Le dîner interrompu ou Nouvelle farce de Jocrisse

LE
DÎNER INTERROMPU
jocrisse ! (un an après)

M. E. Doin, voyant le succès qu’avait obtenu « le désespoir de Jocrisse », joué dans presque tous les localités, s’est décidé à faire cette nouvelle pièce qui, comme l’autre est très comique, il espère qu’elle obtiendra le même succès.
M. Plumet. Propriétaire.
Jocrisse. Domestique cuisinier.
Laflute. Cousin de Jocrisse, domestique.
M. Vincent. Ex-fournisseur d’armée, riche.
Un Officier de police.
Le théâtre représente un salon, table à dîner au fond, chaises, petite table sur un des côtés du théâtre, miroir, rasoir, savonnette.
Scène 1ère.
Allons tout est en ordre, il est à peine huit heures et toute ma besogne est faite ; M. Plumet n’est pas encore levé, je vais l’attendre ici ; … ah ! à propos il va vouloir se raser, préparons tout… là, sa petite table, son miroir, sa savonnette, rasoir et la serviette de rigueur ; bon !… Voilà cependant un an de passé depuis que je suis au service de M. Plumet, ca m’rappelle le jour de la grande catastrophe où mon cousin Jocrisse a fait tant de fracas, ici, précisément dans cette même salle ! Dieu ! quand je me rappelle, quel carambolage, table, buffet, assiettes, j’en ris encore, surtout de son empoisonnement au vin de champagne !… Diable de cousin, va !… il s’en est pas mal tiré ; mais dame aussi, ça l’a t’y changé ? Est-il tranquille à présent ?… Depuis que le cuisiniet, le p’tit scopette, a quitté M. Plumet c’est mon cousin qui l’a remplacé, et il s’y entend ma foi pas mal, puisque not’ maître trouve tout bon !… oh non, Jocrisse n’est plus le même, excepté une chose c’est qu’il a toujours le mot pour rire et pour placer un petit mensonge ; ah dame ! à lui l’pion pour ça… n’importe, c’est un bon cousin pour moi… (il regarde dans la coulisse) Ah j’entends quelqu’un, c’est précisément lui.
Scène 2e
Déjà à l’ouvrage, Laflûte, c’est superbe ! C’est comme moi, depuis une heure mes fourneaux sont allumés, je ne fais que fricasser et refricasser pour le déjeuner de not’ maître. Est-il levé ?
Non, mon cousin, et tenez, au moment où vous entriez, je parlais de vous.
Et à qui donc, Laflûte, à ton manche à balai ?
Non, cousin, à moi-même, à mon particulier.
Ah ! ah ! ah ! Et le sujet était intéressant, j’parie.
Ma foi oui, pour moi toujours, et j’en riais d’bon cœur ; j’pensais à vot’ journée de désespoir.
Ah ! Ah ! Ils sont passés ces jours de fête !… Mais écoute, Laflûte,… ils vont revenir.
Ah bath !
Oui, et peut-être aujourd’hui.
Quoi ?… Quoi ?… Encore cassé ?…
Oh ! non, non, c’est trop vulgaire… c’est autre chose, c’est une fête… une fête… Eh quoi ? Esprit étroit ?… Tu ne sais pas ?… Tu ne comprends pas ?…
Dame… non, mon cousin.
Quel quantième sommes-nous du mois ?
Eh ben, j’pardi… c’est aujourd’hui le 14.
Et le 14… Monsieur Laflûte ne se rappelle pas l’hôtel de l’oie rouge ?
Oh ! oh ! l’anniversaire de la naissance de M. Plumet, le grand souper avec le bailli Griffard ?
Précisément. Et comme M. Plumet ne nous en parle pas, je crains qu’il n’ait invité quelques amis, car, il n’oublie jamais ce jour.
Eh ben ?
Eh ben, je crains que nous soyons obligés de manger les restes du dîner.
Ah !
Et voilà ce que je veux empêcher !… je me creuse et recreuse le cerveau pour trouver un moyen certain et efficace de nous faire inviter à faire partie du festin, et du diable ! Il faut que j’en trouve un… mais pour cela, il me faudrait connaître l’invité ou les invités ?… S’il y a la moindre physionomie à farce, tu verras, tu me seconderas et nous rirons !… À propos… j’ai préparé quelque chose pour présenter à M. Plumet pour la circonstance, je vais me tenir non loin d’ici, et pendant qu’il se fera la barbe ; tu regarderas par cette fenêtre, tu me verras, tu me feras signe… allons… je l’entends, je m’sauve… attention au signal.
Scène 3e
Bon ! Puisque Jocrisse s’en mêle, tout ira bien, j’en suis sûr… Ah ! vlà M. Plumet, attention.
Scène 4e
Eh bien, Laflûte, tout est-il prêt pour ma barbe ?
Oui, oh ! oui, not’ maître.
Ai-je de l’eau chaude ?
Ben sûr, oh ben sûr, not maître.
C’est bien, mon garçon.
Jocrisse est il allé au marché ce matin ?
Oui, not’ maître, oh ! il y a déjà longtemps que je l’entends à la cuisine, j’gage qu’il sue à grosses gouttes pour vous faire un bon à déjeuner.
Allons, allons, c’est bien… ma foi je ne regrette pas de vous avoir gardé tous les deux, malgré ses folies, je suis content, oui, oui, — Jocrisse va bien, surtout depuis que je l’ai mis à la cuisine et ma foi, il s’en tire à merveille.
