Le commerce décennal comparé 1827 à 1836



LE
COMMERCE DÉCENNAL
COMPARÉ,
1827 à 1836.

FRANCE. — GRANDE-BRETAGNE. — ÉTATS-UNIS.

§ I. — coup d’œil général.

Les destinées des peuples de notre époque les plus avancés dans les voies de la civilisation sont liées de la manière la plus intime à leur prospérité commerciale. Le commerce est la source la plus féconde de la richesse et par conséquent de la puissance ; mais les graves intérêts dont la discussion se renouvelle chaque jour, ne peuvent être compris et appréciés qu’autant que les faits qui s’y rattachent sont exposés clairement et sous toutes les formes propres à en démontrer l’enchaînement. La grande tâche, celle de recueillir ces faits à mesure qu’ils se forment, et de n’en omettre aucun qui soit important, est nécessairement dévolue aux gouvernemens, qui peuvent seuls en obtenir la communication : c’est de leurs mains que le public reçoit les détails du mouvement social dont l’observation leur est confiée, et pour laquelle les efforts des citoyens isolés ne peuvent les suppléer. Le pays doit savoir d’autant plus de gré à l’administration, qu’elle se sera montrée plus attentive à ne négliger aucun des élémens de cette enquête de tous les jours, sur la progression de la fortune publique. Appelés autrefois à déplorer l’insuffisance des communications utiles, à nous plaindre de la réserve avec laquelle le pouvoir dispensait les lumières dont seul il était en possession, nous éprouvons une satisfaction d’autant plus vive d’avoir à louer la libéralité avec laquelle on facilite aujourd’hui, en France, les travaux des hommes qui se vouent à l’examen des causes de la prospérité nationale.

Dans ses rapports avec le public, l’administration des douanes a échappé à la fausse direction qui lui avait été imprimée sous l’empire, et que la restauration avait soigneusement conservée ; elle a cessé, au grand avantage de l’état, de renfermer dans ses archives les faits importans dont chaque jour elle recueille les détails. Surveillante d’une des branches du revenu public, elle possède les moyens de constater chacun des actes du commerce, dont les mouvemens lui sont soumis. Le système qu’elle applique ne lui appartient point ; ce système émane du pouvoir politique, et il est l’expression de l’économie politique, à ce degré où, comme science, elle a pénétré dans les lois du pays. Sous ce rapport, on doit savoir d’autant plus de gratitude à cette administration du soin extrême qu’elle apporte dans les travaux qui émanent d’elle, et qui doivent servir à déterminer les modifications que notre système exige. Les hommes éclairés qui dirigent cette administration et président à ces travaux, ne s’arrêtent point dans la voie des améliorations qu’ils peuvent y introduire ; les documens qui sortent de leurs mains se montrent de plus en plus complets, et le deviendront encore davantage, à mesure que les chambres, sentant le besoin de lumières nouvelles, ne reculeront pas devant la dépense nécessaire pour les obtenir.

Après avoir fait succéder, depuis 1824, aux renseignemens au-dessous de toute critique, que l’ancienne direction livrait à regret aux chambres, des tableaux annuels méthodiquement disposés, et soumis à une loi commune d’appréciation, l’administration des douanes vient de faire paraître le résumé de ses travaux sur le commerce intérieur en un beau volume, sous le titre de Tableau décennal du commerce de la France avec ses Colonies et les puissances étrangères, de 1827 à 1836. Importations, exportations, navigation, transit, entrepôts, pêche, revenu recueilli et primes payées, tout est rassemblé et groupé sous des points de vue divers, afin qu’aucune des idées que ce travail peut faire germer ne soit arrêtée faute d’une donnée qui conduise à la solution. Ce n’est pas que nous accordions notre assentiment à toutes les subdivisions et à toutes les classifications dont l’administration fait usage : quelques-unes sont inutiles, d’autres reposent sur des erreurs ; mais, comme nous ne voyons pas que l’importance de l’ouvrage en soit altérée, ni qu’il soit plus difficile de s’en servir, notre critique sur ce point ne nous empêche point de convenir de son utilité extrême.

Dans l’état de paix où, depuis tout à l’heure un quart de siècle, l’Europe, ou, pour mieux dire, le monde, a pu heureusement se maintenir, la fortune publique de chaque état s’est accrue avec une grande rapidité. Le travail a partout produit des capitaux nouveaux, et comme la terrible consommation de la guerre n’est pas venue les détruire, ces capitaux nouveaux ont fructifié et ont donné lieu, entre toutes les nations, à un commerce d’échange dont la progression est encore loin de s’arrêter. Des troubles passagers, même de grandes révolutions, des crises de crédit produites par le sur-excitement de la concurrence intérieure et extérieure, ont pu ralentir quelques instans le mouvement ; mais dès que les causes cessent d’agir, les peuples s’empressent à l’envi de réparer le temps perdu, et l’époque subséquente vient, par un redoublement d’activité, compenser l’interruption momentanée et rétablir l’équilibre en conservant la loi d’accroissement.

Faut-il conclure de ce que nous venons de dire que chacune des nations appelées à prendre part au commerce général a gardé la situation relative d’où toutes sont parties ? Nous ne le croyons pas, et nous pensons, au contraire, que chaque jour la France cède une portion du terrain qu’elle avait conquis et qu’il lui était donné d’occuper. La démonstration de cette malheureuse vérité sera sans doute plus utile qu’une froide analyse du tableau décennal dans lequel nous puiserons cependant les élémens de notre conviction.

En Europe, le Portugal, à peine rendu à la tranquillité, n’a pu songer à rétablir ni le commerce, ni le travail. L’Espagne se consume en efforts stériles dans une lutte que les spectateurs laissent se prolonger, faute de pouvoir s’entendre sur le moyen de la terminer. En Italie, les états sardes, chaque jour plus façonnés à une domination uniforme, trouvent dans l’activité des anciens Ligures les élémens d’une prospérité commerciale en dehors de la vie politique ; les autres états suivent de leur mieux cet exemple, tandis que la Lombardie et Venise, devenant de plus en plus partie intégrante de l’empire autrichien, se contentent des richesses qu’un sol fertile assure comme récompense à leurs travaux. Les Pays-Bas, depuis leur séparation, ont lutté à l’envi : la Belgique, dans le développement des richesses de son sol et de ses capitaux ; la Hollande, dans l’amélioration de ses colonies lointaines dont l’importance s’accroît sans que le monde le remarque. L’un ou l’autre de ces deux états finira-t-il par céder une porte sur la mer du Nord à la grande confédération de douane des états germaniques ? La Prusse a réuni sous son patronage vingt-cinq millions d’Allemands, qui, au moyen d’un tarif uniforme, protecteur, mais point prohibitif, a plus fait que toutes les diètes et les confédérations politiques. Ce lien fictif, en créant des intérêts homogènes, acquiert chaque jour une solidité qu’il sera difficile d’entamer. Le Hanovre, le Brunswick et les villes anséatiques maritimes, gênés dans leurs rapports avec les états confédérés, paraissent destinés à accroître et compléter la réunion allemande. La nation germanique, comme peuple commerçant et comme peuple producteur, se trouvera bientôt confondue dans une seule direction, et à même d’user plus facilement de l’arme des représailles et du remède des traités de commerce. Quant à l’Autriche, avec des frontières naturelles du côté de terre, les yeux tournés vers l’Adriatique et vers ses possessions italiennes, préoccupée de la navigation du Danube, elle a peu à s’enquérir de ce qui se passera vers le Rhin et vers l’Elbe. Elle renonce facilement à entrer en participation avec un système en dehors duquel il lui est si facile de rester.

En terminant cette esquisse rapide de la situation encore nouvelle ou incertaine d’états divers soumis presque tous à des modes de gouvernement pour qui la publicité n’est pas un besoin, nous remarquerons qu’il est difficile d’obtenir, sur le mouvement commercial qui appartient à chacun d’eux, des renseignemens assez détaillés et portant sur une période assez longue pour en faire usage par comparaison avec le commerce de la France. Mais deux autres grandes nations, la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique, livrant chaque année à l’impression les documens les plus complets sur les diverses branches de leur état social, nous nous en sommes servis de notre mieux pour apprécier leur marche simultanée. Ces trois peuples, dans des positions différentes, se montrent aujourd’hui, par leur puissance, leur intelligence et leur activité, à la tête du monde civilisé.

