Le Voyage du Glacier
Chaque jour d’immenses quantités d’eau abandonnent sous forme de vapeur les réservoirs de l’océan et s’élèvent dans l’atmosphère. Emportées par les courans d’air, ces vapeurs retombent en pluie ou en neige, tantôt à la surface de la mer, tantôt sur les continens, où elles forment des ruisseaux, puis des rivières, puis des fleuves, qui trouvent sans peine le chemin de l’océan. Il s’établit ainsi une circulation d’eau et de vapeurs d’eau qui est aussi nécessaire à notre globe que la circulation du sang est nécessaire à l’homme. Un des voyages les plus intéressans que puisse faire une goutte d’eau est celui-ci : partir des régions chaudes de l’Océan-Atlantique, être transportée par le vent du sud-ouest jusqu’en pleine Europe, tomber sur les cimes des Alpes et retourner à la mer par le Rhin, le Rhône, le Pô ou le Danube. Chaque année des milliards de gouttes d’eau entreprennent ce voyage, et il a ceci de remarquable qu’il exige parfois beaucoup de temps et suppose toute une série de transformations. Si le vent est favorable, le trajet de Sainte-Hélène ou de tel autre point de l’Atlantique à la cime du Mont-Blanc n’exige que quelques heures. Le retour de Chamonix à la Méditerranée n’est ni long ni difficile, l’Arve et le Rhône vont bon train ; mais du sommet du Mont-Blanc jusqu’à la vallée de Chamonix les chances de retard sont nombreuses, et il n’est pas impossible que pour ces deux lieues un demi-siècle suffise à peine. Telle goutte d’eau tombée dans le voisinage du sommet à l’état de paillette de neige ne redeviendra goutte d’eau mobile qu’après avoir passé par toutes les transitions possibles entre la neige et la glace compacte et cheminé avec une lenteur dont la nature offre peu d’exemples du haut de la montagne jusqu’à l’extrémité du glacier des Bossons. Elle aura fait l’expérience d’un voyage à l’état solide. Décrire le glacier, c’est raconter ce voyage[1]
L’eau qui part de la mer pour aller tomber sur les Alpes n’est pas toujours condamnée au voyage du glacier. Les chances sont diverses ; elles dépendent surtout de la saison. En été, les vapeurs se déposent sur les sommets sous forme de neige floconneuse, quelquefois de grésil ou même de pluie. La neige fond au premier beau jour, le grésil et la grêle de même, l’eau de pluie qui tombe sur les rochers coule en ruisseaux, celle qui est tombée sur les neiges et en a humecté la surface s’évapore avec elles, et ainsi toutes les gouttes d’eau que reçoit la montagne en juillet, en août, même en septembre, sont bientôt rendues à la liberté ; mais dès le mois d’octobre il ne pleut plus sur les hauteurs glaciaires, la grêle y devient rare, la neige n’y forme des flocons que lorsque souffle un vent chaud, et l’eau s’y condense presque toujours sous la forme de neige en poussière. Celle-ci ne diffère pas essentiellement de celle qui tombe dans la plaine par 8 ou 10 degrés au-dessous de zéro ; seulement elle est encore plus légère et plus sèche. Ce sont de fines aiguilles, des cristaux infiniment petits, dont chacun représente une de ces gouttelettes naissantes qui flottent dans les vapeurs des brouillards. Il n’y a ni fenêtres, ni portes, ni volets qui joignent assez bien pour qu’on en soit garanti. On a beau boucher et tamponner toutes les ouvertures, cette poudre impalpable pénètre partout. Non-seulement elle remplit les chalets, à l’ordinaire mal couverts et mal fermés ; mais elle entre en abondance jusque dans les chambres des hôtels les mieux bâtis, où elle s’étend sur les parquets en dépôts aussi réguliers que ceux de la poussière sur les meubles. L’eau de pluie, même quand elle fouette les vitres, n’est pas si prompte à s’insinuer.
