Eusèbe Sénécal, imprimeur-éditeur (p. 40-51).

IV

Le Chemin du Pacifique et le Commerce Asiatique.


Depuis des siècles les nations européennes se disputent le commerce de l’Asie. Elles se sont livrées à des batailles sanglantes et périodiques pour en obtenir le monopole. L’enjeu en valait la peine, car il s’agissait du trafic d’un immense pays, dont les productions infinies étaient indispensables aux peuples de l’Occident.

De tout temps, ce commerce a été une source de richesse pour les peuples qui l’ont tour-à-tour possédé, et c’est un fait remarquable à noter, que leur décadence commerciale date du jour où ce trafic est passé aux mains de nations rivales. L’histoire nous dit que la Phénicie, la Grèce, Carthage, Rome, Venise, Pise et Gènes ont joui d’une splendeur incomparable, mais que leur brillante prospérité a disparu du moment que leurs ports n’ont plus été encombrés par les richesses de l’Orient.

Le Portugal et la Hollande ont réussi successivement à obtenir la suprématie du commerce oriental, que la Grande Bretagne a fini par leur enlever. Celle-ci règne aujourd’hui sur des millions de sujets asiatiques et est la maîtresse des Indes Orientales, le plus beau joyau de la couronne britannique. La possession de ce pays est de la plus haute importance pour l’Angleterre qui, en 1860 seulement, en a tiré un revenu de £7,081,107. Et pour donner une idée des énormes avantages du commerce oriental pour l’Angleterre, il suffira de dire que son commerce d’importation et d’exportation avec l’Asie pour les quatre années finissant en 1864, s’est élevé à £378,587,122 sterling.

Après l’Angleterre, ce sont la Hollande, la France, l’Espagne et les peuples hanséatiques qui, parmi les nations de l’Europe, effectuent le plus de transactions avec le monde indo-chinois.

On comprend que les peuples européens se soient disputés avec acharnement ce vaste commerce, lorsqu’on sait que la Chine seule est habitée par environ 50,000,000 âmes. Longtemps ce pays s’est opposé à tout rapport avec le monde civilisé par la construction de ces fameuses murailles, qui devaient former une barrière infranchissable pour les peuples étrangers. Telle est sa richesse et la variété de ses productions que ses ressources suffisaient à tous ses besoins. Mais un meilleur esprit a prévalu ensuite parmi les habitants du Céleste Empire, et ils ont noué, depuis un certain nombre d’années, des relations commerciales avec l’Europe et l’Amérique, qui prennent de l’extension d’année en année.

Le sol de la Chine est d’une fertilité extraordinaire et produit toutes les plantes tropicales, le thé, le riz, le bambou, le coton, la canne à sucre, le poivre, le tabac, le bétel ; on y cultive aussi le palmier, le mûrier, le cocotier, le cèdre, l’érable, le cannelier, etc. Ce pays n’exporte pas moins de $40,000,000 de thé seulement par année. L’agriculture et l’industrie y sont très développées. Les Chinois fabriquent avec beaucoup d’art la porcelaine, les vernis, les papiers de soie et de tenture, l’encre de Chine, les soieries, les nankins et autres tissus.

Le Japon est moins étendu que la Chine et compte une population d’environ 30,000,000 d’âmes. Son sol est moins fertile que celui de la Chine, mais les Japonais ont tellement d’industrie qu’ils lui font produire presque toutes les richesses de cette contrée. Leurs fabrications de belles étoffes, surtout de soie, de fer et de cuivre, ainsi que leurs ouvrages en bois, leurs vernis et leurs porcelaines sont renommés. Comme en Chine, on trouve au Japon beaucoup de mines d’or, d’argent, de fer et surtout du cuivre en abondance.

Le commerce oriental a toujours été d’une importance telle aux yeux des nations européennes que, depuis le 16e siècle, elles déploient les plus grands efforts pour se mettre en rapports plus étroits avec l’Asie et abréger la distance qui l’en sépare. Pendant longtemps les communications entre l’Orient et l’Occident étaient extrêmement lentes et difficiles. Le trajet se faisait par des vaisseaux qui étaient obligés d’aller doubler le Cap Horn ou le Cap de Bonne-Espérance, et n’arrivaient à destination qu’après plusieurs mois d’une pénible circumnavigation.

