Le chercheur de trésors ou L’influence d’un livre/10

Texte établi par Imprimerie de Léger Brousseau (p. 120-131).

CHAPITRE DIXIÈME


Quels sont ces monts hardis, ces roches inconnues !
Leur pied se perd sous l’onde et leur front dans les nues.

Casimir Delavigne.
la caverne du cap au corbeau

Le rusé Dousterswivel de Sir Walter Scott cherchait ses trésors dans les ruines des monastères ; mais notre héros avait des idées toutes différentes ; c’était sur les rives des lacs, dans les cavernes les plus sombres et au fonds de la mer, que se portaient toutes ses espérances. Sans qu’il eût lu les ouvrages de M. Galland et de M. Petit de Lacroix, son imagination transformait en palais de porphyre, à créneaux d’or, la demeure des reptiles les plus immondes. Un serpent était, pour lui, le génie qui gardait un trésor enfoui. Arrivé chez lui, tout fut bientôt préparé, et, dès le lendemain, il devait traverser le fleuve pour se rendre à la caverne du cap au Corbeau. Celui qui l’eût vu la veille de son départ se promener, à grands pas, près de sa demeure, aurait pu s’écrier avec le poète :

Ah ! qui peindra jamais cet ennui dévorant,
Les extases d’espoir, les fureurs solitaires,
D’un grand homme ignoré qui lui seul se comprend.
Casimir Delavigne.

Il l’avait conçu, lui, cette idée, avant le poète, et que de consolations ne lui donnait-elle pas au milieu d’un monde railleur et méprisant ! La nécessité, le malheur l’avaient rendu morose. Il répondait un jour, avec une amère ironie, à un sarcasme qui lui était adressé : « Continuez, continuez, le mépris vaut mieux que la pitié au malheur qu’on ne soulage pas. »

Quelles pouvaient être les pensées qui l’occupaient en ce moment ? Il songeait à son élévation future ; car il n’avait plus un seul doute. Tout dépendait de lui seul maintenant ! Il y avait près d’une heure qu’il était enseveli dans ses rêveries, lorsqu’un homme sortit, tout-à-coup, du bois qui entourait sa chaumière et lui frappa sur l’épaule. Le nouvel arrivé était d’une taille médiocre, mais assez bien proportionnée ; sa figure ouverte annonçait une assurance ferme en ses propres forces, son visage n’avait rien de repoussant, mais sa bouche était loin de l’embellir. Le dix-neuvième siècle est convenu d’appeler monstre tout ce qui est extraordinaire, et les écrivains de ce siècle fécond se servent toujours du mot : type ; or cette bouche était une bouche monstre, le type de toutes les bouches monstres. Ceux qui en doutent peuvent en voir la dimension au presbytère de Saint-Jean-Port-Joli ; car moyennant un minot de pois, il a consenti à la laisser mesurer, au compas, et le rayon en est encore marqué sur la porte. Passons à ses qualités intellectuelles : il savait à peine lire ; ce qui ne l’empêchait pas d’avoir la modestie de se croire un homme des plus scientifiques et de trancher toutes les questions qu’on lui présentait, sans difficulté. Amand, seul, avait su lui en imposer ; parce qu’il savait des mots plus longs et plus difficiles à prononcer que lui. Notre héros s’était trouvé dans la nécessité de lui confier son secret ; car ne pouvant conduire une chaloupe, il lui fallait quelqu’un pour le traverser à la côte nord-ouest du fleuve. Il lui avait donc expliqué le but de son voyage à la capitale, et lui avait fait promettre de l’accompagner à son retour.

Eh bien Amand, dit-il en l’abordant, as-tu tout ce qu’il te faut ?

— Chut, Capistrau, parle plus bas ; je ne t’ai pas vu dans le bois ; d’autres pourraient bien nous entendre à notre insu. Rentrons.

— Partons-nous demain ?

— Sans doute ; où est la chaloupe ?

