Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle/Chapitre 12

CHAPITRE XII

LA CONSTITUTION DE LA HAUTE-BANQUE ET LE DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS FINANCIERS AU XIXe SIÈCLE


  1. L’agiotage sous la Convention et le Directoire.
  2. La désorganisation du marché financier en France, pendant la Révolution et l’Empire.
  3. L’accumulation de la richesse en Angleterre, de 1792 à 1815.
  4. La constitution de la Haute-Banque européenne après 1815.
  5. La dynastie des Rothschild.
  6. Les causes de la suprématie de la Banque Israélite.
  7. L’ère des chemins de fer et des grandes entreprises industrielles.
  8. La fondation des sociétés de crédit par actions.
  9. Fonctionnement parallèle de la Haute-Banque et des grandes sociétés de crédit.
  10. Le développement des marchés financiers et les principales bourses du monde.
  11. La mise en valeur des territoires nouveaux par la Haute-Banque.

I. — Les assemblées révolutionnaires voulurent détruire tout le système financier qui s’était constitué depuis un siècle. Elles débutèrent par l’émission des assignats et peu à peu, entraînées par la nécessité de les soutenir, elles décrétèrent des peines draconiennes contre toute transaction sur les espèces d’or et d’argent. La Caisse d’escompte, la Compagnie des Indes et toutes les compagnies de commerce, y compris les Assurances générales, furent abolies. Bien plus, la formation de toute société par actions fut interdite ainsi que les titres au porteur et les billets de banque à vue (loi du 17 août 1792 et décret du 26 germinal an II). Même les lettres de change ne purent être cédées que par le ministère de courtiers (rapport à la Convention du 12 septembre 1793). Les charges d’agents de change furent abolies et la Bourse de Paris fermée du 27 juin 1793 au 10 floréal an IV (10 mai 1795). Encore ne fut-elle rouverte réellement dans l’église des Petits-Pères que le 12 janvier 1796. Pour vaincre la résistance universelle, qui empêchait de circuler sur le pied du numéraire les 47 milliards et demi d’assignats, qui avaient été émis à la fin de 1795, [fin page479] et les deux milliards et demi de mandats territoriaux qui furent mis en circulation dans l’année 1796, la Convention interdit toute espèce de vente à terme sur les denrées et sur les effets publics (loi du 13 fructidor an III) et la négociation de lettres de change en blanc (loi du 20 vendémiaire an IV). Elle couronna son œuvre par le maximum.

La Convention avait eu la prétention de ne pas faire banqueroute. Un décret du 24 août 1793 unifia toutes les dettes publiques antérieures en un fonds 5 p. 100, qui fut inscrit au Grand-Livre pour une somme annuelle d’arrérages de 127.803.000 fr. Elle fut portée par divers emprunts postérieurs à 174.716.000 francs. Seulement les arrérages étaient payés en assignats qui ne valaient plus que 1 p. 100 de leur valeur nominale et n’étaient plus reçus dans les caisses publiques intégralement[1]. Le Directoire, par la loi du 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797), enregistra la banqueroute en réduisant à un tiers le montant de chaque compte de rentes et en remboursant le capital des deux autres tiers par des mandats territoriaux, qui ne valaient, lors de la liquidation de 1801, que 5 p. 100 de leur montant nominal. La charge annuelle de la dette se trouva ainsi réduite à 43.640.000 fr.[2]. 1.900 millions étaient perdus pour les rentiers !

La Révolution, par de telles violences, avait-elle supprimé cet agiotage que Mirabeau dénonçait sous la Monarchie pour enflammer les passions populaires ? Pas le moins du monde. Il s’exerça plus que jamais et entouré de la corruption la plus repoussante. Pendant la Convention, les factions jacobines se jetaient à la face les unes aux autres les accusations d’agiotage.

En 1791, dit Capefigue, étaient accourus à Paris une multitude de Juifs, protestants, faiseurs d’affaires et banquiers venus de Genève, de Neufchâtel, de Bâle et de l’Allemagne, de Berlin, de Vienne, de Francfort dans la vue de réaliser quelques bonnes opérations. Parmi ces étrangers, on désignait comme d’habiles spéculateurs deux frères appartenant à une famille de banque autrichienne, du nom de Freyre. Ils avaient gagné dans l’espace d’une année près de 18 millions en numéraire par le simple agiotage sur les assignats, les actions de la Compagnie des Indes et de la Banque Saint-Charles. Possesseurs de cette fortune considérable, les frères Freyre cherchèrent le moyen de la conserver en s’associant quelques-uns des membres de la Montagne : le parti de Danton leur fut signalé comme le plus sensualiste et le plus corrompu. Autour de cette fortune des frères Freyre se groupèrent bientôt Danton, Camille Desmoulins, Fabre d’Églantine, Chabot, Bazire, tous avides d’argent et des jouissances que la fortune peut procurer. Les frères Freyre demeuraient dans un bel hôtel place Vendôme, et tous les soirs il y avait souper des Montagnards de la Convention et de la Commune…

Quand Robespierre se sépara de son fougueux antagoniste, Fabre d’Églantine et son complice Delaunay, d’Angers, furent traduits devant le tribunal révolutionnaire comme faussaires et agioteurs avec les deux Freyre… Chabot et Bazire avouèrent qu’ils avaient raturé un décret de la Convention sur la Compagnie des Indes pour favoriser l’agiotage. Fabre d’Églantine avait préparé la publication et la promulgation de ce décret falsifié. Les banquiers Freyre et Kock avaient agioté sur toutes les valeurs : dettes viagères, actions des compagnies, assignats. Fouquier-Tinville les accusa de faux et de vol et il y eut une certaine habileté à confondre avec eux ceux qu’on appelait les fripons et tout le parti dantoniste[3].

L’Assemblée nationale, pour créer des intérêts en faveur de la Révolution, avait successivement mis la main sur les biens du clergé, des corporations ouvrières, des hospices, des établissements publics. La Convention y ajouta les biens des émigrés, ce qui porta à cinq milliards et demi la valeur des immeubles offerts tout à la fois en vente. Les divers décrets, qui présidèrent à la mise en vente de cet immense patrimoine comme gage des assignats, favorisèrent leur acquisition par des compagnies de spéculateurs, et il en vint de tous les points du monde. Un des plus connus, parce qu’il se jeta dans la politique, est le baron prussien Anacharsis Cloots. Il gagna une énorme fortune dans ces spéculations.

Un érudit distingué, M. Alfred des Cilleuls, dans un travail encore inédit, établit, d’après des relevés faits aux archives, que les ventes de biens nationaux de toutes les catégories, depuis le commencement des confiscations jusqu’à l’an VI, ont augmenté le nombre des propriétaires seulement de cent mille. L’insignifiance de ce résultat, acquis au prix d’une dépréciation énorme de la propriété, qui a duré jusqu’à la loi réparatrice de 1825, est la condamnation éclatante de la Révolution au point de vue social. Ce travail, où des documents négligés jusqu’ici ont été mis en œuvre, fera définitivement justice de la légende de la Révolution partageant le sol aux paysans.

Les spéculateurs en accaparèrent la plus grande part[4]. Le récit suivant de Capefigue en sera un exemple et montre comment débuta le célèbre réformateur Saint-Simon.

D’après la loi qui autorisait la vente des propriétés nationales, les acquéreurs de ces biens entraient en possession après le paiement du premier douzième ; les autres douzièmes se payaient par intervalles assez longs. Ces facilités de paiement, jointes à la facilité de s’acquitter en assignats, donnaient aux acquéreurs des avantages universels et les aventuriers de toute nation se précipitèrent sur ces dépouilles… Les plus avides parmi ces acquéreurs, liés avec tout le parti de la Commune, furent deux gentilshommes : l’un Claude-Henri, comte de Saint-Simon de la famille illustre qui prétendait descendre des comtes de Vermandois, l’autre, Charles-Sigismond de Redern, fils du grand maréchal de la Cour de Prusse… Tous deux achetèrent pour 17 millions de biens nationaux dans les départements, spécialement dans l’Orne. Les deux associés ne payèrent que le premier douzième ; car le parti de la Commune et de Danton ayant été proscrit par Robespierre, le comte de Redern s’enfuit de la France et Saint-Simon fut mis en prison avec ses amis du club des Cordeliers. Le 9 thermidor le sauva et rouvrit les portes de la France au comte de Redern : tous deux réclamèrent les biens acquis par les adjudications dont ils avaient été déchus. Ils retrouvèrent leurs amis au pouvoir… La société Saint-Simon et Redern fut maintenue dans la propriété de biens nationaux évalué à 9 millions (parmi ces propriétés se trouvait le grand-hôtel des fermes, rue de Bouloy). Onze douzièmes du prix d’acquisition restaient à payer. Les assignats n’étaient pas démonétisés et les acquéreurs des biens d’émigrés pouvaient se libérer avec ces valeurs dépréciées. Dans les années 1794 et 1795, les assignats tombèrent à leur plus bas prix, et, avec une moyenne de 15 à 45 francs, on pouvait en acheter pour 1.000 francs… Dans le partage que Saint-Simon et le comte de Redern firent de leurs bénéfices, ils acquirent chacun 200.000 livres de rente.

Il faut lire dans l’Histoire de la société française sous le Directoire, le tableau animé que les frères de Goncourt ont tracé de l’agiotage en l’an IV et en l’an V, d’après les journaux du temps. Il portait : 1° sur le cours des assignats et des effets publics en louis d’or ; 2° sur toute espèce de marchandises. Tout le monde vendait alors des marchandises, parce que les marchés réguliers étaient désorganisés et qu’une monnaie réelle faisant défaut, il n’y avait pas de régulateur de la valeur :chacun pouvait espérer réaliser un gain considérable sur une partie quelconque de marchandises à cause des fluctuations journalières de l’or. Le jeu et l’agiotage remplaçaient complètement les spéculations normales du commerce.

L’agiotage trouvait en outre dans ce temps de désordre et de pillage une matière inépuisable dans les fournitures faites aux armées et dans les effets sur le Trésor public. On se tromperait fort si l’on croyait qu’après la destruction de la planche aux assignats les paiements en numéraire eussent été repris. Les engagements de l’État étaient acquittés au moyen d’ordonnances de paiement délivrées sans crédits et surtout sans argent en caisse, uniquement pour calmer l’impatience des ayants droit, et ils demeuraient indéfiniment en souffrance. Les porteurs étaient obligés de les négocier à vil prix :

Là, c’est un fournisseur qui est obligé de perdre 3/4 sur son décompte pour se procurer du numéraire ; ailleurs, ce sont des bons sur les receveurs des départements, ou sur l’acquit des domaines aliénés, que le même fournisseur donne à une perte énorme. Si le Trésor en tirait quelque avantage, il y aurait peut-être moins d’immoralité dans ce commerce. Mais le grand mal est qu’en définitif le Trésor supporte le payement de ces capitaux vendus et revendus mille fois à bas prix[5].

Ces bons finissaient par être payés en espèces ; mais ils l’étaient non pas dans un ordre déterminé par leur date, mais par préférence, selon que les ministres ou plus tard les directeurs leur accordaient un visa d’urgence. L’obtention de ces visas était uniquement une affaire d’influence et de corruption, et c’est par ce moyen que des fournisseurs et des hommes politiques firent en ce temps de détresse de si scandaleuses fortunes[6]. Une autre source de spéculations malsaines, provenant aussi du désordre administratif de l’époque, fut l’autorisation donnée au Directoire par diverses lois d’assigner à des fournisseurs privilégiés des lettres de crédit délivrées d’avance sur des recettes présumables[7]. Le ministre des Finances, Gaudin, après le 18 brumaire, signalait ainsi les abus de cette pratique :

Les recettes avaient été déléguées d’avance à des entrepreneurs ou à des compagnies qui avaient obtenu le droit de toucher directement dans les caisses des receveurs les deniers qui y rentraient, sans que leur situation fût connue quant aux fournitures qu’ils avaient promis de faire. Un simple marché passé avec un ministère pour une fourniture était alors un moyen de faire fortune. Sur la représentation de ce marché, le ministre des finances donnait sur une partie du revenu une délégation proportionnée à la valeur estimative des fournitures à faire.

II. — Il est utile de rappeler ces souvenirs : une poussée socialiste internationale pourra bien, quelque jour, flamber les bourses, brûler les grands livres des dettes publiques et les titres des sociétés par actions, comme il y a un siècle les Jacobins brûlèrent les chartriers des châteaux. Des parlements collectivistes interdiront toutes les spéculations et proscriront l’intérêt ; mais sur ces ruines une nouvelle société naîtra avec des honnêtes gens appauvris et des malfaiteurs enrichis. Les bourses se relèveront et de nouveaux emprunts d’État, de nouvelles actions s’y négocieront au profit des descendants de ceux qui auront fait ce vaste auto da fe révolutionnaire. Ainsi se passèrent les choses après la Terreur.

La Convention avait entrepris de régler la Bourse et les marchés. Une loi du 13 fructidor an III, considérant que « les négociations de la Bourse n’étaient plus qu’un jeu de primes où chacun vendait ce qu’il n’avait pas, achetait ce qu’il ne voulait pas prendre et où l’on trouvait partout des commerçants et nulle part du commerce », défendit sous des peines sévères de vendre des marchandises ou effets dont on ne serait pas propriétaire au moment de la transaction. Malgré cela l’agiotage se donna carrière plus que jamais, nous venons de le voir. On avait gêné seulement les affaires honnêtes. Une loi du 28 vendémiaire an IV renouvela ces prescriptions, et pour les faire exécuter chargea les comités de Salut public de nommer les agents de change ! Un arrêté du Directoire du 2 ventôse an IV, allant droit à l’encontre du principe fondamental de la Bourse, ordonnait que « tout marché conclu par un agent ou courtier fût proclamé à haute voix avec indication du nom et domicile du vendeur ainsi que le dépositaire des effets ou espèces ».