Notre intention n’est point, ainsi que nous l’avons dit, de présenter ici l’analyse incomplète d’un ouvrage qui n’est lui-même qu’une collection de faits intéressans à des titres divers, mais bien de nous servir de ces faits et de les grouper de façon à en tirer l’enseignement que nous avons cru y remarquer. L’époque où commence la période décennale adoptée par l’administration des douanes est assez heureusement choisie, parce qu’elle a trouvé les effets de la crise anglaise de la fin de 1825 amortis. Cette crise, due à l’inintelligence avec laquelle la nation britannique avait reçu les premiers développemens du système de M. Huskisson, avait pesé encore sur une partie de l’année 1826 ; donc le mouvement commercial reprenait au commencement de 1827 la progression ascendante qui lui avait été imprimée depuis la paix générale, et que chaque perturbation politique ou financière interrompt momentanément. Les trois peuples dont nous entendons comparer le système se trouvaient dans des conditions à peu près semblables, et aucun évènement, depuis lors, n’est venu affecter le commerce de l’un d’eux sans réagir sur celui des autres.

Le commerce ne marche pas d’une manière périodique et régulière. Si quelque obstacle amène une lacune dans ses rapports, le développement est d’autant plus vif, lorsque cet obstacle cesse d’agir, et une réaction s’établit ensuite pour ramener les transactions à leur état normal. Nous avons jugé utile de diviser la période décennale en groupes successifs de trois années, laissant en dehors de notre comparaison la dernière année 1836. Cette année de 1836, si nous ne nous trompons, doit être prise isolément, et se montrera supérieure à la moyenne qui proviendra de sa réunion avec les années 1837 et 1838, qui ont ressenti l’influence de la crise des États-Unis. Mais pour comprendre les chiffres moyens de ces périodes particulières, tant pour la France que pour la Grande-Bretagne et les États-Unis, nous devons donner quelques explications sur le système qui préside aux évaluations officielles dans chacun des trois pays. — Le résumé de notre travail se trouve dans les tableaux suivans :


TABLEAU RÉSUMÉ
Du commerce de la France.

PÉRIODE DÉCENNALE DE 1827 À 1836.

NAVIGATION À L’ENTRÉE ET IMPORTATIONS GÉNÉRALES.
Tonneaux. Francs.
Par mer :
Navires français 
3,749,705
Valeur 
2,575,567,252
Id.étrangers 
6,445,049 1,888,557,310
Total 
10,194,754 4,464,124,562
Par terre 
2,209,518,852
Total des valeurs importées 
6,673,643,414
Sur quoi il en a été acquitté pour la consommation intérieure 
4,799,507,814
Et réexporté 
1,770,020,357
Laissant pour l’accroissement des marchandises en entrepôt ou en cours de transit 
104,115,243


NAVIGATION À LA SORTIE ET EXPORTATIONS GÉNÉRALES.
Tonneaux. Francs.
Par mer :
Navires français 
3,424,676
Valeur 
2,315,690,862
Id.étrangers 
4,553,279 2,744,640,115
Total 
7,977,955 5,060,330,977
Par terre 
1,935,656,008
Total des valeurs exportées 
6,983,986,985
Ces valeurs se divisent, en produits étrangers réexportés 
1,770,020,357
et en marchandises françaises 
5,213,966,628


Le numéraire et les métaux précieux recensés pendant la période décennale s’élèvent :

À l’entrée 
à 1,646,518,718
À la sortie 
à 699,977,520

et ne sont pas compris dans le tableau qui précède.

Le mouvement de la navigation française s’est réparti de la manière suivante, pendant la période décennale :


À L’IMPORTATION
Tonneaux. Francs.
Des quatre colonies à sucre. 
1,025,531
Valeur 
581,619,346
Du Sénégal 
29,834 27,664,616
De la grande pêche 
534,932 70,566,888
Commerce réservé à la France 
1,590,297 679,850,850
Commerce avec l’étranger et en concurrence 
2,159,408 1,895,716,402
À L’EXPORTATION
Tonneaux. Francs.
Aux quatre colonies à sucre. 
1,068,684
Valeur 
414,250,341
Au Sénégal 
45,116 42,764,470
À la grande pêche 
552,547 26,435,427
Commerce réservé à la France 
1,666,347 483,449,238
Commerce avec l’étranger et en concurrence 
1,768,329 1,832,241,624


MOUVEMENT PARTICULIER DE CHAQUE ANNÉE.
NAVIGATION
À L’ENTRÉE.
Tonneaux.
NAVIGATION
À LA SORTIE.
Tonneaux.
IMPORTATIONS
GÉNÉRALES.
Francs.
EXPORTATIONS
GÉNÉRALES.
Francs.
1827 828,611 786,212 656,804,228 602,401,276
1828 874,230 787,354 607,677,321 609,922,632
1829 912,804 736,690 616,353,397 607,818,646
1830 1,009,454 629,139 638,338,433 572,664,064
1831 794,410 689,234 512,825,551 618,169,911
1832 1,114,586 808,989 652,872,341 696,282,132
1833 980,892 782,868 693,275,752 766,316,312
1834 1,131,404 888,433 720,194,336 714,705,038
1835 1,174,032 871,946 760,726,696 834,422,218
1836 1,374,321 997,090 905,575,359 961,284,756


TABLEAU RÉSUMÉ
DU COMMERCE
Du royaume-uni de Grande-Bretagne et d’Irlande.

PÉRIODE DÉCENNALE DE 1827 À 1836.


NAVIGATION À L’ENTRÉE ET IMPORTATIONS GÉNÉRALES.
Tonneaux. Liv. sterl.
Navires britanniques 
22,528,608
Valeur officielle 
471,502,281
Id.étrangers 
7,822,078
Francs.
Total 
30,350,686
Ou à 25 fr. 20 c. 
11,881,857,481
m
NAVIGATION À LA SORTIE ET EXPORTATIONS GÉNÉRALES.
Tonneaux. Liv. sterl.
Navires britanniques 
22,081,522
Produits brit. valeur officielle 
654,382,045
Id.étrangers 
7,963,649
Marchandises étrang. 
107,292,061
Total 
30,045,171 761,674,106
Francs.
Ou en francs pour les produits britanniques 
16,490,427,534
pour les marchandises étrangères 
2,703,759,937
Liv. sterl.
La valeur réelle ou déclarée des produits britanniques n’a été cependant, au lieu de 654,382,045 liv. sterl., que de 
402,583,100
Et, en laissant subsister pour les marchandises étrangères la valeur officielle ci-dessus 
107,292,061
le commerce d’exportation se trouve réduit à 
509,875,161
Francs.
Ou en francs pour les produits britanniques 
10,145,094,120
pour les marchandises étrangères 
2,703,759,937
Total (qui est plus en harmonie avec les importations).
12,848,853,057


Les métaux précieux et le numéraire ne sont pas compris dans ce tableau.


TABLEAU RÉSUMÉ
Du commerce des États-Unis.

PÉRIODE DÉCENNALE DE 1827 À 1836.
(1er  octobre 1826 au 30 septembre 1836.)

NAVIGATION À L’ENTRÉE ET IMPORTATIONS GÉNÉRALES.
Tonneaux. Dollars.
Navires américains 
10,293,640
Valeur 
995,244,698
Id.étrangers 
3,611,721 96,854,451
13,905,361 1,092,099,149
Francs.
Ou à 5 fr. 25 c. 
5,733,520,532
m
NAVIGATION À LA SORTIE ET EXPORTATIONS GÉNÉRALES.
Tonneaux. Dollars.
Navires américains 
10,734,094
Valeur 
727,874,710
Id.étrangers 
3,588,775 186,244,531
14,332,599 914,119,241
Francs.
Ou en francs 
4,799,126,015


Les exportations se composaient de :

Dollars. Francs.
Produits américains 
708,615,251 ou 3,720,232,587
Marchandises étrangères 
205,503,510 1,078,893,428


Les documens américains comprennent dans le mouvement commercial les métaux précieux et le numéraire, qui figurent ensemble dans la période décennale :


À L’IMPORTATION
Dollars. Francs.
Pour 
95,596,668 ou 501,882,507
À L’EXPORTATION
Monnaie des États-Unis 
8,598,746 45,143,406
Métaux et numéraire étrang. 
45,024,246 236,377,291
53,622,990 281,520,697


ANNÉE MOYENNE
COMPARÉE
DE LA PÉRIODE DÉCENNALE 1827-1836.