Telle est la neige qui dès le mois d’octobre blanchit les pentes élevées des Alpes. Elle tombe à l’ordinaire vivement chassée par un vent d’ouest ou de sud-ouest. Aussi voltige-t-elle longtemps avant de se poser. Elle rase le sol, monte, descend, tourbillonne, et ne s’arrêterait jamais, si elle ne rencontrait tôt ou tard quelque flanc de montagne. Cependant les nuages se dissipent, le ciel se rassérène, tout ce givre en poudre dont l’air était saturé repose enfin sur le sol, et y forme une couche plus ou moins épaisse, mais toujours très irrégulière. Ce givre ne fondra point. Le pâle soleil d’hiver peut avoir encore assez d’éclat pour le faire étinceler, il n’a pas assez de force pour le résoudre en eau ; il ne s’évaporera qu’en petite quantité, l’air est trop froid. Il attendra le printemps, mais il ne l’attendra pas en repos ; le vent l’a distribué d’une manière fort inégale. Sur les arêtes vives, il a été balayé ; dans les enfoncemens, il s’est entassé ; le long des parois abritées, il a glissé mollement, ne s’arrêtant qu’aux saillies capables de le retenir ; sur les parois exposées au vent, on le dirait fixé à une muraille. Telle corniche étroite sur laquelle par un temps calme il pourrait s’amonceler en talus régulier jusqu’à la hauteur d’un mètre aura servi de base à des entassemens bizarres de plusieurs mètres de hauteur ; sur telle pente de 60 ou de 70 degrés, de toutes parts entourée d’abîmes, où les chamois eux-mêmes ne se hasardent qu’en raidissant leurs jarrets d’acier, il aura formé de lourds édifices avec des avant-toits surplombans. Équilibres bien aventurés ! le vent qui les soutenait du côté de l’abîme va les abandonner à eux-mêmes, et tout ce qui ne repose pas sur une base solide se détachera bientôt et glissera. Peut-être même un vent du nord succédera-t-il aux vents humides qui arrivent de l’océan ; ceux-ci avaient favorisé une certaine répartition des neiges, ceux-là vont en favoriser une exactement contraire. Un ou deux jours plus tard, il recommence à neiger. Cette fois la neige ne tombe pas sur le sol nu, elle tombe sur la neige des jours précédens, qui a couvert les inégalités du terrain et créé partout des surfaces unies qui facilitent les glissemens. Le vent de la mer a repris le dessus, et il travaille de son mieux à détruire l’œuvre des vents du nord, mais pour leur préparer une besogne nouvelle. Quand ces derniers viendront à l’emporter à leur tour, ils auront à remuer des masses doubles ou triples. Pendant que ces alternatives se répètent, la montagne se charge d’un poids toujours plus grand, et bientôt, au lieu de chutes partielles, il se produit de grandes chutes générales, connues sous le nom d’areins ou avalanches d’hiver. Il y a des flancs entiers aboutissant à des précipices qui, par une nuit de tourmente, se vident ainsi tout d’un coup. La plupart de ces avalanches d’hiver tombent inaperçues dans les solitudes reculées des Alpes ; mais quelquefois la pente est directe depuis les hauteurs où l’équilibre s’est rompu jusque dans les vallons habités, et l’arein rencontre en chemin des forêts, des champs et des maisons. Malheur à tout ce qui se trouve sur son passage ! Le choc n’est peut-être pas aussi brusque que celui des quartiers de rochers qui se précipitent des sommets, cependant il produit des effets bien plus puissans. Un bloc broie impitoyablement tout ce qu’il frappe ; mais il rebondit et ne frappe que de place en place. Tout au plus creuse-t-il un sillon sur le flanc de la montagne. Il en est autrement de l’arein : il tombe à la façon des cataractes ; c’est un tourbillon qui se rue d’en haut sur la plaine, une trombe de neige qui chasse devant elle une colonne d’air. Il ne broie pas ce qui lui fait obstacle, il l’enlève. Les plus grands arbres sont secoués et arrachés comme des roseaux, des pans de forêts sont fauchés à terre, les maisons sont rasées, les toits emportés, et les oiseaux eux-mêmes, malgré leurs ailes, une fois pris par la rafale, ne paraissent plus qu’une masse inerte, et sont lancés pêle-mêle avec les bardeaux et les poutres des chalets disloqués. Il y a ainsi des gouttes d’eau tombées en neige sur les cimes qui prennent de l’avance pour leur voyage à l’état solide. Toutefois cette fortune peut être envisagée comme un accident, et en général les eaux cristallisées que l’hiver accumule sur la montagne y demeurent, sauf à y subir des déplacemens incessans.
