tout juste le temps de l’achever, et qu’elle se mit à dire :

— En vérité, mon cher garçon, je crois que je vous aime de toute mon ame.

Elle aurait dû ajouter par réflexion :

— Pour jusqu’à demain.

Mais elle n’en fit rien, parce que les cœurs les plus inconstans ont cela de bon que l’expérience même ne leur apprend pas à connaître leur fragilité. Comme ce retour de tendresse était du bien inespéré, l’abbé y trouva en même temps le prix de ses chagrins passés, et le courage nécessaire pour la rupture du lendemain.

Lorsqu’arriva l’instant de la séparation, Cordier, quoique résigné à son sort, voulut cependant emporter quelque souvenir de ce jour heureux. L’ingénue lui offrit à choisir parmi ses joyaux ; mais l’abbé n’y trouva pas ce qu’il désirait. En regardant autour de lui dans la chambre, il aperçut le chat de Mlle Doligny qui dormait sur la toilette au milieu des pots de rouge et des boîtes à poudre ; c’était une jeune bête fort espiègle, qui avait pour lui une préférence sur les autres habitués de la maison, car Cordier savait se mettre bien avec tout le monde.

— Donnez-moi votre chat, dit l’abbé en posant la main sur le dos du petit animal qui ouvrait à demi les yeux et les refermait sans défiance en recevant les caresses de son ami Cordier.

— Je vous le donne, dit l’ingénue, mais c’est un vrai sacrifice ; la pauvre bête fera maigre chère plus d’une fois.

— Je vous promets qu’il aura son déjeuner tant qu’il me restera un sou dans la poche.

— Eh bien ! emportez-le.

L’abbé embrassa pour la dernière fois sa maîtresse, prit le chat et disparut.

VI.

Plusieurs années s’écoulèrent, pendant lesquelles l’histoire du bon Cordier n’offre rien de remarquable. Nous en avons même perdu le fil un moment. En 1780, on ne trouve plus de traces de lui nulle part, si ce n’est dans une occasion solennelle : le jour où M. Moreau maria sa fille aînée. L’abbé devait trop à M. l’architecte du roi pour manquer d’apporter son cadeau de noces. Il donna une boîte en bois blanc qui valait bien vingt sous, et dans laquelle étaient un briquet et des allumettes, avec cette inscription sur le couvercle : Fiat lux ! Cordier avait tracé ces mots de sa plus belle main, car il était habile calligraphe. Le présent n’était pas considérable ; mais Mlle Moreau connaissait la fortune de son ami et savait bien de quel cœur venait ce modeste cadeau. Elle l’accepta d’aussi bonne grace que s’il eût coûté mille écus.

Après cela, Cordier devint ce qu’il put, et personne n’a su nous dire ce qu’il avait fait jusqu’en 1791, où nous le voyons reparaître toujours aux prises avec le destin contraire, et toujours ingénieux et fécond en expédiens.

L’étoile de notre abbé le conduisit un beau jour à la Bourse, et le lecteur va reconnaître que le temps et les traverses n’avaient rien changé à son caractère. Les négocians s’assemblaient alors dans les terrains de Notre-Dame-des-Victoires. L’abbé y était à peine depuis une heure, examinant avec curiosité ce qu’on y faisait, lorsqu’une idée lumineuse lui vint à l’esprit. Il était assez observateur ; il remarqua tout de suite que dans cette foule agitée de gens qui tâchaient de se duper les uns les autres, le moyen en usage était de répandre de faux bruits. Sur six nouvelles qu’on débitait, cinq au moins étaient des mensonges. Cordier comprit aussitôt que, s’il trouvait à parier toujours contre les porteurs de nouvelles, il gagnerait cinq fois pour une qu’il perdrait. Afin de mettre sans tarder la chose à exécution, il s’approcha d’un groupe où l’on se contait un évènement tout récent, et après avoir salué poliment la personne qui avait la parole, il lui dit avec sang-froid :

— Je parie douze sous que ce bruit est une erreur.

— Vous avez donc, lui répondit-on, des raisons de croire le contraire de ce que j’avance ?

— Aucune raison ; mais je parie que ce bruit n’a pas de fondement.