A peine le premier Consul eut-il pris possession du pouvoir et rappelé autour de lui des hommes honnêtes et capables empruntés aux cadres administratifs de l’ancien régime, qu’il réorganisa la Bourse sur ses bases d’avant 1789. La loi du 28 ventôse et l’arrêté du 29 germinal an IX donnèrent le monopole des négociations sur les effets publics à des agents de change nommés par le gouvernement et constitués en corporation[8]. L’arrêté du 27 prairial an X sur la police de la Bourse reconnut pratiquement les marchés à terme en abrogeant l’obligation de désigner le vendeur et l’acheteur et de justifier de la propriété des titres vendus par devant le commissaire de la Bourse, comme l’avait imaginé l’arrêté du 2 ventôse an IV.

Napoléon rétablit l’ordre dans les finances publiques et la sûreté dans les transactions privées. C’était beaucoup ; mais cela ne suffisait pas pour créer à nouveau la richesse qui avait été détruite pendant dix années de désordre, ni pour reconstituer le marché financier qui s’était constitué à Paris dans les dernières années de Louis XVI. En restaurant dans ses principaux traits le système administratif de l’ancien régime, Napoléon eut d’ailleurs le tort d’étouffer la liberté économique. La Banque de France, constituée sur le modèle de la Caisse d’escompte, eut tout son capital absorbé par le Trésor. Ses disponibilités furent presque exclusivement employées à escompter le papier des fournisseurs des armées et quelquefois même à soutenir le cours des rentes par des achats à la Bourse. Malgré l’avis de toutes les chambres de commerce, Regnaud de Saint-Jean d’Angély fit introduire dans le code la nécessité d’une approbation gouvernementale pour la formation des sociétés anonymes et il ne s’en fonda presque aucune pendant tout le règne.

L’eût-il voulu, l’Empereur n’aurait pas pu recourir à des emprunts publics. La Bourse fut toujours incertaine sous son règne, et, quelques jours avant la bataille d’Austerlitz, une panique causée par les embarras d’une grande société de fournisseurs, appelée les négociants réunis, avait compromis le cours des billets de banque. Il ne fallut rien moins que cette victoire pour le raffermir. Le Trésor n’avait pas non plus sa pleine indépendance vis-à-vis des fournisseurs militaires et Ouvrard en profita largement[9].

L’état de guerre continuel empêcha les banquiers particuliers, genevois ou autres, qui avaient pu traverser la Terreur, de constituer des maisons puissantes ; en sorte que la France se trouvait au début de la Restauration non seulement appauvrie par vingt-cinq ans de révolutions et de guerres, mais encore dépourvue de l’outillage financier, qui, pendant la même période, s’était développé en Angleterre.

III. — De 1793 à 1815, la richesse de l’Angleterre s’était accrue considérablement. Les trésors de l’Inde, que lord Clive venait de conquérir, ceux des colonies hollandaises que ses armées occupèrent jusqu’à la paix générale, affluèrent à Londres et dans ses entrepôts. Elle fut la première à mettre en œuvre les grandes inventions qui marquaient l’era of machinery ouverte en 1766. Enfin la destruction des marines française, espagnole et hollandaise lui livra complètement le commerce de l’Europe avec l’Orient et les colonies américaines, si bien que, même après le rétablissement de la paix, les manufactures britanniques eurent pour de longues années le monopole des marchés du Continent, de l’Asie et de l’Amérique. C’est grâce à ce grand accroissement de richesse intérieure que l’Angleterre put suffire aux énormes dépenses de vingt-sept années de guerre, en sorte que, loin d’être empirée, sa position financière, au rétablissement de la paix, se trouva beaucoup plus forte qu’auparavant. [fin page486-487]

Les dépenses totales faites par l’Angleterre dans cette période pour la guerre s’élevèrent, d’après Pablo Pebrer, à 784.106.115 livres st. (19.767.315.159 fr.). Près de la moitié furent demandées à l’augmentation des taxes[10], le reste à des emprunts, qui, réunis, s’élevèrent à 498.695.862 liv. st., mais qui grevèrent le pays de 621.375.628 liv. st. en capital nominal, parce qu’ils furent émis au-dessous du pair[11].

La Banque d’Angleterre et le Stock Exchange soutinrent énergiquement le crédit public, et, malgré la somme colossale d’emprunts émis dans cette période, l’Angleterre, au lieu d’avoir une partie importante de sa dette placée à l’étranger, comme au milieu du xviiie siècle (chap. xi, § 10), fut, au sortir de cette grande crise, en état de prêter de l’argent à toutes les nations continentales.

La haute Banque de Londres avait pris un développement d’autant plus grand que pendant toute la durée de la guerre elle avait été chargée de faire passer aux gouvernements continentaux engagés dans la coalition les subsides énormes que leur allouait l’Angleterre[12] (§ 5).

La reprise des paiements en espèces, qui eut lieu en 1819, et l’adoption de l’or comme base du système monétaire, quoiqu’une crise commerciale intérieure s’en soit suivie, ainsi qu’il est inévitable quand on sort du papier-monnaie, rendirent Londres apte à servir de place de compensation aux engagements de tous les pays et à devenir le principal marché financier du monde.

IV. — Ce furent les banquiers de Londres qui souscrivirent et prirent ferme les emprunts que les États continentaux durent faire pour liquider les charges de la guerre. Presque toujours, au lieu de payer les intérêts dans le pays emprunteur, il fut stipulé qu’ils seraient payés à Londres en livres sterling à un change fixe. Cette condition est encore toujours imposée aux États obligés d’émettre leurs emprunts hors de chez eux et elle a contribué puissamment à accumuler les capitaux à Londres.

L’histoire de la constitution de la dette française pendant cette période est particulièrement intéressante.

La Restauration avait à payer aux alliés une somme que M. A. Vuhrer fixe à 1.290.882.530 francs. L’arriéré des exercices budgétaires de l’Empire était de 777 millions ; il fallut y ajouter 25.995.310 fr. en rentes 3 p. 100 pour indemniser partiellement les émigrés des confiscations révolutionnaires et faire cesser une distinction odieuse dans l’origine des propriétés. Des emprunts considérables et multiples furent nécessaires pour pourvoir à ces diverses charges ainsi qu’aux expéditions d’Espagne, de Morée et d’Algérie[13].

Le marché financier de Paris était tellement désorganisé qu’il fallut écouler peu à peu à Amsterdam au prix moyen de 57 fr., les six millions de rente 5 pour 100 que la loi de finances de 1816 avait mises à la disposition du ministre. Les banquiers parisiens étaient hors d’état de soutenir le gouvernement. Un emprunt par souscription publique émis en mai 1818 fut plusieurs fois souscrit ; mais les versements successifs ne purent être faits avec régularité et une crise de bourse s’ensuivit. Ce fut la grande maison Hope, d’Amsterdam, qui, en s’associant avec les Baring de Londres, se chargea de tous les premiers emprunts de la Restauration à des taux qui s’élevaient au fur et à mesure que le crédit public se relevait[14]. Les banquiers parisiens Hottinger, Baguenault et Delessert figurèrent seulement comme participants dans le syndicat formé par les Hope pour l’emprunt de 1821.

M. de Villèle, en s’adressant aux Rothschild pour l’emprunt 5 pour 100 de 1823, obtint des conditions bien supérieures à celles des Hope et à celles qu’avaient pu faire les banquiers français. Désormais les Rothschild eurent jusqu’au second Empire le monopole de nos émissions de rente ; ils y associaient plus ou moins les maisons françaises[15]. Ils introduisirent en même temps à Londres et à Paris des emprunts napolitains, autrichiens, portugais, grecs.

Au premier rang des maisons anglaises de cette époque étaient les Baring, qui, après cinq générations de grands banquiers, viennent de s’effondrer en 1890. Deux frères de ce nom, petits-fils d’un pasteur des environs de Brème, fondèrent une maison de banque à Londres en 1770. Ils prirent une grande part à la direction de la Compagnie des Indes et, par leur alliance avec les Hope d’Amsterdam, ils acquirent une prépondérance presque [note 3 de bas de page[16]] absolue pour le règlement des affaires commerciales et financières entre l’Europe et l’extrême Orient. On a vu la part qu’ils prirent aux souscriptions des premiers emprunts français. Presque tous les États de l’Europe, la Russie, les Pays Scandinaves, la Belgique, la Hollande, le Saint-Siège, le Portugal se servirent d’eux pour le placement de leurs emprunts. Plus tard, ils se lancèrent dans les affaires de l’Amérique du Sud, et c’est la confiance qu’ils inspiraient au public, avec lequel ils étaient beaucoup plus en contact que les Rothschild, qui a engagé tant de capitaux britanniques dans la République Argentine et l’Uruguay.

Quelle put être leur fortune au moment de leur grande prospérité : on ne le sait pas plus qu’on ne connaît actuellement celle des Rothschild. Mais le bilan qu’ils ont déposé le 14 novembre 1890 se chiffre par 24.770.032 liv. st. à l’actif (près de 620 millions de francs) et au passif par 20.963.300 liv. st. (près de 515 millions de fr.). On peut juger par là des capitaux énormes que remuent les rois de la Finance contemporaine.

La place d’Amsterdam, après la chute de Napoléon, avait recouvré son antique activité. La grande maison Hope, qui a liquidé seulement dans ces dernières années, prit, on vient de le voir, une part importante aux grandes émissions qui suivirent la paix ; elle introduisit la première les fonds russes sur les places occidentales. Amsterdam conserve toujours un groupe important de maison de Haute-Banque ; mais elle a passé à un rang secondaire, parce que le pays ne peut pas constituer de nouveaux capitaux comme l’Angleterre ou la France.

L’Autriche, qui jusqu’à la Révolution avait joui d’un crédit de premier ordre, avait été jetée dans les pires embarras financiers. C’est à peine si dans ces dernières années sa situation s’améliore (chap. x, § 5). Aussi Vienne est-elle la place où la Haute Banque juive s’est proportionnellement le plus enrichie. Là, comme à Londres et à Paris, les emprunts publics se succédaient avec une telle rapidité et dans de si grandes proportions que le capital initial des maisons qui les soumissionnaient a pu se multiplier dans une proportion géométrique.

Le 5 p. 100 français, par exemple, souscrit par les maisons Hope et Baring en 1817 à 57 fr., valait quelques mois après 65 fr. ; en 1818, il monta à 85 francs ; en janvier 1830, il était à 109 fr. 50. La Haute Banque revendait ces fonds au public au fur et à mesure que la plus-value acquise lui donnait confiance et que les progrès de la richesse générale permettaient à des capitaux de placement de se former. Elle réalisa des bénéfices analogues sur la plupart des emprunts émis par les divers gouvernements que nous avons énumérés. Elle a bien fait quelques pertes par la banqueroute de certains États ; mais presque toujours ces pertes ont été surtout supportées par les petits capitalistes (chap. x, § 4).

En inaugurant, pour payer les destructions de la guerre et plus tard les grands travaux publics, les grands emprunts en rentes perpétuelles et en en faisant un système par leur répétition quasi-périodique, les nations modernes ont constitué des accumulations de capitaux privés, tels que l’humanité n’en avait jamais connus et ils ont créé, en même temps, la puissance politique et financière de la Haute Banque.

Les transactions auxquelles donnèrent lieu ces emprunts, au moins ceux de l’Europe Occidentale, ont été généralement légitimes ; mais il n’en reste pas moins vrai, comme l’a fait remarquer l’auteur des Juifs, Rois de l’époque, que « la féodalité industrielle naquit de l’épuisement financier des États, comme la féodalité nobiliaire était née de l’asservissement de la race vaincue à la race conquérante ».

V. — Déjà s’annonçait la prépondérance financière de cette maison Rothschild dont on a pu écrire l’histoire sous ce titre :les Maîtres financiers des nations. Les Rothschild étaient des nouveaux venus à Londres. Ils sortaient de ces juiveries allemandes qui avaient conservé bien mieux les traits caractéristiques de la race que leurs coreligionnaires de Portugal et d’Italie[17]. Les Juifs hollandais établis en Angleterre avaient été en partie absorbés par la société dans laquelle ils s’étaient introduits. Les fils des financiers que nous avons cités au chapitre précédent s’étaient pour la plupart convertis au Christianisme[18].

Chassés à plusieurs reprises de l’Allemagne, les Juifs avaient pu cependant se maintenir dans un certain nombre de villes impériales, grâce à la protection de l’Empereur et à la sympathie qu’éprouvaient généralement pour eux les sénats aristocratiques de ces villes. Plusieurs étaient parvenus à une grande richesse dans le cours du xviiie siècle. On a conservé le souvenir du riche négociant de Hambourg, Gugenheim, le beau-père de Mendelsohn. A Vienne, sous le nom de Hof Juden, ils obtenaient des privilèges personnels proportionnés à leur richesse :en 1785, ils avaient à leur tête Samuel Oppenheim, la tige des banquiers de ce nom, et Joseph II donnait le titre de baron au banquier Joseph Michael Arnstein. A Berlin, sous Frédéric II, le banquier Itzig avait une position importante ; en Alsace, Cerfbeer avait fait une grande fortune, fort honorablement d’ailleurs, comme fournisseur des armées royales, et il avait obtenu des lettres de noblesse avec la permission de posséder des biens fonds. Il était en même temps conseiller de commerce du landgrave de Hesse-Darmstadt, de la maison palatine des Deux-Ponts et des princes de Nassau[19]. C’était un titre pareil que possédait à cette époque un Juif de Francfort, fils d’un pauvre brocanteur, Mayer-Amschel Rothschild. Il sauva pendant l’invasion française la fortune de l’électeur de Hesse[20] en la faisant passer à un de ses fils, Nathan-Mayer, qui s’était établi à Londres en 1798. Il y avait fondé une maison de banque et y avait épousé en 1806 la fille d’un riche banquier juif Levi Barnet Cohen[21].

Mayer-Amschel, soutenu puissamment par ce fils, qui avait le génie d’un fondateur de dynastie, s’occupa dès lors du placement des emprunts d’État :de 1804 à 1812, il se chargea d’emprunts danois jusqu’à concurrence de 10 millions de thalers, ainsi que d’un emprunt suédois.