L’arein et le vent sont les deux agens de la distribution des hautes neiges alpines. L’action de l’arein tend à dégarnir les sommets au profit ou, si l’on veut, au préjudice des vallons ; elle est surtout puissante dans la zone où il tombe le plus de neige, entre deux et trois mille mètres d’altitude ; elle est en raison de la pente, ici considérable, ailleurs absolument nulle. L’action du vent est beaucoup plus générale, elle se fait sentir partout, et c’est sans aucun doute la plus importante des deux. Il n’est point rare que l’on voie flotter autour des cimes un léger nuage blanc qui se meut sans se déplacer, grandissant et diminuant comme par bouffées successives. Quand cela arrive au Mont-Blanc, les habitans de Chamonix disent qu’il fume sa pipe. À l’œil nu, rien n’est plus gracieux que ce panache flottant. Si on l’examine au télescope, on en distingue mieux encore l’agitation perpétuelle, et l’on dirait un jet continu de poussière d’argent ; mais ceux qui ont pu voir le phénomène de près savent ce que signifient ces apparences, et ne parlent qu’avec respect des montagnes qui fument leur pipe. J’ai eu l’occasion de m’en faire une juste idée ; c’était au sommet de la Tschierva, l’une des plus belles cimes de la Haute-Engadine. Le vent soufflait du nord ; mais, la montagne étant taillée à pic, il ne pouvait avoir de prise que sur l’extrême rebord des neiges qui en couronnent le faîte. Ces neiges elles-mêmes étaient presque partout recouvertes d’une mince couche de glace qui augmentait la résistance. L’ouragan triomphait de ces obstacles. Chaque rafale faisait éclater le vernis de glace et le brisait en plaques irrégulières qui étaient enlevées dans les airs avec des flots de neige en poussière. Les tourbillons suivaient une marche précise. Ils commençaient au point le plus avancé contre le vent, puis se propageaient sur toute la ligne de l’arête avec une effrayante rapidité. Quoique blottis dans une niche, entre deux grosses pierres, nous étions obligés, quand ils arrivaient à nous, de fermer les yeux et de nous garantir le visage. Bientôt le calme renaissait, et nous pouvions les voir suspendus dans l’espace, souvent à de grandes hauteurs. Ils retombaient en décrivant de fort belles paraboles ; mais en chemin ils étaient repris par un second coup de vent qui lançait de la même manière un second tourbillon, et ainsi de suite. Chaque rafale était accompagnée d’un bruit étrange, celui des plaques de glace enlevées qui se heurtaient et se brisaient les unes contre les autres. Le spectacle était grandiose. Pour qu’il devînt terrible, il suffirait de supposer un vent qui, au lieu d’effleurer le dessus d’une muraille de glace, balaierait tout un versant chargé de neige. Il ne s’agirait plus alors de tourbillons locaux ; ce serait une tourmente, une confusion générale et le voyageur assez hardi pour vouloir assister à une scène pareille courrait grand risque de rester sous les masses mouvantes soulevées autour de lui.
De tels ouragans ne sont point rares sur les Alpes, et l’on peut quelquefois les observer à huit, dix et même vingt lieues. Ils sont surtout fréquens en hiver. Si la bise souffle le lendemain d’un jour où il est tombé beaucoup de neige, la ligne des montagnes qui se dessinent à l’horizon a l’air de vaciller. Elle est partout couronnée d’une bordure vaporeuse, moins forte sur les sommets que dans les dépressions et sur les cols. À l’aide d’un bon télescope, on n’aura pas de peine à reconnaître que c’est encore le tourbillonnement des neiges qui donne au profil de la montagne cette bordure mobile. Parfois même on peut mesurer la hauteur à laquelle le vent les soulève ; il suffit de choisir un col ouvert dans la direction du vent et immédiatement dominé par quelque pic dont la hauteur au-dessus du col soit connue. À l’orient du lac Léman par exemple, les deux tours d’Aï se dessinent en noir sur le ciel comme deux créneaux qui mesureraient trois cents mètres chacun ; la bise s’engouffre avec un redoublement de fureur dans la gorge qui les sépare, et il arrive que les fusées de neige qui jaillissent du fond s’élancent jusqu’au-dessus des deux tours sù elle3 se déploient dans l’espace ouvert. C’est donc à plus de trois cents mètres que l’ouragan les emporte et les fait flotter. Ce phénomène, toujours intéressant à observer[2], produit des effets admirables au lever et au coucher du soleil. On voit alors cette bordure argentée briller des teintes les plus riches, or ou rose, avec des reflets irisés, et l’on dirait une auréole au front des montagnes.