Ah ! Dame, not’ maître, c’est pas pour dire, mais, mon cousin Jocrisse, vous aime ben, il me disait encore hier soir : « Tiens, Laflûte, j’voudrais tous les mets les plus rares et savoir toutes les raffineries de la cuisine pour contenter M. Plumet qui a été si bon de me pardonner toutes mes fredaines, toutes mes folies. »
Ce pauvre Jocrisse !… Oui, oui, il m’en a diablement fait…. Mais, bath ! Tout est oublié !… Ah ! ça, Laflûte viens m’habiller.
(Comme tout l’habillement doit se trouver sur une chaise tout va vivement, pendent qu’il aide M. Plumet, Laflûte a fait des signes à Jocrisse qui arrive tenant de ses deux mains un pot contenant un énorme bouquet de fleurs rouges, jaunes, bleus, blanches, larges feuilles, il est facile de confectionner ce bouquet avec des fleurs artificielles, papier de soie.)
Scène 5e
Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que c’est que cela, Jocrisse, apportes-tu un jardin ?
Not’ maître, c’est un bouquet, et ce léger bouquet, ce bouquet… qu’est… l’embarras… non… l’emblématique de vos vertus… de vos bontés… de votre grand corps… c’est-à-dire… cœur… Ce bouquet… not’ maître, ben plus mince que les sentiments de Jocrisse et de Laflûte, vous est offert par eux, car, ils vous regardent comme leur bras tutilaire… et… et… enfin… M. Plumet ; c’est au nom de votre — anniversaire de l’oie rouge… non… de votre grande naissance… que… en ce jour… qui… je… que… enfin… not’ maître je vous l’offre et je vous remercie de tout mon cœur.
Et moi aussi, not’ maître ?
Merci, merci, mes enfants… vous me faites plaisir, je suis ému… j’accepte ton bouquet, Jocrisse, pose-le là, mon garçon… et pour vous récompenser tous deux… je…
Il va nous inviter à dîner.
Je vous permets de vous divertir ce soir à la cuisine.
Ah ! diable ! C’est ce que je n’veux pas.
Il y a un an vous avez partagé le souper de mon anniversaire, parce qu’il y avait des circonstances, dont tu dois te rappeler, Jocrisse !
Oh ! oui, not maître… et même qu’c’était un fier souper !… On s’en est-y donné !
Oui… mais aujourd’hui, vois-tu, depuis un an tout est changé, on est obligé de tenir un certain rang, un décorum enfin… surtout depuis que j’ai été nommé capitaine de la garde nationale… Si j’étais seul, je vous dirais : mes enfants, vous partagerez le festin de votre maître… mais…
Mais...
Tu fais le mouton… Mais, voyez-vous, — j’ai des convives et surtout un, qui trouverait inconvenant si j’admettais à ma table — mes deux domestiques.
Et ce convive, not’ maître, que’ qu’c’est donc, s’y vous plaît ?
C’est mon plus grand ami, mon ami Vincent, l’homme riche et influent.
(à part) Oui, influent en bêtises (haut) Ah ! Ah ! not’ maître je l’connais, il est déjà venu ici, j’l’ai déjà vû,… c’est y pas c’t’ancien fournisseur de l’armée que les soldats appellaient : riz. pain, sel ?
Précisément. J’ai reçu hier sa lettre, tiens, la voici, je vais vous la lire, (il lit)
« Mon cher Anastase Plumet. J’ai reçu ta lettre par laquelle tu m’invites à ton gala à l’occasion de l’anniversaire de ta naissance ; je ferai en sorte de m’y rendre, à moins que de grandes circonstances m’en empêchent… car j’ai tant d’affaires !… Si je ne suis pas chez toi à quatre heures, ne m’attends plus, ce sera pour plus tard et nous n’en serons pas moins bon amis.
Du diable s’il dîne ici.
Comment ?
J’dis qu’ça convient… qu’vous avez raison, not’ maître.
Oui, mais ça nous rappelle l’souper de l’année dernière, et dame, voyez-vous, ça fait d’la peine.
Eh bien, écoutez mes enfants, si mon ami Vincent ne vient pas, je vous promets que tous les deux, vous mangerez à ma table, car, il n’y a que lui seul, voyez-vous, lui seul, qui est un obstacle à cela, car, j’ai besoin de sa protection ; vous savez que c’est à lui que je dois mon grade de capitaine ?
Bon ! la partie est gagnée ou j’y perds tous les boutons d’ma veste (haut). Ah ! not’ maître, ma parole, vous m’mettez la joie au cœur.
C’est-y tout d’bon que not’ maître nous invite ?
Oui mes enfants, oui je le veux ainsi.
S’il vient du monde…
Vous partirez tout d’suite.
Ah ! qu’vous êtes bon ! que vous êtes poli.
Mais j’fons un rêve, je n’pouvons pas y croire.
Non, mes enfants, non vous ne dormez pas.
J’sens d’plaisir, je n’vas manger ni boire |
bis. |
Allons, je sors, je vais aller faire quelques emplettes et je reviendrai pour le dîner… Tout sera prêt n’est-ce pas ?
Ah ! soyez tranquille not’maître… la broche, les casseroles, les poêles et tout le bataclan… ça va marcher son brain !… gare la bombe !
Allons ! bon !… Ah ! à propos, Jocrisse, as tu bien cherché dans ta tête à nous trouver quelques morceaux choisies ? hein ? mon gaillard, toi qui connais les bons mets ?
Ah ! ma foi, not’maître, à votr’école on n’peut pas aimer les mauvais.
En a t’y ! En a-t’y dans sa tête ?
Voyons, voyons, un petit aperçu de ce que tu vis me donner, sauf, ce que je dois apporter en revenant.
Dame ! Not’maître, j’ai tout r’passé dans ma mémoire les mets que j’sais d’votr’ goût : prima, premièrement, d’abord : Un salmis aux fines herbes, pommes d’amour pour entourage.