Pendant la guerre d’Espagne, Nathan-Mayer fut chargé de concert avec son père de faire passer en Espagne au duc de Wellington les fonds que le gouvernement anglais avait à lui faire toucher : en huit années, il y gagna, dit-on, 30 millions de francs, ce qui s’explique si on réfléchit qu’il fallait souvent faire passer des envois d’espèces à travers la France et les armées belligérantes. Nathan-Mayer fut aussi employé à faire toucher aux puissances continentales les énormes subsides que leur allouait l’Angleterre : ils s’élevèrent en une seule année à 11 millions de livres (275 millions de francs). Ces remises furent surtout faites au moyen d’opérations de change, et les Rothschild surent si bien les balancer avec les emprunts faits alors par les puissances continentales et les dettes du commerce que pendant cette période le change sur le continent fut presque toujours favorable à l’Angleterre.

Durant ces années, où les fonds publics éprouvaient au Stock Exchange des oscillations aussi fortes que subites, Nathan-Mayer accrut énormément sa fortune. Il apportait une remarquable sagacité dans ses spéculations ; mais il employait aussi les manœuvres les plus raffinées de l’agiotage[22]. Selon son historien, en cinq ans il retourna 2.500 fois son capital.

Après la paix, il se chargea de l’émission à Londres de nombreux emprunts. De 1818 à 1832, il négocia pour le compte de la Prusse deux emprunts de 212 millions, un pour la Russie de 87 millions, pour l’Autriche et pour Naples de 52 millions chacun, pour le Brésil de 70 millions, pour la Belgique de 50 millions. Sous l’influence de ces émissions multipliées, la spéculation prit un grand développement en Allemagne de 1817 à 1821.

On négligea tout pour la spéculation, dit un historien. Les grandes maisons Israélites Salomon Heine à Hambourg, Itzig à Berlin, Arnstein et Eskeles, Geymuller et Cie, la maison Sina d’origine grecque, etc., à Vienne, et les deux branches de la maison de Rothschild de Vienne et de Francfort avaient uni leurs efforts pour attirer vers les nouveaux emprunts tous les capitaux disponibles et pour habituer le public aux opérations de bourse, qui allaient devenir pour eux l’origine d’immenses fortunes[23].

En même temps que Nathan-Mayer Rothschild fondait la maison de Londres, un de ses frères, Anselm Mayer, continuait à résider à Francfort ; un autre, Salomon, s’établissait à Vienne, où il se subordonna rapidement les autres maisons de banque, israélites d’ailleurs pour la plupart, et où il acquit une prépondérance proportionnée aux embarras financiers du gouvernement. Un quatrième frère, Carl, s’installa à Naples, où il s’occupa d’affaires de change et pendant quarante ans fit toutes les opérations financières des gouvernements de la péninsule. Mais le plus important établissement fut celui fondé par James à Paris dès le temps de Napoléon. Après l’invasion, il fut chargé de faire passer aux puissances alliées les indemnités de guerre et il fut l’agent des réclamations des gouvernements étrangers contre le Trésor français. Sa position grandit peu à peu, et, on l’a vu, à partir de 1823, il eut le monopole des émissions françaises. La maison de Paris, par les nombreux emprunts d’État dont elle s’est chargée successivement, par la variété des opérations de spéculation auxquelles elle s’est livrée, est devenue la plus active des cinq maisons fédérées.

Ces cinq branches, quoique constituant des maisons distinctes, sont restées étroitement unies, et jamais l’une d’elles n’entreprend une affaire importante sans se concerter avec les autres. La maison de Naples a cessé ses opérations après les événements de 1860. Sans doute, l’Italie nouvelle n’offrait plus un terrain suffisamment sûr aux affaires : elle a été abandonnée à des maisons de banque ou à des établissements de crédit secondaires relativement aux Rothschild. Mais d’autres ramifications se sont implantées là où de nouveaux marchés financiers se constituaient. Un gendre des Rothschild, Lambert, a établi une banque à Bruxelles. Des mariages ont fait entrer dans la famille M. Éphrussi, l’un des plus grands spéculateurs en blés du monde et le richissime juif indien Sassoon. Enfin une sorte de succursale a été établie à New-York sous la direction des MM. Belmont[24], et ce n’est pas aujourd’hui le centre le moins important d’opérations qui embrassent le monde entier.

La puissance financière des Rothschild se doubla de bonne heure d’une puissance politique, qui, pour n’être pas proclamée publiquement, n’en est pas moins effective. Nathan-Mayer avait compris l’intérêt qu’il avait à être toujours informé avant ses concurrents, et même avant les gouvernements, des événements financiers et politiques pouvant influer sur ses spéculations. Il avait organisé tout un service de courriers et jusqu’à des postes de pigeons voyageurs. C’est ainsi que, dit-on, il apprit à lord Aberdeen, le chef du cabinet, la première nouvelle de la révolution de juillet. Il entretenait des émissaires dans tous les cabinets : le chevalier de Gentz, le collaborateur perspicace mais si peu moral et toujours besogneux de Metternich, était à Vienne l’ami de Salomon de Rothschild et l’on comprend ce que pouvait être cette familiarité. Anselm Mayer, qui succéda à Francfort à son père le vieil Amschel, se fit une clientèle de tous les princes allemands régnant ou médiatisés ; la liste des prêts qu’il leur fit est l’explication de sa toute-puissance en Allemagne. Les gouvernements ont, du reste, consacré cette situation. En même temps que l’empereur François II créait les cinq frères barons du Saint-Empire, il nommait James de Rothschild son consul général à Paris et conférait la même fonction à Nathan-Mayer à Londres. Le fils de celui-ci fut créé baronnet.

En consentant à se charger d’un emprunt pour le roi Ferdinand Ier à Naples, les Rothschild exigeaient qu’il choisît pour ministre des finances le chevalier Medici, leur créature. En France, s’il faut en croire M. John Reeves, les Rothschild furent tout-puissants sous le gouvernement de Juillet en ce qui touchait la politique internationale. Ils se posèrent comme les arbitres de l’Europe et exigèrent en 1840 la chute de M. Thiers, dont la politique brouillonne menaçait la paix. Nous avons dit quelle fut vis-à-vis d’eux la posture du gouvernement républicain en 1848 et l’abandon des intérêts du Trésor auquel consentit le ministre des finances d’alors (chap. x, §5). En 1871, ce sont eux qui ont dicté à M. Thiers les conditions des emprunts de la rançon nationale et on les accuse d’avoir imposé en 1882 la mise en faillite si injuste et si désastreuse de l’Union générale.

Sir Lionel de Rothschild, qui succéda à la maison de banque de Londres à la mort de Nathan-Mayer, en 1836, fut élu membre des Communes par la Cité et parvint en 1858 à faire voter un bill en vertu duquel il put être admis au Parlement en prêtant serment sur l’Ancien Testament. Son fils Nathaniel, le quatrième du nom, devait être élevé à la pairie en 1886. Sir Lionel, solidement appuyé sur d’immenses capitaux et tenant compte des exigences de l’opinion, renonça aux manœuvres de bourse et aux coups d’agiotage familiers à son père. Il s’occupa presque exclusivement des émissions d’emprunts d’États ; il fut l’agent attitré du gouvernement russe à Londres. Il soumissionna dans sa carrière jusqu’à 160 millions de livres sterling d’emprunts divers pris ferme, c’est-à-dire dont il garantissait le paiement à époque fixe, sauf à partager l’affaire avec les autres branches de la famille. En même temps, il s’occupa des grandes affaires de change, qui sont demeurées l’apanage presque exclusif de la maison, et il monopolisa en fait le commerce des métaux (argent, cuivre, étain, plomb) dont le marché s’est concentré à Londres.

Dans la conduite des grandes affaires financières auxquelles ils prennent part, les Rothschild sont de plus en plus dominés par le sentiment des responsabilités attachées au gouvernement financier des nations. A l’occasion, ils soutiennent les marchés et empêchent l’effondrement complet des cours, en vertu de cette maxime économique qu’il ne faut pas ruiner à fond ses voisins, si l’on veut continuer à faire des affaires avec eux[25]. Mais ils ne supportent pas de rivaux et, depuis qu’ils se sont constitués à l’état de dynastie, ils semblent avoir pris pour règle de conduite la maxime du peuple-roi : Parcere subjectis et debellare superbos[26]. Aussi ont-ils favorisé la fondation par leurs coreligionnaires de nombreuses maisons de banque qui sont comme leurs satellites. Des membres de la famille font partie des conseils d’administration de toutes les banques nationales ainsi que des grandes sociétés de crédit, dont la constitution a marqué une époque nouvelle dans l’histoire financière (§ 9).

Toutefois l’activité des Rothschild ne s’est pas cantonnée exclusivement dans l’émission des emprunts publics et dans les affaires de change. Les grandes entreprises industrielles de notre époque les ont attirés aussi, et ils ont fort habilement mis à profit la forme de la société anonyme pour dissimuler à la masse du public la puissance qu’ils acquéraient encore sur ce terrain. En 1824, Nathan-Mayer fondait à Londres l’Alliance marine insurance C°. Dans les années précédentes, il s’était fait hypothéquer les mines d’Almaden en Espagne, et son frère avait acheté celles d’Idria en Autriche, de sorte que le prix du mercure resta sous leur contrôle dans toute l’Europe jusqu’à la découverte des gisements américains. Les diverses branches de la famille possèdent aussi d’importantes mines de cuivre dans les diverses parties du monde. Les puits de pétrole du Caucase appartiennent aux Rothschild d’Angleterre, ceux de Galicie aux Rothschild de Vienne, les mines de nickel de la Nouvelle-Calédonie aux Rothschild de Paris. Récemment, ils ont organisé le consortium des gites diamantifères de l’Afrique australe. En 1845, le baron James obtenait en France l’adjudication du chemin de fer du Nord et souscrivait pour lui et les siens plus de la moitié des actions. Ils ont la même situation dans plusieurs chemins de fer étrangers, notamment dans ceux du Nord de l’Autriche ainsi que dans ceux du Sud. Beaucoup de mines et de grandes usines de ce pays sont leur propriété.

A leur ombre de puissantes maisons juives ont surgi dans toutes les capitales européennes et, de concert avec eux, dominent le marché financier. Ce sont : à Vienne, les Oppenheim ; à Hambourg, le Hambro ; à Amsterdam, le Lipmann et Rosenthal ; à Paris, les Hirsch, les Erlanger, les Camondo, les Reinach ; à Anvers, les Bischoffheim et les Cahen ; à Trieste, les Morpurgo ; à Saint-Pétersbourg les Gunzburg.

A Berlin, M. de Bleichrœder, M. Mendelshon, M. Warschauer ont tout autour d’eux une constellation de sociétés financières, dans lesquelles leurs coreligionnaires ont la haute main, et même ils composent la majorité du conseil d’administration de la Reichsbank[27].

Quelques-unes de ces maisons en sont déjà à plusieurs générations ; d’autres ont surgi comme des météores. Tel est Hirsch, entre autres. Fils et petit-fils d’un banquier de la cour de Munich, il était établi à Bruxelles, quand la banque montée par Langrand-Dumonceau sombra en 1868 (§ 9). Hirsch racheta à vil prix dans sa faillite la concession des chemins de fer ottomans, et ce fut l’origine d’une fortune évaluée à 300 millions, qui lui a valu d’être admis dans la noblesse belge par une ordonnance de Léopold II[28].

Ces maisons sont toutes d’origine allemande. Les Juifs portugais, dont un rameau très important est établi à Bordeaux, n’ont jamais eu la même fortune. A l’époque de la Révolution, ils tenaient beaucoup à se distinguer de leurs coreligionnaires allemands et auraient préféré conserver pour eux seuls leur situation privilégiée[29]. Un d’eux, Mirès, qui eut, sous le second Empire, des débuts très brillants, mais qui avait épousé une chrétienne, fut écrasé précisément sous la rivalité de la Haute Banque allemande. Seuls les Pereire, après avoir créé le Crédit mobilier et avoir affiché la prétention d’être les conducteurs du marché financier parisien, ont pu survivre et se maintenir dans un rang effacé.

Presque partout les anciennes maisons chrétiennes ont été reléguées au troisième rang. Même à Paris, les maisons d’origine genevoise, que l’on appelle parfois à cause de cela la banque protestante, n’occupent plus qu’une position secondaire. En Angleterre aussi les grandes maisons de banque chrétiennes ou bien ont fait faillite, comme Overrend and Gurney en 1866, les Baring en 1890, et les Murietta en 1891, ou bien elles se sont transformées en sociétés anonymes, ce qui diminue leur influence. A Vienne, les Sina se sont retirés des affaires, il y a longtemps. A Amsterdam, les Hope ont fait de même, il y a quelques années.

Dès 1825, Cobbett, le vigoureux pamphlétaire anglais, signalait cette puissance des Juifs. En 1846, un écrivain fouriériste[30], qui était surtout un humoriste, Toussenel, lançait un volume intitulé : les Juifs rois de l’époque, histoire de la féodalité financière. Le titre était une idée géniale et a préservé son auteur de l’oubli ; car l’ouvrage lui-même est sans valeur. Cobbett et Toussenel étaient des précurseurs. En 1879, est né en Allemagne un mouvement antisémitique, qui s’est propagé de là en Autriche, en Hongrie, en Russie et qui est un des phénomènes les plus curieux de la fin de ce siècle.

Le bouleversement de l’antique constitution allemande, la destruction d’une foule d’éléments traditionnels par M. de Bismarck, la création d’un puissant marché financier à Berlin avaient donné un grand essor à l’agiotage. Les Juifs prirent une importance considérable dans le nouvel Empire. Leur domination financière eût peut-être été acceptée ; mais ils étendirent leur action sur la politique intérieure ; ils eurent le malheur de toucher aux questions religieuses, malgré les avertissements que Mirès leur avait jadis donnés et que leur répète encore chez nous le vénérable M. Franck. Ils servirent d’instrument au Kulturkampf. De même en France ils ont pris part à la persécution maçonnique dirigée contre le catholicisme et les traditions nationales. Une situation analogue à celle qui, au temps de Louis le Débonnaire, faisait écrire à Agobard son livre brûlant de Insolentia Judœorum, s’est reproduite et elle a fait le succès de la France juive de M. Drumont.