NAVIGATION À L’ENTRÉE. FRANCE. GRANDE-BRETAGNE. ÉTATS-UNIS.
Tonneaux. Tonneaux. Tonneaux.
Navires nationaux 
374,907 2,252,861 1,029,364
Id.étrangers 
644,505 782,208 361,172
1,019,412 3,035,069 1,380,536
NAVIGATION À LA SORTIE.
Navires nationaux 
324,468 2,208,152 1,073,409
Id.étrangers 
455,328 796,365 358,878
779,796 3,004,517 1,432,287
m
IMPORT. GÉNÉRALES. FRANCE. GRANDE-BRETAGNE. ÉTATS-UNIS.
Francs. Francs. Francs.
Par terre et par mer 
667,364,341 1,188,185,748 357,352,053 (1)
m
EXPORT. GÉNÉRALES.
Produits nationaux 
521,396,663 1,014,509,412 (2) 372,023,259 (3)
Marchandises étrangères 
177,002,036 270,375,994 107,889,343 (4)
698,398,699 1,284,885,406 479,912,602 (5)


(1) Où sont compris métaux précieux et numéraire pour 30,188,251 francs.
(2) Valeur déclarée ou réelle.
(3) Où sont compris, numéraire américain 
 4,514,341 francs.
(4) Id. métaux précieux 
 23,637,729 francs.
 

(5) Faisant un total 
 28,152,070 francs.
 
§ II. — bases des évalutations,

En France, le chiffre officiel d’évaluation, appliqué par les douanes aux unités dont elles constatent le mouvement, a été établi après une longue enquête et basé sur une moyenne des prix qui existaient au moment de la discussion. Il a été appliqué, pour la première fois, au tableau du commerce de 1825, et, en comparant le résultat qu’il a donné dans cette année-là avec celui qu’auraient produit les bases dont on se servait antérieurement, on trouve une différence de 74 millions, en moins, sur la valeur des importations acquittées, et de 64 millions, en plus, sur celle des exportations. L’on voit de là de quelles erreurs étaient frappées les inductions que l’on essayait de tirer, relativement à une prétendue balance de commerce, des faits sur lesquels on s’était jusqu’alors appuyé, puisque cette balance, pour cette seule année, aurait été fausse de 138 millions. Ce chiffre officiel a depuis été appliqué sans changement à toutes les années suivantes. Il exprime ainsi vaguement des quantités non homogènes ni susceptibles d’addition, et ne tient aucun compte des changemens de valeur que le temps amène et qui n’ont pu manquer d’être considérables. Des recherches critiques sur les variations que ces prix ont subies depuis douze ans nous écarteraient trop de notre sujet.

La Grande-Bretagne emploie, pour l’évaluation officielle de son commerce, un taux d’appréciation qui remonte à l’année 1696, et qui a été augmenté seulement des articles qui se sont produits depuis lors. Cette évaluation officielle ne peut donc exprimer que des quantités ; seulement, comme correctif, on y joint, par comparaison, l’état de la valeur réelle et déclarée des articles exportés produits du sol ou des manufactures britanniques.

La France ni la Grande-Bretagne ne comprennent pas, dans leurs tableaux de commerce, l’or et l’argent sous forme de matière première ou de numéraire, ni à l’importation, ni à l’exportation. La France constate à part ce qui a été l’objet d’une déclaration régulière.

Les États-Unis, par un acte du congrès du 10 février 1820, ont pourvu au recensement régulier de leur mouvement commercial. Ils emploient pour taux d’évaluation le prix courant des ports étrangers d’où la marchandise arrive, sans aucune addition de frais, quand il s’agit de l’importation, et le prix courant du port américain où la marchandise est chargée, quand il s’agit de l’exportation. Les métaux précieux sont compris dans l’importation générale, ainsi que dans l’exportation ; mais dans ce dernier cas, s’il s’agit de monnaie américaine, elle est rangée dans la liste des articles manufacturés du pays. La franchise de droits dont jouissent ces mouvemens, laisse peu de doute sur l’exactitude des déclarations.

Il est facile de voir, par ce qui précède, que les sommes que nous allons comparer manquent d’exactitude mathématique. Elles ne doivent être regardées que comme l’indication du mouvement ascensionnel ou rétrograde du commerce des trois puissances. Nous ne considérons cependant pas comme d’une grande importance l’erreur qui les ferait employer comme chiffres absolus.

Chacun des documens des trois nations indique les lieux de provenance et de destination du mouvement commercial. On peut reprocher aux tableaux fournis par les douanes françaises de réunir en un seul chapitre, en se guidant uniquement sur la possession politique, des pays qu’il conviendrait de séparer. Ainsi Gibraltar, Malte, les îles Ioniennes, devraient être soigneusement distingués des îles britanniques formant le royaume-uni. Les rapports de la France avec les états allemands et avec la Prusse ont lieu par terre ou par mer, et il devrait dans ce cas-là, comme pour les états sardes, l’Espagne et même la Belgique, exister une division qui indiquât le mode de communication. Il n’est point non plus indifférent de savoir quelle portion de notre commerce avec la Russie a lieu dans la Baltique, et quelle portion est réservée à la mer Noire ; il serait encore utile de considérer à part les côtes d’Espagne sur l’Océan et celles de la Méditerranée, car un intérêt bien grand se rattache à l’étude du commerce spécial de cette dernière mer. En total, il y aurait sept ou huit divisions nouvelles à ajouter à celles dont on fait usage. Cette addition permettrait un plus grand nombre de points de comparaison avec les documens, beaucoup plus détaillés, de la Grande-Bretagne, et surtout avec ceux des États-Unis.

§ III. — commerce décennal de la france.

Nous allons examiner, en nous servant de nombres ronds, comment s’est réparti le commerce décennal, dont nous avons présenté le résumé. La période de 1827 à 1836 offre des oscillations qui nous ont engagé à la partager en groupes successifs de trois années, laissant à part l’année 1836, dont les résultats sont beaucoup au-dessus de la moyenne. On ne peut prendre comme base une excitation extraordinaire, qui sera nécessairement modifiée quand on la groupera avec 1837, dont les documens ne sont pas encore publiés, et avec 1838, qui n’a pas terminé son cours.

La France a un commerce de terre qui exprime non-seulement ses propres affaires, mais encore celles des peuples qui empruntent son territoire, au moyen du transit qui se fait tant d’une frontière de terre à l’autre qu’entre la mer et les frontières de terre. Ce mouvement tend à s’accroître d’autant plus, que les facilités qui lui ont été accordées sont encore d’une date récente. Quant au commerce maritime, une partie se fait en concurrence avec l’étranger, sous la restriction de droits différentiels de douane, droits qui, sauf le cas de réciprocité convenue avec quelques peuples, assure à notre pavillon la préférence pour l’importation de presque tous les objets nécessaires à notre consommation. L’autre partie du commerce maritime est prohibée aux pavillons étrangers ; elle comprend la navigation entre la métropole et ses colonies, et celle de la grande pêche. Le cabotage d’un port français à l’autre et la pêche sur nos côtes sont également dévolus à la marine française ; mais leur importance ne rentre pas dans le cadre des documens que nous examinons.

Nous croyons, dans les remarques qui vont suivre, devoir nous borner à l’emploi de nombres ronds. Les valeurs seront exprimées seulement en francs, même pour le commerce étranger.

