Le combat de Bedr, épisode de la vie de Mahomet

Le combat de Bedr, épisode de la vie de Mahomet
Journal asiatiquesérie 3, tome 7 et tome 8 (p. 97-145).

LE COMBAT DE BEDR,

Épisode de la vie de Mahomet,
Par M. A. Caussin de Perceval.
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NOTE PRÉLIMINAIRE.

La puissance de Mahomet a eu de bien faibles commencements ; le petit combat de Bedr l’a fondée. Ce fait mérite donc notre intérêt à cause de ses résultats. Les auteurs musulmans se sont plu à en rapporter les détails avec un soin minutieux, et ces détails réunis forment un des épisodes les plus dramatiques de la vie du législateur guerrier de l’Arabie. Le récit que j’en présente ici pourra offrir quelque attrait aux lecteurs qui ont déjà une idée suffisante de l’histoire arabe, pour connaître les principaux personnages qui jouent un rôle dans celle scène. Je l’ai rédigé d’après les documents que m’ont fournis Aboulféda, le Kitâb el-aghâni[1], et surtout Ibn-Héchâm[2], que j’ai suivi presque pas à pas, en conservant tous les traits de sa narration, qui m’ont paru propres à peindre les mœurs de l’époque.

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LE COMBAT DE BEDR.

Depuis son arrivée à Médine, Mahomet avait fait, soit en personne, soit par ses officiers, plusieurs incursions sans résultat contre les Coraichites, dont les persécutions l’avaient obligé à quitter la Mekke. Dans la dernière seulement de ces entreprises, il y avait eu du sang répandu et du butin rapporté. Abdallah, fils de Djahch, envoyé avec huit musulmans vers Nakhla, afin de reconnaître ce que faisaient les Coraichites, avait rencontré une de leurs petites caravanes, faiblement escortée, et favait pillée. Deux Mekkois avaient été faits prisonniers, et le chef de l’escorte, nommé Amrou ben el-Hadhraini, allié de la famille d’Abdchems, avait perdu la vie dans le combat.

Cela s’était passé dans le mois de radjah, l’un de ceux dont les Arabes, païens ou musulmans, respectaient la sainteté privilégiée. Ce fut à cette occasion que Mahomet, pour répondre aux reproches des Coraichites, sur cette violation d’un mois sacré, commise d’ailleurs sous son ordre, et pour donner à la fois à cet acte une improbation et une excuse, publia ce verset du Coran :

« On t’interrogera au sujet du combat qui a eu lieu dans le mois sacré. Réponds : Il est mal d’avoir combattu dans ce temps ; mais ceux qui opposent l’incrédulité à la parole divine, qui cherchent à faire abjurer aux fidèles leur religion, qui les ont forcés à sortir de la cité sainte, dont ils étaient habitants, ceux-là ont commis un bien plus grand mal aux yeux de Dieu. L’idolâtrie est pire que le meurtre[3]. »

Bientôt après, l’attention de Mahomet fut éveillée par une nouvelle qui offrait aux musulmans l’espoir d’obtenir un avantage considérable et de faire éprouver à leurs ennemis un immense préjudice.

Les Coraichites faisaient, chaque année, deux grandes expéditions commerciales, l’une d’été, l’autre d’hiver. C’était, dit-on, Hâchem, fils d’Abdménâf, qui avait institué cet usage[4] lorsqu’il était investi des fonctions nommées rifâda et sicâya[5]. Cette année, le soin de conduire en Syrie une de ces expéditions avait été confié à Abousofyân, fils de Harb. À la tête d’une caravane de mille chameaux chargés de précieuses marchandises, il revenait, en ce moment, vers la Mekke, et avait sous ses ordres une escorte de trente à quarante guerriers, parmi lesquels on comptait plusieurs hommes de marque, tels que Makhrama, fils de Naufel (de la famille des Zohris), et Amrou, fils d’Elâs, qui, depuis, conquit l’Égypte.

Au commencement du mois de ramadhân, Mahomet apprit l’arrivée de cette caravane dans le Hedjâz et forma aussitôt le projet de l’enlever. Il réunit les musulmans et leur dit : « Voici une caravane qui rapporte de Syrie à la Mekke de riches marchandises appartenant aux Coraichites. Allons la surprendre ; peut-être est-ce un butin que le ciel nous destine. »

Une partie des musulmans s’empressa de répondre à cet appel. Les autres se déterminèrent à ne point quitter Médine, dans la confiance que le nombre de leurs compagnons qui s’offraient à exécuter l’entreprise, était suffisant pour qu’ils pussent s’emparer de la caravane sans combat. Mahomet se mit en route à la tête de trois cent quatorze hommes, dont quatre-vingt-trois émigrés de la Mekke, ou Mohâdjeriens, et deux cent trente et un Médinois ou Ansârs[6]. On portait devant lui deux drapeaux noirs, l’un, appelé ocâb العقاب était entre les mains d’Ali, fils d’Aboutâleb, l’autre dans celles d’un Médinois. Le liwa, ou étendard principal, qui était blanc, fut donné à Mossab, fils d’Omaïr, fils de Hâchem[7], le drapeau des Ansârs, à Saad, fils de Maâdh, et le commandement de l’arrière-garde, à Caïs, fils d’Abousassaa, de la famille de Nadjâr.

