Le premier Hâ du Yasna fait passer en revue presque tout le panthéon mazdéen. Un grand nombre des divinités invoquées forment des groupes naturels et il importe de les considérer dans le groupe dont elles font partie, si l’on veut saisir clairement leurs fonctions et leurs rapports. Tels sont le groupe d’Ahura et des Amesha-Speñtas (invoqués dans le § 1) et le groupe des Génies du temps (Génies du jour avec leurs auxiliaires, §§ 3-7 ; Génies des mois, § 8 ; Génies des fêtes de saison, § 9). Nous réunirons ici brièvement les détails essentiels sur ces divers groupes, renvoyant au commentaire du texte et à l’Appendice au Sîrôza (vol. II) pour les détails plus spéciaux, et nous abstenant pour l’instant de toute considération sur l’origine lointaine et la formation des divinités considérées.
Appendice A. — Ahüra Mazda et les Amesha-Spentas
Ahura Mazda. — Speñta Mainyu et Añgra Mainyu. — Vohu Manô, Asha Vahishta, Khshathra Vairya, Speñta Ârmaiti, Haurvatàt, Ameretât.
Ahura Mazda est le dieu suprême du Mazdéisme ; les divinités secondaires, Amesha-Speñtas et Yazatas, sont sa création. Il est le créateur par excellence :
dâtar,
dadhvaô. Il est tout pouvoir et toute science, et
ces deux caractères lui ont donné son nom :
Ahura 1[1] « le Seigneur »,
Maz-dào 2[2] « le grand sage ».
Il n’a créé que le bien et les choses bonnes : le mal vient d’un autre être, Añgra Mainyu.
Dans cette conception dualiste, Ahura Mazda s’appelle
Speñta Mainyu, que nous traduisons « l’Esprit Bienfaisant ou l’Esprit du Bien »
3[3], ou
Mainyu Spénishta « l’Esprit très bienfaisant, le plus bienfaisant des Esprits », par opposition à
Añgra Mainyu,
Aharman ou
Ahrìman, l’Esprit du Mal, littéralement « l’Esprit Destructeur »
4[4].
Ahura Mazda, comme source du bien, est la source de l’
asha, il est l’être
ashavan par excellence.
Asha et
ashavan sont des termes presque intraduisibles par la multiplicité d’idées qu’ils expriment.
Asha (pour
arta 5[5]) désigne le bien, la vertu sous ses deux formes, morale et religieuse,
et aussi la félicité suprême, que l’on obtient au ciel par l’
asha.
Ashavan désigne l’être d’
asha, le fidèle idéal, le juste, et aussi le bienheureux du paradis, un
ashavan sur terre faisant un bienheureux au ciel. Nous avons employé en général les mots « sainteté » et « saint » qui sont assez généraux pour pouvoir s’appliquer à la plupart des cas, et donner en même temps une idée de la hauteur d’idéal que le mot
asha comporte, sans nous défendre, quand la traduction ordinaire aurait prêté à obscurité ou erreur, d’employer d’autres expressions pour
asha : la vertu, le bien, ou le salut, la félicité ; pour
ashavan : le juste, l’homme de bien, ou le bienheureux.
La définition la plus complète d’Ahura Mazda est donnée par la formule du Vendidad II, 1, qui résume tout ce qui précède :
Ahura Mazda, mainya spénishta, dâtare gaêthanãm astvaitinãm, ashâum : Seigneur omniscient. Esprit très bienfaisant, créateur des mondes corporels, saint !
Ahura Mazda réside dans le ciel suprême, le Garô-demâna, dans la Lumière infinie (
Anaghra raocâo), qui est son lieu et son corps
6[6], Angra Mainyu réside dans les Ténèbres infinies. La création a été amenée par une attaque d’Angra Mainyu sur la lumière : Ahura la repousse en prononçant les vingt et une paroles de l’
Ahuna vairya (v. Hâ XIX), qui le frappent d’impuissance et le font retomber dans les ténèbres. Pendant son trouble, Ahura, avec la lumière cosmique, crée les six
Amesha-Speñtas pour l’aider dans la création et le gouvernement du monde.
Ahura Mazda est un ancien dieu du ciel, à la façon de Varuṇa, de Zeus, de Jupiter ; et si largement que se soit développé le côté spiritualiste et moral de sa nature, au détriment de ses attributs naturalistes, il reste encore de ceux-ci des traces suffisantes pour qu’il soit nécessaire d’en tenir compte, même dans une exposition des conceptions du dernier état. C’est comme ancien dieu du ciel qu’il a pour corps et lieu la Lumière infinie, ce que les anciens Perses exprimaient en appelant Zeus, c’est-à-dire Auramazda, la
voûte entière du ciel
7[7] ; qu’il a pour fils Âtar, le Feu (Y. 11, 4, 18 et
passim) ; qu’il fait couple avec la lumière solaire, Mithra (v. Y. I, n. 39) qu’il a pour œil, le Soleil (Y. I, 11, 35) ; pour épouses les Eaux (Y. XXXVIII, 1) et aussi Speñta-Àrmaiti, la Terre, en souvenir du vieil hymen cosmogonique de la Terre et du Ciel (voir page suivante).