Cet immense parcours offrait mille inconvénients et, dès les premiers temps de la colonie française du Canada, on voit nos fameux explorateurs, entre autres le célèbre La Salle, à la recherche d’un passage dans l’Ouest pour se rendre en Chine. Christophe Colomb n’avait pas d’ailleurs d’autre objet en découvrant l’Amérique que de trouver le passage le plus court vers les richesses de l’Orient. Les Varenne de Laverendrye, des canadiens français, qui ont découvert les Montagnes Rocheuses, se sont rendus même tout près de l’Océan Pacifique, toujours à la poursuite de la même idée.

L’Angleterre a dépensé des millions de piastres pour trouver un passage au nord-ouest de l’Amérique pour ses vaisseaux qui se rendent en Asie. Elle avait en vue la découverte de ce passage lorsqu’elle accorda une charte à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Aussi en 1769 et en 1776, cette association envoya à grands frais diverses expéditions au pôle nord. De 1840 à 1845 les expéditions arctiques organisées par l’Angleterre ne lui ont pas coûté moins de £1,000,000 sterling. Et parmi les victimes de ce chimérique projet, qui se sont englouties avec leurs navires dans les montagnes de glaces du nord, nul n’est plus célèbre que John Franklin, que ses explorations ont immortalisé.

Mais c’est depuis quelques années surtout que les grandes nations du monde se livrent à des efforts inouïs pour obtenir la suprématie du commerce asiatique, en établissant la route la plus courte pour communiquer avec l’Orient. De redoutables rivales sont entrées en lice, et l’Angleterre doit être sur l’éveil et agir conformément à ses meilleurs intérêts, si elle ne veut pas qu’elles lui enlèvent la palme et le titre de reine des mers.

Il est vrai que l’Angleterre s’occupe de se rapprocher de l’extrême orient en établissant un passage à travers le continent asiatique au moyen d’un chemin de fer qui passera par l’Inde et la Perse. Mais la Russie, son ennemie naturelle, s’apprête également à enlacer les régions asiatiques, du côté de la Chine Septentrionale et de la Perse, et à lancer des chemins de fer vers Pékin, vers Téhéran et vers l’Inde.

M. de Lesseps a déjà percé l’isthme de Suez dans le but de rapprocher l’Europe de l’Asie, et des milliers de vaisseaux chargés de produits de l’orient, sur la plupart desquels flotte le drapeau anglais, passent annuellement dans le canal qu’il a construit.

Les États-Unis ont dans leur chemin du Pacifique Central une voie de communication extrêmement rapide avec l’Asie, qui a déjà détourné une bonne partie du trafic qui alimentait d’autres routes. Ce chemin est un rival sérieux pour le canal de Suez, et les richesses de l’Orient lui arrivent au moyen de la magnifique flotte de steamers qui font le service entre les Indes, la Chine, le Japon et San Francisco.

Avant la construction de ce chemin, New York, Portland et Boston étaient les trois grandes villes de l’Atlantique, où les autres parties des États-Unis venaient s’approvisionner de thé, de café et de sucre : trois des principales productions tropicales. Mais telle a été la révolution opérée par ce chemin dans le courant du commerce que San Francisco, le terminus du Pacifique Central, est en train de leur enlever ce monopole. Les chiffres suivants sur l’importation du thé et du café dans la métropole de la Californie, pendant les années 1870 et 1871, nous montrent toute l’étendue qu’a déjà prise ce commerce :


THÉ
Lbs. Valeur.
Importé à San Francisco en 1870 
49 360 218 $15 053 931
En 1871 
61 263 440 21 767 323


Augmentation 
11 903 222 $6 713 292
Prix moyen, 32¼ c. par lb.


CAFÉ
Lbs. Valeur.
Importé à San Francisco en 1870 
275 851 564 $27 675 968
En 1871 
322 009 494 33 725 265


Augmentation 
46 157 930 $6 049 307
Prix moyen par lb. 11½ c.


En 1871, l’importation totale du thé et du café s’est donc montée à près de 56 000 000, et les négociants de San Francisco, calculent que, vu l’abolition des droits sur ces produits, la quantité importée sera triple ou quadruple du 1er  juillet 1872 au 1er  juillet 1873. La plus grande partie du thé et du café qui arrivent par cette voie, s’écoule à Chicago, Cincinnati, St Louis, etc., mais une part considérable est destinée aux États du centre, de l’est et au Canada.

La Grande Bretagne est le pays d’où nous importons le plus de thé et les États-Unis viennent en second lieu. Mais nous achetons plus de café des États Unis que de l’Angleterre. En 1870, les quatre provinces d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont importé du thé et du café pour une valeur de près de 3,700,000 $.