Ainsi la poussière de neige agitée par le vent donne lieu sur les Alpes à des accidens semblables à ceux que produit la poussière du Sahara quand souffle le simoun. Ce sont les mêmes tourbillons, avec des jets en hauteur sans doute plus hardis, parce que la neige est plus légère ; mais, tandis que les violences du simoun recommencent éternellement une œuvre stérile, le vent accomplit sur les Alpes un travail qui n’est point en pure perte. Le sable est toujours le sable, il ne peut ni changer de forme ni se fixer, et l’ouragan le promène au hasard sur la surface du désert ; la neige peut se fixer, devenir de la glace, se transformer en eau fertilisante, et il n’est point indifférent qu’elle s’amasse en tel lieu plutôt qu’en tel autre. À force d’être transportée de versant en versant, elle finit par se loger en plus grande abondance dans les endroits les mieux abrités. Une œuvre d’équilibre et de stabilité s’accomplit au milieu de ces désordres apparens. Si la montagne est très déchirée, les creux ne tarderont pas à être comblés, tandis que les arêtes se dénuderont entièrement ; si elle est massive au contraire, la neige, en s’y entassant, fera disparaître les petites inégalités. Dans les deux cas, il y aura nivellement ; mais dans le premier la montagne n’en paraîtra que plus abrupte et plus déchirée par suite du contraste entre l’éclat des neiges et les rochers noirs ; dans le second, tous les angles auront disparu, peut-être même aura-t-on des dômes parfaits. L’aspect d’une cime peut être transformé par la distribution des neiges. Le Galenstock en offre un exemple. Entouré de pics très ardus, le Finsteraar, le Schrekhorn, il se fait remarquer parmi eux, quand on passe le Grimsel, par sa forme en demi-coupole : au sud, il est à pic, comme si la moitié de coupole qui manque s’était détachée en laissant à nu un affreux précipice ; au nord, la ligne de faîte se montre arrondie et couverte, ainsi que les flancs qui y conduisent, d’un magnifique manteau de neige. Si l’on gravit cette belle calotte, promenade facile quand la neige n’est pas trop dure, on verra en certains points affleurer les rochers d’une arête ensevelie, et l’on pourra se convaincre que le Galenstock est un pic de la même famille que le Finsteraar et le Schrekhorn ; seulement les ravines en ont été comblées.
Le vent ne se borne pas à modifier le relief apparent des hautes Alpes ; il contribue à produire ce qu’on appelle les neiges éternelles. Les nuages pesamment chargés de vapeurs flottent à l’ordinaire à deux mille ou deux mille et quelques cents mètres, en sorte qu’il tombe moins de neige sur les sommets de 3,000 mètres que sur les cols. Si les premiers mois de l’été suffisent à fondre les neiges des cols, tout l’été suffira bien à faire disparaître celles des sommets, et c’est en effet ce qui a lieu presque partout, sauf dans les enfoncemens où le vent les entasse à deux ou trois fois la hauteur normale ; le soleil de l’été n’en vient plus à bout. On peut dire que, s’il y a des neiges qui persistent au-dessous de 3,000 mètres, c’est au vent qu’on le doit. Un effet semblable doit se produire plus haut encore.