Dans ses relations par les frontières de terre, la France a

IMPORTÉ. EXPORTÉ.
Millions. Millions.
Année moyenne de 1827 à 1829. 200 163
1830 à 1832. 183 178
1833 à 1835. 244 218
En 1836 
328 244

En considérant la division que l’on doit faire du commerce maritime, on trouve que le mouvement sous pavillon français a été :

À L’IMPORTATION. À L’EXPORTATION.
TONNEAUX. VALEUR. TONNEAUX. VALEUR.
Mille. Millions. Mille. Millions.
Année moyenne de 1827 à 1829. 343 238 330 224
1830 à 1832. 358 235 311 208
1833 à 1835. 387 283 359 248
En 1836 
485 308 427 277
m
Et sous pavillon étranger :
m
Année moyenne de 1827 à 1829. 528 158 440 220
1830 à 1832. 615 184 398 243
1833 à 1835. 707 198 489 305
En 1836 
889 270 570 440

La valeur des marchandises sorties de la France se compose :

DE MARCHANDISES
ÉTRANGÈRES
RÉEXPORTÉES OU
TRANSITÉES.
DE
MARCHANDISES
FRANÇAISES.
TOTAL
DE
L’EXPORTATION.
Millions. Millions. Millions.
Année moyenne de 1827 à 1829. 99 508 607
1830 à 1832. 157 472 629
1833 à 1835. 223 549 772
En 1836 
332 629 961

Le mouvement de la navigation française se répartit :

À L’ENTRÉE. DES
COLONIES
À SUCRE.
DU
SÉNÉGAL.
DE LA
PÊCHE.
TOTAL DE LA
NAVIGATION
RÉSERVÉE.
DES
AUTRES
PAYS
Tonneaux. Tonn. Tonneaux. Tonneaux. Tonneaux.
Année moyenne 1827 à 1829. 104,338 3,008 51,726 159,122 184,458
1830 à 1832. 103,545 2,827 46,668 153,040 204,738
1833 à 1835. 99,148 2,906 58,205 160,259 226,621
En 1836 
104,289 3,609 65,135 173,033 311,953
m
À LA SORTIE.
m
Année moyenne 1827 à 1829. 118,355 5,060 54,442 175,857 154,032
1830 à 1832. 102,527 3,646 50,049 156,222 154,497
1833 à 1835. 101,315 4,558 62,039 167,912 190,820
En 1836 
102,092 5,322 58,957 166,371 260,283


Le mouvement commercial opéré par la navigation française s’est élevé :


À L’IMPORTATION. DES COLONIES
ET DE LA PÊCHE.
DES AUTRES
PAYS.
Millions. Millions.
Année moyenne de 1827 à 1829. 68 170
1830 à 1832. 69 166
1833 à 1835. 69 214
En 1836 
70 238
m
À L’EXPORTATION.
m
Année moyenne de 1827 à 1829. 49 175
1830 à 1832. 44 164
1833 à 1835. 48 200
En 1836 
58 219


Ainsi que nous l’avons dit, nous ne considérerons pas le commerce sous le point de vue des classifications adoptées par la douane. Nous jugeons qu’elles ne répondent pas à l’intention qui les a dictées, et nous concevons difficilement comment les matières premières nécessaires à l’industrie comprennent les chiens de chasse et les chevaux de course, et non pas les moutons ; les drogues médicinales servant en pharmacie et la laine que l’on emploie, sans préparation, dans les matelas, et non pas les sucres bruts qui fournissent l’aliment à tant d’usines, et dont les produits exportés sont rangés dans les fabrications. Nous ne pouvons regarder l’eau-de-vie ou les peaux tannées et corroyées comme des produits naturels, etc., etc. Le tort de ces classifications est de servir de base à de faux raisonnemens sur l’importance relative de quelques branches de notre commerce extérieur, et dans l’impossibilité de nous étendre, nous nous bornons à indiquer quelques-uns des principaux articles importés, et leur valeur officielle pendant la période décennale de 1827 à 1836.

IMPORTATION
GÉNÉRALE.
MISE EN CONSOMMATION
PAR ACQUITTEMENT.
Millions. Millions.
Soies 
734 400
Cotons en laine 
711 589
Laines et poils 
288 225
Peaux brutes 
162 140
Sucres des colonies 
490 446
Huile d’olive 
320 296
Indigo 
249 180
Tissus de soie 
231 28
 de lin, chanvre 
225 161
 de laine 
74 »
 de coton 
163 »
Métaux bruts et houille 
405 388

Les principaux articles exportés pendant la même période sont les suivans :

EXPORTATIONS
GÉNÉRALES.
EXPORTATION DU SOL OU DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE.
Millions. Millions.
Vins 
473 167
Eaux-de-vie 
199 193
Tissus de soie 
1,434 1,215
 de coton 
664 543
 de laine 
408 339
 de lin, chanbre 
428 326
Tabletterie et ouvrages divers de l’industrie parisienne 
206 197
Sucre raffiné 
102 81
Soies 
380 »
Coton 
102 »

Les puissances avec lesquelles les rapports commerciaux de la France ont été les plus grands, sont, tant à l’importation qu’à l’exportation, les États-Unis, les Pays-Bas, les états sardes, l’Angleterre, l’Autriche, les états allemands, la Suisse, l’Espagne, la Russie et nos propres colonies.

§ iv. — commerce décennal du royaume-uni de grande-bretagne et d’irlande

Nous avons expliqué la formation du chiffre officiel appliqué à l’évaluation du commerce de la Grande-Bretagne. À l’origine il était à peu près d’accord avec la réalité ; mais, avec le temps, une différence si grande s’est manifestée, que, pour avoir à récapituler autre chose que des chiffres, le parlement porta, en 1798, un bill pour ordonner qu’à l’avenir on tiendrait aussi note, à l’exportation, de la valeur actuelle et réelle des produits du sol ou de l’industrie du pays, valeur que les expéditeurs seraient tenus de déclarer. Le tableau que nous avons placé plus haut indique, pour la période décennale, le chiffre des deux valeurs. Nous présenterons, sur leur comparaison, des observations que nous devons faire précéder de quelques détails sur le mouvement ascensionnel du commerce pendant les dix années dont les résultats sont sous nos yeux.


La navigation du Royaume-uni s’est trouvée :


À L’ENTREE. PAVILLON BRITAN. ÉTRANGER. TOTAL.
Tonneaux. Tonneaux. Tonneaux.
Année moyenne de 1827 à 1829. 2,122,000 699,000 2,821,000
 1830 à 1832. 2,244,000 758,000 3,002,000
 1833 à 1835. 2,308,000 820,000 3,128,000
En 1836 
2,505,000 989,000 3,494,000
À LA SORTIE.
Année moyenne de 1827 à 1829. 1,986,000 702,000 2,688,000
 1830 à 1832. 2,211,000 768,000 2,979,000
 1833 à 1835 2,320,000 839,000 3,159,000
En 1836 
2,532,000 1,035,000 3,567,000


Le commerce d’importation a été, valeur officielle :

Francs.
Année moyenne 1827 à 1829. 1,125 millions.
 1830 à 1832. 1,181
 1833 à 1835. 1,187
En 1836 
1,404

Le commerce général d’exportation a été, aussi valeur officielle :

REVENTE DE
PRODUITS ÉTRANG.
PRODUITS BRITANNIQUES. TOTAL.
Francs. Francs. Francs.
Année moyenne 1827 à 1829. 255 millions. 1,354 millions. 1,609 millions.
 1830 à 1832. 255 1,570 1,825
 1833 à 1835. 287 1,860 2,147
En 1836 
312 2,139 2,451

Mais si, en laissant subsister la valeur officielle pour les produits étrangers revendus, on se sert, pour les produits britanniques, de la valeur réelle ou déclarée, on a pour le commerce général d’exportation les chiffres suivans :

PRODUITS ÉTRANGERS. PRODUITS BRITANNIQUES. TOTAL.
Francs. Francs. Francs.
Année moyenne 1827 à 1829. 255 millions. 923 millions. 1,178 millions.
 1830 à 1832. 255 940 1,195
 1833 à 1835. 287 1,074 1,361
En 1836 
312 1,336 1,648


Le commerce de la Grande-Bretagne s’exerce, avec tous les pays du monde, sur une échelle très étendue. Ses colonies dans l’Amérique du Nord et aux Indes occidentales, l’Inde, l’Amérique du Sud, la Méditerranée et les peuples de l’Europe, lui offrent de vastes débouchés ; mais aucun d’eux, pris isolément, n’égale l’importance de celui qu’elle trouve aux États-Unis. Sur 47 millions sterling, valeur déclarée des produits britanniques exportés en 1835, les États-Unis seuls en ont pris 10 millions et demi, et sur 53 millions en 1836, ils en ont eu près de 12 et demi (plus de 312 millions de France et au-delà de la moitié de la valeur de toutes les marchandises françaises exportées la même année). Cette dernière année, comme nous l’avons dit, forme une année exceptionnelle ; mais on ne s’en rend pas moins compte de l’intérêt qui s’attache aux rapports des deux pays.