VI. — Quelles sont les causes de la prépondérance ainsi acquise à la Banque israélite ?

Avant tout il faut reconnaître que par-dessus les organisations économiques nationales l’organisation économique générale du monde, ce que les Allemands appellent la Weltwirthschaft, se développe de plus en plus. Tous les grands marchés de marchandises sont en communication ; toutes les bourses sont solidaires et il n’y a réellement pour l’argent ou les capitaux mobiles qu’un seul marché qui embrasse l’univers entier.

Il fallait un organe à ce nouvel état économique. Cette fonction que les Templiers, les Vénitiens, les banquiers Florentins avaient remplie à l’époque où les Croisades avaient créé une unité entre les nations chrétiennes de l’Occident, les Juifs la remplissent de nos jours parce qu’ils sont essentiellement cosmopolites et merveilleusement doués pour cette fonction ; mais, s’ils n’existaient pas, il n’y en aurait pas moins une haute banque internationale quelconque.

Par son passé, par sa religion, par sa vitalité extraordinaire, la race juive reste une nation à part au milieu des nations modernes et elle résiste aux causes d’assimilation qui agissent sur elle de notre temps aussi bien qu’aux cruelles persécutions dont jadis elle fut si souvent la victime. Un sentiment de solidarité étroite survit chez tous ses membres même à l’atténuation des croyances religieuses et à l’abandon des rites mosaïques. Encore que, dans presque tous les pays, ils exercent aujourd’hui les droits de citoyen, ils restent israélites avant tout, non pas seulement de religion ; comme on peut le dire des chrétiens en un certain sens, mais de nationalité. Le réveil inattendu d’antagonisme, qui se produit partout contre eux, ne peut que resserrer cette solidarité.

Ils demeurent, en réalité, indifférents aux luttes des nationalités et aux passions des partis : grande cause de supériorité pour des banquiers, dont toutes les forces intellectuelles doivent être concentrées sur un but unique, gagner de l’argent !

Les Rothschild, dit leur historiographe, n’appartiennent à aucune nationalité. Ils sont cosmopolites. Tandis que, d’un côté, ils fournissent leur approvisionnement aux armées de Napoléon, de l’autre, ils émettent des emprunts pour le compte des puissances ses ennemies, qui employaient les fonds ainsi obtenus à défrayer les guerres soutenues contre lui. Ils n’appartenaient à aucun parti : ils étaient prêts à devenir riches aux frais de leurs amis et de leurs ennemis indifféremment.

Les Juifs ont des aptitudes intellectuelles qui les rendent éminemment propres aux professions exigeant autre chose que du travail manuel. La concentration de toute leur activité depuis vingt siècles sur les affaires d’argent a, par un effet d’hérédité, développé chez eux les capacités financières à un degré supérieur encore à celui que possèdent les Génois, les Écossais, les Genevois, les Arméniens, les Parsis.

Encore qu’ils aient leur bonne part des vices humains, les Juifs ont au moins conservé celles des qualités morales qui empêchent la désorganisation sociale ; ils observent à leur foyer la loi de la fécondité et attachent un grand intérêt à avoir une nombreuse postérité. Le nombre des enfants qu’a comptés chaque génération des Rothschild leur a toujours fait trouver parmi eux l’homme capable de diriger de si grandes affaires. Le respect des parents est profond et les familles juives puisent dans ce sentiment une force qui les préserve de la dissolution causée par les codes et surtout par l’esprit moderne.

Le vieil Mayer-Amschel Rothschild avait recommandé en mourant à ses cinq fils, réunis à son chevet, de demeurer fidèles à la loi de Moïse, de rester étroitement unis et de ne rien entreprendre sans consulter leur mère. « Observez ces trois préceptes, leur dit-il, et vous deviendrez riches parmi les plus riches et le monde vous appartiendra. » A son tour, Nathan Mayer, celui qui s’établit à Londres, et y créa la grande puissance de la maison, fit un testament par lequel il laissait de larges dots à ses filles, mais leur défendait de prendre aucune connaissance de l’état de sa fortune et leur enjoignait de ne se marier qu’avec le consentement de leur mère et de leurs frères. Même en France, le Code civil n’intervient guère dans les grandes familles juives. Elles se font leur loi de succession à elles-mêmes, comme les familles souveraines, et des mariages, conclus presque toujours dans le cercle de la descendance des cinq frères, ajoutent à la concentration des fortunes et à la solidarité des diverses branches des Rothschild.

Les israélites contemporains ne méprisent pas le travail. Leur faste ne dégénère jamais en prodigalité. Quelque riches qu’ils soient, toujours l’un ou l’autre de leurs enfants continue à s’occuper d’affaires, et on ne les voit pas, au bout de deux ou trois générations, liquider comme les maisons de banque dirigées par des chrétiens. Leurs filles ne vont pas non plus apporter dans des familles étrangères les monceaux d’or qu’ils ont accumulés. Nous avons dit combien éphémère était la fortune des Traitants et des Financiers de l’ancien régime. A peine étaient-ils parvenus, qu’ils mettaient un duc dans leur famille et faisaient de leur fils un grand seigneur. Avec cela, leurs trésors, dès la seconde génération, se dissipaient ou passaient dans des familles d’une tout autre condition et qui les faisaient très rapidement rentrer dans la circulation générale. Il en est tout autrement des hauts barons juifs contemporains. Tandis qu’autrefois la plupart des Israélites riches se convertissaient au christianisme, les Rothschild demeurent de stricts adhérents de l’orthodoxie israélite, et, à leur imitation, la Haute-Banque juive n’éprouve pas le besoin de se fondre effectivement dans les classes supérieures de la population chrétienne. Les relations mondaines établies entre elle et l’aristocratie européenne ne sont qu’un trompe-l’œil, auquel ni l’une ni l’autre partie ne se prend en réalité. Leurs alliances avec les chrétiens sont très rares, si ce n’est en Autriche-Hongrie, et là, au lieu de profiter au christianisme, elles ont plutôt pour résultat de faire absorber par la tribu juive les mauvais chrétiens qui les contractent. L’accumulation permanente d’une partie considérable de l’épargne publique par les grands financiers israélites a donc des conséquences sociales et économiques, qui, dans l’ancien régime, n’avaient point d’équivalent.

Mais il faut aller au fond des choses. Depuis des siècles, dans presque toutes les communautés juives, le Talmud a supplanté la Bible comme base de l’enseignement moral. Or le Talmud inculque l’idée que les obligations de la morale ne sont pas les mêmes entre Israélites et vis-à-vis des autres hommes. A proprement parler et pour tout ce qui touche à l’application de la loi, la qualité d’homme n’appartient qu’aux Juifs ; tous les non-juifs (Goim) sont considérés comme des bêtes vis-à-vis desquelles tout est permis : seuls les prosélytes (Ghérim) sont assimilés aux Israélites. La Ghemara fourmille de passages où les vertus de justice et d’équité, non seulement ne doivent point s’appliquer au chrétien, mais changent de nature et deviennent une faute s’il en est l’objet. Le traité Avoda-Zara défend en termes exprès de sauver de la mort un non-Juif, de lui rendre ses biens perdus ou d’avoir pitié de sa personne. La formule Kol-Nidrai, qui fait partie du rituel de la fête du Kilpour ou grand pardon, a pour effet de dégager l’Israélite de tous les engagements et serments qu’il pourrait avoir faits dans l’année. Au besoin, ses serments peuvent lui être remis, s’il le demande, par un tribunal composé de trois Israélites quelconques[31].

Les rabbins talmudisants disent, en outre, que, puisque la vie de l’idolâtre (et sous ce nom ils comprennent le chrétien) est à la disposition du Juif, à plus forte raison son bien ! Les possessions des chrétiens, d’après le Bava-Batra, sont comme un désert ou comme le sable de la mer : le premier occupant en sera le vrai propriétaire. Le traité Baka-Koumah porte littéralement ce qui suit :

Il a été enseigné ceci : lorsqu’un Israélite et un non-Juif ont un procès, tu donneras gain de cause à ton frère et tu diras au non-Juif : ainsi porte notre code. Si les lois des nations du monde se trouvent favorables à l’Israélite, tu lui donneras gain de cause encore et tu diras au non-Juif : ainsi porte votre propre code ; mais si nul de ces cas n’existe, il faut le harasser de chicane, jusqu’à ce que gain de cause reste à l’Israélite[32].

La spoliation systématique des chrétiens par ces divers moyens et notamment par l’usure est présentée dans tous les traités du Talmud, non seulement comme un acte méritoire, mais comme un devoir strict de conscience[33].

Jusqu’à quel point l’éducation reçue par les Israélites de la classe élevée dans les lycées ou les gymnases et l’influence des milieux dans lesquels ils entrent atténuent-elles ces enseignements, qui constituent le fond non seulement des lectures de la synagogue, mais de toutes les traditions domestiques, c’est là un problème délicat quand il s’agit d’un Israélite pris individuellement. Il est certain que plus d’un s’en dégage et observe cette honnêteté naturelle, qui parle constamment au cœur de chaque homme. Il s’est d’ailleurs formé de nos jours un courant très fort dans le judaïsme pour rejeter le Talmud et parfois aussi malheureusement les traditions mosaïques. L’écrivain qui a le mieux étudié l’influence sociale du Talmud reconnaît lui-même que « les atroces exigences de la foi talmudique se sont considérablement mitigées chez les Juifs nés dans les classes intelligentes et dans les régions les plus éclairées de l’Europe[34] ». Mais, quand on porte ses regards sur l’ensemble de la société contemporaine et que l’on voit le Juif supplanter peu à peu les chrétiens, élever sa fortune sur leur ruine, attirer à lui partout l’empire de la Bourse, et dans certaines régions monopoliser le commerce, on se demande s’il ne faut pas chercher dans cette morale différentielle le secret de l’étonnante puissance qu’il a acquise dans tous les pays où il a conquis l’égalité des droits civils et politiques.

La question se pose d’autant plus que l’Europe occidentale est envahie par une émigration juive venant de Russie, de Pologne, d’Allemagne, précisément des régions où les traditions talmudiques dominent encore absolument la synagogue. Les Israélites portugais, bordelais, italiens, hollandais, se sont, dans le monde des affaires, plus ou moins assimilés aux milieux dans lesquels ils vivent et leur développement n’a rien d’anormal ; mais l’Allemagne reçoit une immigration de plus en plus considérable d’Israélites issus des couches sociales les plus basses venues de Russie. A son tour, elle dirige, depuis le commencement du siècle, sur la France et sur les États-Unis, un nombre croissant de ces Juifs, déjà dégrossis par une certaine instruction, mais qu’une génération seulement sépare de la formation talmudique. Ils s’élèvent rapidement au-dessus des métiers de brocanteurs et de prêteurs sur gages, où leurs parents étaient confinés. De nouvelles maisons de banque surgissent parmi eux et grandissent, âpres et audacieuses, dans l’orbite de la puissante famille, qui, il y a cent ans, a pris la tête de la colonne avec tant de force et d’éclat. Les Israélites de souche allemande conquièrent une place de plus en plus grande, non seulement dans la banque, mais dans le commerce proprement dit, et même en Autriche dans l’industrie manufacturière. A Paris, il s’est formé depuis vingt ans, au centre des affaires, un quartier juif, de plus en plus compact, quoique l’absence dans les recensements à partir de 1876, de toute mention relative au culte empêche de suivre leur accroissement, comme il le conviendrait. Le même phénomène démographique se produit à New-York.

Un fait égal en importance à celui de la constitution de la Haute Banque juive, c’est la rapide élévation sociale des couches inférieures de la population Israélite en France, en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, aux États-Unis. Elle profite plus qu’aucune autre souche humaine de la diffusion de l’instruction et elle arrive à occuper dans la science et les arts, dans le commerce et dans l’industrie, dans les professions libérales et dans la politique, une place absolument hors de proportion avec son importance numérique.

VII. — Mais la question juive dépasse de beaucoup la portée d’une question économique, et, avant de l’aborder, il nous faut revenir en arrière dans l’histoire financière du siècle.

La redoutable multiplication des emprunts publics n’en est pas heureusement le seul trait. La fondation des premières grandes compagnies d’assurances, sous la Restauration, ainsi que des compagnies pour l’achèvement des canaux que l’Empire avait entrepris, fournirent, à cette époque, un nouvel aliment à l’épargne et aussi à la spéculation. Ce fut comme le prélude de l’ère des chemins de fer, qui, quelques années après, allait s’ouvrir.

Les actions de ces compagnies nominatives ou au porteur étaient pour la plupart d’un chiffre élevé, dit M. Frignet, habituellement de 5.000 fr. Elles atteignaient souvent 10.000 fr. et ne descendaient guères au-dessous de 1.000 fr. Leur placement se trouvait ainsi circonscrit à un très petit cercle de capitalistes. Les banquiers fondateurs les réservaient à leurs principaux clients. Quant à la masse des petits capitaux ainsi exclus des grandes compagnies financières, elle s’engageait avec empressement sous la forme de commandite simple. La plupart des fabriques et des établissements industriels, qui se sont élevés à cette époque et qui ont constitué par leur succès le principal élément de notre prospérité nationale, doivent leur existence au concours de ce genre d’associés… Quelques années après, l’association anonyme s’étendait à des entreprises purement industrielles, telles que la navigation à vapeur sur la Seine, le Rhône et la Saône, les chemins de fer du bassin de la Loire, l’extraction des minerais et des houilles, la fabrication du gaz, les omnibus.

En Prusse et dans la plus grande partie de l’Allemagne, le même mouvement amena la fondation de sociétés anonymes dans des conditions identiques[35].

En Angleterre en 1831 le Parlement remettait pratiquement à la Couronne le soin d’autoriser les sociétés anonymes en attendant que l’acte de 1862 rendît leur fondation libre à des conditions déterminées à l’avance par la loi (chap. v, § 4).

Chez nous, le cadre de la commandite devint bientôt trop étroit et l’obstacle que le Code de commerce opposait à la fondation de sociétés anonymes fut tourné par la commandite en actions. Les titres des sociétés formées sur cette base se montrèrent en grand nombre sur la Bourse à partir de 1832.