Au premier abord, on serait tenté de croire que ces neiges persistantes restent éternellement immobiles et soustraites à la grande circulation des eaux. Plusieurs circonstances sont de nature à en faire juger ainsi. Lorsque, par exemple, on peut observer quelque tranche de neige, on y découvre ordinairement une apparence de stratification. Quelques-unes de ces tranches sont si hautes que l’on a peine à croire qu’il n’ait pas fallu des siècles pour produire de pareils entassemens. Il est clair d’ailleurs que dans la bonne saison les neiges des Alpes tendent à se fixer et à durcir. Il suffit de quelques heures de chaleur au milieu du jour pour qu’elles fondent à la surface et s’imprègnent d’eau ; le soir, lorsque la température baisse, elles se recouvrent d’une croûte de glace. La pression contribue aussi à fixer les couchés inférieures. Les tranches mises à nu sont nettes, et offrent souvent de remarquables échantillons de murailles de glace vive au bas desquelles la glace est généralement plus dure que vers le haut. Aussi serait-on tenté de conclure que la neige se fixe réellement sur les sommets, et qu’elle doit s’y entasser d’année en année jusqu’à ce que, cédant à son propre poids, elle s’écroule sur la pente. Il s’ensuivrait que les sommets très arrondis s’exhausseraient indéfiniment. Toutefois d’autres phénomènes semblent accuser un mouvement général. Si quelque îlot de rocher sort de la neige, on peut être à peu près certain que, pour y atteindre, il faudra franchir une fente plus ou moins large. Pourquoi cette solution de continuité ? La neige s’est-elle retirée, ou bien la réverbération du rocher l’aurait-elle fondue ? Cette seconde supposition paraît admissible ; mais sans quitter les neiges, s’il survient quelque changement d’inclinaison, on a toute chance d’y rencontrer des gouffres séparés les uns des autres par des ponts voûtés ou par de solides chaussées, et rangés à la file de manière à former une ligne qui coïncide avec celle du changement de la pente. On n’en approche qu’avec précaution, parce que l’ouverture est souvent plus étroite que le gouffre lui-même. Il n’y pénètre qu’une clarté vague et diffuse ; mais, quand on peut y plonger ses regards, on a peine à les détacher des reflets qui s’y jouent, et l’on dirait un caveau sans-fond rempli d’une lumière azurée. Ces gouffres sont à demi fermés : les neiges fraîches ont une singulière facilité à se soutenir paillette sur paillette et à former des avant-toits surplomblans. Il résulte de cette disposition que les rayons du soleil ne peuvent pas pénétrer dans la profondeur : ce n’est donc pas au soleil que l’on peut attribuer ces solutions de continuité ; c’est bien d’une brisure qu’il s’agit, et il faut en chercher la cause dans une tension très puissante sur toute la ligne des excavations. Qui dit tension a déjà dit mouvement. Reste à savoir si ce ne serait point encore un mouvement local.
Quand on parcourt les hautes régions, il n’y a que l’action de la fonte à la surface qui se manifeste au premier coup d’œil par des témoignages irrécusables. Elle produit de singulières formations, celle entre autres qui doit son nom de sérac à une vague ressemblance avec une espèce de fromage qu’on fabrique dans les chalets des Alpes. Les séracs sont des cristaux de glace. Il y en a de fort beaux au Goûté, de plus beaux encore au Combin ; Saussure a évalué à cinquante pieds la hauteur de ceux du Goûté ; cette mesure, calculée au moyen d’un télescope, doit être un minimum. On se demande comment se forment les séracs. Autant que j’en ai pu juger, il n’y en a guère que sur les sommets très chargés de neige et aux pentes accidentées. Il faut les chercher sur les lignes de faîte ou bien au bord des gouffres, lorsque la pente change brusquement. Supposez que la muraille de neige qui forme la lèvre inférieure d’un de ces abîmes entr’ouverts soit coupée de deux fissures transversales, et vous aurez le socle d’un sérac ; l’air joue à l’entour, et les alternatives de chaud et de froid en cristallisent toutes les surfaces. Puis il tombe une brasse de neige fraîche ; si elle réussit à se maintenir sur ce piédestal, elle ne tarde point à faire corps avec lui ; le sérac se trouve exhaussé d’un étage, et ainsi de suite. Je ne garantirais pas d’ailleurs que les séracs se forment exactement de la manière que je viens d’indiquer ; ils sont d’un abord difficile, et ils n’ont pas été l’objet d’études suffisantes. Les uns affectent une forme cubique, d’autres figurent une pyramide. On y distingue une stratification confuse, et la partie supérieure, souvent endommagée, semble n’avoir pas encore acquis une bien grande consistance. Au Goûté, les séracs forment une rangée de créneaux le long de l’arête ; au Combin, ils sont disposés en demi-cercle sur une brisure de la pente ; d’abord ils se touchent tous, comme les perles d’un collier, puis la file présente des lacunes. C’était ainsi du moins en 1858. Le chemin que l’on suivait pour atteindre la cime passait à cent pas du plus beau des séracs détachés, pyramide régulière à quatre pans qui, même à prendre la face tournée en amont, mesurait au moins le double de la hauteur que Saussure attribue à ceux du Goûté. Il était là, solitaire au milieu des neiges, majestueux comme les pyramides et les sphinx qu’on voit surgir des sables de l’Égypte. Ce n’était cependant qu’une fantaisie de la nature dont le temps a déjà l’ait justice ; d’autres voyageurs ont suivi la même route et n’ont pas revu le sérac géant ; il aura glissé sur la pente, et se sera brisé dans sa chute, comme deux de ses compagnons le firent sous nos yeux.