Bravo ! C’est excellent ce plat-là ?
Seconda pour le second plat. La percillade en vinaigrette, redoublement de tomates ou pommes d’amour avec addition de cornichons.
De mieux on mieux, continue donc ?
Troissio… Canards aux oignons, sauce parisienne à la russe et gélatine.
Excellent ! excellent ! Ensuite ! ensuite ?
« Quatritia. » Un petit cochon d’lait farcé aux truffes.
Un petit cochon de lait, Jocrisse, ah ! tu me mets dans le ravissement ! Un p’tit cochon d’lait ! Ah !… après ?
Après… après… Dame not’maîtr’ j’crois qu’c'est déjà pas mal raisonnable.
Oh ! Jocrisse ! Jocrisse ! Toi dont les idées fourmillent… tu oublies… tu oublies mon mets favori ?
Quoi ?… Quoi ?… ma foi, du diable si j’y suis.
Il est vrai qu’il y a diablement longtemps que je n’en ai mangé !… Eh bien, Jorcisse… ce mets… c’est!… des oreilles de cochon piquées, entrelardées de truffes et de fines herbes !… Hein ?
Des oreilles !… oh ! la bonne idée ! Merci, ma belle étoile ! Merci, mon génie tutélaire !
Diable qu’est-ce que tu marmottes-là, avec tes choses tutélaires ?
J’gage qu’il est content d’vot’ idée.
Oui, content, contenssimus, oui, not’ maître j’suis content parce que j’vas contenter vot’goût, j’veux qu’vot palais s’en rappelle de ces oreilles-là.
Allons voilà pour un, maintenant je voudrais un pudding à la chipolata.
Hein ? Hein ? Qué qu’ c’est que c’lui-là, c’est pas français ?
Il l’est et il ne l’est pas, il vient de la Prusse.
De… de la Prusse ? oh ! ben alors, not’ maître n’m’en parlez pas, j’ n’en suis pas, y a du bismark là dedans, c’est indigeste j’suis contre.
Imbécile ! oui je serais de ton avis, mais ce plat, ce mets exquis, quoique venant de la Prusse a été inventé par un français cuisinier en Prusse et qui a parcouru la Suède, la Russie, la Norvège… la…
Qui ça ? votre pudding ?
Eh non ! Eh non, imbécile… Le cuisinier qui a donné ce nom là à ce pudding et qui s’est fait une grande réputation dans l’art culinaire.
Allons not’ maitre, j’vous en f’rai un y s’ra p’t’être pas tout à fait chicoulata, mais enfin ça s’ra ch’nu et ça s’ra tout à fait français.
Enfin ce hue j’aime encore beaucoup et surtout mon ami Vincent… c’est…
C’est…
C’est un plat de macaroni.
Je ne connais pas ce gibier.
Macaroni, Gibier !…
Eh bien, cette plante.
Macaroni, une plante.
Enfin cet oiseau ?
Macaroni, oiseau.
Eh bien ! cet animal !
Animal toi-même ! Il te sied bien de traiter de macaroni d’animal, songe donc que le macaroni doit sa naissance à l’Italie, à la belle Italie ! À la noble Italie ! À la grande Italie.
Oui, elle est propre votre grande Italie, j’en entends dire de belles choses, depuis qu’qu’ temps, surtout d’c’Roi, l’fameux Emmanuel, en v’là un d’macaroni.
Silence ! Jocrisse ! Pas de politique, je n’en veux pas !… laissons faire, attendons et motus ! Tout viendra comme tout doit arriver… parlons et continuons.
Ma foi, not’ maître j’suis rendu au bout vo’ mazzoni, macoroni, m’a donné l’vertigo, la chair de poule.
Jocrisse ! Être indéfinissab’e, vas tu encore recommencer comme autrefois ?
Eh ! non, not’ maître, mais vous prenez la mouche tout d’suite, vous vous enl’vez comme une soupe au lait, parce que j’ai dit que l’macaroni était un animal, quand on n’connaît pas les choses… ma foi… ma parole d’honneur ça m’suffoque ; moi, moi qui veux tout faire pour votre plaisir, vous m’rudoyez !… Ah faut avouer que j’suis ben malheureux !
Ah ! M. Plumet, voyez donc, mon pauvre cousin, ma parole, il pleure.
Allons, allons Jocrisse, ne te chagrine pas, je me suis laissé un peu emporter, voyons n’en parlons plus… plus tard, tantôt je t’en apporterai de ce macaroui et tu verras que la chose est fort simple quoique très bonne !… Voyons, mes enfants à la besogne, chacun de votre côté… pour moi, je sors, je rentrerai le plus tôt possible et mon ami Vincent vient avant mon retour, recevez-le avec respect, avec égard… allons, au revoir.
Au revoir not’ maître.
Scène 6e
Mon pauvre cousin, M. Plumet vous a encore rudoyé, il vous a chagriné, hein !
Moi ! triste, chagrin ! Oh ! Laflûte, tu n’y es pas, je suis d’une gaieté folle ! Tiens, j’peux sauter comme un cabri !… Moi ! triste ! Que tu es encore niais, mon pauvre Laflûte.
Mais vous allez presque pleurer ?