Avec le génie commercial qui les caractérise, les américains ont compris qu’un chemin situé plus au nord aurait encore plus de chance de servir de voie de transport au commerce asiatique, et ils travaillent énergiquement à construire une route dont le terminus sur le Pacifique est à Puget Sound. Ce chemin s’arrête à Duluth sur le Lac Supérieur et il traverse l’état du Minnesota, les territoires du Dacotah, de Montano, Idaho, Washington et Orégon. Si l’on en croit le prospectus de ses promoteurs, il abrégerait la distance par eau et par chemin de fer entre New-York et Liverpool ou les ports asiatiques d’environ 1 400 milles. Mais ce chiffre est certainement exagéré.

Les capitalistes à la tête de l’entreprise ont l’intention de desservir tout le trafic de nos territoires de l’ouest, au moyen d’une ligne d’embranchement qui reliera le Fort Garry avant un an, et ils prétendent rendre inutile la construction de notre Chemin du Pacifique. Mais les arguments qu’ils font valoir à cet égard n’ont pas la moindre valeur.

La ligne principale de leur chemin ne se rapproche jamais plus de 150 milles de la route canadienne, et elle en sera en moyenne éloignée de 400 milles. Elle ne peut donc contribuer en rien au développement de nos régions qui se trouvent plus dans l’intérieur que la province de Manitoba. Prétendre le contraire, ce serait vouloir affirmer par exemple que les provinces d’Ontario et de Québec n’ont pas besoin de chemins de fer et que le réseau de voies ferrées de l’état voisin de New-York ou du Vermont doit suffire au progrès du pays.

La construction d’un second Chemin du Pacifique au sud de notre route, au lieu de nous détourner de l’exécution de notre grand projet national, doit au contraire nous engager à le mener à bonne fin le plus tôt possible. Car, notre chemin est à la fois une nécessité politique et commerciale. Et si les deux routes américaines fondent tant d’espoirs sur le commerce asiatique, comment n’aurions pas de fortes espérances d’en obtenir une large part, lorsque nous savons que notre chemin lui offre d’emblée la voie la plus prompte et la plus économique ?

Pour établir la supériorité de la ligne canadienne à ce point de vue important, il suffit de comparer son trajet à travers le continent avec celui des deux lignes américaines. Nous ne sommes pas encore en mesure de donner des chiffres d’une précision rigoureuse sur la longueur du parcours de notre Pacifique, mais ils sont d’une exactitude suffisamment approximative pour l’objet que nous avons en vue.


Milles
De San Francisco à New-York par les chemins de fer Union Pacific, Michigan Central et New-York Central 
3 363
De New-Westminster (Colombie Brit) à Montréal par le Pacifique Canadien et la ligne à Montréal via Ottawa 
2 730

  
Différence en faveur de la route canadienne 
633

De San Francisco à New-York par l’Union Pacific, le Michigan et le New-York Central 
3 363
De New-Westminster à New-York par le Pacifique Canadien, le St Laurent et Ottawa, Ogdensburgh et Rome, et le New-York Central 
3 058

  
Différence en faveur de la route canadienne 
305

De San Francisco à Montréal par l’Union Pacific, le Michigan Central et le Grand Tronc 
3 251
De New-Westminster à Montréal par le Pacifique Canadien, Montréal et Ottawa 
2 730

  
Différence en faveur de la route canadienne 
521

De San Francisco à Boston par l’Union Pacific, le Michigan Central, le New-York Central à Troy, de Troy à Boston 
3 422
De New-Westminster à Boston par le Pacifique Canadien, d’Ottawa à Montréal, de Montréal à Boston 
3 087

  
Différence en faveur de la route canadienne 
335

De San Francisco à Portland par l’Union Pacific, le Michigan Central et le Grand Tronc 
3 548
De Westminster à Portland par le Pacifique Canadien, Ottawa et Montréal et le Grand-Tronc 
3 027

  
Différence en faveur de la route canadienne 
521


Voici d’autres statistiques compilées avec beaucoup de soin et que nous extrayons de la brochure de M. Waddington : Overland route through British North America, et au moyen desquels nous arrivons aux mêmes conclusions :


Milles
De New-York par Chicago à Omaha 
1 531
De Omaha à San Francisco 
1 830

3 361

De Montréal à Ottawa 
115
De Ottawa à Bute Inlet (Colombie) 
2 885

3 000
Différence en faveur de Montréal 
361

Établissons maintenant une comparaison avec le Pacifique Nord des États-Unis.