Les entreprises industrielles les plus diverses furent mises en sociétés de cette sorte. Une affaire était-elle douteuse, les fondateurs, pour échapper aux responsabilités personnelles que ce régime entraîne pour les directeurs de la société, mettaient à sa tête comme gérant un homme de paille. Les asphaltes, la fabrication des bougies eurent le don de surexciter les espérances des actionnaires, et leurs actions atteignirent des prix qui n’ont jamais été égalés depuis. Les actions des Asphaltes de Pyramond-Seyssel de 1.000 fr. valurent 10.260 fr. en 1838. Ce fut une éclosion d’entreprises fantastiques qui rappelait celle du South sea Bubble en 1720. M. Leroy-Beaulieu fait remarquer que la naïveté des actionnaires d’alors, appartenant tous à la haute bourgeoisie et aux professions libérales, dépassait encore celle des pauvres diables, qui de nos jours se laissent prendre aux prospectus des agences financières. Cette poussée d’agiotage correspondait à une expansion exagérée du crédit. La crise commencée en Angleterre en 1837 atteignit la France en 1838 et balaya sans merci toutes ces sociétés[36].

La construction des chemins de fers, qui commença à la même époque, traversa bien des vicissitudes, à cause de l’absence de plan suivi chez le gouvernement. Elle nécessita naturellement la fondation de grandes compagnies. Avant même qu’elles fussent constituées, les promesses d’actions donnèrent lieu à d’ardentes spéculations que les tribunaux durent reconnaître comme licites en vertu des principes généraux du Code. La constitution de la Compagnie du chemin de fer du Nord par les Rothschild, en 1845, fut accueillie avec une faveur telle qu’en quelques mois les actions mises à la disposition du public, et sur lesquelles 400 fr. avaient été payés, en valurent 800 fr. Les débuts des autres compagnies furent beaucoup moins brillants. La baisse, qui se produisit sur toutes ces actions en 1847 et en 1848, sous l’influence d’une disette, puis de la Révolution, fut exagérée, comme il arrive dans toute panique ! Ces entreprises étaient en effet fort sérieuses et ceux qui à cette époque n’ont pas douté de leur avenir ont fait preuve de cette sagacité qui est à la base de toute spéculation heureuse et honnête. Toutefois ce n’est que quand l’Empire eut en 1855 constitué les six grandes compagnies que la construction de notre réseau ferré fut assurée. C’est de ce temps également que date l’essor de nos grandes exploitations houillères. Les actionnaires de cette époque réalisèrent des bénéfices proportionnés à l’importance de la richesse créée. Les six grandes compagnies sont devenues des puissances financières et des forces sociales. Tout le réseau secondaire, le troisième réseau, les lignes stratégiques, qui complètent utilement l’outillage national, mais ne pourront pas payer un intérêt rémunérateur de longtemps, ont été exécutées par elles au moyen d’obligations émises avec des garanties d’intérêts par l’État. Ces titres sont devenus le placement favori de la bourgeoisie française et la plus-value graduelle du capital a compensé pour eux la faiblesse croissante du rendement comparativement au taux d’émission. La vente directe que les compagnies en font à la Bourse et dans les gares supprime toutes les commissions de banque, tous les abus qui se glissent dans les émissions.

L’établissement des grandes lignes de navigation, la transformation de l’outillage des grandes industries ont nécessité de puissantes concentrations de capitaux et la substitution dans de larges proportions des sociétés anonymes aux entreprises individuelles et aux commandites. Aux États-Unis, ce mouvement s’était produit plus tôt et plus rapidement que chez nous. En 1836, Tocqueville constatait, comme un trait qui les différenciait alors de l’Europe, la multiplication des sociétés par actions ou corporations, comme on les appelle, Les législations européennes finirent, nous l’avons vu, par se plier à ces conditions nouvelles des affaires, et, en France notamment, les lois de 1863 et de 1867 rendirent pleinement libre l’adoption par les entreprises industrielles de la forme anonyme.

VIII. — Pendant longtemps, en raison de la nature des opérations de banque, du secret qu’elles exigent notamment, il semblait qu’une maison de banque ne pouvait fonctionner que sous la direction d’un ou de plusieurs associés, recrutant tout au plus des commanditaires dans le cercle de leur famille ou de leur clientèle. Mais le désir de réagir contre la prépondérance acquise par la Haute Banque et en même temps la masse des capitaux cherchant des emplois nouveaux, ont provoqué, depuis une trentaine d’années, dans tous les pays, la formation de puissants établissements de crédit, organisés en sociétés par actions. Les États-Unis et le Canada depuis longtemps montraient par leur pratique que l’escompte et les autres opérations d’une banque de commerce n’étaient pas incompatibles avec la forme de société par actions[37]. Mais aucune de ces banques ne pouvait donner une idée de l’importance qu’allaient prendre en Europe les grandes sociétés de crédit[38].

L’idée première en remonte aux saints-simoniens ; ils rêvaient une organisation des diverses formes du crédit en monopoles concédés par l’État. La République de 1848 et le second Empire firent des applications partielles de ces théories, qui eurent au moins le mérite de frayer la voie à de nouvelles institutions.

Au lendemain des journées de Février, le crédit s’était arrêté brusquement par l’effroi que le nom de la République inspirait et par l’abstention systématique de la Haute Banque. Le gouvernement, pour venir au secours du commerce, fît instituer par les municipalités des Magasins généraux, dont les récépissés servirent à donner des marchandises en gage sans s’en dessaisir ; en même temps il créa à Paris le Comptoir d’escompte, puis une hiérarchie de sous-comptoirs professionnels et de comptoirs départementaux, qui devaient, avec des subventions de l’État, des départements et des villes, escompter le papier à deux signatures de leurs membres, sauf à le faire réescompter par la Banque de France[39]. L’expérience transforma heureusement ces institutions. Les Magasins généraux devinrent des institutions libres, qui ont popularisé en France le warrant (chap. vii, § 4), et le Comptoir d’escompte est devenu, en 1854, une grande société de crédit, qui a rendu beaucoup de services, malgré les embarras qui ont interrompu momentanément ses opérations en 1889.

Le second Empire appliqua le système du monopole aux opérations hypothécaires et organisa sur cette donnée, en 1856, le Crédit foncier de France. A côté de lui, les frères Pereire fondèrent, en novembre 1852, le Crédit mobilier comme société anonyme, faveur assez rare alors pour qu’elle pût être considérée comme un monopole. Son but était double : tout en faisant des opérations de banque ordinaires avec le produit de dépôts à vue ou à court terme, le Crédit mobilier fournissait leur capital à des affaires industrielles, souvent établies à l’étranger, au moyen de l’émission d’obligations à long terme. La conception était juste en elle-même, et le Crédit mobilier fonda effectivement à cette époque un grand nombre d’entreprises, dont quelques-unes ont prospéré. C’était le moment de la constitution des compagnies de chemins de fer ; il aida au placement dans le public de leurs actions. Mais ses directeurs abusèrent de l’engouement du public et de la faveur officielle pour faire monter artificiellement à la Bourse les valeurs qu’ils émettaient. Ils furent les initiateurs des pratiques devenues communes plus tard (chap. v. §§ 7, 8, 9). Sous cette impulsion, de 1852 à 1856, on vit se produire une fièvre de spéculation, dans laquelle les éléments sérieux et l’agiotage étaient mélangés et qui surprit l’opinion. Elle n’était pas encore blasée sur ce sujet comme elle l’est devenue depuis ! Ponsard, en 1856, donna à l’Odéon une comédie de mœurs, la Bourse, dont les allusions furent soulignées par les applaudissements du public. Un magistrat M. Oscar de Vallée, publia l’an d’après les Manieurs d’argent, livre courageux d’intention et d’une grande élévation morale. Proudhon fit de son Manuel du spéculateur à la Bourse (3e édition, 1857) un livre étincelant de verve, où il prenait texte de ces abus pour condamner la société. Son disciple Georges Duchesne continua son œuvre dans l’Empire industriel, histoire critique des concessions financières et industrielles du second Empire. Cependant des distributions irrégulières de dividende par plusieurs des sociétés fondées dans ces conditions avaient été dénoncées. Le gouvernement arrêta le cours des émissions du Crédit mobilier par un acte arbitraire, dont la législation alors en vigueur lui donnait le droit. En même temps, il laissa poursuivre Mirès, qui avait crée la Caisse des chemins de fer, comme commandite par actions, et qui rivalisait d’audace avec le Crédit mobilier. Ainsi que lui, il achetait la presse politique pour s’en faire un levier sur l’opinion ; mais, dans cette concurrence, il n’avait jamais eu complètement la faveur officielle et il devint le bouc émissaire de tous les péchés d’Israël augmentés de ceux des Gentils[40]. Ces premières expériences avaient habitué néanmoins le public à ce genre d’opérations et à cette nouvelle forme de banques. A côté du Crédit mobilier, transformé en une banque ordinaire, et du Crédit foncier, qui déjà faisait de la banque et de la spéculation, concurremment avec les opérations hypothécaires pour lesquelles il avait été créé, s’élevèrent successivement la Société de Crédit industriel et commercial (1859), le Crédit Lyonnais (1863), la Société des dépôts et comptes courants (1863), la Société générale pour favoriser le développement du commerce et de l’industrie en France (1864). Le gouvernement, qui jusqu’à la loi de 1867 devait autoriser les sociétés anonymes, donna les autorisations nécessaires, malgré la sourde opposition de la Haute Banque, autant par un libéralisme sincère chez l’Empereur que parce que ces nouvelles sociétés, en concentrant une grande quantité de capitaux épars, fournissaient un point d’appui aux souscriptions publiques des emprunts nationaux et aux conversions assez malheureuses faites à cette époque. Ces établissements, concurrement avec la Haute Banque, assuraient leur succès à l’avance par des arrangements avec le ministre des Finances.

La loi du 20 juin 1865, due à M. Emile Ollivier, qui naturalisa le chèque en France, contribua à répandre dans le pays l’habitude de déposer dans les banques les fonds libres ou capitaux disponibles au lieu de les garder enfouis dans des coffres-forts. En effet, avec le chèque, le déposant peut toujours facilement disposer de ses fonds. Un grand progrès dans la pratique de la banque fut ainsi réalisé et un champ nouveau s’ouvrit à l’action de ces établissements de crédit. Le Comptoir d’escompte eut le mérite de fonder un certain nombre d’agences à l’étranger, notamment en Chine, au Japon, en Australie, aux Indes, à Madagascar, ce qui est très utile au commerce national. Le Crédit Lyonnais a suivi cet exemple, principalement dans le Levant.

Pour bien apprécier le rôle que sont venus remplir ces nouveaux établissements, il faut remonter un peu en arrière et voir quelle était, il y a cinquante ans, la distinction entre la Haute Banque et les banquiers escompteurs ou de recouvrement. Un écrivain financier de l’époque l’exposait ainsi : [fin page514-515]

La Haute Banque ou aristocratie financière se composait d’hommes appartenant presque tous aux religions protestante et israélite et à des nationalités étrangères, notamment à l’Allemagne et à la Suisse. Réunis entre eux par groupes détachés, ils ont les préjugés, la discipline et la force d’un corps d’État, lors même qu’ils n’ont aucune affaire en cours de participation. Leurs opérations consistent en vente et achat pour le compte de tiers de lettres de change, de valeurs mobilières, de matières d’or et d’argent sur les marchés étrangers, voire de marchandises : ils y réalisent des profits assurés grâce à leurs relations intimes, à leur correspondance suivie entre eux et aux moyens que cette liaison leur permet d’effectuer des arbitrages de changes, de marchandises, de métaux sur les diverses places du monde. A ces opérations courantes et quotidiennes, mais en somme d’un résultat très modique, s’ajoutent l’organisation des sociétés industrielles, les soumissions ou souscriptions et emprunts d’états ou de villes, les avances temporaires à des compagnies ou à des particuliers, les ouvertures de crédit à l’étranger pour achats de matières premières, ou en France pour des entreprises de travaux publics, des syndicats d’intérêts similaires en vue d’exercer sur les marchés une pression favorable à une opération convenue de change, de fonds publics ou de marchandises, enfin, et comme conséquence finale, la spéculation sur toutes les valeurs quelconques. Les lettres de change acceptées ou endossées par la Haute Banque parisienne ont pour cause des exportations de marchandises en gros, des importations de matières premières, des accréditifs de banque ou des arbitrages de change ; elles ne comprennent pas ces expédients de crédit qu’on appelle circulation, dans le Levant girone. Elles sont la valeur la plus absolument sûre et fixe qui soit dans le commerce du monde : même pendant les révolutions ou les crises les plus violentes, ce papier est recherché, parce que c’est le seul qu’on puisse réaliser immédiatement en monnaie métallique, soit qu’on le négocie en France, soit qu’on le négocie à l’étranger.

Les banquiers escompteurs, soit de Paris, soit de la province escomptent ou recouvrent les lettres de change et billets à ordre civils ou commerciaux, fictifs ou sérieux, causés pour marchandises ou pour crédits et tirés par le commerce de gros sur le commerce de détail et sur les consommateurs… L’usage qui s’est introduit des offres de services sans cesse répétées, d’avoir des commis voyageurs, de s’arracher des affaires à coups de tarifs, les clients par des avances de caisse, fait descendre la fonction et affecte le caractère à la fois protecteur et vigilant que le banquier doit toujours conserver dans ses rapports avec le commerce… Cependant la banque provinciale a des allures plus larges dans les centres industriels, dans les ports de mer, dans les villes de premier ordre. Ses relations avec le haut commerce, les armateurs, les capitalistes l’amènent à lier à Paris et même avec l’étranger de véritables opérations de haute banque[41].

Les sociétés de crédit par actions, qui commençaient à s’établir à cette époque, ont cherché à réunir les fonctions de ces deux sortes de banques, en constituant sous le régime de l’anonymat des groupements de capitaux au moyen desquels elles essayent de se hausser au niveau des rois de la Finance.

IX. — Aujourd’hui encore la Haute Banque a conservé la même importance et elle a surtout pour fonction le commerce du change et les grandes émissions d’emprunts d’États[42]. A Paris, elle est représentée par les maisons Rothschild, Hirsch, Heine, Hottinger, Mallet frères, Marcuard-Krauss, Demachy et Seillères, A. Vernes, et en seconde ligne par les maisons André, de Neuflize, Bamberger, Blount, Cahen d’Anvers, Camondo, Éphrussi, Erlanger, Goguel, Gunzburg, Hoskier, Hentsch, Joubert, E. Pereire, baron de Soubeyran, Stern, Sulzbach, etc.