— C’est donc pour le plaisir de me contredire ?

— Point du tout ; mais, si vous êtes sûr de ce que vous avancez, tenez la gageure ; douze sous ne sont pas la mort d’un homme.

Le porteur de nouvelles tint le pari par vanité ou par obstination. L’abbé chercha bien vite un autre parieur. Sur quatre nouvelles qu’on répandit dans la journée, il y en eut trois démenties avant la fin de la séance et une seule qui se trouva vraie. Cordier eut donc à recevoir trente-six sous et à en payer douze, ce qui lui fit vingt-quatre sous de bénéfice, avec lesquels il s’en alla dîner. Le lendemain, il recommença le même manège. Il vécut pendant une semaine entière aux dépens des faiseurs de mensonges, qui le désignaient sous le sobriquet de l’abbé Douze-Sous ; mais bientôt on ne voulut plus parier contre lui, et il fallut recourir à d’autres moyens d’existence.

Notre abbé avait à se débattre contre une misère si acharnée, qu’elle ne lui laissait pas le temps de songer aux graves évènemens qui se passaient alors sous ses yeux. La révolution s’opéra sans qu’il en comprît toute l’importance. Cependant il la vit de près un beau matin qu’il rencontra un rassemblement populaire. Les prêtres venaient de jeter de gré ou de force le froc aux orties, et lorsqu’on aperçut le pauvre Cordier avec son petit collet, on l’apostropha en pleine rue. Les cris à la lanterne ! commençaient à lui sonner désagréablement aux oreilles.

— Eh ! messieurs, dit-il, reconnaissez donc les gens avant de les insulter. Je ne suis pas ce que vous pensez. Donnez-moi un autre habit, et, s’il est neuf, vous me ferez grand plaisir, car le mien est fort râpé.

On riait déjà de la bonhomie de l’abbé, et on l’eût relâché, si des femmes du peuple, qui désiraient voir une exécution, n’eussent redoublé leurs imprécations.

— Puisque vous y tenez, reprit Cordier, je le veux bien ; mettez-moi à la lanterne, cela me rendra service, car, si j’avais seulement cinq sous, j’achèterais une corde pour me pendre.

— Laissez donc ce pauvre diable, cria une ame charitable.

Des hommes qui portaient l’uniforme de la garde nationale arrivèrent à propos pour enlever l’abbé à une mort certaine en feignant de le reconnaître. À peine rentré chez lui, Cordier prit des ciseaux, abattit son petit collet, et changea son habit en frac à l’anglaise ; mais, quoi qu’il fît, on sentait toujours un peu sous ce nouveau costume l’abbé de l’ancien régime, et il n’en perdit jamais les manières ni la tournure.

Nous sommes fâché de ne pas savoir par quelle suite de circonstances, probablement fort romanesques, Cordier s’est retrouvé, cinq ans plus tard, logé proprement dans la rue Montorgueil. Il était alors secrétaire de la Société des Neuf Sœurs et lié intimement avec une foule de personnages marquans. On nous a dit seulement qu’un de ses amis l’avait amené un jour à ce club, qu’il y avait plu à tout le monde par sa douceur et son esprit, qu’on y avait apprécié ses talens dans l’art d’organiser les jeux, les repas de corps et les fêtes. C’était ainsi qu’il était arrivé au rang de secrétaire perpétuel de la société, avec douze cents livres d’appointemens. Cordier ne s’était pas encore vu à la tête d’une aussi grande fortune, et son ambition n’allait pas au-delà. Il aurait pu cependant tirer parti de sa position nouvelle. La Société des Neuf Sœurs comptait parmi ses membres des hommes puissans ou qui allaient le devenir, tels que MM. Monge, Barras, de Laplace et bien d’autres ; mais l’abbé mettait tout son amour-propre à remplir ses fonctions de secrétaire, à veiller aux fonds votés par son club, et à préparer tout pour les jours de cérémonie à la satisfaction générale. Il y apportait autant de zèle et même de passion que le fameux Vatel en avait mis autrefois à ses devoirs de maître d’hôtel.