Milles
De New-York à San Francisco par le Chemin Central 
3 361
De New-York à Pugel Sound par le Chemin du Pacifique Nord Américain 
3 124

  
Différence en faveur du Pacifique Nord Américain 
237

De Montréal au Pacifique par la route canadienne 
3 361
De New-York au Pacifique par le Chemin du Pacifique du Nord Américain 
3 124

  
Différence en faveur de la route canadienne 
124

En outre de la réduction des distances à travers le continent par notre route, qui est d’au moins 400, l’Île Vancouver se trouve à environ 800 milles plus près du Japon et de la Chine que San Francisco, le terminus du Pacifique Central.

Les vents alizés qui soufflent sur l’Océan Pacifique suivent une direction telle qu’un vaisseau, parti d’un port asiatique à destination de San Francisco, doit suivre absolument la même voie que s’il se rendait à l’Île de Vancouver. Or, la distance entre l’Île et San Francisco est de 810 milles. Ainsi, un voilier qui met 55 jours à se rendre de Hong Kong à San Francisco, atteint l’Île de Vancouver, après un trajet de 40 jours. L’avantage que la Colombie Britannique a sur San Francisco est de 15 jours par voilier et de 5 ou 6 jours par steamer.

Cette différence totale d’au moins 1 200 milles, a une importance énorme, pour le commerce qui alimente avant tout les voies les plus rapides, et assure la prédominance à la ligne canadienne. Et l’économie de temps et par suite d’argent que le monde commercial en recueillera, la baisse qui pourra en résulter dans le prix des denrées, des soies et autres matières premières de l’Inde et de la Chine, nous autorisent à croire qu’elle aura une part considérable des échanges qui se font avec l’Asie.

Dans ce cas, nous verrions s’écouler sur notre chemin une bonne partie de l’immense courant d’argent, qui va de l’Europe et de l’Amérique à l’Asie et de l’Asie à l’Amérique et l’Europe, comme contre-valeur des échanges entre les peuples de ces continents.

Notre chemin du Pacifique constitue également une voie de communication plus rapide entre l’Europe et l’Asie que le Canal de Suez. La Minerve a, dans une série d’articles sur notre grande route inter-continentale, établi cet accourcissement de trajet d’une manière fort concluante. On en jugera par l’extrait suivant :

mmmVoici d’abord le tableau des distances :
À Londres par Suez. À Vancouver. Différence.
Melbourne 
11 281 6 780 4 501
Yokohama 
11 504 4 095 7 409
Shanghaï 
10 469 5 100 5 369
Hong-Kong 
9 669 5 670 3 999
Manille 
9 639 5 400 4 239

Tout le monde connaît la distance de Vancouver à Montréal et de Montréal à Londres.

De Vancouver à Jasper-House 
430  milles.
Jasper-House à Fort Garry 
1 050
Fort Garry à Ottawa 
1 150
Ottawa à Montréal 
125
Montréal à Londres 
2 800

5 555  milles.

L’on arrive donc au tableau suivant :

À Londres par Suez. À Londres par Canada.
Melbourne 
11 281 12 335
Yokohama 
11 504 9 650
Shanghaï 
10 469 10 655
Hong-Kong 
9 669 11 225
Manille 
9 639 10 955

Nous prendrons, d’abord, les engins de locomotion encore les plus recherchés pour la généralité du commerce, les navires à voile.

Un navire à voile met le temps suivant par le Canal Suez :


Du Détroit de la Sonde au Détroit de Rabel-Mandeb 
30  jours.
De Babel-Mandeb à Suez 
30
Passage du Canal 
5
De Peluse en Manche 
45

110  jours.

Nous supposons, néanmoins, toutes choses favorables au trajet, car les navires allant actuellement dans la Mer Noire, et la Méditerranée, sont retenus généralement de 10 à 15 jours à Gibraltar. Il leur faudra un remorqueur au Bas-Mohammed et dans tout le canal, ainsi qu’à Peluse, soit qu’ils entrent ou sortent du canal. Nous pourrions, sans crainte d’erreur ou d’exagération, fixer le trajet à 115 jours.

Maintenant, voici les délais par le Canada pour le même navire qui partirait de la Manche :

De la Manche à Montréal 
24  jours.
Montréal au Pacifique 
5
Transbordements 
4
Du Détroit de Fuca à la Sonde 
64

97  jours.
  
Gain par l’Amérique 
18  jours.