J’avais bien plutôt envie de rire ! Ah ! ah ! ah ! ah ! Tu ne sais pas ce qu’il y a dans cette cervelle, va !… Il y en a des idées, et des idées tumultueuses, ça s’croisent en tous sens j’te dis qu’mon horizon s’est éclairci ; on est plus au temps du père Griffard ? Tu te rappelles ce vieux bailli que j’ai si bien joué, mais ça, ce n’était rien qu’une petite comédie ; mais aujourd’hui, Laflûte, c’est en grand, ce sera émouvant, étourdissant, une chose… niais une chose… à rendre poussif à force de rire !… Ah ! Laflûte, si comme moi, depuis un an, tu avais lu, parcouru tous les volumes qui m’ont développé l’intellectualité des idées, oui, si tu avais lu : le parfait cuisinier Jean de Calais, les prédictions de Nostradamus, la vie du juif errant et autres auteurs, si tu avais suivi comme moi : les faits divers des feuilles publiques et générales ! Oh ! alors, tu en aurais aussi des idées ! Mais, pauvre adolescent, tu ne sais pas même faire la différence de l’A et du B, c’est pourquoi tu restes dans cette innocence qui dégénère en bêtise… mais je ne t’en veux pour cela, je t’aime comme mon parent et je veux que mes idées te soient profitables comme à moi.
Mais où diable, voulez-vous en venir, mon cousin, car vous m’embrouillez tout mon individu ?
Écoute Laflûte, M. Plumet ne veut pas nous admettre à sa table, n’est-ce pas ?
Eh ben non ! parce qu’y y aura un monde, surtout c’m’sieur Vincent ? Eh ben, après ?
Eh bien ! M. Vincent ne dînera pas, M. Plumet ne dînera pas.
Ah bath !
C’est comme ça, Laflûte ? Connais-tu le mets favori de not’ maître ! à part son diable de macoroni ?
Oui, il a dit les oreilles farcies…
Assez ! Dis comme moi, parle comme moi, imite-moi, et tout ira bien… je descends à la cuisine, je vais m’excrimer sur les plats et autres ustensiles et pendant que je ferai les sauces, j’en prépare une dans ma tête qui sera piquante, mirobolante, épouvantante, tragicale, comicale et encore plus qu’ça.
Ah ! mon Dieu ! Et encore qué qu’c’est ?
Motus, ne dis rien, ne parle de rien, dis comme moi… tout ce que j’peux te confier c’est que nous dînerons à la table de M. Plumet… à bientôt.
Scène 7e
En a t’y, mais en a t’y d’esprit c’gaillard là ?… c’est pas parc’que c’est mon cousin, mais ma parole, y en a pas pour avoir des idées comme lui… J’vous d’mande un peu, quoi qu’y va faire, qui qui va dire pour empêcher l’dîner d’M. Plumet… faut qu’ça soye ben drôle, ben fort… y m’tarde d’y être… Pourvu qu’y n’fasse qué qu’mauvais coup pour nous faire chasser… oh ! non, il avait l’air trop joyeux, ça doit être au contraire qué qu’chose de risible… C’est égal ça n’laisse pas de m’turlupiner !… Diable de cousin, va !… Encore, s’y m’avait mis seulement sus l’bord de la piste, ça irait ?… Mais non, « Motus… dis comme moi, fais comme moi… ma parole, c’est vexant… enfin… attendons… Mais qu’est ce qu’y chante là-bas… j’connais cette voix là.
Scène 8e
La France appelle ses enfants
Allons, dit le soldat aux armes
Eh ! c’est M. Vincent ?
Mourir pour la patrie
C’est le sort, etc.
Bonjour M. Vincent, vous aimez toujours à chanter ?
Oui, jeune homme, surtout le chant qui rappelle les beaux jours !… Ah ! morbleu ! quand j’y pense !
Mais vous n’étiez pas soldat, vous M. Vincent ?
Eh ! conscrit, n’est-ce pas moi qui étais le fournisseur général de l’armée ? N’est-ce pas à moi que tous nos braves sont redevables de cette nourriture grande et saine que je leur distribuais ?
Oui, mais mon cousin Jocrisse qu’est ben induqué, y m’dit qu’vous aviez une bonne et qu’avec les tours de bâton, qu’ c’était tout ça qui vous avait enrichi.
Jocrisse est un imbécile et toi aussi… Silence dans les rangs.
Faut pas vous fâcher, M. Vincent, j’vous dis ça, c’est pas pour…
Eh ! je ne me fâche pas, Laflûte, j’ai le caractère comme ça un peu prompt, vif, mais ça ne dure pas… mais laissons cela… l’ami Plumet est-il ici ?
Non, M’sieur, il est sorti, mais il doit rentrer bientôt.
Ce pauvre et vieil ami, il y a longtemps que nous nous connaissons et j’aurais été fâché de ne pas m’être rendu à son invitation.
Ah ! y s’ra ben content aussi, lui, allez car il nous a parlé de vous avant d’sortir et nous a ben r’commondé d’vous recevoir avec ben du respect.
Allons, je vais l’attendre… où est donc, le célèbre, le fameux Jocrisse, ton cousin ?
Pardié, ça s’demande pas, il est à la cuisine.
Ah ! c’est vrai, depuis son escapade, l’ami Plumet l’a placé aux fourneaux… Et ça prend-t-il un peu ?
Si ça prend, comme le feu !… Ah dame ! c’est pas rien qu’mon cousin.
Ah ! je connais l’oiseau d’ancienne date.
Ça m’étonne, faut qu’il vous ait pas entendu, y s’rait déjà ici… mais… (fausse sortie).
Non, non, ne le dérange pas, car je présume qu’il s’occupe du dîner ?
Comme vous dites… Mais tenez, je l’entends qui monte… le voici.
Scène 9e
Ah ! c’est M. Vincent, vous allez bien M. Vincent ?
Mais très-bien, mon garçon… et toi, je pense que comme toujours la santé et la gaîté vont toujours de compagnie ?
Toujours ?… oh non… pas toujours M. Vincent.
Comment donc ?… Qu’y a-t-il donc pour empêcher cela ?
Oh rien… presque rien.