L’abbé jouissait d’une véritable réputation d’habile organisateur, à cause du théâtre plus large sur lequel il exerçait son génie. Une seule chose manquait encore à sa gloire, et il en était souvent préoccupé. Il avait obtenu des mentions honorables pour des dîners de cinq cents couverts, pour des séances publiques et solennelles, pour des bals, des concerts et des noces ; jamais il n’avait eu à ordonner d’enterremens, et cette idée le privait de sommeil. Il était trop bon pour souhaiter la mort de personne, mais il demandait à Dieu de le faire vivre jusqu’après un membre éminent de la Société des Neuf Sœurs, afin qu’il pût réaliser les magnificences funèbres dont son imagination était obsédée.

Un matin, tous les journaux de Paris publièrent la nouvelle suivante :


« Le célèbre astronome de Lalande vient d’être assassiné à Metz par une femme. On assure que la jalousie a poussé cette malheureuse à commettre son crime. La patrie et les sciences ont fait en Jérôme de Lalande une perte irréparable, dont les bons citoyens, etc. »


Cordier ne put retenir un cri de joie ; le célèbre astronome était de la Société des Neuf Sœurs. On ne pouvait manquer de rendre, même de loin, les derniers honneurs à son mérite et à son patriotisme. L’abbé courut chez les membres du comité, se fit donner carte blanche pour un catafalque, et obtint de M. de Laplace la promesse de prononcer un éloge du défunt. Des circulaires de convocation furent envoyées tout de suite pour l’assemblée du lendemain, et notre abbé passa le plus heureux jour de sa vie à préparer la cérémonie qu’il rêvait depuis si long-temps.

Comme le culte catholique était aboli dans ce temps-là et les églises fermées, les pompes s’exécutaient seulement au domicile des morts et au cimetière. Cordier fit dresser un superbe catafalque. Il ferma les fenêtres, posa des bougies partout, dressa des tentures noires et convertit le salon du club en manière de chapelle ardente. Sur un drap mortuaire couvert de lames d’argent était déposée une couronne de feuillage au-dessus de cette inscription :


À JÉRÔME DE LALANDE.
IMMORTEL COMME SAVANT,
ASTRONOME
ET CITOYEN VERTUEUX.
LA SOCIÉTÉ DES NEUF SŒURS.


Autour du catafalque étaient rangées les banquettes. Sur un siége élevé devait se placer l’orateur qui prononcerait le discours à la mémoire du grand homme que la patrie venait de perdre. L’abbé employa la nuit entière en préparatifs, et au point du jour, tout étant fini, sa joie intérieure fut encore augmentée par l’air solennel dont il la déguisa pour cette triste circonstance.

Huit heures venaient de sonner, et le club était convoqué pour neuf heures. Cordier donnait avec orgueil le dernier regard à son important travail, lorsqu’on l’avertit qu’un citoyen, membre de la société, demandait à lui parler. Il se rendit au secrétariat, et qui trouva-t-il, paisiblement assis devant la cheminée ? Jérôme de Lalande en personne, et, ce qui était pire, en bonne santé !

— Quoi ! s’écria naïvement Cordier, vous n’êtes donc pas mort ?

— Non, assurément, répondit Lalande ; mais ce n’est pas votre faute, à ce qu’il paraît. Vous m’enterriez ce matin, si je n’étais arrivé.

L’abbé tomba éperdu et suffoqué dans son fauteuil en poussant des soupirs à fendre les murs.

— Remettez-vous, mon bon Cordier, reprit M. de Lalande. Je suis fier de voir combien vous me pleuriez sincèrement. Cette émotion est également honorable pour nous deux.

— Ah ! disait l’abbé tout à sa cérémonie dérangée, quel affreux contre-temps ! Est-il un malheur comparable au mien ? Moi qui attends depuis trois ans une occasion de faire un enterrement ! Elle se présente enfin, et il se trouve que le mort sort du tombeau à l’instant même où j’allais accomplir mon plus bel ouvrage !

— Voilà donc, dit l’astronome, comme vous vous réjouissez de me savoir vivant !

— Hélas ! des préparatifs magnifiques ! des effets merveilleux ! j’avais tout prévu pour que le spectacle fût imposant ! Je ne m’en consolerai jamais ! Que faire à présent ?