La Haute Banque a reconnu l’utilité du concours des nouveaux établissements de crédit ; car ils ont constitué leur clientèle aux dépens des petits banquiers escompteurs bien plus qu’ils n’ont empiété sur son domaine. Elle a plusieurs de ses membres dans leurs conseils d’administration et elle s’associe avec eux fréquemment dans des syndicats.

Les premières de ces sociétés avaient, pour la plupart du moins, conduit pendant longtemps leurs opérations avec sagesse et elles leur donnèrent une base solide dans des affaires de banque faites dans le pays. Cela assura leur clientèle. Malheureusement leur nombre s’accrut après la loi de 1867 ; surtout elles se multiplièrent d’une manière déraisonnable dans la période d’agiotage, qui aboutit au krach de janvier 1882. En avril 1881, on ne comptait pas moins de 44 sociétés de crédit françaises et de 7 étrangères opérant à Paris[43]. Chaque financier en créait une pour servir de paravent à ses opérations plus ou moins avouables. La chute de l’Union générale, de la Banque du Rhône et de la Loire, du Crédit de France, du Crédit général français, amenèrent la liquidation d’un grand nombre. En 1886, il ne restait plus une seule des sociétés de crédit fondées de 1878 à 1882.

Le mouvement de reprise des affaires, qui s’est produit à partir de 1887, a naturellement fourni un aliment à l’activité des grandes sociétés, et un certain nombre de nouvelles se sont créées[44]. Au 1er janvier 1891, M. Fournier de Flaix dans la Revue des Banques donnait le bilan de trente-cinq établissements de crédit de ce type à Paris et de douze en province. Dans cette liste se trouvent les plus grandes sociétés et d’autres qui confinent aux agences financières (chap. ix, § 16). En général les nouvelles fondations n’ont pas été heureuses et se sont montrées peu viables ; même plusieurs anciennes sociétés ont sombré ou sont tombées dans une décadence incurable. En effet leurs frais généraux sont énormes. Une étude basée sur les bilans de 1891 établit que, dans les institutions de ce genre de second ordre, la proportion des frais généraux aux bénéfices bruts varie de 20,50 p. 100 à 51,9 p. 100, et la proportion des frais généraux aux bénéfices nets de 25,79 p. 100 à 107,94 p. 100. La conclusion qui s’impose, c’est que la plupart de ces sociétés de crédit, pour éviter la faillite, doivent se fusionner entre elles ou se laisser absorber par les plus puissantes. On peut donc prévoir encore sur ce terrain un nouveau pas dans la voie de la concentration des entreprises.

En attendant, les grandes sociétés financières existant actuellement en France sont le Comptoir national d’escompte, le Crédit industriel et commercial, la Société générale pour favoriser le développement du commerce et de l’industrie, le Crédit Lyonnais, qui prend une place de plus en plus importante. Enfin à cette liste il faut bien ajouter le Crédit foncier. Ces établissements, au lieu de se faire concurrence comme autrefois, marchent de concert et sentent la nécessité de se soutenir les uns les autres pour éviter un run du public sur leurs dépôts à vue.

Ces sociétés ont des comptoirs dans les divers quartiers de Paris, et des succursales plus ou moins nombreuses en province. Elles s’y implantent en pratiquant l’escompte commercial à un taux plus bas que les banquiers locaux à qui elles font une concurrence très vive. Ces opérations, qui dans l’ensemble ne leur laissent guère de bénéfices, sont comme les articles sacrifiés pour les grands magasins[45]. Elles ont pour but de leur créer une clientèle dans laquelle elles placent leurs émissions de valeurs. Les capitaux qu’elles drainent dans toute la province — (souvent l’intérêt alloué aux dépôts des succursales est plus élevé que l’intérêt fait à ceux de Paris) — sont centralisés dans la capitale, où ils sont en grande partie employés en spéculations à la Bourse, en sorte que la banque et le commerce de province deviennent de plus en plus exsangues. Les petits industriels ne trouvent plus le même appui qu’autrefois chez les banquiers particuliers dont cette concurrence a limité les profits. Il devient très difficile d’organiser en province une affaire industrielle ou commerciale, exigeant un million par exemple, avec les ressources locales :il faut recourir aux établissements de crédit. Naturellement, ils prélèvent de grands avantages qui sont une lourde charge pour l’affaire.

Tout dépend pour ces sociétés de la réussite de leurs émissions. Elles sont forcées de servir de gros dividendes à leurs actionnaires à date fixe, sous peine de voir leurs actions baisser et leur crédit diminuer. Elles sont condamnées, peut-on dire, à de grands succès. Quand elles manquent une émission, elles gardent dans leurs caisses et font figurer à leurs inventaires des paquets de titres dont elles soutiennent le cours à la Bourse par un courant d’achats réguliers, ce qui augmente la grosseur des paquets.

Ces sociétés jouent un rôle utile parallèlement à la Haute Banque, et, en activant la circulation des capitaux, elles ont contribué à abaisser le coût du crédit ; mais dans leur propre intérêt on doit leur souhaiter des dividendes modérés et des cours moins élevés.

Elles ne sont point particulières à la France. Les mêmes causes ont amené la formation de sociétés semblables dans les autres pays. Il y a trente ans, W. Bagehot expliquait comment les conditions économiques modernes rendaient nécessaires de nouvelles méthodes en fait de banque[46]. C’est pour cela qu’en Angleterre, à côté des anciennes maisons en nom collectif se sont d’abord élevées les Joint stock banks, fondées pour la plupart de 1834 à 1855, et les banques par actions (limited), créées depuis l’act de 1862. Elles se substituent de plus en plus aux banques particulières (chap. v, § 5). Dans le royaume uni de la Grande-Bretagne, an 1877 le nombre des Joint stock banks était de 104. En 1890, il était de 115. Plusieurs banques anciennes avaient fusionné ; mais de nombreuses banques particulières se sont transformées en Joint stock banks. Leur capital souscrit était de 254.875.000 livres, sur lesquelles 73.004.000 liv. étaient payées.

Parmi ces Joint stock banks il s’est établi une sorte de hiérarchie et il en est huit (Alliance, Central, City, London- Joint stock, London and Southwestern, London and Westminster, National provincial, Union of London), qui, concurremment avec la Haute Banque proprement dite, tiennent la tête de ce marché des capitaux qu’on appelle Lombard-Street.

L’un et l’autre groupe, dans les circonstances particulièrement graves, agissent de concert avec la Banque d’Angleterre pour assurer à la circulation fiduciaire la confiance du public, sans laquelle la vie économique s’arrêterait brusquement dans le pays (chap. m, § 8). Le résultat de cette nouvelle organisation est aussi une concentration des capitaux de la province à Londres, qui fait baisser le prix de l’argent surtout au profit des reports de bourse et des autres emplois spéculatifs.

A Bruxelles, la Compagnie générale pour favoriser l’industrie nationale s’était constituée plusieurs années avant la société française, qui lui a emprunté son nom et ses méthodes[47]. Le Crédit mobilier, dans sa brillante période, a créé des institutions du même genre en Espagne, en Italie et en Autriche. L’Union générale créa à Vienne la Banque des pays autrichiens, qui lui a survécu et s’est fait une place entre le Credit Anstalt et le Boden credit, les deux banques rivales qui dominent la place. Là aussi la Haute Banque a fini par vivre en bon accord avec ces nouveaux établissements, qui, du reste, se mettent à sa remorque, et où l’élément israélite est fortement représenté. [fin page520-521]

En Allemagne, en 1890, on comptait trente-deux banques de crédit ou de spéculation. Les principales sont la Disconto-Gesellschaft, la Handelsgesellschaft, la Darmestetter Bank, la Deutsche Bank, la Dresdner Bank, la National Bank, auxquelles il faut ajouter l’antique Seehandlunggesellschaft. Ce sont ces banques qui ont fait la campagne de hausse de 1889 sur les valeurs houillères et sidérurgiques.

X. — Il est intéressant d’observer le développement des marchés financiers dans le cours du siècle et les changements qui se sont opérés dans leur puissance relative.

Après 1815, Londres, Amsterdam et Francfort étaient les trois grandes places qui dominaient l’Europe. Londres prit bientôt la tête. Paris était réduit à rien. Sous la Restauration et le gouvernement de Juillet, grâce à la puissance d’épargne de la nation, à la mise en valeur de ses ressources industrielles, aux nombreux étrangers qu’attirent chaque année sa capitale, ses stations hivernales et balnéaires, la France ramena la plus grande partie de sa dette entre les mains de ses citoyens ; elle fut en état de souscrire elle-même ses nouveaux emprunts et enfin elle put commencer à placer des capitaux dans les entreprises et les emprunts étrangers. Une ordonnance du 12 novembre 1823 avait déjà admis à la cote les fonds d’État étrangers. Néanmoins, en 1830, on ne cotait à la Bourse que deux fonds napolitains et l’emprunt espagnol de 1823. En 1848, deux emprunts belges et un emprunt romain s’ajoutaient seuls à cette liste si courte. C’est par le marché en banque que les capitalistes français faisaient alors quelques placements à l’étranger[48].

Il était réservé au second Empire de donner à la Bourse de Paris tout son essor et de la voir rivaliser avec Londres. Concurremment avec la Haute Banque, les nouvelles sociétés de crédit placèrent des fonds étrangers considérables, et, si quelques-uns de ces placements furent désastreux, beaucoup procurèrent des plus-values importantes aux capitalistes français. Le décret du 22 mai 1858 régla les conditions de l’admission à la cote des titres des chemins de fer étrangers. Les désastres de 1870 arrêtèrent pour une huitaine d’années cette marche ascendante du marché de Paris et les transactions relatives au payement de l’indemnité de guerre accrurent la prépondérance de Londres[49]. Mais le marché parisien se releva à partir de 1878. La Banque de France reprit alors ses paiements en espèces et elle a constitué le plus important réservoir d’or qui existe au monde actuellement.

Toutefois, Paris n’égale pas Londres pour l’importance des transactions financières. On cotait à Londres, en 1890, 2.482 valeurs, à Paris seulement 820.

La proportion est la même entre le chiffre annuel des émissions que certains statisticiens relèvent. Paris est surtout très inférieur à Londres comme place de liquidation pour les engagements internationaux. Londres, grâce à son système monétaire basé sur l’étalon d’or et à la grandeur du commerce britannique, a concentré le marché des métaux précieux, et presque tout le marché du change entre l’Europe d’une part, l’Extrême-Orient et l’Amérique du Nord de l’autre. On n’a qu’à jeter un coup d’œil sur les tableaux annuels de la direction des douanes pour voir que la France ne peut régler ses achats aux États-Unis, en Inde et en Chine que par l’intermédiaire de l’Angleterre. Il en est de même des autres pays de l’Europe. Des gouvernements étrangers, comme l’Allemagne et la Russie, ont constamment des dépôts considérables dans les banques de Londres pour assurer leurs opérations de Trésorerie.

Après les événements de 1870, le marché de Berlin, qui était très inférieur à celui de Francfort, a absorbé la plupart des éléments financiers de l’Allemagne et réduit la vieille capitale de la Banque à un rôle secondaire. Il est devenu un des grands marchés financiers du monde, parce que le développement des exportations allemandes et des grandes industries du pays a amené la constitution de capitaux disponibles assez importants. Le gouvernement ayant peu emprunté, au moins jusqu’à ces dernières années (chap. x, § 5), l’épargne du pays s’est engagée dans les fonds étrangers qui lui offraient des intérêts élevés. Les valeurs autrichiennes, les fonds russes, italiens, Scandinaves et en dernier lieu les fonds mexicains et serbes, voire les emprunts chinois, ont trouvé successivement bon accueil à Berlin et sur les autres places allemandes. En 1890, on ne cotait pas moins de 1.200 valeurs à la Bourse de Berlin. Ses règlements très libéraux sur l’admission à la cote des valeurs étrangères et les droits fiscaux beaucoup moindres que ceux qui existent en France sur les valeurs mobilières sont pour beaucoup dans ce résultat[50]. Le prince de Bismarck a compris le parti que sa politique pouvait tirer de cette extension du patronage financier de Berlin. Néanmoins, le marché allemand étant de date plus récente n’a pas la solidité de ceux de Londres et de Paris, et, après une période de grande excitation de 1887 à 1890, il est retombé au troisième rang, le seul qui lui appartienne.

Les autres bourses du continent, Hambourg, Amsterdam, Bruxelles, Bâle, Genève, suivent forcément les mouvements des trois grands marchés financiers. Bruxelles et Genève évoluent dans l’orbite de Paris, tandis que les bourses de la Suisse allemande gravitent autour de Francfort[51]. Vienne, il y a peu d’années encore, était dans la dépendance des marchés allemands. Le taux de l’argent (escompte et reports) y était toujours plus élevé de un ou deux points ; mais depuis quelques années la situation financière de la Cisleithanie s’étant améliorée (chap. x, § 5) et la richesse générale ayant progressé, des capitaux se sont formés dans le pays. Ils ont racheté une partie des fonds nationaux placés à l’étranger et ils ont absorbé plusieurs des émissions locales. En conséquence la Bourse de Vienne a pris des allures plus indépendantes dans la période agitée de 1890-1891 et l’on peut prévoir le jour où elle sera un marché autonome. Quant aux bourses des pays emprunteurs, elles sont absolument dans la dépendance des marchés des pays prêteurs ; elles n’ont d’importance que pour les transactions locales (chap. ix, § 5). Les bourses de Pétersbourg, de Madrid, de Barcelone, d’Athènes et des villes italiennes ne comptent pas, si ce n’est pour les transactions courantes sur les valeurs nationales et pour l’agio sur le papier-monnaie. Il faut excepter Milan, qui, situé au milieu de populations très intelligentes et fort laborieuses, dispose d’une certaine quantité d’épargnes, et où quelques fortes maisons de banque servent de lien entre les places allemandes et le reste de la péninsule.