V’là la comédie qui commence, mais j’y comprends rien encore.
Mais encore, que diable, quand la gaîté s’en va, c’est que…
C’est que la tristesse arrive et la santé s’en sent.
Ah ! ça, mon gaillard, quel diable de ton prends-tu donc ?… tu as la mine d’un enterrement.
Dame… M. Vincent… voyez-vous, j’suis comme ça moi… quand j’vois qu’un malheur doit arriver à un honnête homme. Eh ben… ça m’boulverse… ça m’tourmente comme une âme en peine.
Et où vois-tu donc arriver un malheur à quelqu’un ?
Peut être oui… peut être non… c’est selon…
Ah ! ça, sais tu que tu m’intrigues, est-ce que tu ne pourrais pas t’expliquer un peu mieux ? Ce ne doit pas être un secret.
Au contraire… c’est un grand secret… et cependant… y m’pèse sus l’estomac… pauvre M. Vincent… t’nez… faut que j’vous dise tout.
Parle… parle mon garçon… tu viens de prononcer mon nom… ma parole d’honneur tu m’intrigues.
Attention !… tu vas comprendre, dis comme moi (haut à M. Vincent) M. Vincent, vous v’n’ez dîner avec mon maître aujourd’hui. n’est-ce pas ?
Sans doute, mais qu’a de commun ce dîner avec tes airs de funérailles ?
M. Vincent, si j’vous disais que vous courez ici, un grand, un énorme, un formidable danger.
Hein ?… Comment ?… Que veux tu dire ?
J’comprends pas encore.
M. Vincent, t’ne’z vous à vos oreilles ?
Saperlotte ! si j’y tiens… Mais j’crois bien et fortement, encore.
Eh ben, écoutez… il y a d’ça environ deux mois… Notre pauvre M. Plumet était-là… ici… dans cette même chambre où nous sommes… j’étais occupé à arranger quelques papiers sur cette table… quand tout à coup j’entends not’maître qui parlait tout seul et qui disait : « Oui… oui… rien de meilleur… de plus exquis… que les oreilles… surtout les oreilles coupées de suite »… Vous comprenez qu’en entendant cela, les miennes se redressent et je m’dis : Diable ! Qu’est-ce qu’il veut dire là ? J’le regardais… il avait une mine… mais une mine !… Ah ! M. Vincent, c’était effrayant à voir !
Tu m’épouvantes, Jocrisse ?
J’comprends un p’tit peu.
Laissez-moi continuer… vrai… quand j’pense à ça, l’frisson m’passe partout… brrrou… Vlà qui s’promène… qui marche à grands pas… et puis… y s’tatait les oreilles… y souriait… y grimaçait… y paraît que c’te maladie là, parce que, voyez vous, c’est une maladie, ça vous prends tout d’un coup à c’que me dit l’docteur Turgeon à qui qu’j’en ai fait confidence et qui soigne not’ maître… enfin M. Vincent, vous comprenez que j’savais pus quoi comprendre et ma foi, j’étais là, j’pouvais pus bouger, tant j’avais peur.
Certes ! il y avait de quoi, et ça s’est passé comme ça ?
Oh ! non, la suite est bien plus terrible, car au moment où je ne m’y attendais pas, M. Plumet se r’tourne devant moi… sa bouche souriait… mais ses yeux flamboyaient. Jocrisse ! qui m’dit comme ça, aimes-tu les oreilles ?… j’ai pas pu trouver un seul mot… je l’vois marcher droit à la table… j’pense ben qu’il v’nait prendre son rasoir… j’l’ai pas entendu comme vous pensez ben… je m’suis sauvé et j’ai été m’cacher une partie d’la journée dans la cave.
J’comprends tout, ah ! diable de Jocrisse, va !
Diable ! Diable ! Mais je ne suis pas en sûreté ici… j’ignorais cela, moi, mais quelle est donc cette maladie ? Jamais je ne me sois aperçu de rien chez ce pauvre Plumet ? Jamais au grand jamais, je n’ai entendu parler qu’il avait une semblable maladie.
Sans doute, que vous n’en avez jamais entendu parler, c’est pas difficile à comprendre je m’tue d’vous dire qu’il y a deux mois, que deux mois seulement que cette maladie l’a pris, et voilà plus de six mois que vous n’êtes venu ici à Saint Quentin.
C’est vrai, c’est vrai, Diable ! Diable ! Et t’a-t-on dit… sais tu quel est le nom de cette triste maladie ?
On me l’a dit et à Laflûte aussi, te souviens-tu du nom, toi mon pauvre Laflûte, qui as été si près de te voir avec une seule oreille.
Ah ! cousin, ne me rappelez pas ce triste jour, j’en tremble encore, brrrr !
Quoi ? Laflûte aussi ?
Eh ! parbleu, croyez vous que quand cette rage le prend, il choisit son homme ? Non, non, je crois que son frère, s’il en avait un y passerait comme un autre.
Mon sang se glace, Diable ! Diable !
Attendez-donc, je crois me rappeler le nom, ça s’appelle… ça s’appelle… une… une… mélancolie.
Non, non, cousin, je crois qu’c’est une cérémonie.
Mélancolie ! cérémonie… ce ne sont pas des termes de médecine ça… laissez-moi chercher… est-ce que ce ne serait pas le mot… monomanie ?
Juste ! Juste ! c’est comme ça.
Et ben not’ maître est attaqué d’une monomanie… ça n’paraît pas, il n’y a que quand l’accès le prend.
Ma foi, mon brave Jocrisse, je te remercie mille fois ; c’est un service que je n’oublierai pas. En attendant, tiens, prends cette bourse, quant à moi je m’esquive avant que le malheureux n’arrive.
