Le chercheur de trésors ou L’influence d’un livre/04

Texte établi par Imprimerie de Léger Brousseau (p. 40-50).

CHAPITRE QUATRIÈME


Enfin, Dieu l’a voulu et l’heure est décidée.,
Bertaud.

Mais lorsqu’à ses côtés le sépulcre s’entrouvre,
Et que la mort surgit, c’est alors qu’il a peur.

Gratot.
le cadavre.


L’homme coupable peut dormir quelque temps en sécurité ; mais lorsque la coupe du crime est remplie, une dernière goutte y tombe, et, une voix qui semble descendue du ciel, vient faire retentir aux oreilles du criminel ces terribles paroles : c’est assez ! Puis alors, adieu tous les rêves de bonheur fondés sur cette base impure ; le remords commence son office de bourreau et chaque espérance est détruite par une réalité, Oh ! qu’il doit être horrible le remords qui présente aux malheureux, comme dernière perspective, le gibet ! Le gibet, avec toute sa solennité, sa populace silencieuse, ses officiers en noir, son ministre de l’Évangile, le bourreau et sa dernière pensée à la mort ! Telles étaient les idées qui devaient troubler Mareuil dans sa profonde sécurité. Il ne se doutait guère, lorsqu’il fut réveillé en sursaut, sur les huit heures du matin, par la voix qui lui criait que désormais il serait seul avec sa pensée, qu’avant minuit cette sentence serait accomplie.

Sa préoccupation de la veille lui avait fait oublier qu’à une demi-lieue de chez lui, une jolie anse de sable avançait à une grande distance dans le fleuve, et qu’au baissant de la marée le courant y portait avec beaucoup de force. C’est là qu’après avoir été le jouet des flots, le corps de Guillemette fut se reposer sur le sable, derrière la maison où Saint-Céran avait passé la nuit. Au point du jour, la fermière courut à sa pêche afin de chercher du poisson pour le déjeuner de son hôte. Qui pourrait peindre son horreur lorsque sa marche fut arrêtée par un cadavre qu’elle heurta ! Elle rebroussa chemin aussitôt et courut donner l’alarme chez elle. Son mari, accompagné de Saint-Céran et de plusieurs domestiques, s’y rendit sur le champ. Quel fut l’étonnement de notre jeune voyageur quand il reconnut son ami ; il allait jeter un cri de surprise, lorsqu’il aperçut une blessure au crâne. Il devint alors calme et observa seulement :

— Malheureux jeune homme ! Il faut le transporter immédiatement chez vous, M. Thibault.

Ayant déposé silencieusement le cadavre sur une planche, ils prirent le chemin de la maison, accompagnés de la femme et des domestiques qui suivaient en pleurant : car c’était une émotion violente pour des âmes vierges, qui n’avaient jamais eu occasion d’aller se blaser dans les théâtres, même sur l’idée de la mort. Pauvres créatures ! elles n’auraient pas versé de larmes, si elles avaient eu l’avantage immense dont on a si bien su profiter, celui d’ensevelir leur sensibilité sous le rideau qui termine un des drames de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas.

Le corps fut déposé dans le plus bel appartement de la maison, sur deux planches appuyées à chaque bout sur des chaises, puis recouvert d’un drap blanc. Deux cierges, une soucoupe remplie d’eau bénite avec un rameau de sapin vert furent posés à ses pieds, et le père, accompagné de sa famille, récita à haute voix les prières des morts.

Saint-Céran, après leur avoir recommandé le secret sur cet événement (secret qui fut gardé jusqu’à ce qu’ils purent se rendre chez leurs voisins), alla trouver un magistrat respectable du lieu et lui communiqua ce qu’il savait ; ajoutant qu’il était prêt à faire le serment voulu : qu’en son âme et conscience il croyait Mareuil l’auteur du meurtre. Toutes les formalités remplies, il ne restait plus qu’à exécuter l’ordre d’arrestation, chose d’autant moins facile qu’ils connaissaient tous deux le caractère désespéré de ce dernier. Après avoir consulté un homme de loi très-éclairé, qui demeurait près de là, ils résolurent de faire tous leurs efforts pour empêcher que la nouvelle ne lui parvint, et en même temps aviser quelque expédient pour s’assurer de sa personne.

Onze heures sonnaient lorsqu’une vingtaine de personnes partirent de la demeure du magistrat, précédées d’une voiture, et marchant dans le plus profond silence. Arrivées au but, la maison fut entourée et tous attendirent le dénouement de leur stratagème. Le jeune homme qui conduisait la voiture l’arrêta et frappa à la porte. Cinq minutes après une voix forte demanda : Qui va là ?

— Je viens vous chercher pour la mère Caron, qui a bien rempiré, M. le docteur,[1] fut la réponse.

— Je suis malade, je ne puis sortir.

— Eh ben, elle demande si vous ne pourrez pas lui donner de quoi la faire dormir ?

— Attends un peu. Cinq minutes après, le charlatan entr’ouvrait sa porte de manière à y passer le bras seulement et présentait une fiole. Le jeune homme avait bien joué son rôle jusque là, mais n’avait pas reçu d’autres instructions ; car ceux qui lui avaient dicté ce qu’il devait faire croyaient que cela suffirait pour leur livrer celui qu’ils attendaient. Mais il sentit que le coup était manqué s’il ne trouvait quelque expédient : une idée lumineuse le frappa.