Comme l’on s’est décidé à adopter en France un chiffre officiel et constant pour l’évaluation du mouvement commercial, nous devons ici placer nos remarques sur l’anomalie qui a régné dans les tableaux commerciaux de la Grande-Bretagne entre la valeur officielle et la valeur déclarée. Les causes auxquelles nous attribuons cette anomalie sont diverses et quelquefois viennent se combattre, d’autres fois s’appuyer. Ainsi le cours forcé des billets de banque depuis 1797 à 1822 ; le renchérissement, par la guerre, du fret, des assurances et des mains-d’œuvre ; l’activité imprimée depuis à la production, et cependant la cessation de certaines consommations que la guerre exigeait : chaque circonstance enfin mériterait d’être étudiée à part. Ne pouvant le faire à présent, nous ferons seulement remarquer que, pour ramener la valeur officielle à la valeur réelle ou déclarée, il faut frapper la première d’une réduction qui sera de

32 pour % sur l’année moyenne de 1827 à 1829.
41  1830 à 1832.
42 1/4  1833 à 1835.
37 1/2 sur l’année 1836.

Cette réduction n’est donc pas une quantité constante. Par les causes que nous avons indiquées, la valeur déclarée, placée en regard de la valeur officielle, s’est trouvée supérieure pendant de longues années. Ainsi, pendant les trois années 1806,1807,1808 (qui sont les premières où l’on puisse additionner les chiffres du commerce du Royaume-uni), les exportations ont été :

Valeur officielle 
72,630,000 liv. sterl.
Valeur déclarée 
116,198,000
offrant une augmentation de 60 pour % en faveur de la dernière évaluation.

La dernière année où la valeur déclarée a excédé la valeur officielle est l’année 1820. Dès la suivante, on remarque, dans le sens opposé, une différence qui, après une oscillation en 1826, s’est ensuite constamment accrue.

Exportation
des produits
britanniques.
Valeur officielle. Valeur réelle.
En 1820. 33,534,176 35,208,321 En plus : 5 p. %
En 1821. 38,393,768 36,423,963 En moins : 5 p. %

Ce n’est pas que tous les articles qui composent les exportations soient frappés d’une manière égale par cette différence de valeur. Pour quelques-uns, la valeur déclarée est toujours restée supérieure à la valeur officielle, comme l’étain brut et ouvré, les laines brutes et filées, le fil de lin, les soieries. D’autres sont restés à une évaluation égale, sauf de légères différences en faveur de l’évaluation officielle, comme les armes et munitions, les objets fabriqués de bronze et de cuivre, les articles fabriqués avec la laine. Quelques articles principaux ont donc fait pencher la balance et décidé la réduction.

Les trois dernières années de la période décennale (1827 à 1836) offrent ensemble, pour l’exportation des produits du sol et de l’industrie britannique, un total :

Valeur officielle 
de 236,311,828 liv. sterl.
Valeur déclarée 
de 141,228,395

Dans cette somme sont compris :

Valeur officielle. Valeur déclarée.
Liv. sterl. Liv. sterl.
Tissus et articles manufacturés de coton 
139,697,296 50,157,251 En moins : 64 p. %
Coton filé 
22,046,906 17,037,904 22 3/4
Tissus et articles manufacturés de lin 
12,518,942 8,452,083 32 1/2
Fer et acier brut et ouvré 
8,417,733 5,385,902 36
182,680,877 81,033,140

qui offrent une différence de 101,647,977 liv. st., ou 55 1/2 pour % en moyenne, tandis que la différence sur l’exportation totale des trois années n’est que de 85,083,433 liv. st., ou 40 1/4 p. % du chiffre général.

Il est fâcheux que la destruction, par l’incendie de 1815, des documens conservés à la douane de Londres, ne permette pas de remonter à des détails anciens, car on remarque que l’exportation des tissus et articles manufacturés de coton fut :

Valeur officielle. Valeur déclarée.
En 1815. 16,535,528 liv. st. 17,241,884 liv. st. En plus : 4 1/4 p. %
En 1816. 21,480,792 36,423,963 En moins : 12 p. %

On peut ainsi juger de la baisse graduelle de valeur de cet article important, puisqu’elle est arrivée à subir une réduction de deux tiers du capital pendant une période de vingt ans.

§ v. — commerce décennal des états-unis d’amérique.

Nous avons vu sur quels principes sont basées les évaluations de commerce présentées au congrès des États-Unis. Chez eux, l’année financière commence le 1er  octobre et finit le 30 septembre de l’année suivante. Nous avons en conséquence établi la période comparative au 1er  octobre 1826, en la finissant au 30 septembre 1836. Nous avons donné le tableau général des faits de cette époque ; il ne nous reste qu’à en offrir les détails les plus importans.

Le mouvement de la navigation a été :

À L’ENTREE. NAVIRES AMÉRIC. ÉTRANGERS. TOTAL.
Tonneaux. Tonneaux. Tonneaux.
Année moyenne 1826-27 à 1828-29. 887,000 139,000 1,026,000
1829-30 à 1831-32. 946,000 269,000 4,215,000
1832-33 à 1834-35. 1,179,000 569,000 1,748,000
En 1835-36 
1,255,000 680,000 1,935,000
m
À LA SORTIE.
Année moyenne 1826-27 à 1828-29. 941,000 138,000 1,079,000
1829-30 à 1831-32. 973,000 264,000 1,237,000
1832-33 à 1834-35. 1,225,000 568,000 1,794,000
En 1835-36 
1,315,000 675,000 1,990,000


Le commerce d’importation des produits étrangers a été, en francs :

PAVILLON
AMÉRICAIN.
PAVILLON
ÉTRANGER.
TOTAL.
Année moyenne 1826-27 à 1828-29. 396 millions. 28 millions. 424 millions.
1829-30 à 1831-32. 438 43 481
1832-33 à 1834-35. 607 66 673
En 1835-36 
901 96 997


Le commerce d’exportation a été :

PRODUITS ÉTRANG.
RÉEXPORTÉS.
PRODUITS
NATIONAUX.
TOTAL.
Année moyenne 1826-27 à 1828-29. 108 millions. 289 millions. 397 millions.
1829-30 à 1831-32. 102 322 424
1832-33 à 1834-35. 111 442 553
En 1835-36 
114 561 675

Le commerce d’exportation s’est partagé, sous le rapport de la navigation, de la manière suivante :

PAVILLON
AMÈRICAIN.
PAVILLON
ÉTRANGER.
TOTAL
en francs
Année moyenne 1826-27 à 1828-29. 342 millions. 55 millions. 397 millions.
1829-30 à 1831-32. 342 82 424
1832-33 à 1834-35. 420 133 553
En 1835-36 
510 165 675

Comme nous l’avons dit, les États-Unis comprennent, avec toutes les marchandises, les matières d’or et d’argent et le numéraire dans le tableau de leur commerce, et nous trouvons que, dans la période décennale, il en a été

Francs. Francs.
Importé 
pour 501,882,000 ou année moyenne 50,188,000
Exporté 
281,520,000  28,152,000
Laissant un excédant de 
220,362,000  22,036,000
auquel il faut ajouter la production d’or des mines locales, environ 
26,250,000  2,625,000
Ayant accru la circulation, en dix ans, de 
246,612,000  24,661,000


Le commerce de revente fait par les Américains n’a pas, dans les chiffres officiels, l’apparence de ce qu’il est réellement. C’est que, dans toutes les mers, ce commerce se fait aussi directement d’un lieu de production à un lieu de consommation, sans toucher dans un port américain, et échappant, par conséquent, au contrôle des documens qui sont soumis au congrès. Cette portion importante de la navigation américaine ne pourrait être estimée, et encore imparfaitement, qu’après des travaux longs et difficiles pour lesquels il faudrait réunir les documens d’importation et d’exportation de l’Inde, de la Chine, du Brésil, de Cuba, des principales échelles du Levant, des ports de la Méditerranée, des villes anséatiques et des mers du nord de l’Europe dont les communications ont lieu souvent par navires américains exportant et important directement. Quelque intérêt qu’inspire l’étude des tableaux fournis à l’Union américaine, on reconnaît qu’ils n’expriment pas tous les élémens existans de la prospérité de cette nation nouvelle. Les États-Unis ont trouvé, dans leur sol fertile, dans leur industrie vigilante, dans leur application aux voies de communication et dans les heureux effets de leur constitution, les moyens de fournir à l’étranger une masse énorme de produits à l’état de première main-d’œuvre. La culture a donné, dans la période décennale, matière à l’exportation de

3 milliards 200 millions de livres de coton, pour une valeur
de 
2 milliards 32 millions de francs
91 millions de livres de tabac, pour 
» 335
En céréales, riz, farine, biscuit et animaux 
» 626
faisant ensemble une valeur de près de 3 milliards, obtenue directement du sol.