Il n’est plus temps, le vlà qui entre dans la cour.
Diable ! Comment faire ? Je voudrais cependant bien m’en aller.
Attendez… d’abord, il n’est pas certain que son accès le prenne précisément parce que vous êtes là ?… Dans tous les cas, à présent, je connais le moment où ça le prend, les premiers symptômes, comme on dit, ainsi soyez tranquille, M. Vincent, si dans tous les cas il y a danger, je vous préviendrai à temps… Mais je vous en prie au nom de tout ce que vous aimez le plus, ne parlez de rien, ne me vendez pas, il me chasserait pour toujours.
Et moi aussi.
Je m’en garderai bien.
Silence !… le voilà… faites comme si vous ne saviez rien.
Scène 10e
Eh ! le voilà ce cher ami, ce vieux camarade, il y a plus de six mois, sais-tu, que nous ne nous sommes vus ! oh ! c’est mal, c’est mal de négliger les amis, il a donc fallu cette circonstance pour t’avoir ?
Comme tu dis, mon cher Plumet, et encore me suis-je bien forcé pour venir, j’ai tant d’affaires… tant d’embarras… Mais à propos… ta santé comment est-elle ?
Ma santé !… Mais elle est des plus florissantes… ma parole, je me sens rajeunir je crois ; je ne me suis jamais mieux porté… je bois… je mange… je me promène… ma foi, je trouve ma vie très-agréable.
Le malheureux ! Comme il se fait illusion.
Et toi, je pense qu’en en est de même, un ancien fournisseur !… Un mondor !
Mais… Mais… je me porte bien… je suis bien.
Cependant, tu me parais inquiet, troublé… il ne t’est pas survenu de malheur ?
Non, non… mais j’ai certaines affaires en tête qui m’occupent beaucoup en ce moment, et si je n’avais pas eu crainte de te faire de la peine, je ne me serais pas rendu à ton invitation.
Et tu aurais très-mal fait… Allons, allons, il faut de la gaîté avec moi !… À table ! à table !… Allons vous autres, dépêchons !… Jocrisse ! Tout est prêt, n’est-ce pas ?
Oui, not’ maître, il n’y a plus qu’à mettre la table… Voyons Laflûte, prépare tout, je vas chercher les plats (à cette repartie, Laflûte, sert la table) (en souriant en apercevant le paquet) Mais qu’qu’vous avez donc là sous l’bras, not’maître… Encore une surprise… j’parie qu’c’cest l’macaroni ?
Non… ça… c’est…
C’est un dindon
Ma dondaine
C’est un dindon
Mon garçon.
Ah ! ah ! ah ! ah ! toujours gai, not’ maître, toujours gai et faut-y l’mettre à la broche tout d’suite ?
Oui, oui, et comme il n’y a pas de fête sans lendemain, ce dindon est pour nous régaler demain matin, car, mon ami Vincent, malgré ses grandes affaires prendra domicile ici.
Mais…
Il n’y a pas de mais… c’est comme ça… allons, Jocrisse, vivement mon garçon.
Oui, not’ maître, donnez-moi l’Dindon et j’vas vous l’farcir d’une façon lumineuse, petit hahis et truffes, ce sera excellent et embaumant, laissez-moi faire.
Je compte sur toi… va mon garçon.
Surtout Jocrisse… veille, veille, et préviens-moi.
Soyez tranquille, je n’vous quitte pas.
Ah ça, mon cher Vincent, je me suis permis de passer après le dîner une bonne et joyeuse veillée, j’attends Grégoire, Jourlo, Dominique, tous des anciens amis, ils ne peuvent venir que ce soir… Nous, en attendant, nous allons prendre un à compte avec un dîner copieux ?… bon ! voilà Jocrisse ! La fleur des cuisiniers.
Tout est prêt, vous pouvez vous mettre à la table (à part) Et vous n’y resterez pas longtemps.
À Table donc ! Et en avant la fourchette et l’appétit… Tiens, Vincent, mets toi là… là devant moi.
J’voudrais être bien loin.
Comment trouves-tu ce salmis ?
Excellent.
Donne moi ton verre, tu me dira des nouvelles de ce gaillard là… il est de la Bourgogne… à ta santé !
Bon vin ! délicieux (à part) Ça me remet un peu.
Goûte moi un peu de ce canard.
Volontiers.
Ah ! c’est que le sieur Jocrisse, fait des progrès dans la cuisine, sais-tu ?
Je m’en aperçois.
Tu ne bois pas… ! à boire ! à boire !
C’est que ton vin est capiteux.
Allons bon, ne vas-tu pas faire la Duchesse ? Bois donc ?
Allons, (à part) au fait ça m’encourage.
Oh ! tiens, j’y pense.
Vlà qu’ça l’prend.
Ah ! mon Dieu !
Aimes-tu les oreilles, Vincent ?
Les… oreilles.
Oui les oreilles, rien de meilleur, rien de plus exquis… ah !
Méfiez-vous.
Tiens Vincent, j’en ai déjà mangé beaucoup et plus j’en mange, plus je les aime.
Mais… mais… moi… je n’en suis pas.
Eh bien, moi, j’en mangerai, ce bourgogne m’a ouvert le goût… vivent les oreilles.
Il n’est que temps, vlà l’accès au plus fort.
Aie ! oh ! mon Dieu !
Qu’as-tu donc, Vincent, tu as les oreilles rouge comme un corail ? (il est levé)
Seigneur ! Je suis perdu.
Allons ! Allons Vincent, goûtons des oreilles.