— J’ai peur de la casser, monsieur, dit-il : je vas embarquer, car la jument est mal commode, voudrez-vous me la donner dedans la voiture ? Et il accompagnait ses paroles de l’action. Mareuil sortit pour lui donner la fiole, et fut aussitôt saisi par un bras vigoureux et entouré ; il essaya en vain de s’emparer d’une hache et d’un fusil qu’il avait près de la porte, il fut obligé de succomber sous le nombre, et se laissa lier en demandant, d’un air calme, ce qu’on lui voulait. Il fut alors informé, par le magistrat, de quelle nature était l’accusation portée contre lui.

— S’il n’y a que cela, dit-il, mon innocence est ma sauvegarde.

— C’est ce que nous verrons, reprit aussitôt le diseur de bons mots de la paroisse, qui se trouvait là ; et il allait commencer ses plaisanteries sans fin, lorsqu’il fut averti par le magistrat, homme sévère, que le prisonnier n’était pas encore trouvé coupable par un jury de son pays, que quand bien même il le serait, sa situation devait inspirer la pitié plutôt que le persifflage, et, que pour le présent, il devait être traité avec égard. Il le fit ensuite asseoir et le plaça sous la garde de quatre hommes. Mareuil demanda si on voulait lui permettre de se reposer ; sur la réponse affirmative il se coucha à terre ; et, quelques minutes après, il feignait d’être enseveli dans un profond sommeil. Le magistrat se retira ensuite après avoir donné l’ordre qu’il y eût pendant toute la nuit une garde armée près de lui.

La tempête qui, la nuit précédente, avait cessé lorsque le corps du malheureux Guillemette était devenu le jouet des flots, ébranlait de nouveau la petite maison où gisait le meurtrier, et quelques gouttes de grosse pluie frappaient de temps à autre les vitres. Sur un matelas dans un coin de la chambre encore teinte de sang, était couché Mareuil, le dos tourné aux assistants et la tête enveloppée d’une couverture. Trois des gardiens, armés de fusils, n’avaient rien de remarquable : leurs regards annonçaient la bonhomie du cultivateur canadien, et contrastaient avec leur occupation ; quant au quatrième, il paraissait à sa place ; ce personnage gros et trapu, avait le regard farouche ; et une immense paire de favoris rouges qui lui couvraient la moitié du visage donnait quelque chose d’atroce à sa physionomie. Il tenait dans sa main droite, avec l’immobilité d’une statue, un grand sabre écossais qu’il appuyait sur sa cuisse. Plusieurs habitants fumaient tranquillement leur pipe, et au milieu d’eux était un voyageur qui, ayant passé trente ans au service de la compagnie du Nord-Ouest, n’était revenu que depuis quelque temps au sein de sa famille, étonné de son retour. Saint-Céran écrivait assis près d’une table.

Cependant la tempête mugissait avec fureur, la pluie tombait par torrents, les éclairs sillonnaient la nue et le tonnerre grondait comme au jugement dernier. Tous les regards se tournèrent vers Mareuil, qui paraissait insensible à ce qui se passait autour de lui, sur la terre et dans les cieux.

— Il dort, dit Saint-Céran, il dort paisiblement, tandis que l’ange vengeur plane au-dessus de lui et semble exciter la fureur des éléments.

— C’est plutôt le diable, dit François Rigault, qui se réjouit d’avance de la bonne prise qu’il va faire ; je suis certain qu’il y aura fête, pendant quinze jours, à son arrivée au pays de Satan.

— Paix ! dit Saint-Céran, paix ! mon cher François ; ceci n’est point matière à badinage, et le malheureux, teint du sang de son frère, doit inspirer une pitié mêlée d’horreur plutôt que des plaisanteries.

M. Saint-Céran a raison, dit Joseph Bérubé. Laissons le diable tranquille ; pour moi je n’aime pas à en parler dans cette maison, et par le temps qu’il fait.

— As-tu peur qu’il nous rende visite ? dit François d’un air goguenard.

— Eh ! je n’en sais trop rien, dit le voyageur, il a visité des maisons où il semblait avoir moins de droits qu’ici.

— Racontez-nous cela, père Duclos, dit Saint-Céran qui n’était pas fâché, comme tous les jeunes gens, d’entendre une légende, et qui d’ailleurs voulait mettre fin aux plaisanteries de François.

— Écoutez, M. Saint-Céran, je suis vieux, je raconte longuement, à ce qu’ils me disent tous ; je crains de vous ennuyer.

— Non, non, père Duclos ; et tant mieux si vous êtes diffus, ça nous fera passer le reste de la nuit, répliqua le jeune homme.

Puisque vous le voulez, je vous conterai l’histoire telle qu’on me l’a dite ; je la tiens d’un vieillard très-respectable.


  1. Je dois informer mes lecteurs que Mareuil pratiquait la médecine, sans licence, depuis six mois dans la paroisse et jouissait d’une haute réputation d’habileté.