L’importance de ces produits, celle des pêcheries, des bois de construction et des potasses, rendent moins sensible la lenteur du développement des manufactures. Cependant la substitution des machines perfectionnées au travail de l’homme, et l’avantage d’avoir la matière première sous la main, ont déjà accru l’exportation des articles manufacturés de coton au point que la valeur totale de la période décennale dépasse 88 millions de francs, dont près de 12 millions pour l’année 1835-36.

§ vi. — vues générales sur l’avenir commercial de la france.

Le statistique n’est pas une lettre morte dont il n’y ait aucun enseignement à tirer, seulement il faut se garder de conséquences trop absolues, en présence de la difficulté que l’on éprouve à constater des faits dont l’appréciation soit à l’abri de toute critique. Une précaution tout aussi nécessaire est celle d’examiner l’action des circonstances qui peuvent accompagner ou suivre les époques dont on remarque la direction. Ainsi le développement des affaires commerciales, dans l’année 1830, a été le sujet de graves erreurs. On l’a regardé comme le principe d’un accroissement durable, tandis qu’il n’était que l’effet d’une excitation immodérée, d’un trafic exagéré (overtrading) ressenti sur tout le globe, et dont la crise des États-Unis et les contre-coups, en Angleterre et en France, ont été les conséquences. Le commerce général doit augmenter avec l’augmentation des populations civilisées et des moyens de travail dont elles sont en possession ; mais on a eu tort de comparer 1826 à 1836. À mesure que les évènemens surgissent, nous voyons d’autant plus clairement les modifications que la prospérité de cette dernière année recevra quand elle se réunira aux deux suivantes, 1837 et 1838. Ce n’est pas que nous attachions trop d’importance au groupement par périodes dont nous nous sommes servi. Nous pensons seulement qu’il exprime assez bien l’influence des évènemens historiques sur les opérations du commerce : développement du travail de 1827 à 1829, après la crise anglaise de 1825 et 1826, oscillation dans les trois années suivantes, marquées par des révolutions et des épidémies ; nouvelle ère de prospérité de 1833 à 1835, se terminant par une surexcitation en 1836. Tel est le tableau que nous offre la période décennale. Le mouvement rétrograde imprimé au commerce pendant les années 1837 et 1838, se ralentissant déjà, doit peut-être faire bientôt place à une nouvelle ère de progression. La France est-elle préparée à s’y associer et à en profiter ? Pour résoudre cette question, il convient de revenir encore sur le détail des chiffres dont nous avons présenté l’ensemble. Les louanges qu’un peuple se donne à lui-même ont peu de portée et ne servent souvent qu’à couvrir et dissimuler les plaintes sourdes de cette portion du corps social, dont le malaise est évident. Ceux qui souffrent le mal craignent souvent de le proclamer devant le besoin de confiance et de crédit qui leur commande la réserve. Recherchons donc dans le passé la véritable indication de ce que la France peut se promettre pour l’avenir. Examinons la progression de son commerce ; n’oublions pas que notre pays renferme trente-quatre millions d’habitans, et que nos comparaisons, lorsque nous en ferons, le mettront en regard de la Grande-Bretagne qui n’en a que vingt-quatre millions, et des États-Unis qui n’en ont que treize millions.

Les importations, en dépit des fausses théories d’économie politique, sont le signe de la richesse et de l’industrie du pays. Celles qui se font en France se divisent en trois parts : 1o  les besoins de la consommation ; 2o  la revente à l’étranger ; 3o  l’excédent, quand il y en a, formant une réserve en entrepôt ou en transit.

1o  La consommation des produits étrangers a été :

De 1827 à 1829 
de 1,351 millions.
De 1830 à 1832 
de 1,368
De 1833 à 1835 
de 1,515

C’est 55 millions moyennement par an de plus dans cette dernière période que dans la première.

2o  La revente à l’étranger a été :

De 1827 à 1829 
de 298 millions.
De 1830 à 1832 
de 471
De 1833 à 1835 
de 669
et elle a ainsi plus que doublé.

3o  La réserve d’entrepôt a augmenté :

De 1827 à 1829 
de 141 millions.
et elle a diminué :
De 1830 à 1832 
de 36
De 1833 à 1835 
de 10

Tel est l’emploi qu’ont reçu les importations générales, qui se sont élevées

De 1827 à 1829 
à 1,790 millions.
De 1830 à 1832 
à 1,804
De 1833 à 1835 
à 2,174

On voit que l’accroissement des importations est dû, pour la plus grande partie, à la revente faite à l’étranger, et nous en expliquerons plus tard les causes.

Les importations générales ont été dans le royaume-uni de la Grande-Bretagne :

Valeur
officielle.
Dont revendu à
l’étranger.
Gardé pour la
consommation ou l’entrepôt.
De 1827 à 1829. 3,374 millions. 766 millions. 2,608 millions.
De 1830 à 1832. 3,542 765 2,776
De 1833 à 1835. 3,561 861 2,700

Les importations générales ont été aux États-Unis

Valeur
officielle.
Dont revendu à
l’étranger.
Gardé pour la
consommation.
De 1827 à 1829. 1,273 millions. 324 millions. 949 millions.
De 1830 à 1832. 1,444 306 1,138
De 1833 à 1835. 2,019 334 1,685

Dans les neuf années, la consommation de la Grande-Bretagne est presque double de celle de la France, et celle des États-Unis en est à une différence d’un sixième pour l’égaler.

Les exportations des produits du sol et de l’industrie du pays ont été :

POUR LA FRANCE. LA GRANDE-BRETAGNE. LES ÉTATS-UNIS.
Valeur officielle. Valeur déclarée. Valeur réelle.
De 1827 à 1829. 1,522 millions. 4,063 millions. 868 millions.
De 1830 à 1832. 1,416 4,708 965
De 1833 à 1835. 1,647 5,580 1,326

Que l’on n’oublie pas de remarquer que les métaux précieux ne sont pas compris dans les tableaux de la France et de la Grande-Bretagne, et qu’en France la valeur officielle dont on se sert doit dépasser déjà, dans une grande proportion, la valeur réelle.

Dans les exportations générales, les reventes sont aussi comprises. Mais ce commerce, qui a plus que doublé de 1827-29 à 1833-35, appartient-il à la France ? On conviendra qu’il se fait chez elle ; quand on va au fond des choses, on trouve qu’il a lieu sans que nous y soyons intéressés, qu’il se passe sous nos yeux sans que nous y prenions presque aucune part. Des nations voisines, d’autres éloignées, ont trouvé notre position géographique commode, et s’y sont donné rendez-vous pour y trafiquer entre elles. Nos lois sur le transit et sur les entrepôts, que nous avons autrefois vivement sollicitées, parce que nous espérions qu’elles serviraient à éveiller l’engourdissement national, lois que nous approuvons toujours, parce qu’elles doivent tôt ou tard produire leur effet, ont amené un commerce de transit et de réexportation dont les variations sont soumises à des influences tout-à-fait étrangères à notre pays. En recherchant dans les différences entre ce que les tableaux de nos douanes appellent le commerce général et le commerce spécial, nous trouvons les faits suivans :

Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Allemagne, la Prusse et les Indes orientales ont importé chez nous, en articles qui ne sont pas entrés dans notre consommation, de 1827 à 1829, pour 146 millions, et de 1833 à 1835, pour 334 millions. D’un autre côté, nos exportations en articles étrangers ont été, pour les États-Unis, la Suisse, l’Allemagne et les états sardes, de 1827 à 1829, 95 millions, et de 1833 à 1835, 297 millions. Cet accroissement d’échanges opérés sur notre territoire, entre un si petit nombre de nations, est un fait bien remarquable ; mais ce que nous regardons comme certain, c’est que la presque totalité de ce grand commerce s’opère sans le concours de nos concitoyens, qui n’y participent ni par leurs capitaux, ni par leurs navires. La Suisse et l’Allemagne demandent à la Grande-Bretagne et aux États-Unis des cotons, de l’indigo, des denrées de toute espèce. Les États-Unis, de leur côté, commettent à l’industrie suisse et allemande les rubans, les tissus de soie, de lin, de laine, que leurs paquebots chargent au Havre. Les états sardes envoient leurs caboteurs charger à Marseille des denrées de toutes les provenances arrivées par la navigation étrangère. Tout cela emprunte nos routes et quelquefois seulement nos entrepôts maritimes, s’enregistre dans nos états de commerce, donne une fausse apparence de vie et d’activité à nos relations commerciales, et en augmente l’importance par centaines de millions. L’exportation de nos propres produits dans le même temps éprouve un si faible accroissement, que, si on discutait la différence de la valeur réelle avec le chiffre officiel établi en 1825, nous serions peut-être restés stationnaires dans le cours des neuf années.