Les Amesha-Speñtas ou « Immortels bienfaisants » sont des abstractions divinisées, les quatre premiers représentant des vertus cardinales, les deux derniers, des vertus de la nature. Le système zoroastrien a attribué à chacune de ces abstractions l’empire sur une partie déterminée de la nature (v. Palet Irani, 7-12).
1
o Vohu Manô, ph.
Vahûman, p.
Bahman, est le premier créé des Amesha-Speñtas
8[8]. Son nom signifie « Bonne Pensée » ; l’auteur du traité d’Isis et Osiris le définit exactement Θεόζ εύνοίαζ. Mais Vohu Manô représente la Bonne Pensée au sens intellectuel aussi bien qu’au sens moral, et les formules du Sìrôza invoquent avec lui non seulement la Paix,
Âkhshti, mais aussi l’Intelligence,
Khratu, sous ses deux formes, l’Intelligence
9[9] naturelle et l’Intelligence acquise par l’étude (àsnô Khratu, gaoshὸ-srùta Khratu). Ahura s’est consulté avec Vohu Manô dans toutes ses créations
10[10].
Vohu Manô tient les portes du Paradis : c’est lui qui reçoit les justes qui y entrent
11[11] : les récompenses du Paradis sont dites « les biens de Vohu Manô »
12[12] parce qu’elles sont données en retour de la Bonne Pensée.
Sur terre, Vohu Manô a sous sa garde le juste (Vd. XIX, 23, 77), et les
troupeaux ; le juste, parce que le juste est l’incarnation même de Vohu Manô, les troupeaux pour quelque analogie qui nous échappe (cf. introd. au Mâh Yasht).
2o Asha Vahista, ph. Ashvahisht, p. Ardibahisht (de la forme parallèle perdue * Areta-Vahishta), « la Sainteté ou la Vertu parfaite » ou plus prudemment l’Asha parfait ». L’auteur d’Isis et Osiris le définit un peu étroitement, Θεόζ άληθείαζ : la vérité est, en effet, une des formes et un des sens de l’Asha, mais ne l’épuise pas.
Dans l’ordre matériel, il règne sur le feu et est invoqué avec Âtar, le dieu du feu (v. Y, I, 4, 12).
3o Khshathra vairya, ph. Khashtarvar ou Shatrôvêr, p. Shahrêvar, litt : « la Royauté qui fait son désir » (ou peut-être « qui fait le désir » [de Dieu]), est le Génie du bon gouvernement, Θεόζ εύνομίαζ. Comme tel, on invoque avec lui la Charité et la Miséricorde (Sirôza, 4.)
Dans l’ordre matériel, il règne sur les métaux (emblème et instrument de la royauté guerrière).
4
o Speñta-Ârmaiti, ph.
Spandârmat, p.
Asfandârmad « la bienfaisante Ârmaiti ». Ârmaiti est littéralement « la Pensée parfaite » (
bundak manisnih) : c’est la vertu de celui qui
ârem mainyêtê (voir Y. XLV
XLIV, 11) « qui pense parfaitement bien » et le sens qu’il faut attacher à cette perfection est donné par son adversaire
Tarômaiti « l’orgueil, l’arrogance », le vice de celui qui
tarem mainyêtê (
ibid.), « qui pense par dessus les bornes ». Ârmaiti est la piété soumise et modeste (la définition grecque Θεόζ σοφίαζ ; semble trop large).
Speñta-Ârmaiti est le seul Amshaspand féminin. Dans l’ordre matériel elle est assimilée à la terre, qui elle aussi est femme ; elle est fille d’Ahura Mazda et son épouse aussi ; elle a de lui le premier homme, Gayô Maretan, souvenir des mythes anciens sur le mariage du Ciel et de la Terre, Ouranos et Gê, Jupiter et Tellus
13[13]. Comme divinité féminine, elle est le type divin de la femme vertueuse.
5o et 6o Haurvatât, ph. Khordat, p. Khordâd, et Ameretât, ph. Amurdat, p. Murdâd, ont été primitivement « la Santé » et « le Non-Mourir » (Longue Vie) ; ils règnent sur les eaux et les plantes qui repoussent la maladie et la mort 14[14].
Angra Mainyu, par raison de symétrie, a créé six Daêvas principaux pour lutter contre les six Amesha-Speñtas. Leurs noms sont dans l’Avesta Akem-Manô, Iñdra, Sauru, Nâoṅhaithya, Tauru, Zairi. Parmi ces Daêvas, Akem-Manô (Akoman) « la Mauvaise Pensée » est le seul qui réponde exactement à son adversaire : les cinq autres semblent être d’anciens démons que l’on a utilisés pour les nécessités du système et qui n’ont point de rapport direct avec les Amesha-Speñtas qu’ils combattent. Quelquefois on remplace Nâoṅhaithya par Tarmat (Tarômaiti, l’orgueil), Ârmaiti étant, avec Vohu Manô, un des noms d’Amesha-Speñta qui peuvent se retourner.