Mais la Sonde n’est pas le terme du voyage. Le navire devra venir de Canton, Hong Kong, de la Mer Jaune, du Japon, de Java, Sumatra, Manille etc, tous lieux à l’est de la Sonde. La moyenne de l’augmentation sera de près de 1 000 milles pour le Canal Suez et une diminution d’autant pour la ligne Canadienne, la distance entre la Sonde et le Japon étant de plus de 2 500 milles, et l’espace entre le Détroit de Fuca et le Japon n’étant plus que de 5 500 milles au lieu de 7 600 milles, que nous avons adopté comme base de notre premier calcul.

Ce sera donc une moyenne de huit jours ajoutée aux navires venant de Suez et une moyenne égale de huit jours retranchée aux navires allant au Détroit de Fuca.

La proportion serait donc celle-ci :

Par le Canal Suez 
123  jours.
Par le Canada 
89

  
Différence 
34

Voici pour les paquebots les calculs les plus approximativement justes.

Par Suez :

Hong-Kong à la Manche 
43  jours.

Par le Canada :

De la Manche à Montréal 
9  jours.
Montréal à Vancouver 
5
Transbordements 
3
Vancouver à Hong-Kong 
24

41  jours.
De Paris à Yokohama (Japon) par Suez 
44  jours.
De Paris à Yokohama (Japon) par Canada 
36  jours.
 

Si nous nous en rapportons à une étude faite par une commission que le gouvernement hollandais institua au commencement des travaux du Canal Suez, il fut constaté que la route de Suez, quoique plus courte que celle du Cap de Bonne Espérance, exigerait pour un double voyage du même paquebot par les deux lignes, une dépense de 14 571 francs de plus de charbon, grâce à l’action des vents et des courants. L’assurance sur le navire et la cargaison étant évaluée à 1 500 000 $ sera de deux par 100 plus élevée et demandera un surcroît de 30 000 $. Les droits du canal seront pour 3 000 tonneaux de 6 666 $, ce qui donnera un total de 39 581 $ de surplus de dépenses contre le Canal Suez, lequel surplus sera plus que suffisant pour couvrir les frais de transbordement et l’excédent de tarif par mille de chemins de fer, qui ne sera, au plus, que 15 000 $.

Par le Canal Suez, les marchandises voyagent pendant une quinzaine de jours sous l’équateur ou dans les environs. Par la route du Canada, les marchandises voyagent constamment, à part deux ou trois jours, du 35 au 50 de latitude. Ce qui fait une différence énorme pour le commerce. Ainsi les épices, les soieries et le thé souffrent d’un séjour trop prolongé sur la mer, aussi bien qu’une quantité d’autres produits délicats. La route à travers les climats du nord deviendra indispensable.

En sorte que le chemin du Pacifique n’offrira pas seulement la route la plus courte, la plus prompte et la moins dispendieuse ; mais encore la plus favorable aux produits.


Dans leur ouvrage ; The North West passage by land, M. Milton et Cheadle disent que, si un chemin de fer était construit d’Halifax jusqu’à quelque endroit dans la Colombie Britannique, le voyage entier de Southampton à Hong-Kong ne prendrait que 36 jours, c’est-à-dire quinze à vingt journées de moins qu’il n’en faut en passant par Suez. Les avantages exceptionnels que présente notre route pour le commerce de l’Asie sont, du reste, depuis longtemps reconnus, et nous pourrions entasser citations sur citations pour le prouver. Nous n’ajouterons que quelques uns de ces précieux témoignages à ceux que nous avons déjà signalés

Plusieurs hommes d’état anglais ont plusieurs fois élevé la voix en faveur de notre entreprise, entre autres Disraeli, le comte de Carnarvou et Lord Bury. Ce dernier qui avait une connaissance approfondie des affaires canadiennes et de la nature de notre pays, disait dans la Chambre des Communes :

« Notre commerce dans l’Océan Pacifique avec la Chine et les Indes doit définitivement passer par nos Provinces de l’Amérique du Nord. Dans tous les cas nous aurons perdu notre suprématie commerciale le jour où nous aurons négligé cette importante considération, et si nous manquons d’exploiter les avantages physiques que ce pays nous offre, nous mériterons bien d’être déchus. »