Les trois cent quatorze musulmans n’avaient pour montures que soixante-dix chameaux, c’est-à-dire un chameau pour trois ou quatre personnes, qui montaient l’animal tour-à-tour. Ainsi, Mahomet alternait avec Ali et Marthad ; son oncle Hamza, avec Zeïd, fils de Hâretha, Aboukebchè et Aneça[8] ; son beau-père Aboubekr, avec Omar et Abderrahmân, fils d’Auf. Néanmoins la petite troupe musulmane avait encore avec elle trois chevaux dont les noms ont été conservés : c’étaient Baredjè, appartenant à Micdâd, fils d’Amrou, de Behrâ ; Yaçoun, à Zobèïr, fils d’Awwam, et Sèïl, jument de Marthad, fils d’Aboumarthad, de Ghani. Mais, suivant l’usage des Arabes dans leurs courses guerrières, on conduisait ces chevaux à la main, afin de réserver leur vigueur pour l’occasion.

Cependant Abousofyân, en entrant dans le Hedjâz, avait pris un chemin qui, passant entre Médine et la mer, menait la caravane à Bedr, lieu où se tenait un marché très-fréquenté. Il avait eu Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/110 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/111 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/112 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/113 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/114 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/115 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/116 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/117 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/118 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/119 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/120 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/121 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/122 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/123 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/124 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/125 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/126 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/127 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/128 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/129 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/130 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/131 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/132 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/133 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/134 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/135 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/136 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/137 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/138 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/139 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/140 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/141 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/142 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/143 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/144 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/145 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/146 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/147 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/148 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/149 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/150 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/151 Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/152

Omar allouait aux cavaliers dont les chevaux étaient de race pure une paye plus forte qu’aux autres. On raconte, à ce sujet, que, dans une expédition en Arménie, son général Selmân, fils de Rabia, inspectant les chevaux d’après ses ordres, pour fixer le taux de la paye, dit à Amrou, fils de Madi Carib : « Ton cheval est de race bâtarde. » Amrou, mécontent d’être rangé dans la classe des cavaliers les moins favorisés, se retira en disant : « Un bâtard en a reconnu un autre[9]. »

Sous les premiers califes et jusqu’à une époque que je ne saurais fixer, la portion de butin attribuée au cavalier continua à être triple de celle du fantassin : ainsi l’on voit, après la bataille de Câdeciyè, chaque cavalier musulman recevoir, pour sa part des dépouilles de l’ennemi, la valeur de six mille drachmes, et chaque fantassin celle de deux mille seulement[10]. Mais il paraît que, dans la suite, peut-être lorsque la cavalerie musulmane fut devenue très-nombreuse, on réduisit la portion du cavalier à deux lots, au lieu de trois[11].


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  1. Vol. I, fol. 241 à 246, et 253 à 255.
  2. Sirat, manuscrit n° 629 de la Bibliothèque royale, fol. 109 et suiv.
  3. Coran, II, 213.
  4. Sirat, 20 v.
  5. Elle consistaient à fournir de l’eau et à donner des repas aux pèlerins pendant tout le temps du pèlerinage. Voyez M. de Sacy, Notices des man. t. IV, p. 551.
  6. Tels sont les nombres indiqués par le Sirat, fol. 132 et 128 v. Suivant Aboulféda et l’Aghâni (I, 254), la troupe de Mahomet se composait de trois cent treize hommes, dont soixante-dix-sept Mohâdjeriens, et deux cent trente-six Ansârs.
  7. C’est-à-dire, de Hâchem, fils d’Abdménâf, fils d’Abdeddâr. La famille d’Abdeddâr avait aussi à la Mekke la garde du liwa. Il ne faut pas confondre le Hâchem dont il est ici question avec l’aïeul de Mahomet, Hâchem, fils d’Abdménâf, fils de Cossaï.
  8. Tous trois étaient des affranchis de Mahomet. Aneça était Abyssin, et Aboukebchè, Persan ; quant à Zeïd, il était Arabe de la tribu de Kelb.
  9. Sirat. fol. 7.
  10. Aghani. III, 342 v.
  11. D’Olisson, vol. V, p. 80.