Éditions Police Journal (Aventures de cow-boys No. 5p. 5-9).

CHAPITRE II

FRED ET ELPHÈGE


Fred Mallette, jeune cowboy extraordinaire, freina sa monture dans la plaine et attendit son vieux compagnon, Elphège Couturier, que ses 60 ans bien sonnés n’empêchaient pas d’avoir bon pied.

Bon œil.

Bon poing.

Et tir excellent.

Tir bull’s-eye.

Fred dit en soupirant :

— Arriverons-nous jamais à ce satané Squeletteville ?

Il regarda autour de lui.

Puis ses yeux se posèrent sur un petit point noir dans le lointain…

— Ce doit, dit le vieux Couturier, être la bourgade…

Elphège avait raison.

C’était bien Squeletteville.

Les 2 cowboys y entrèrent une trentaine de minutes plus tard, au trot de leur chevaux…

x x x

Assis dans le bureau du poste, Verchères et Arthur, entendant le trot des 2 bêtes se rendirent à une fenêtre.

En voyant Fred Mallette, Arthur s’écria :

— Mais c’est Sam Lortie. Vite, chef, allons l’arrêter…

— Non.

J. B. ajouta :

— Tu ne connais pas certains détails de cette affaire. Lortie peut bien être un outlaw, un renégat, mais il est aussi le meilleur tireur au pistolet et à la carabine que j’aie connu. L’arrêter ou du moins tenter de l’arrêter comme tu me le proposes signifierait la mort certaine…

Arthur regarda le chef.

Curieusement.

Bizarrement.

J. B. dit :

— Tu me soupçonne, Arthur ; ce n’est pas juste de ta part. Tu ne connais pas tous les éléments du problème…

— Mais dites-moi…

— Tout ce que je te dirai, c’est ceci : Il y a dans cette affaire un secret grave, si grave même que je ne puis te le révéler.

— Et c’est ce secret qui vous pousse à attendre, attendre, et à ne pas saisir l’occasion par les cheveux…

Baptiste sourit :

— C’est que l’occasion est chauve.

Pendant ce temps les chevaux de Fred et d’Elphège avaient continué leur course à travers l’unique rue de la bourgade.

— Whoa.

— Whoa.

Les 2 cowboys sautèrent de monture et attachèrent les bêtes à l’un des poteaux placés là dans ce but.

Puis ils entrèrent, dans la saloune Rabinovitch.

À cette heure, il n’y avait que quelques clients dans l’établissement.

Dès qu’ils virent entrer Fred Mallette, un silence gêné, lourd, plana dans l’établissement.

Les deux mains appuyées sur les colts à sa ceinture de cuir jaune, Fred s’avança, suivi de Couturier, vers le bar derrière lequel se tenait un Rabinovitch qui était très pâle…

D’une voix froide, glaciale, Mallette demanda :

— Mon crédit est-il bon ici ?

Rabino répondit avec un empressement sérieux :

— Le crédit de Sam Lortie est toujours bon…

Elphège dit à son compagnon :

— Tu tolères cette insulte, Fred ?

Celui-ci affirma :

— Le nom n’est pas Lortie mais Mallette… Rabino ?

— Oui…

Le salounard ne répondit pas.

Il plaça une bouteille de fort, sur son comptoir.

Puis 2 verres.

Fred et Elphège burent 3 ou 4 rasades.

Puis Couturier murmura d’une voix dangereusement douce :

— Je ne tolérerai point cette insulte à mon copain…

Rabino alluma un cigare.

— Quelle insulte ? demanda Malette.

— Lortie est un renégat et un outlaw.

Fred hurla :

— Ah, c’est ainsi.

À ce moment Rabino se plaça sous le bon angle.

Le jeune cowboy sortit son arme.

Vite comme l’éclair.

Tira.

Et coupa le cigare en deux.

Alors il versa un plein verre à Couturier.

Puis but lui-même le résidu à même la bouteille

— À la revoyure, Rabino.

Le vieil Elphège plaça son mot :

— Si c’est pas dans ce monde-icitte ce sera dans l’autre.

Ils sortirent.

— J’ai faim, dit le jeune…

— Moi aussi, dit le vieux.

— Il doit y avoir une salle à manger par ici.

Il y en avait eu une.

Mais elle avait passé au feu quelque temps auparavant.

— Allons chez le marchand général…

— C’est correct. Nous allons laisser nos chevaux ici.

Comme ils se mettaient à marcher, les quelques personnes dehors s’empressèrent de traverser de l’autre côté de la rue…

Comme ils arrivaient au magasin, ils virent un cowboy couché sur le perron, bloquant la porte.

Il se leva.

S’étira.

Bâilla.

Et dit :

— Non.

— Non quoi ?

— Tu n’es pas Lortie.

— Qui prétend le contraire ?

Malette reprit :

— Tu sais ce que je ne suis pas ; et moi, je veux savoir qui tu es…

— Roderskine, Étienne, le compagnon de toujours de Sam Lortie.

Elphège ricana :

— Lortie le saint homme de voleur, de tueur et d’incendiaire…

Roderskine fit le geste de vouloir faire quitter à un de ses pistolets son étui de cuir à sa ceinture…

Geste puéril.

En effet Fred venait de lui saisir la main.

Il la tordit.

La mit sur son épaule.

Et catapulta Roderskine dans le milieu de la rue poussiéreuse.

Puis il vida la ceinture du forban de ses armes et de ses munitions…

— Ça m’a ouvert l’appétit davantage dit Fred.

Et moi donc !

Ils entrèrent dans le magasin.

En voyant Fred, le marchand pâlit…

Vous êtes ici chez-vous, s’empressa-t-il de dire, le magasin vous appartient.

— Nous avons faim…

— Eh bien, choisissez vous-mêmes.

Ils mangèrent du pain, du beurre.

Du jambon.

Des échalottes.

Des cornichons.

Et terminèrent avec des bâtons de crème roses.

Soudain ils entendirent le bruit de la porte qui s’ouvrait en grinçant.

Fred fit demi-tour.

Ses 2 colts apparurent dans ses mains.

Ni J. B. ni Arthur, dans l’entrebâillement de la porte n’avaient eu le temps de dégainer.

— Pas un mouvement ou je tire, ordonna Malette.

Il ajouta :

— Elphège…

— OUI, boss…

— Prends les clefs des deux portes d’avant et d’arrière du magasin. Le marchand va te les remettre. Et embarre les 3 gas ici.

Ce qui fut dit fut fait.

Trois ou 4 minutes plus tard, alors que les 3 prisonniers temporaires n’avaient pas encore eu le temps d’ouvrir une des portes, Fred et Couturier montaient sur leurs chevaux et s’enfuyaient au grand galop.

x x x

Au même moment, Arthur disait à J. B. :

— Il y a des haches à vendre dans ce magasin ; pourquoi n’avez-vous pas défoncé la porte avec l’une d’elles ?

— Pourquoi pas toi-même, mon jeune ?

— Parce que vous m’avez défendu de faire quoique ce soit sans avoir au préalable obtenu votre autorisation.

— Tiens, tiens, c’est pourtant vrai…

— Je vous soupçonne de collusion avec les 2 bandits…

Verchères sourit :

— Tu peux soupçonner tant que tu voudras, Arthur, mais ton petit jeu ne me fera pas te dévoiler mon secret.