En Amérique, la bourse de New-York joue vis-à-vis des autres places de l’Union le même rôle que Londres, Paris et Berlin en Europe. C’est à 1792 qu’il faut remonter pour trouver à New-York les premiers linéaments d’un Stock-Exchange. L’organisation de la Banque a précédé celle de la Bourse et elle était assez développée pour qu’après divers essais, en octobre 1853, le bankers clearing house pût être inauguré. Quant au Stock-Exchange, il n’eut en réalité d’importance qu’à partir de la Sécession ; c’est alors que les grands banquiers s’y réunirent pour soutenir le crédit de l’Union. En 1865 il était assez puissant pour se faire construire un palais (chap. ix, §7). A partir de 1879, quand les paiements en espèces ont été repris et qu’un vif élan a été donné à la construction des chemins de fer, il a pris un nouveau développement. Les 160.000 milles de chemins de fer des ÉtatsUnis représentent un capital de 9 milliards de dollars, qui a été d’abord émis à New-York. Mais à cette époque Wall-Street ne jouait encore qu’un rôle d’intermédiaire entre les États-Unis et l’Europe, particulièrement l’Angleterre[52]. Les chemins de fer n’ont pu être construits qu’avec l’aide des capitaux européens ; récemment un grand nombre d’affaires industrielles, brasseries, minoteries et autres, ont été amalgamées en grandes sociétés par des capitalistes anglais. Ces valeurs sont cotées à New-York ; mais la majorité des titres est en Angleterre. C’est là aussi que l’on cherche à écouler les emprunts émis par les municipalités et les États particuliers. Toutefois New-York est graduellement devenu un centre de formation de capitaux et une place où l’or peut s’accumuler. Le taux de l’argent pour les reports et l’escompte à court terme y est actuellement presque aussi bas que sur les grands marchés européens[53]. A la fin de 1891 et pendant les premiers mois de 1892, New-York a pu racheter des quantités énormes d’actions et d’obligations de chemins de fer et fournir une contrepartie aux ventes que les banquiers de Londres ont fait pour alléger leur situation. C’est New-York aussi qui a fourni à l’Autriche presque complètement l’approvisionnement d’or dont elle a besoin pour sortir du papier-monnaie[54]. Assurément, New-York n’est pas encore un marché comparable à Londres ou à Paris, et la preuve en est dans le fait qu’aucune valeur étrangère n’y est cotée, si ce n’est les actions des chemins de fer mexicains, qui sont des entreprises américaines organisées avec des capitaux anglais. Mais, avec le temps, il deviendra leur égal.

La multiplication des grands marchés financiers est une chose heureuse[55] : ils peuvent se secourir mutuellement en cas de crise Si l’endettement des grands États européens ne préparait pas des catastrophes, l’organisation actuelle des marchés financiers rendrait les crises monétaires moins redoutables que par le passé. Leur étroite relation rend très désirable l’établissement d’une législation internationale sur les titres perdus ou volés, sur les négociations et transmissions de coupons et de valeurs mobilières[56].

Les bourses de Rio-de-Janeiro, de Buenos-Ayres, de Montevideo ont de l’importance uniquement pour leur pays respectif. Le régime du papier-monnaie y donne une activité extraordinaire aux spéculations sur l’agio de l’or, sur les cedulas hypothecarias et autres valeurs plus ou moins sûres. Il se passe sur ces bourses-là des scènes qui rappellent celles du Directoire, et au milieu de ruines multipliées des fortunes soudaines s’élèvent. On y a tous les inconvénients sociaux de la Bourse sans en avoir les avantages économiques.

XI. — L’ouverture des pays neufs à la civilisation européenne procure de nouvelles sources de richesses à la Haute Banque.

L’exploitation des gîtes diamantifères et des mines d’or de l’Afrique australe, du nickel de la Nouvelle-Calédonie, du cuivre de l’Australie, l’ouverture du Congo au commerce, exigent des mises de fonds considérables et ne peuvent donner de résultats pécuniaires satisfaisants qu’après un temps assez long et qu’au moyen d’une organisation économique puissante.

Dans les siècles précédents on constituait en pareil cas des compagnies de commerce privilégiées ; car alors comme aujourd’hui ces entreprises dépassaient les moyens d’action des particuliers et des sociétés ordinaires. Ces compagnies furent presque toutes mal administrées et donnèrent des résultats financiers fort médiocres. Les grands capitalistes qui de nos jours dirigent avec la pleine liberté de leur jugement les entreprises auxquelles nous faisons allusion, le font avec une grande supériorité. Ils remplissent là une fonction économique très utile et leur caractère cosmopolite n’est pas pour y nuire. Les combinaisons industrielles qui semblent une nécessité dans certains cas (chap. vIII, § 6) en sont singulièrement facilitées. A mesure que les vieux pays s’épuisent, ils transportent dans ces champs lointains leurs capitaux, et y mettent en œuvre leur capacité. Ils échappent ainsi à la baisse de l’intérêt et à la dépréciation des outillages anciennement engagés.

La fondation de banques ou de sociétés de crédit foncier sous la forme anonyme est aussi un des moyens par lesquels les grandes maisons européennes exercent leur action dans les pays nouveaux où il faut à la fois importer des capitaux et créer un organisme financier.

Elles se sont ainsi constitué des fiefs en Amérique et bientôt ce sera en Afrique qu’elles étendront cette royauté de l’argent.

Par un accord tacite elles évitent d’empiéter sur le domaine les unes des autres. Le Brésil appartenait en ce sens aux Rothschild. La maison Gibbs a la main dans toutes les affaires mexicaines. Les Baring s’étaient, malheureusement pour eux, assuré le monopole de la République Argentine et de l’Uruguay.

Si nous devions raconter comment se traitent les affaires dans les pays nouveaux, nous serions entraînés trop loin. Avec un peu d’histoire et beaucoup d’imagination, nous nous faisons un tableau patriarcal de ce que fut la juventus mundi dans les pays classiques. Mais dans toutes ces jeunes républiques le gouvernement parlementaire en s’alliant avec les faiseurs d’affaires, les contratistas, comme on dit dans l’Amérique espagnole, produit un état moral, qui est tout l’opposé de celui que Fénelon ou Tolstoï nous décrivent. [fin page528]