— Il faut envoyer bien vite prévenir au moins le comité que je suis en vie et que je ne veux point qu’on me pleure.

Cordier se jeta aux genoux de Jérôme de Lalande.

— Mon cher monsieur, lui dit-il, passez encore pour mort jusqu’à ce soir. Laissez la cérémonie s’achever, je vous en supplie. Je vous cacherai dans un coin, d’où vous regarderez cette pompe superbe ; vous entendrez votre éloge prononcé par M. de Laplace ; vous verrez combien vos confrères vous aiment et vous regrettent. N’est-ce pas un plaisir bien flatteur que de juger par ses yeux des souvenirs qu’on laissera un jour sur la terre ?

— Je me moque de vos cérémonies. Je suis vivant, et je ne puis pas me faire enterrer pour vous être agréable. Demain je serais la fable de tout Paris.

— Au contraire, monsieur ; plus long-temps on vous croira mort, et plus on aura de joie de vous retrouver en vie. Mais ces journaux ont donc menti impudemment ?

M. de Lalande, qui était fort laid et plein de vanité, raconta que sa maîtresse l’avait blessé légèrement d’un coup de poignard à l’épaule. Il ôta son habit et montra la cicatrice.

— La maudite créature ! répétait l’abbé.

Nous ne saurions dire s’il la maudissait pour sa méchanceté ou pour avoir manqué son coup. Cordier amusait le tapis à dessein pour laisser le temps s’écouler. Neuf heures sonnèrent, et un roulement de voitures qui entraient dans la cour lui apprit qu’on arrivait pour la séance.

— Allons, mon cher monsieur de Lalande, voici vos confrères qui commencent à entrer au salon. Un peu de complaisance ; restez ici jusqu’à midi seulement.

— Non pas, s’il vous plaît ; je n’entends pas cela.

— Vous êtes donc inébranlable ?

— Absolument inébranlable.

— Eh bien ! j’en suis fâché, mais il faut que ma cérémonie s’accomplisse.

Cordier s’élança d’un bond hors du cabinet ; il ferma les deux portes à double tour, mit les clés dans sa poche, et, se composant un air affligé, il se rendit à la grand’salle, où la moitié des membres de la société étaient déjà rangés en silence. Bientôt le salon fut rempli. Le président ouvrit la séance, et l’orateur monta au fauteuil, tenant à sa main le discours à la mémoire du défunt. Il commença en ces termes :

« Messieurs, c’est avec un profond sentiment de douleur et de regrets que nous allons vous entretenir d’un membre fameux de cette société dont le ciel vient de nous priver. Jérôme de Lalande n’était pas seulement recommandable par son génie ; c’était encore le modèle des vertus civiques, l’ennemi des tyrans et l’un des défenseurs zélés et intelligens de la patrie. Le fer d’un assassin l’a enlevé à ses amis, à sa famille, à ses travaux… »

Dans ce moment, la porte s’ouvrit avec fracas, et M. de Lalande parut.

— Ah ! corbleu ! s’écria-t-il, c’est trop fort ! Puisque vous voulez absolument que je sois mort, tuez-moi donc avant de me mettre en terre.

Il va sans dire que la séance fut interrompue. On se pressa en tumulte autour de M. de Lalande, qui raconta ses aventures et le tour que Cordier venait de lui jouer. L’astronome avait ouvert les fenêtres et appelé à son aide les gens de la maison, qui étaient venus le délivrer. Tout cela se termina par des rires ; mais notre abbé en demeura triste pendant quinze jours, et ne cessait de répéter :

— Il est écrit là-haut que je ne pourrai jamais organiser une pompe funèbre !

VII.

À la gravité des évènemens qu’on vient de lire, on a compris, sans qu’il soit besoin de consulter les dates, que l’abbé Cordier avait passé l’âge de quarante ans. La vie de l’homme n’est pas encore assez courte pour qu’il n’ait pas le temps de voir périr bien des choses. Cette Société des Neuf Sœurs, qui lui donnait son pain et le mettait à même d’exercer les belles facultés qu’il tenait de la nature, Cordier la vit s’éteindre en moins de rien ; le 18 brumaire en amena la fin. Notre abbé retomba dans le néant. Par quelle chétive destinée il fut cahoté dans son âge mûr, nous l’ignorons ; mais puisqu’il arriva jusqu’à la vieillesse, on peut le citer comme exemple de cette vérité certaine, qu’un homme courageux ne meurt jamais de faim.