Il reste à examiner une branche importante : c’est celle de la navigation ou des frets et des transports. Elle n’entre dans les estimations officielles d’aucun peuple, et cependant elle modifie les avantages de leurs rapports réciproques. Aussi est-il intéressant de considérer combien la navigation étrangère au pays a fait de progrès, tant en France qu’en Angleterre et aux États-Unis. Les proportions en sont bien diverses, et on trouve la navigation générale :

À L’ENTRÉE. EN FRANCE. EN GRANDE-BRETAGNE. AUX ÉTATS-UNIS.
Mille tonneaux. Nav. nat. Nav. étr. Nav. nat. Nav. étr. Nav. nat. Nav. étr.
De 1827 à 1829. 1,030 1,585 6,365 2,097 2,660 416
De 1830 à 1832. 1,073 1,845 6,783 2,273 2,840 807
De 1833 à 1835. 1,160 2,125 6,925 2,462 3,539 1,706
À LA SORTIE.
De 1827 à 1829. 990 1,320 5,957 2,106 2,822 415
De 1830 à 1832. 932 1,195 6,632 2,306 2,919 793
De 1833 à 1835. 1,076 1,467 6,960 2,516 3,676 1,705

Ces chiffres portent avec eux toute leur éloquence ; aucun raisonnement ne pourrait mieux démontrer que nous restons sur la route, disposés à nous laisser devancer par tous nos rivaux. Mais il est des choses qui ont besoin d’être approfondies, afin qu’il ne reste aucun doute dans l’esprit. La navigation française est ou exclusive et réservée, comme pour nos colonies et pour la pêche, ou seulement protégée, comme cela résulte des droits différentiels de douane, dans celle que nous faisons à l’étranger. La navigation réservée, force est bien qu’on nous la laisse. Elle offre l’emploi en moyenne de 160 mille à 170 mille tonneaux par année, qui vont nécessairement en se réduisant, et devront disparaître bientôt. Quant à notre navigation faite en concurrence avec l’étranger, cette navigation, où se trouve l’épreuve de nos forces et de notre esprit commercial, on nous pardonnera de rappeler encore une fois les chiffres qui en expriment la situation.

Il est entré en France, du commerce libre et fait en concurrence :

Pavillon français. Pavillon étranger.
De 1827 à 1829. 553,375 1,584,703
De 1830 à 1832. 614,216 1,845,115
De 1833 à 1835. 679,804 2,125,686

Il est sorti de France pour les mêmes destinations :

De 1827 à 1829. 472,215 1,320,589
De 1830 à 1832. 470,785 1,195,203
De 1833 à 1835. 581,576 1,467,051

C’est-à-dire que, dans les rapports de la France avec l’étranger, nos navires sont employés pour un peu plus du quart.

Un pareil résultat, après un quart de siècle de paix, est certainement tout ce que l’on peut imaginer de plus déplorable pour l’honneur et la puissance de la nation française. Encore si nous analysons bien les causes qui nous ont fait conserver cette part de un quart, dans le mouvement de la navigation qui entre et sort de nos ports pour les pays étrangers, nous trouverons qu’il a fallu avoir recours, vis-à-vis de la Grande-Bretagne, à une réciprocité de répulsion commerciale, protéger notre navigation de l’Inde par des droits différentiels équivalant à plusieurs fois la valeur du fret, et exciter les armemens pour les îles de la Sonde, qui se sont, au reste, arrêtés à Java, par des immunités exorbitantes, qui ont détruit d’un autre côté notre commerce avec Haïti, et peut-être privé ses habitans des moyens de s’acquitter envers nous.

La prospérité de la marine marchande dépend du mouvement commercial d’une nation, car aujourd’hui chaque peuple, autant que possible, emploie ses navires pour ses propres affaires. Sans marine marchande, il n’y a pas de marine militaire ; cette dernière, comme on l’a vu à Navarin, à Alger, dans le Tage, et aujourd’hui en Amérique, est une des plus fermes bases de la puissance et de la prépondérance politique. Aussi ne savons-nous trop nous émerveiller de l’incurie extrême qui, surtout depuis la révolution de 1830, s’est manifestée dans les conseils de la nation, pour les véritables intérêts commerciaux. Tels sont cependant les fruits de la persévérance avec laquelle on suit le système adopté sous l’empire, ou plutôt dès brumaire an v, et soigneusement conservé dans les générations gouvernementales qui se sont succédé. On prétend assurer la prospérité intérieure par la prohibition du travail étranger ; on ne cherche pas à encourager l’exportation, mais on croit avoir tout gagné quand on a anéanti une branche d’importation, et, pour nous servir d’un lieu commun absurde, quand on s’est affranchi d’un tribut payé à l’étranger. On se complaît dans des louanges exagérées, données à l’industrie du pays, et on se dissimule qu’elle se trouve chassée successivement de tous les points où elle trouvait des débouchés, parce qu’elle est ignorante des progrès que font ses rivaux, et des besoins nouveaux qu’elle pourrait être appelée à remplir. C’est évidemment déchoir que de ne pas marcher d’un pas égal à celui des autres peuples, et telle est cependant notre position dans cette portion du commerce étranger qui est livrée à la concurrence.

La dernière exposition des produits de l’industrie française a eu lieu en 1834. Nous avons été appelé à rendre compte dans cette Revue (septembre 1834) des idées que cette grande solennité nous avait inspirées. Depuis, M. le baron Charles Dupin, parlant au nom du jury qui a eu à prononcer sur le mérite des exposans, a, dans un rapport où la science de l’histoire se trouve unie aux connaissances technologiques, fait ressortir l’importance du travail appliqué aux arts. En rendant la plus haute justice à un ouvrage d’un si grand intérêt, en appréciant l’impartialité du jury, nous devons regretter qu’il n’ait pas cru devoir interroger les fabricans sur la place que leurs produits occupaient dans la consommation étrangère et sur l’accroissement de nos exportations. Là se fut trouvée la véritable pierre de touche du progrès et la mesure de la réussite. Nos efforts sont vains tant que notre travail reste au-dessous de celui de nos rivaux.

À l’exposition a succédé une enquête. Là, les mêmes producteurs qui avaient réclamé des récompenses pour leurs progrès sont venus confesser leur inhabileté à lutter avec l’étranger, et n’ont trouvé de remède à ces états fâcheux que dans la continuation à peu près complète des prohibitions. Le gouvernement n’a pu lutter contre un vœu aussi général, partagé par des hommes de toutes les opinions politiques, et les manufacturiers français se sont paisiblement endormis devant la consommation acquise pour eux de 34 millions d’habitans. Notre industrie n’a éprouvé nul émoi en voyant passer sur notre territoire, en 1836, 332 millions de francs en marchandises étrangères, introduites pour le transit ou la réexportation. De cette somme, 180 millions sont classés comme articles manufacturés, tandis que nous n’en avons exporté nous-mêmes que pour 456 millions. Les tissus étrangers forment seuls 125 millions. Quelles sont les causes qui nous ont empêchés de les fournir ? Qui fait donner la préférence à la Suisse, à la Prusse, etc. ? Qui met ces pays en état de nous dépasser ? Personne ne s’en est informé. Cependant nous avons plus besoin de gens qui nous avertissent que de gens qui nous louent, nous restons en arrière de la marche suivie par les autres peuples, et si nous nous apercevons qu’après nous avoir acheté du lin, on vient nous vendre de la toile, nous ne savons trouver d’autre remède que de demander que l’on repousse ou prohibe cette toile, au lieu de chercher à en faire à aussi bas prix. Il ne tiendrait pas aux réclamans que la France se passât de chemises, afin de leur ménager un marché qu’ils sont inhabiles à approvisionner. On regarde comme une conquête la production de la betterave, protégée par des droits qui sont aujourd’hui de 200 pour 100 sur le prix que la métropole rend aux colonies pour le sucre qu’elle leur achète. On abandonne le colza, le lin et toutes les autres cultures riches, pour celle qui ne se développe que sous une serre chaude, et qui deviendra plus tard une déception amère pour ceux qui s’y sont livrés. Cette époque arrivera quand le gouvernement jugera qu’il y a d’autres intérêts que ceux des propriétaires de la terre, car les agriculteurs sont désintéressés dans la question. Elle arrivera quand le commerce d’échanges, la marine, la puissance extérieure de la France, attireront les regards des chambres et du ministère, et que l’on voudra sortir de cette voie bâtarde qui fait que l’on encourage d’un côté par des primes ce que l’on détruit de l’autre par des impôts prohibitifs.