  1. Pendant la fermeture de la Bourse, les spéculateurs se réunissaient cependant au Palais-Royal et dans la rue Vivienne pour établir les cours des assignats, par rapport au numéraire. Du 23 août 1795 au 19 novembre 1796, la cote des fonds publics fut en assignats. Le 28 mai 1796 une inscription de 5 livres de rente était cotée 600 livres ; il est vrai que ces 600 livres ne valaient ce jour-là que 1 fr. 50 en numéraire. V. A. Courtois, Tableau des principales valeurs négociées et cotées aux bourses de Paris, Lyon et Marseille, du 17 janvier 1797 jusqu’à nos jours. 3e édit., in-4, 1882 (Guillaumin).
  2. V. A. Courtois, Histoire des Banques en France, pp. 98-107 ; René Stourm, les Finances de l’ancien régime et de la Révolution (Guillaumin, 1885), t. II, pp. 306-343. Cf. Vuhrer, Histoire de la dette publique en France, t. I, p. 424.
  3. Histoire des grandes opérations financières (Paris, 1851-1855), t. II.
  4. En mai 1795 notamment, les biens nationaux furent offerts en vente directement et sans enchères pour trois fois leur valeur de 1790 en assignats, qui à ce moment ne valaient que 6 p. 100. On donnait ces biens en réalité pour le cinquième de leur valeur nominale. « Pour certains biens, on vit jusqu’à plusieurs centaines de soumissions. A Charenton, il en fut fait 860 pour un domaine provenant des Pères de la Merci ; il en fut fait jusqu’à 500 pour un autre. On encombrait les hôtels des districts. De simples commis, des gens sans fortune, mais dans les mains desquels se trouvaient momentanément des sommes en assignats, couraient soumissionner les biens. Comme ils n’étaient tenus de payer sur-le-champ qu’un sixième, et le reste dans plusieurs mois, ils achetaient, avec des sommes minimes, des biens considérables pour les revendre avec bénéfice à ceux qui s’étaient moins hâtés. Grâce à cet empressement, des domaines, que les administrateurs ne savaient pas être devenus propriétés nationales, étaient signalés comme tels. » A. Thiers, Histoire de la Révolution française (13e édit. t. VII), p. 243.
  5. Journal d’économie publique, de morale et de politique, par Rœderer, n° de vendémiaire an VI, cité par R. Stourm, les Finances de l’ancien régime et de la Révolution, t. II, p. 345.
  6. V. la Dot de Suzette par Fievée. L’auteur l’a écrit en 1797 et il met en cène un enrichi de ce temps. Fievée avait des qualités sérieuses d’observation.
  7. R. Stourm, ibid., t. II ; p. 349 et les chapitres intitulés : Corruption des fonctionnaires et Esprit financier des Jacobins.
  8. Ce fut la loi de finances du 28 avril 1816, qui, moyennant l’augmentation des cautionnements, reconnut le droit de présentation aux agents de change comme aux autres officiers ministériels, et, par un retour aux procédés de l’ancien régime, fit de leurs fonctions des charges vénales et héréditaires auxquelles le législateur ne peut pas plus porter atteinte, sous prétexte de réforme, qu’à toute autre propriété privée, si ce n’est moyennant une juste indemnité.
  9. V. Les Mémoires d’un ministre du Trésor, par Mollien, tomes I et II.
  10. Le produit annuel des taxes monta de 17.170.400 livres, sterl. en 1794 à 76.991.000 liv. st. en 1816.
  11. Leroy-Beaulieu, Science des finances (4e édit., t. II), p. 335.
  12. Buchanan, dans ses notes sur la Richesse des nations d’Adam Smith (liv. IV, chap. i), indique par quels procédés ces vastes opérations purent s’accomplir : « Il est évident que des envois considérables de subsides à l’étranger ne peuvent s’effectuer par une exportation d’argent monnayé : il est constaté d’ailleurs par des rapports de douane qu’une grande partie des dépenses extérieures de ce pays pendant la dernière guerre fut défrayée par l’exportation des marchandises. A partir de l’année 1797, des traites pour le payement des troupes furent expédiées pour le continent de l’Europe, des subsides considérables furent envoyés à l’Empereur d’Autriche et à d’autres princes d’Allemagne. On s’était toujours procuré les fonds nécessaires par des exportations de marchandises et d’espèces. Les envois pour l’Allemagne seule, par exemple, qui pendant la paix avaient été d’environ 1.900.000 livres sterling (47.500.000 fr.), s’élevèrent pendant les années 1795 et 1796, époque où des remises furent envoyées en Autriche, à plus de 8.000.000 livres sterling (200.000.000 fr.) Le prêt accordé à l’Empereur en 1795 s’éleva à 4.600.000 livres sterling (115.000.000 fr.) et M. Boyd, qui avait été chargé de la remise de cette somme, rapporte qu’une partie s’élevant seulement à 1.200.000 livres sterling (30.000.000 fr.) avait été faite en monnaies étrangères et en lingots ; le reste fut effectué par des envois de traites. Il fallait nécessairement varier le mode de la remise selon l’état du change. Des lettres de change furent achetées, selon les circonstances, sur Madrid, Cadix, Lisbonne, de préférence à des envois de lingots ou à des remises directes sur Hambourg. M. Boyd, dans les explications données au comité secret de la Chambre des lords en 1797, dit : « C’est en ne demandant à aucun des moyens de remise rien au delà de ce qu’on pouvait raisonnablement en attendre, que nous sommes parvenus à mener à bonne fin une opération aussi importante, sans amener des variations notables dans le cours du change. » Les changes furent généralement favorables à l’Angleterre pendant cette période.
  13. V. A. Vuhrer, Histoire de la dette publique en France, t. II, pp. 65-99 et 169. Les accroissements du chiffre de la dette publique à la charge personnelle du gouvernement de la Restauration peuvent être évalués en rentes à 8.634.304 fr. et les diminutions opérées par lui à 63.640.488 fr., d’où il ressort une réduction effective de la dette publique de 55.006.184 fr. sur le total des rentes que les gouvernements précédents avaient laissées à sa charge.
  14. 52 fr. 50 — 55 fr. 80 — 61 fr. 50 — 64 fr. 50 — 67 fr. 50 pour les emprunts en rentes 5 p. 100 émis en 1817 et 1818, — 85 fr. 55, pour l’emprunt 5 p. 100 du 9 août 1821.
  15. D’après Capefïgue, op. cit., t. III, p. 113, M. de Villèle fut aussi porté à s’adresser aux Rothschild « pour échapper à la fois à la banque libérale et révolutionnaire représentée par Lafitte et Casimir Perier et à la banque timide et exigeante de Genève et Neufchâtel représentée par Delessert, Mallet, Hottinger ».
  16. Rentes 5 p. 100 adjugées le 10 juillet 1823 à 89,55 ; rentes 4 p. 100 adjugées en janvier 1830 à 102,075 ; rentes 5 p. 100 adjugées à 84 fr. le 19 avril 1831 ; rentes 5 p. 100 adjugées à 98 fr. 50 le 8 août 1832 ; rentes 3 p. 100 adjugée à 84 fr. 75 cent, et 75 fr. 25 en 1841, 1844, 1847 (Cf. chap. x, § 5).
  17. John Reeves, the Rothschilds, the financial rulers of nations, (London, 1887).
  18. Une des conversions les plus honorables de cette époque est celle de l’économiste David Ricardo. Il fut exhérédé par son père ; mais il devint plus tard un des membres les plus considérés de la Chambre des communes.
  19. V. Lehmann, l’Entrée des Israélites dans la société française (6e édit. 1886, Lecoffre), pp. 99.100. Sur la condition des Juifs en Allemagne à cette époque, V. Graetz, Geschichte der Juden (Leipzig, 1868), t. X pp. 29 à 51 et t. XI.
  20. Le général Marbot (Mémoires, Plon, 1891, t. I, pp. 310-311), qui parait très bien informé de toutes les circonstances de cette affaire, dit que le dépôt fait par l’électeur de Hesse-Cassel en 1806, au vieux Rothschild était de quinze millions en espèces. « Les intérêts de cet argent devaient appartenir au banquier qui ne serait tenu qu’à rendre le capital… Une commission impériale se rendit chez celui-ci dont la caisse et les registres furent minutieusement examinés. Mais ce fut en vain… Les menaces et l’intimidation n’eurent aucun succès, de sorte que la commission, bien persuadée qu’aucun intérêt mondain ne déterminerait un homme aussi religieux que Rothschild à se parjurer, voulut lui déférer le serment. Il refusa de le prêter. Il fut question de l’arrêter ; mais l’Empereur s’opposa à cet acte de violence… Ne pouvant vaincre la résistance du banquier, on espéra le gagner par l’appât du gain. On lui proposa de lui laisser la moitié du trésor, s’il voulait livrer l’autre à l’administration française. Celle-ci lui donnerait un récépissé de la totalité, accompagné d’un acte de saisie prouvant qu’il n’avait fait que céder à la force, ce qui le mettrait à l’abri de toute réclamation ; mais la probité du juif fît encore repousser ce moyen et de guerre lasse on le laissa en repos… En 1814, l’Electeur étant rentré dans ses états, le banquier Francfortois lui rendit exactement le dépôt qui lui avait été confié. Vous figurez-vous quelle somme considérable avait dû produire dans un laps de temps de huit années un capital de quinze millions entre les mains d’un banquier juif et Francfortois ?»
  21. Une maison Israélite, les frères Goldsmid, avaient dominé le marché de Londres de 1792 à 1810, époque où ils se ruinèrent. A leur arrivée ils avaient supplanté les vieilles maisons de banque nationale, les Curtis, les Dorrien, les Grote et les Boldero, d’origine portugaise, qui avaient tenu la tête du marché de Londres pendant le xviiie siècle. En 1810, les Goldsmid possédaient 8 millions de liv. st. Ils furent comme les précurseurs des Rothschild. V. John Francis, la Bourse de Londres (trad. française), pp. 188-194.
  22. D’après M. John Reeves la manœuvre favorite de Nathan Mayer consistait à faire faire par ses brokers attitrés un certain nombre d’opérations en sens inverse de celles qu’il voulait effectuer, de manière à précipiter dans ce sens-là les cours, parce que la masse des spéculateurs cherchait à l’imiter. Pendant ce temps il faisait faire ses opérations réelles en quantités bien plus fortes par des brokers qu’on ne pouvait soupçonner d’agir pour son compte. V. le récit de sa spéculation après Waterloo, chap. ix, § 15.
  23. Frignet, Histoire de l’Association commerciale, p. 346. Les conditions dans lesquelles fut émis l’emprunt prussien de 1818 étaient aussi onéreuses que celles faites à la Restauration. Le montant nominal de l’emprunt était de 5 millions de liv. st., émis en 5 p. 100 ; mais le crédit du gouvernement était si bas qu’il ne put en obtenir des Rothschild que 70 p. 100 pour la première moitié, 72 1/2 p. 100 pour le 3e quart et 75 pour le dernier quart. Encore ne fut-il pas complètement souscrit, malgré un amortissement rapide promis aux souscripteurs. V. John Reeves, the Rothschild, p. 74.
  24. Le père des Belmont de New-York était un Israélite allemand appelé Schœnberg, qui, en arrivant, aux Etats-Unis donna une forme normande à son nom
  25. Ainsi, en 1825, quand, après une période de vive spéculation une crise éclata à Londres, Nathan-Mayer Rothschild soutint le marché en achetant toutes les valeurs qu’on offrait à des prix raisonnables et il appuya la Banque d’Angleterre elle-même qui était compromise. En 1875, le Spectator dans un article qu’a traduit la Revue britannique, a fort bien décrit la fonction du gouvernement financier du monde qu’a assumée la maison de Rothschild et qu’elle défend contre tout nouveau venu, comme le ferait un souverain légitime vis-à-vis d’usurpateurs.
  26. John Reeves, pp. 129-130, indique comment Anselm Rothschild, à Francfort, écrasa toutes les maisons de banque qui essayaient d’entrer en concurrence avec lui. Plus loin, pp. 266-268, il raconte la lutte qui éclata sur le marché de Paris en 1834, entre les Rothschild et six maisons de banque syndiquées, savoir J. Hagermann, André et Cottier, B.-A. Fould et Oppenheim, J.-A. Blanc, Colin et Cie, Gabriel Odier et Cie, Wells et Cie. L’objet de leur rivalité était l’émission des emprunts des gouvernements italiens dont les Rothschild prétendaient avoir le monopole. Les banquiers syndiqués leur avaient enlevé l’émission d’un emprunt piémontais. Les Rothschild provoquèrent une baisse générale à la Bourse de Paris, qui les empêcha de recueillir les bénéfices qu’ils en avaient espérés. Le gouvernement pontifical ayant offert à ces mêmes banques de se charger d’une opération de conversion, les Rothschild, aidés par Torlonia, firent rompre la négociation à Rome. Un accord intervint du reste entre eux et les banques syndiquées, quand celles-ci eurent fait leur soumission, M. John Reeves raconte comment, par des manœuvres semblables, à diverses époques, ils écrasèrent à Londres et à Vienne tous ceux qui osèrent se poser comme leurs rivaux.
  27. V. Otto Glagau, Die Reichesnoth und der neue Kulturkampf (Osnabruck, 1885, 3e édit.).
  28. Le Figaro du 19 septembre 1890.
  29. V. Lehmann, l’Entrée des Israélites dans la société française.
  30. Fourier, dans la Théorie de l’Unité universelle, publiée en 1838 (I, 167-170), se plaignait que les nations modernes eussent admis au droit de cité les Juifs « qui sont des improductifs et des parasites tous adonné au trafic et nullement à l’agriculture, gens qu’une politique éclairée aurait exclus comme contagion sociale ». Dans Le Nouveau monde industriel et sociétaire (1829), il disait déjà :« la nation juive n’est pas civilisée : elle est patriarcale ; n’ayant point de souverain, n’en reconnaissant aucun en secret et croyant toute fourberie louable, quand il s’agit de tromper ceux qui ne pratiquent pas sa religion…Tout gouvernement qui tient aux bonnes mœurs devrait y astreindre les Juifs, les obliger au travail productif, ne les admettre qu’en proportion d’un centième pour le vice… » V. ces passages dans les Œuvres choisies de Fourier, pp. 70-71, par M. Ch. Gide (Petite bibliothèque économique de Guillaumin).
  31. Ce trait, qui paraît extraordinaire à première vue, témoigne de la haute antiquité de ces coutumes. La procédure anglaise exige dans certains cas que le jury soit complété par les premiers citoyens qu’on rencontre, tales quales, selon l’expression de la Common law.
  32. Nous empruntons ces citations à l’ouvrage : le Juif, le Judaïsme et la Judaïsatïon des peuples chrétiens, par Gougenot-Desmousseaux (1re édition. Paris, Plon, 1869 ; 2e édition, Wattelier, 1886). Aucune contradiction n’a pu être élevée contre cet ouvrage, le plus sérieux qui existe sur ce sujet.
  33. Le trait suivant de l’enfance du jeune Libermann, devenu depuis chrétien et prêtre, montre comment cet enseignement est mis en pratique. « Un jour, le jeune Jacob fut envoyé par ses parents chez une voisine chrétienne, pour lui demander à changer une pièce de monnaie. Il se sentit inspiré de profiter de l’occasion, et sut faire glisser dans sa petite main deux sous habilement dérobés à « l’infidèle », conformément aux préceptes du Talmud. C’était là, à son sens, un acte de religion dont il aima ensuite à se glorifier, aux applaudissements de la famille et surtout de son chef, qui se plut à voir dans cette pieuse prouesse d’enfant un gage de futurs et plus importants exploits. » Vie du P. Libermann (Paris, Sarlit, 1878), p. 6.
  34. Gougenot-Desmousseaux, le Juif, le Judaïsme (2e édit.), p. 131.
  35. Frignet, Histoire de l’Association commerciale, pp. 341-344, 348, 353.
  36. Essai sur la répartition des richesses, chapitre xii. Cf. Clément Juglar, Des crises commerciales et de leur retour périodique, pp. 411 et suiv.
  37. Sur le développement graduel des banques par actions en Amérique, V. le curieux ouvrage de J.-S. Gibbons, the Banks of New-York, their dealers, the Clearing-House and the panic of 1857, with a financial chart (New-York, 1859).
  38. Aux Etats-Unis, les banques d’escompte et d’émission sont des entreprises moyennes comme importance de capital. Leur nombre même l’indique. En 1890, on comptait 3.567 banques nationales et un nombre presque égal de banques d’Etat et de banques privées. La Haute Banque existe aussi à New-York. Elle est représentée par des maisons de premier ordre qui peuvent marcher de pair avec la Haute Banque européenne, sauf les Rothschild. Tels sont les Drexel and Morgan, que commanditent les Vanderbilt, Bliss and Morton, Lazard frères, Seligman, Corbin. Plusieurs sont Israélites. Ces grands banquiers font surtout le commerce du papier de change et des métaux précieux, ainsi que les arbitrages de bourse.
  39. V., sur cette période de l’histoire des banques en France, A. Courtois, op. cit., pp. 172 et suiv.
  40. V. sur les événements financiers de cette époque, dans le Correspondant du 25 octobre 1861, un article de notre regretté ami François Beslay, la Spéculation à propos des derniers procès financiers ; dans les Œuvres judiciaires de M. Ernest Pinard (Pedone-Lauriel, 1885), ses réquisitoires dans l’affaire des Docks Napoléon, et dans l’affaire Mirès ; dans les Plaidoyers de Berryer, l’affaire du Crédit mobilier.
  41. Etude sur les Banques françaises, dans le Correspondant de mars 1861.
  42. La Haute Banque est amenée, à Paris comme à Londres et à Amsterdam, à faire des opérations d’achat pour l’importation et de vente pour l’exportation de métaux précieux par suite même de son grand commerce de change. Mais il y a aussi des maisons qui s’occupent spécialement du commerce des métaux précieux. Tels sont les Boissevain à Amsterdam, les Allard à Bruxelles et à Paris. A Londres, le Metal produce Exchange s’occupe aussi du commerce de l’argent depuis 1890. On y règle les affaires par les procédés usités dans les caisses de liquidation des affaires en marchandises (chap. vii, § 14).
  43. Journal des Economistes de juin 1881 : Un côté de l’histoire financière contemporaine, le développement des institutions de crédit, par Blaise des Vosges.
  44. Nous ne comprenons pas dans cette liste la Banque de Paris et des Pays-Bas, parce qu’elle ne reçoit pas de dépôts du public et n’a pas de succursales en province. C’est une union de maisons de la Haute Banque de Paris, d’Amsterdam et de Genève, qui l’a constituée comme une sorte de syndicat permanent et un instrument commode pour les émissions.
  45. V. dans l’Economiste français du 15 février 1879 un article de R. Robert Bénédic sur la concurrence que les grandes sociétés de crédit font aux petites banques.
  46. V. Lombard-Street, chap. ix et x. Cpr. the Economist, 20 et 27 juin 1891 : the increasing absorption of the private banks.
  47. En 1860, un financier aventureux, Langrand-Dumonceau, fonda à Bruxelles un groupe de huit ou dix sociétés ; dont la conception première rappelait celle du Crédit mobilier, des frères Pereire. La principale de ces sociétés, le Crédit foncier international, succomba en 1868, dans des circonstances qui présentent beaucoup de traits de ressemblance avec la chute de l'Union générale. Son objectif était de créer en Belgique un centre international pour commanditer des entreprises et faire des affaires de crédit en Autriche, en Hongrie, en Turquie, c’est-à-dire dans les pays qui, à cette époque surtout, réclamaient des capitaux étrangers pour sortir de leur état arriéré. Indépendamment des fautes commises dans la gestion de ces sociétés, fautes qui furent personnelles à Langrand-Dumonceau, quoique la passion politique ait cherché à calomnier leurs administrateurs, il y avait une disproportion évidente entre l’importance des opérations entreprises et les capitaux réunis par un groupe de personnes, qui étaient étrangères en réalité au monde des affaires.
  48. M. A. Courtois, Tableau des cours des principales valeurs, ajoute à cette énumération, en 1830, l’emprunt d’Haïti, les consolidés anglais, les 5 p. 100 métalliques autrichiens, et en 1848 un fonds grec, un fonds de l’Etat d’Ohio, des fonds Portugais, Sardes et Toscans ; mais, ainsi qu’il le dit, il a ajouté à la cote officielle les cours indiqués dans diverses publications périodiques.
  49. V. W. Bagehot, Lombard Street (trad. franc.), pp. 31-33, 138.
  50. V. J. Siegfried et Raphaël-Lévy, Du relèvement du marché financier français (Guillaumin, 1890) et l’Economiste français du 24 novembre 1888. La matière est réglée en France, actuellement par l’art. 9 de la loi du 23 juin 1857 et le décret du 6 février 1880.
  51. En 1890 et 1891, M. Goldberger, de Berlin, directeur de l’Internationale Bank, a créé plusieurs banques à Milan, à Saint-Gall, à Zurich, à l’aide desquelles il accapara les actions des chemins de fer du Jura, de la Suisse occidentale et du Central-Suisse. Il avait revendu les premières avec un gros profit à la Confédération ; mais le peuple a repoussé la vente des actions du Central-Suisse. Il s’en est suivi en décembre 1891 un krach qui a emporté une demi-douzaine de banques de la Suisse allemande. V. le Soleil du 11 décembre 1891 et 1er janvier 1892 et l’Economiste français du 16 janvier 1892.
  52. V. the Banks of New-York, par J.-S. Gibbons, chap. xviii, et the Stock Exchanges of London, Paris and New-York, par Gibson, chap. ix.
  53. V. the Economist, 27 février 1892 : the international level of money.
  54. V. the Economist, 5 mars 1892, et le Correspondant du 25 janvier 1892.
  55. V. Arthur Crump, the Theory of speculation, pp. 76-77, 81. A cause de la différence du temps, la cote du Stock Exchange, à Londres, à deux heures de l’après-midi, est reçue à New-York à dix heures du matin, avant l’ouverture des opérations dans Wall-Street.
  56. V. une communication en ce sens de M. A. Neymarck à la réunion de l’Institut international de statistique, à Vienne, en octobre 1890.