Au milieu des fracas et des gloires de l’empire, l’abbé compta ses soixante ans. La solitude était venue s’établir autour de lui, et voyez comme le sort est injuste et cruel : lui qui avait un si grand besoin de la santé, qui était la sobriété même, il était incommodé de la goutte ! Il passait de sombres jours dans un taudis, ne recevait de soins que d’une portière peu attentive, et cependant ce cœur simple et bon n’osait pas adresser au ciel une plainte ni un murmure. La plupart de ses amis étaient morts ; les autres l’avaient oublié. M. Berton avait quitté l’Opéra. M. Moreau habitait la Russie. M. Vassé s’était retiré à Nice, Mlle Doligny avait disparu comme un brillant météore ; elle avait gagné un mal de poitrine un soir à la fin d’une représentation. Les médecins l’avaient envoyée prendre des eaux ; mais elle ne s’était qu’à moitié rétablie. Elle avait acheté une maison en province avec ses économies. Les almanachs n’ayant plus son nom dans leur catalogue ne firent plus son éloge. D’autres beautés lui succédèrent. Sa place fut assez bien occupée pour qu’on n’eût pas le loisir de la regretter. Elle fit d’ailleurs comme Cordier et beaucoup d’autres : elle devint vieille.

Combien il nous en coûte de montrer au lecteur notre excellent abbé tout-à-fait malheureux ! Il le faut pourtant. Ce ne sera du moins qu’un tableau devant lequel nous ne resterons qu’un moment. Qu’on se représente une mansarde sans papier, située dans la rue Lenoir ; une porte vitrée donnant sur un corridor obscur ; un lit de sangle, une chaise, une table bancale et une vieille malle, pour tout mobilier. L’abbé est assis sur l’unique siége de paille, une jambe étendue sur la malle. Il appuie son menton sur sa poitrine et regarde tristement un vieux chat, infirme comme lui, qui dort sur ses genoux. Il n’ose pas remuer, de peur d’éveiller la pauvre bête, car il n’a pas un morceau de pain chez lui, et son estomac lui dit assez que son vieil ami a besoin de nourriture. Yan-Ostade aurait mis cela sur la toile d’une façon qui vous eût fait rire et vous eût attendri en même temps.

Cordier rêvait aux beaux jours de sa jeunesse, où il avait le couvert mis à plusieurs tables, et un appartement chez l’architecte du roi, où les chemises neuves tombaient dans ses tiroirs comme par magie, où le valet de chambre de M. Moreau lui apportait le chocolat et remplaçait l’habit percé au coude par un habit neuf, sans lui laisser le temps de désirer qu’on y fît une reprise. Hélas ! quelle différence ! ses vêtemens étaient en mauvais état et les dîners en ville n’étaient plus que des chimères. L’abbé soupirait en se rappelant ses amours et les tendres œillades de sa Phœbé. Au milieu de ces souvenirs déchirans, il passa la main sur le dos de son chat, dernier témoin de son bonheur passé. L’animal étendit ses membres et se traîna lentement jusqu’à l’écuelle où il trouvait ordinairement son repas du matin ; mais, comme cette écuelle était vide, il revint à son maître et le regarda d’un air piteux. L’abbé sentit alors son cœur se briser ; il eût donné le reste de sa triste vie pour un peu de mou de veau.

Cependant jamais dans les momens les plus désespérés Cordier ne s’était laissé abattre ; il appela donc à l’aide son esprit inventif et chercha un dernier stratagème pour amortir l’appétit de son compagnon d’infortune. Il attira sa table devant lui, prit une feuille de papier blanc qu’il se mit à mâcher en se donnant tous les airs d’une personne qui déjeune, et lorsqu’il vit que le chat observait ses mouvemens avec intérêt, il lui offrit une boulette de papier qui ressemblait assez à de la mie de pain. Les vivres étaient si rares dans la maison, que le chat mangea en toute confiance. Il n’eût jamais supposé d’ailleurs que son meilleur ami voulût le tromper. Cordier redoubla la dose et composa ainsi un repas factice qui lui assurait un jour de répit, non pas pour courir après la fortune, puisqu’il n’avait plus de jambes, mais pour attendre qu’elle daignât venir le chercher.