(il se penche pour aller au plat couvert, à l’instant, Vincent se lève vivement, renverse sa chaise, casse une assiette se sauve sans chapeau en criant)
Aie ! Aie ? Aie !… Grâce ! Grâce ! Pas d’oreilles ! Pas d’oreilles. Je m’sauve ! Je m’sauve !
(pendant la scène de Vincent, Plumet est debout, le couteau en l’air, la main sur le plat, la bouche ouverte, l’air tout étonné, Jocrisse et Laflûte au fond, s’efforcent de se cacher pour étouffer leurs rires)
Scène 11e
1 (note de l’auteur). — Pendant tous ces a-parte, il ne faut pas que la scène languisse, (M. Plumet chantonne entre ses dents, il rit, il regarde Vincent, Laflûte est derrière lui, il rit)
Ah ! ça ! Mais qu’a-t-il donc ? est-il devenu fou ? Qu’est-ce que ça signifie de se sauver ainsi ? Diable qu’est ce qui l’a pris ? J’en suis tout effrayé !… Mais courez donc après lui, ramenez le… Pauvre Vincent, que peut-il avoir ? ramène-le… peut-être est-il malade ? Je ne sais que penser ?
Ah ! Dame, Monsieur, Dame, faut pas s’fier à la mine de tout l’monde ; on dit toujours : l’eau dormante est plus traître que l’eau courante.
Allons, à l’autre, à présent, que diable viens-tu me chanter avec ton eau dormante et courante.
Dame, Not’ maître, ça pourrait ben être que’qu’chose comme ça ?
Eh va t’en au diable avec tes paraboles et tes proverbes, qu’est-ce que tout ça signifie ? Voyons en sais-tu quelque chose toi ? Parle.
C’est que, quand on vous veut du bien vous r’poussez vot’ monde… Oui j’sais qu’equ’chose et c’qu’equ’chose, c’est p’t'être ben vot’ vie qu’était menacée aujourd’hui, et j’veillais sur vous ! là !
Comment ? Que me dis-tu là Jocrisse ? Ma vie menacée ? Et par qui, Grand Dieu ?
Par qui ?… Par vot’ ami Vincent !
Vincent ? Allons donc, c’est impossible ?… Quel intérêt le pousserait d’attenter à mes jours ?
(à part) Voyons… ah ! j’y suis (haut) pas un intérêt mais une maladie… une maladie grave… triste et surtout dangereuse.
Oh ! mon Dieu !… Dis vite, Jocrisse.
Eh ben, not’ maître, c’pauvre Monsieur Vincent, j’sais pas où diable il a pêché ça, mais ça y est venu tout d’un coup, sans qu’il y pense j’crois ben, mais d’après l’dit-on qu’j’ai appris c’matin seulement, il est attaqué d’une… d’une… (à part) Diable quel nom y donner… ah ! (haut) d’une maladie qu’on nomme effraction vicieuse.
Effraction vicieuse ?
(à part) Diable, de Jocrisse va ! (haut) Non cousin, c’est pas comme ça qu’m’sieur robard l’a nommé c’est une constipation vertueuse.
Que diable me chantez-vous là, mais ces deux êtres là me donnent la chair de poule et m’écorchent les oreilles avec leurs mots qui n’ont ni queue, ni tête, mais, imbéciles que vous êtes a-t-on jamais entendu parler de ces maladies-là ?
Dame ! Not’ maître, ça rime toujours un peu comme ça… j’suis pas ben sûr, moi ?
Attendez-donc, ce ne serait pas des crispations nerveuses.
Bon ! Bon ! Not’ maître, c’est ça. Eh ben, tant y est que l’pauvre M. Vincent en est attaqué et quand ses nerfs le prennent, faut qu’y tue, n’importe quoi.
À preuve, c’est qu’au moment qu’y s’est ensauvé, j’ai z’aperçu sous son gilet la crosse d’un pistolet qu’il avait ben sûr, pour poignarder qué qu’un.
Mais puisqu’il s’est sauvé, alors, c’est qu’il n’avait pas l’intention de me tuer.
(à part) Ah Diable ! Ah ! mais attendez not’ maîtr’ y paraît dans ces maladies là, l’individu connaît son mauvais moment, M. Vincent s’en s’ra aperçu et…
Je comprends à présent… delà, sa frayeur, sa crainte de commettre un crime causé par sa cruelle maladie, et il s’est enfui. Pauvre ami ! Je le plains… n’importe il faut savoir où il est allé ?… Ah Diable ! Voilà une triste fête d’anniversaire.
Scène 12e
Allons ! allons ! Marchez !
Mais je vous dis que je ne suis pas un voleur ?
Qu’est-ce que j’entends ? Je ne me trompe pas. Vincent avec un officier de Police ?
Aie ! Gare la bombe, tenons ferme.
M. Plumet, voici un individu, étranger pour moi surtout, je l’aperçois en haut de la rue, se sauvant sans chapeau, l’air égaré je lui demande son nom, il ne me répond que par des exclamations auxquelles je ne comprends rien, je le conduis au poste, je le fais fouiller et on trouve sur lui ce couvert d’argent marqué en toutes lettres à votre nom… voyez plutôt.
D’abord, M. l’Officier, je réponds de l’homme que voilà, c’est M. Vincent, ex-fournisseur de l’armée et mon plus grand ami, il est riche, indépendant et par conséquent ne peut être accusé de vol… Quant au couvert d’argent… c’est bien mon nom, Anastase Plumet (il regarde sur la table) J’ai toute mon argenterie, rien ne manque.
Lis au-dessous de ton nom, mon ami, ce que M. l’Officier n’a pas vu.
(lisant) « présenté par son ami Vincent »… Quoi ?…
Oui, mon ami, c’était mon présent… je voulais le l’offrir à la fin du dîner… quand ta cruelle maladie…
Hein ?… ma maladie… Ah ! ça qu’est-ce que tu m’chantes là ?… Je n’ai jamais été malade, moi ?