Dans une étude qu’il publia sur le Canada dans le Frazer’s Magazine de 1857 sous le titre : Notes on Canadian Matters, Lord Bury disait entre autres choses en faveur de la ligne canadienne : « Ce projet est d’une nature éminemment impériale. Il ne concerne pas plus le Canada exclusivement que le maire et la corporation de Londres. C’est une question qui affecte au plus haut degré la continuation de la prospérité de l’Angleterre. Ce chemin est la route la plus courte pour la Chine, l’Australie et les Indes, et seul il offre une voie inattaquable pour communiquer avec ces pays. Il donnerait au commerce anglais une direction nationale, il augmenterait notre marine marchande dans l’Océan Pacifique et l’Océan Atlantique ; il détournerait au profit de l’Angleterre le commerce de l’Amérique Britannique, qui s’en va de plus en plus aux États Unis ; il élèverait l’empire d’Angleterre à l’orgueilleuse position de la confédération la plus invulnérable et la plus glorieuse qui ait été formée par la guerre ou le commerce. »

La presse anglaise n’a pas été la dernière à prôner l’entreprise comme étant conforme aux plus grands intérêts de l’empire, et tout dernièrement encore les principaux journaux de Londres en vantaient l’importance. Dès 1861, on lisait dans le Times de Londres, ces paroles concluantes :

« Les avantages que retirerait l’Angleterre d’un chemin de fer sur son territoire sont incalculables. La construction d’un chemin de fer n’ouvrirait pas seulement à la civilisation un immense territoire dans l’Amérique Britannique du Nord, aujourd’hui inconnu, mais elle ouvrirait aux cultivateurs du sol dans cette région et en Canada, des moyens de transport pour tous les marchés du Pacifique et un passage aux mers de Chine. Sous tous les rapports politiques, sociaux ou commerciaux, l’établissement d’un tel chemin de fer donnerait une vive impulsion aux affaires du monde entier ; et le résultat éclipserait toutes les étonnantes conquêtes que le siècle actuel a vues. »

Les historiens de la Colombie Britannique ne se sont pas prononcés moins fortement en faveur d’une route du Pacifique à travers le territoire britannique. L’un d’eux, le Capt. E. Barett Lennard dit :

« La situation de la Colombie Britannique et de l’Île de Vancouver sur le Pacifique est admirablement adaptée pour le commerce de la Chine, du Japon et de l’Australie, et ce n’est pas trop que de supposer que ces colonies deviendront le grand chemin entre ce pays et l’Angleterre. La distance entre Londres et Pékin serait par là réduite de 1, 000 milles.

« N’avons-nous pas lieu d’espérer que le chemin de fer maintenant en voie d’exécution entre Halifax et Québec sera la première section d’un chemin de fer inter-océanique canadien, qui sera, dans l’avenir, le grand moyen de connexion entre l’Est et l’Ouest…

« Quelle grandeur future la construction de ce chemin de fer assurerait à ces dépendances anglaises ! Quel jour glorieux ce serait pour la Colombie que celui où les vaisseaux partis des Indes, de la Chine, de l’Australie, viendraient se rencontrer sur ses côtes, pour y décharger cargaisons et passagers. »

En 1856, M. Aug. Langel disait dans une étude sur le chemin du Pacifique Américain, publiée dans la Revue des Deux Mondes : « Le chemin de fer canadien aurait l’immense avantage de s’appuyer partout sur des voies navigables et de traverser la partie la plus unie du continent : mais il ne paraît pas que ce projet soit destiné à devenir jamais une réalité. Les Canadiens ne possédant pas par eux mêmes les capitaux nécessaires pour mener à bout une œuvre de cette nature, et il est douteux que les capitaux anglais aillent s’aventurer dans une entreprise aussi hasardeuse dont le premier effet, si elle pouvait jamais être couronnée de succès, serait certainement d’amener une perturbation dans les relations commerciales du monde. L’indépendance du Canada est aujourd’hui assez bien établie pour que les intérêts de la métropole et de la colonie ne soient plus sur les mêmes questions nécessairement confondu.

« Il ne me paraît donc pas très nécessaire, au moins aujourd’hui, de s’appesantir sur le projet anglais, bien qu’il soit en lui-même très digne d’intérêt. Si nous l’avons mentionné, c’est surtout afin de montrer que le climat des latitudes canadiennes n’a point semblé un obstacle insurmontable à la construction d’un chemin de fer. »

M. Langel n’est pas le premier écrivain qui ait douté de l’exécution de cette entreprise colossale « qui doit amener une perturbation dans les relations commerciales du monde. » Mais le doute n’est plus aujourd’hui permis, et ce grand projet qui a pu être une brillante utopie, aux yeux d’un bon nombre, va passer avant longtemps dans le domaine des faits.