— Ô ma Phœbé ! s’écria-t-il, lorsque j’étais votre Endymion, et que vous me brodiez de vos divines mains une veste en soie noire, qui eût pensé que je nourrirais un jour votre chat avec des boulettes de papier ?

Une larme coula sur les joues du bonhomme. Il leva les yeux vers le petit coin du ciel qu’on apercevait à travers les vitres d’une fenêtre en guillotine, et, du fond de son cœur, il représenta humblement à Dieu qu’il avait grand besoin de secours. Dans cet instant la porte s’ouvrit et il vit entrer le propriétaire de la maison.

Sachant bien que l’abbé n’avait pas d’argent, le propriétaire ne s’avisa pas de lui en demander. Il venait offrir à l’abbé de lui procurer une chambre à l’hospice des Incurables, où il trouverait les soins dont il avait besoin. Cordier n’avait pas de préjugés et il n’était pas en état de faire le difficile. La proposition lui convint. On le mit le lendemain dans un fiacre avec son chat, et il s’en alla demeurer aux Incurables.

Nous ne savons pas au juste combien de temps il resta dans cet hôpital ; mais un beau jour un notaire vint l’y chercher.

— Monsieur, lui dit cet homme, êtes-vous bien l’abbé Cordier ?

— Lui-même, monsieur.

— N’avez-vous pas connu autrefois Mlle Doligny, actrice des Français ?

— Si je l’ai connue ! répondit l’abbé ; ce chat que vous voyez mourant de vieillesse à mes pieds, il me vient d’elle.

— Vous êtes bien celui que je cherche depuis trois mois. Mlle Doligny vous laisse par son testament quinze cents livres de rente.

— À moi, bon Dieu ! et à quel titre ?

— La discrétion est inutile, monsieur l’abbé, car cette demoiselle dit formellement qu’elle vous fait ce don comme à celui de ses amans dont elle a gardé le plus tendre souvenir, et pour que vous lui pardonniez le chagrin qu’elle vous a causé en vous étant infidèle.

— Il est vrai que je ne m’en suis jamais consolé entièrement ; mais je lui avais pardonné.

— La défunte vous laisse encore sa montre, ses bagues et un croissant d’argent qui lui a servi dans le rôle de Diane.

— Je sais ce que c’est, dit l’abbé avec émotion. Elle ne le porta qu’une fois dans la pastorale d’Endymion.

— Voici d’abord trois cent soixante-quinze francs pour le trimestre échu de votre rente. Nous nous entendrons ensemble pour le reste.

Huit jours après cela, l’heureux Cordier habitait un petit appartement orné de glaces et meublé honnêtement dans le quartier du Luxembourg. Il y parvint à un âge fort avancé, se fit quelques amis nouveaux et acheta beaucoup de livres dans ses derniers temps, car il avait les yeux bons et aimait la lecture.

L’abbé Cordier mourut en bon chrétien. Il laissa par surprise son petit bien à un pauvre diable célibataire aussi et qui en avait autant besoin que lui, en le priant, lorsqu’il mourrait, d’en disposer de la même façon. La phrase suivante par où commençait son testament prouve qu’il apprécia son bonheur et que ses derniers jours furent doux et calmes : « Je souhaite à tous ceux qui ont vu la misère d’aussi près que moi, de mourir, comme je vais le faire, dans un bon lit orné de rideaux bleus, au milieu de beaux meubles d’acajou et dans un air chaud, avec toutes les aises qui ont tant de prix pour la vieillesse, etc. »

Il fut enterré modestement à Vaugirard, et son légataire universel eut soin que le tombeau fût bien entretenu jusqu’au jour où ce cimetière a été détruit. Nous souhaitons au lecteur, non pas les rideaux bleus et les meubles d’acajou de l’abbé Cordier, mais plutôt la simplicité de ses mœurs, sa modestie et son heureux caractère, qui sont des trésors plus précieux que toutes les richesses du monde.


Paul de Musset.