— Je l’ai laissée dans l’anse, prête à faire voile quand tu voudras.

— Allons, c’est bien, demain, à la marée montante, si le vent est bon.

— Dans ce cas-là, dit Capistrau, je vais me jeter sur ton lit, car je suis fatigué.

— Moi aussi, dit Amand ; j’ai fait sept lieues aujourd’hui.

Sans aucun autre préparatif, les amis se jetèrent sur le mauvais grabat, et le sommeil ne tarda pas à clore leurs paupières.

Le lendemain, vers les six heures du matin, deux hommes étaient occupés à mettre une embarcation à l’eau, dans l’anse aux Pierre-Jean, et une demi-heure après, la chaloupe, couverte de toutes ses voiles, filait huit nœuds à l’heure vers la côte du nord. Vers une heure, nos deux aventuriers distinguèrent, près de la Baie Saint-Paul, le cap au Corbeau. Ce cap a quelque chose de majestueux et de lugubre. À quelque distance on le prendrait pour un de ces immenses tombeaux jetés au milieu des déserts de l’Égypte par la folle vanité de quelque chétif mortel. Une nuée d’oiseaux, enfants des tempêtes, voltigent continuellement autour de son front couronné de sapins, et semblent, par leur croassement sinistre entonner le glas funèbre de quelque mourant. Le fleuve s’engloutit avec fracas dans sa base en forme de caverne, où la voix de l’homme n’a jamais retenti. Or, c’était dans cette caverne qu’Amand voulait pénétrer. Il aurait bien voulu porter immédiatement vers cet endroit ; mais son compagnon, plus prudent, s’efforça de l’en dissuader, en lui répétant qu’ils feraient mieux de mettre à terre le long de la côte, et de se rendre à pied jusqu’à la caverne, pour la visiter avant la nuit. Il lui raconta, en outre, plusieurs vieilles légendes touchant certains vaisseaux qui, conduits par des pilotes imprudents, s’étaient engouffrés à pleine voile, sous son immense voûte, et n’avaient jamais reparu. Amand était si confiant dans les précieux talismans qu’il portait sur lui qu’il ne voulait rien entendre ; mais il fut obligé de céder à son compagnon qui était, pour le moins, aussi entêté que lui et qui s’obstinait à faire route vers la côte voisine. Trois quarts d’heure après, ils abattaient leurs voiles et jetaient l’ancre à deux brasses sur un bon fond de sable. Aussitôt que notre héros impatient eut mis pied à terre, il s’achemina immédiatement vers le cap qui pouvait être à une demi-lieue de distance. Capistrau, après avoir placé tout en ordre dans la chaloupe, hâta le pas pour le rejoindre, si bien qu’ils arrivèrent ensemble, après dix minutes de marche, au lieu tant désiré. Il était impossible de parvenir à la caverne de ce côté, sans monter à une hauteur de quatre cents pieds par un sentier rude et tortueux, tracé sur le flanc de la montagne par les voyageurs curieux qui visitent souvent cette curiosité naturelle. Après bien des peines et des sueurs, nos deux aventuriers parvinrent au sommet, presque exténués ; mais l’épuisement physique ne fut rien comparé à la consternation qui s’empara du cœur de notre héros lorsqu’il découvrit qu’il était impossible d’arriver à l’ouverture autrement que par le fleuve et qu’il vit le courant impétueux qui semblable à une chute, s’y précipitait avec fracas. Il jeta un regard douloureux sur son compagnon et soupira en se croisant les bras. Capistrau, prit la parole :

— Tiens, Amand, dit-il, tu dois être persuadé, qu’il est impossible de rentrer là-dedans ; quant à moi, je n’y ai jamais eu de confiance ; crois-m’en, nous ferons mieux de chercher ailleurs. Aussi bien, je me rappelle l’avoir entendu dire à mon grand-père, qu’un seigneur qui passaient pour très-riche, était mort dans cette paroisse et que, malgré toutes les recherches qu’on a pu faire, on n’a jamais trouvé un sou chez lui ; et beaucoup de personnes ont dit qu’il avait coutume d’enterrer son argent dans le bois qui avoisinait son domaine. Si tu veux m’en croire, nous allons nous rendre aux maisons pour nous reposer, en attendant la nuit, et vers minuit nous irons faire une recherche. Pour que personne ne se doute de nous, nous dirons que nous voulons coucher dans la chaloupe où nous retournerons après la veillée.