Non, pas malade, si tu veux… mais cette monomanie dont tu es attaqué et…
Ah ! ça, veux-t-on me rendre fou aujourd’hui. Maladie, Monomanie, explique-toi donc, Vincent, car, ma parole, je ne sais plus que dire ?
En vlà un galimatias, gare à moi tout à l’heure.
Pauvre ami, ce n’est pas ta faute, et je te pardonne bien, va.
Mais non !… Mais non !… Je veux tout savoir… dis-moi… explique-moi, car tu me fais perdre la tête.
Eh bien, je sais, que quand ton accès te prend, il faut que tu manges les oreilles de quelqu’individu.
Moi !… Moi !… Ah ça !… Ah ça !… Mais !… Mais! … ma tête !… ma tête !… et parbleu mais toi, n’es-tu pas attaqué de crispations nerveuses ?… Qui te portent à certains moments à vouloir poignarder quelqu’un ?
Ah ! quelle infamie !… Moi ! Jamais au grand jamais je n’ai eu ni crispations nerveuses ni la moindre pensée d’attenter à la vie d’un homme !… D’où cela vient il ? qui t’a dit cela ?
Eh ! parbleu ! Qui peut t’avoir dit que je mangeais des oreilles de chacun ?… attends… tiens… je ne crois pas me tromper, il y a du Jocrisse là-dedans.
Voyons Jocrisse, approche, comme dit l’ami Plumet, il y a du Jocrisse là-dedans.
Oui, Messieurs, c’est moi, c’est bien moi !… Mais foi de Jocrisse, je ne pensais pas à mal, c’était histoire de rire, une farce, et j’espère que j’aurai mon pardon.
Mais animal, Vas tu encore recommencer tes fredaines ? je vous demande un peu, messieurs, me faire passer pour monomane, manger les oreilles de mes amis, et toi, mon pauvre Vincent, venir me dire que tes crispations te portaient au meurtre !… Mais sais-tu. Maraud, que tu mérites une bastonnade pour cela ?
Non not’ maître, non M. Vincent et vous verrez d’après mon récit, mes aveux, que vous serez les premiers à rire, même M. l’officier de police. Vous vous rappellez ce matin, not’ maître que vous auriez ben voulu m’admettre à votre table ainsi que Laflûte à l’occasion de votre fête ; mais vous aviez mis une condition, c’est que si M. Vincent venait, nous mangerions à la cuisine, ça n’m’allait pas, pour lors, j’ai formé mon plan quand vous m’avez parlé du plat d’oreilles aux petites herbes, j’ai profité du mot : oreilles pour bâtir mon affaire et faire déguerpir ce pauvre M. Vincent, qui a eu assez peur ; après son départ, je savais bien que vous alliez être tout surpris, tout d’suite j’ai rebrodé une nouvelle affaire et je lui ai donné des crispations nerveuses !… J’aurai réussi, si vous m’accordez un pardon généreux.
Ah ! ah ! ah ! ah !
Ce diable de Jocrisse. Mais tu n’en feras donc jamais d’autres ?
Où diable trouve tu tout ça ?
Là… À propos, M. Vincent, voici la bourse que vous m’aviez donnée pour veiller sur vos oreilles.
Garde-là, si tu mas un peu effrayé, ma foi je te trouve tant d’idées qui à présent me font rire, que je te donne la bourse de grand cœur et te pardonne.
Et not’ maître ?
Parbleu ! Il faut bien que j’en passe par là, allons, sois pardonné, mais prends garde, Jocrisse, toi qui aime tant les proverbes, retiens bien celui-ci : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. »
Ou elle s’emplit (haut). Je m’en rappellerai not’ maître, et d’ailleurs tout n’a qu’un temps.
Quand à moi, Messieurs, j’ai aussi mon excuse à vous faire, surtout à M. Vincent que j’ai un peu rudoyé.
Mais pas du tout, Monsieur, ce n’est qu’un quiproquo dont le résultat n’a rien de fâcheux j’ai tout oublié.
Et Laflûte était donc aussi dans le complot ?
Oh ! moi, not’ maître, je n’marchais que par mon cousin.
Allons, oublions tout… Tiens mon brave Vincent, voici le plat d’oreilles en question, tu vois quelles doivent être délicieuses !… Maintenant mes amis, nous allons continuer notre dîner, qui, cette fois, je l’espère ne sera pas interrompu… Vous M. l’officier, vous voudrez bien le partager avec nous et que vous n’aurez pas d’objections, ni toi, mon cher Vincent d’admettre à notre table notre joyeux Jocrisse et son acolyte Laflûte.
Adopté ! Adopté !
M. Plumet, le dindon est rôti, il a une odeur des plus appesantes.
Le dindon ? À demain le dindon pour le déjeuner.
C’est ça et moi j’y joins douze bouteilles de champagne ; tu aimes ça, toi. Jocrisse, le champagne ?
J’crois ben, depuis qu’je m’suis empoisonné avec.
Ah ! ah ! ah ! ah !
Allons, mes amis, ensemble et ensuite à table.
À demain, demain, demain
Demain de grand matin
À demain, demain, de la dinde rôtie
Nous verrons la fin.
Plus d’une pièce avant la fin culbute
Souvent hélas ! Voilà comme on débute
La pièce avança
Pas de funeste bruit
De l’indulgence
Voilà comme on finit.
À demain, etc.
- ↑ (note de l’auteur). — Chaque directeur de société d’amateurs peut mettre le couplet qu’il voudra, j’ai mis celui-ci, parce qu’il m’est venu à l’idée.