Ces lentes cristallisations, celles qu’on remarque aussi sur toutes les tranches de glace vive avec ou sans séracs, les gouffres entr’ouverts sur la pente, quelques ruptures d’équilibre de temps en temps, tels sont les rares indices qui dans les hautes régions attestent un travail des neiges, et, à tout prendre, on serait peut-être plus enclin à y voir la preuve d’un travail sur place que d’un écoulement insensible des masses qui recouvrent le sol. L’impression première n’est pas celle d’un mouvement. Le repos et la lumière paraissent régner sur les sommets. Rien n’y trouble la pureté des neiges. Le vent n’y transporte guère la poussière de la plaine, et, s’il en trouve encore à enlever sur l’âpre surface des rochers, à peine l’a-t-il déposée qu’elle disparaît sous une couche de neige fraîche. La même chose arrive aux petits cailloux et aux gros blocs qui tombent des parois escarpées. La neige peut donc resplendir partout immaculée. Rien d’ailleurs n’égale l’éclat du vernis de glace solide qui souvent la protège, surtout dans l’arrière-saison. Lorsqu’en plein midi et par un ciel sans nuages toutes les pentes sont également éclairées, il se produit une telle quantité de lumière réfléchie que l’œil ne la supporte plus. De quelque côté que l’on regarde, on ne rencontre que scintillemens et éblouissemens. Si au contraire le ciel est voilé et que tout soit dans l’ombre, les distances s’effacent ; on croit toucher de la main des cimes éloignées, dont l’uniforme et mate blancheur produit je ne sais quelle impression fantastique et lugubre ; l’esprit est comme accablé par cette monotonie de teintes au milieu de ces formes colossales qui échappent à toute mesure. C’est surtout le soir et le matin, quand les rayons du soleil arrivent horizontalement, que le monde des hautes Alpes apparaît dans sa richesse et sa beauté. Les distances s’accusent, souvent même s’exagèrent, les plans successifs se dessinent, les nuances se font valoir mutuellement, et l’on compte une gamme infinie de tons entre la blancheur veloutée des neiges à l’ombre et les feux rayon-nans des glaces au soleil. Les courbes de la pente, infléchies doucement, semblent se prolonger à l’infini, et les rares accidens que l’on rencontre sur la route, ces tombeaux entr’ouverts, ces séracs immobiles et toujours menaçans, n’interrompent l’imposante simplicité du paysage que pour en rendre l’impression plus forte. L’image de la mort flotte vaguement au milieu des pensées diverses qu’inspirent tant de splendeurs. On la voit assise à l’entrée des gouffres d’azur ; mais ce n’est plus le squelette hideux, le spectre décharné qui hante les imaginations effrayées ; c’est l’image de la mort qui est immobilité, non de la mort qui est pourriture, — et il semble qu’il y aurait quelque charme à dormir dans un de ces tombeaux que n’a pas creusés la pelle du fossoyeur, où la corruption ne pénètre pas, qui n’ont pas été mesurés à la taille du corps, et où l’on aurait au moins de l’espace, de l’air et une douce lumière.
Si l’on veut avoir le spectacle complet de ce monde à part, il convient de s’élever jusqu’à 3,800 ou 4,000 mètres, et de rechercher les sommets où la neige peut s’amasser en plus grande abondance. Les Alpes bernoises ne sont peut-être pas celles qui s’y prêtent le mieux ; elles sont trop ardues, les neiges s’y suspendent plutôt qu’elles n’y reposent, et les plus hauts sommets ne sont que des pics chancelans. Mieux vaut pour ce genre de beauté quelques-unes des montagnes du groupe de la Bernina ou les grandes coupoles des Alpes pennines, celles du massif du Mont-Rose, le Mont-Blanc, surtout le Combin. Peut-être n’ya-t-il rien dans toute la chaîne des Alpes qui, mieux que la façade nord du Combin, révèle ce que peut ajouter la neige au relief des montagnes. La charpente se montre à nu sur les flancs méridionaux, mais au nord les frimas ont tout envahi ; ce ne sont que neiges sur neiges, et les angles, les brisures, les aspérités, ont disparu pour faire place à des formes moulées et caressantes. Ainsi vêtue, la montagne n’a pas beaucoup moins de fierté ; mais elle a pour l’œil quelque chose de plus calme, de plus reposé. On a vu des arbres, des tilleuls, par exemple, dont le large dôme s’arrondit avec la même grâce hardie. La croupe d’un cheval sauvage, le port de son cou, les mouvemens de sa crinière ondoyante, ont aussi quelque analogie avec la noble pose de ce géant des Alpes immobile à l’horizon. Qui donc a fait ce chef-d’œuvre ? Les voyageurs n’y songent guère ; ils contemplent le tableau en oubliant l’artiste, et plus d’un sans doute croirait à quelque mystification, si on lui disait sans préambule que ce sont les jeux du vent et de la neige qui de ce bloc informe ont fait un modèle de grâce et de radieuse majesté.