Ce n’est pas que le gouvernement soit sans une certaine intelligence de l’importance qu’il y aurait pour le pays à conserver une force navale, et c’est dans le but de pouvoir se procurer des matelots, qu’il a alloué des primes à la pêche de la baleine et à celle de la morue. Il devrait aussi compter sur le mouvement de nos ports avec les colonies que nous possédons, et comprendre tout ce qu’il ajouterait à la force publique, en conservant ces établissemens dans une condition prospère. Il devrait songer à eux comme il l’a fait pour le cabotage, cette première pépinière des matelots, auquel une ordonnance récente, qui a passé trop inaperçue, a fait grand bien en supprimant pour les navires caboteurs le droit de tonnage et d’expédition, et rendant les congés valables pour une année. Cette mesure est une de celles qu’on ne saurait trop louer, mais elle ne peut seule exercer d’influence sur notre grand commerce.

Les quatre colonies à sucre procurent à la navigation un mouvement annuel de 100,000 tonneaux environ, et de 5 à 6,000 matelots. Leur commerce réservé à la métropole a une valeur moyenne de 50 à 60 millions, et il va en rétrogradant depuis quelques années. L’on a cessé en France de comprendre quelle valeur résidait dans ces établissemens ; on méprise la possession de ces belles rades du Fort Royal et des Saintes où la France, encore chez elle, peut réunir et abriter des escadres capables de faire respecter son nom sur des rivages éloignés. En s’écartant des principes d’une sage administration qui doit tendre à aider les capitaux engagés à se dégager avec le moins de perte possible dans les époques de transition, en anéantissant, par des mesures irréfléchies, des propriétés qui formaient une partie notable de la fortune générale, on a frappé d’autres intérêts que ceux des particuliers. La puissance politique de l’état ne peut que s’amoindrir avec la diminution graduelle des opérations commerciales de nos ports. La création de capitaux nouveaux sera paralysée, et l’éducation des hommes de mer en recevra un notable échec. Sans colonies, la grande pêche, et surtout celle de la morue, devient à peu près inutile. Nous allons jeter un coup d’œil sur les faits qui se rattachent à cette branche de navigation depuis long-temps si hautement protégée.

La pêche de la baleine occupait, année moyenne de 1827 à 1829, 200 hommes d’équipage, et elle rapportait 13,000 quintaux métriques de graisse ou huile de poisson. De 1833 à 1835, le nombre des hommes d’équipage s’est élevé à 600, et les produits rapportés à 30,000 quintaux net, annuellement.

La pêche de la morue occupait 9,000 hommes d’équipage, de 1827 à 1829, et jusqu’à 10,000, de 1833 à 1835. Les produits rapportés dans nos ports donnent, année moyenne, 55,000 quint. met., dont 20,000 vont en Espagne et autres points de la Méditerranée, et le reste est porté dans nos colonies à sucre. Ces colonies, outre les 35,000 quintaux que nous leur dirigeons d’ici, reçoivent encore les cargaisons que nos pêcheurs leur portent directement de Terre-Neuve, et en échange desquelles ils chargent, pour la métropole, des denrées coloniales. Leur consommation totale annuelle des produits de la pêche est évaluée à 80,000 quint. met.

L’état alloue, sous des formes et des conditions diverses, aux armateurs qui entreprennent les voyages de pêche, des primes qui équivalent à 3 ou 400 fr. par année et par homme d’équipage. En d’autres termes, l’état paie le salaire de ces hommes et abandonne aux armateurs le profit de l’entreprise ; et il est tel voyage, à la vérité de longue durée, à la pêche de la baleine, où la prime individuelle d’un matelot est revenue à 14 ou 1,500 fr. D’aussi grands sacrifices ont un but, et déjà ce but a été atteint une fois, car sans la ressource qu’ont offerte les matelots de la pêche, l’expédition d’Alger n’aurait pu avoir lieu. Cette ressource est toujours sous la main du gouvernement, et il ne peut moins faire que de s’appuyer sur elle aux époques où il doit pourvoir à des armemens militaires pour des mers éloignées.

Si la pêche, pour subsister, et surtout celle de la morue, a besoin du secours du gouvernement, elle a également besoin de l’emploi de ses produits. Or, les pays étrangers en consomment à peine le cinquième, et encore n’est-ce que précairement et en se soumettant à des droits exorbitans qui peuvent à chaque instant se changer en prohibition, que nous conservons encore un peu de débouché en Espagne. Le parlement britannique a été saisi dernièrement des réclamations des armateurs anglais contre l’élévation de la taxe imposée par les autorités espagnoles ; mais dans l’état des choses il ne paraît pas que l’habileté de M. G. Villiers ait pu obtenir aucun adoucissement, et si l’Espagne se pacifie, son premier soin sera de renforcer le système de répulsion dont nous lui donnons l’exemple.

Nous ne pouvons compter que sur nos colonies pour la consommation des produits de notre pêche, dont l’existence dépend d’elles. Réunies, ces deux branches inséparables font les deux cinquièmes de notre navigation totale, et, sous ce point de vue, nous sommes déjà si pauvres, que nous devrions redouter le moment qui approche, où cette nouvelle réduction s’effectuera ; mais avec les idées qui prédominent, nous n’avons pas la confiance que nos faibles efforts puissent rien faire pour conjurer une perte aussi désastreuse. Il faudrait, pour faire triompher la vérité, des voix plus puissantes que la nôtre.

Nous sommes loin d’avoir épuisé un sujet aussi important. Nous avons signalé le mal, avec la conviction qu’une volonté ferme que nous n’apercevons chez personne, peut seule y appliquer le remède. Il faut des colonies aux peuples commercans et navigateurs. Pour les États-Unis, divisés en deux grandes régions, l’une de ces régions est la colonie de l’autre, l’une au sud produit, l’autre trafique, échange et exporte. La Grande-Bretagne s’assure de nouvelles ressources dans l’Inde, mais elle a fait, en faveur des Indes occidentales, d’assez grands sacrifices pour que nous jugions du prix qu’elle attache encore à la prospérité future de ces belles îles. Un peuple moins puissant en Europe, mais dont la constance ne s’est jamais démentie, la Hollande, a porté tous ses soins vers Java, presque la seule possession importante qu’elle ait conservée. En 1826, le mouvement commercial de cette île était, soit à l’entrée, soit à la sortie, de 15 millions de florins, ou près de 32 millions de francs. Il s’est élevé à 41 millions de florins, ou 87 millions de francs en 1836. Dans le même espace de temps, notre mouvement avec nos propres colonies, la pêche comprise, est resté absolument stationnaire et limité à 68 millions de francs, à l’entrée valeur officielle, et environ 50 millions à la sortie.

Vouloir de la puissance sans marine militaire, de la marine militaire sans commerce et sans navigation marchande, une navigation marchande sans pêche et sans colonies, et enfin des colonies sans veiller à leur existence et à leur intérêt, c’est ce qu’il n’est donné à personne d’obtenir. Quelques-uns diront que nous pouvons nous passer de tout cela !… Pour nous, nous n’avons pas le courage d’un pareil aveu.


D. L. Rodet.