— C’est bon, je le veux bien ; car je te dirai la vérité, je crois que l’embarras ne serait pas d’entrer dans ce trou-là, mais plutôt d’en sortir, répondit notre héros qui avait toujours eu la vue attachée sur le gouffre pendant le discours de son compagnon.

Ils commencèrent à descendre le flanc de la montagne et dirigèrent leurs pas vers les maisons situées sur le haut des côteaux voisins.

Leur préoccupation et une touffe de saules les avaient empêchés de distinguer deux jeunes étudiants, étendus sur l’herbe près de là. Aussitôt qu’ils furent éloignés, l’un d’eux dit à l’autre :

— Que le diable m’emporte, Théodore, je crois que ces deux corps-là cherchent des trésors : si tu veux dire comme moi, nous allons leur en faire trouver un, ce soir ?

— Comment ?

— Ne dis rien ; promets-moi, seulement, de faire tout ce que je voudrai, et tu verras comme nous allons rire.

— Allons, je le veux bien ; explique-moi ce que nous allons faire ?

— Écoute, il n’y a qu’une chose qui m’embarrasse, savoir : s’ils vont se servir d’une chandelle dite magique. S’ils le font la seule difficulté serait de la faire éteindre à l’endroit propice. Je crois que j’en viendrai à bout avec ma canne à air. Suis-moi, nous allons les sonder un peu, après quoi, nous préparerons ce qui est nécessaire. Une bonne chose, c’est que nous savons où doit se faire la cérémonie ; allons, viens. Et les deux étudiants suivirent de loin les traces de notre héros, et arrivèrent chez eux, quelques minutes après lui. Tous leurs efforts furent inutiles pour tirer, comme ils le disaient, les vers du nez des deux magiciens. Ils résolurent néanmoins d’essayer à tout risque, et se séparèrent pour faire les apprêts nécessaires.

Vers les neuf heures du soir, comme ils en étaient convenus, les deux étrangers se retirèrent, sous prétexte de garder leur chaloupe pendant la nuit ; Charles, surtout, attendait avec impatience. Enfin l’heure arriva, et ils s’acheminèrent vers le bosquet. Tirer un briquet et allumer la chandelle fut l’affaire d’un moment, et ils commencèrent tous deux une marche lente et majestueuse. Après plusieurs détours, ils arrivèrent près de l’endroit ou étaient cachés les deux jeunes gens. Adolphe tira, aussitôt, son coup, l’air passa près du visage d’Amand, mais n’éteignit pas la lumière. Ce dernier tressaillit :

— Bonne place, dit-il, à son compagnon : cherchons.

Un second coup de la canne eut plus d’effet, ils se trouvèrent dans les ténèbres. Le héros eut immédiatement recours, de nouveau, au briquet, alluma une autre chandelle et se mit aussitôt en besogne. Qui pourrait peindre sa joie lorsque d’un coup de sa bêche il frappa le haut d’un baril ; il ne put prononcer que ces mots :

— Capistrau, notre fortune est faite : travaillons, mon garçon.

Ils le tirèrent, avec peine, et regagnèrent, en grande hâte, l’embarcation. Le précieux fardeau n’y fut pas plutôt déposé qu’Amand, armé d’une hache, en fit sauter le couvercle. Il resta stupéfait et laissa tomber l’instrument ; quant à son compagnon, qui avait plus de sang-froid, il se hâta de faire sauter le contenu et le contenant par dessus le bord.

Ah ! les mauvais plaisants !