Lorsqu’on quitte les hauteurs pour se rapprocher des vallées, les aspects ne tardent pas à changer. L’influence des agens atmosphériques se fait sentir de plus en plus. La neige perd graduellement sa finesse première. Les aiguilles dont elle était composée s’agglomèrent et forment ensemble de petites pelotes ou des grains qui ressemblent assez aux grains de grésil, sauf qu’ils sont plus irréguliers. Cette transformation se continue par des progrès insensibles, mais ininterrompus ; les grains deviennent plus gros, ils s’agglutinent, et la neige prend l’apparence d’une sorte de mortier que les gelées de la nuit peuvent rendre assez dur pour qu’il soit nécessaire d’employer la hache quand on veut y tailler des marches. Elle a aussi moins de pureté ; la couleur en est plus terne ; on commence à rencontrer quelques débris, de petits cailloux, du sable, de la poussière, parfois des feuilles sèches apportées par le vent.
Un moment capital est celui où ce mortier devient assez homogène pour que l’eau puisse couler à la surface au lieu de se perdre par infiltration. Ici encore les transitions sont lentes. On trouve d’abord des flancs bien exposés où, sous l’action du soleil, une couche de quelques centimètres devient une sorte de gelée visqueuse, mais sans écoulement apparent. Sur les points où deux pentes convergent, l’eau filtre assez abondamment pour que les trous faits avec le fer du bâton s’emplissent au moment où on le retire. Plus loin, cette gelée liquide, qui n’est pas encore de l’eau, mais qui n’est déjà plus de la neige, commence à s’écouler pesamment ; puis un ruisseau se prononce, un ruisseau dont la marche est encore embarrassée par les neiges à demi fondues qu’il entraîne, qui a déjà cependant la force de se creuser une rigole ; il la déblaie petit à petit, et le voilà enfin qui court joyeux et limpide dans un lit d’instant en instant plus marqué et plus uni. On peut hâter le moment où se forment les ruisseaux des hautes neiges en leur creusant un canal au moyen de quelque grosse pierre que l’on fait glisser. Une fois le canal établi, les eaux s’y précipitent.
Quand on est descendu jusque dans la région des premiers ruisseaux, on touche au moment, plus décisif encore, où la neige, après avoir été fine poussière, grains de grésil, mortier friable, se trouvera transformée en véritable glace. À vrai dire, ce n’est pas de la glace lisse comme celle de nos étangs et de nos fontaines. Si on en détache un morceau et qu’on le laisse fondre au soleil, il ne tarde pas à se décomposer ; si on le frappe à coups de marteau, on sent qu’il se désagrège plus encore qu’il ne se brise ; on y aperçoit des espaces vides, des lacunes, et lorsqu’on le plonge dans un liquide coloré, on découvre bientôt tout un réseau de fissures capillaires par où le liquide pénètre de part en part. À l’état sec, cette glace est opaque à cause de l’air qu’elle contient ; il faut qu’elle soit baignée d’eau pour devenir transparente. Néanmoins c’est bien de la glace- et de la glace dure, sinon tout à fait homogène. La hache la fait sauter en esquilles, et les ruisseaux y creusent des sillons aux parois merveilleusement polies.
D’autres phénomènes signalent l’apparition de cette glace, qui, plus grossière ordinairement que celle qu’on trouve çà et là sur les grandes hauteurs, constitue la substance même du glacier. Les principaux sont les crevasses et les moraines. Nous avons déjà rencontré des gouffres près des cimes ; mais c’étaient des cavités irrégulières, des vides souvent dissimulés et qui s’élargissaient de haut en bas ; les crevasses proprement dites suivent une direction beaucoup plus nette, s’évasent à l’ouverture, et sont bien découvertes aussitôt que la neige de l’hiver a disparu. Les gouffres supérieurs peuvent avoir toutes les formes ; les crevasses sont des fentes allongées et relativement étroites. Les moraines ne sont pas un signe moins caractéristique des transformations que subit la neige à mesure qu’on s’éloigne des hauteurs. On sait combien les rochers des Alpes sont ruinés. Chaque printemps, ils se dépouillent d’une grande quantité de blocs que détachent les alternatives de gelée et de dégel. Il n’y a pas dans toute l’étendue des Alpes une seule paroi au pied de laquelle on ne trouve un rempart de débris. Ces débris encombrent les pâturages, ils encombrent aussi les glaciers ; mais dans les régions élevées ils restent ensevelis dans la neige, et il faut qu’elle acquière un certain degré de consistance pour être capable de porter d’abord des cailloux, puis des blocs de plus en plus gros. Quand elle est enfin passée à l’état de glace, elle porterait des quartiers de montagne. À partir de cet instant, tous les débris qui atteignent le glacier s’entassent en désordre sur les bords, et y forment de longues collines irrégulières, reposant moitié sur la glace, moitié sur la terre ferme : ces collines sont les moraines.
Une fois que l’on a ces trois choses, le ruisseau, la crevasse, la moraine, qui toutes trois se rattachent à la transformation de la neige en glace, on peut dire qu’on est entre dans une zone nouvelle, dans la zone à laquelle certains naturalistes réservent exclusivement le nom de glacier. Où est la limite entre ces deux zones ? Ce n’est pas facile à dire. Elle varie selon les versans, les chaînes, les massifs ; elle varie aussi selon les années. Peut-être ne prendrait-on pas assez de marge en disant qu’elle oscille entre 2,800 et 2,400 mètres. Parfois on peut l’indiquer avec précision, la montrer de la main ; mais ce n’est guère possible que lorsqu’elle coïncide avec quelque changement d’inclinaison, et qu’il y a entre les deux zones une crevasse de démarcation. Il est tout aussi fréquent que la limite soit vague, indécise, et qu’on puisse faire un assez long trajet sans savoir au juste si l’on marche sur de la neige ou sur de la glace. Ce qui à l’extérieur distingue essentiellement les deux zones, c’est que, sous forme de glace ou de neige, peu importe, les frimas occupent dans la première toute la montagne, sauf les pentes trop raides ou trop exposées au vent, tandis que dans la seconde ils ne se maintiennent guère qu’au fond des vallées ou dans des dépressions plus ou moins fortes, entre des versans qui se dégarnissent en été et souvent se couvrent de verdure. Dans la première, il n’y a qu’une saison, un hiver de douze mois, moins rude en juillet qu’en décembre ; dans la seconde, il y a deux saisons, un hiver de neuf mois, pendant lequel elle se confond avec la zone supérieure, et un été de trois mois, pendant lequel elle s’en distingue en se dépouillant de l’uniforme linceul des neiges fraîches pour montrer au grand jour ses crevasses, ses ruisseaux, ses moraines. La zone supérieure est celle du plein océan des hautes neiges ; la zone inférieure comprend les golfes de glace qui font saillie et descendent jusque dans les régions habitées.
J’ai dit les golfes, j’aurais pu dire les fleuves de glace, car ici les indices de mouvement deviennent si nombreux et si clairs, qu’ils doivent frapper les yeux les moins attentifs. Qu’est-ce que ces crevasses qui à chaque instant coupent le glacier et obligent à de longs détours ? Peut-être ne remarquera-t-on d’abord que les belles teintes qu’elles présentent ; mais on deviendra plus curieux, si l’on a la chance d’en voir une se former tout à coup. Une détonation se fait entendre, elle se prolonge au travers de la masse, des blocs ébranlés par la secousse glissent sur la pente, et l’on se demande, lorsqu’on n’y est pas habitué, si l’on assiste à un tremblement de terre et ce que signifie ce coup de théâtre. Cependant on regarde, on cherche, et l’on finit par découvrir une fente imperceptible, parfois très longue, mais si étroite qu’il n’est pas toujours facile d’y introduire une lame de couteau. Il faut une bien violente tension et une résistance presque égale pour produire avec tant de fracas et d’effort une brisure si imperceptible.
Les moraines nous fournissent une seconde preuve, plus directe et plus positive, du mouvement qui entraîne ces masses gelées. Elles se forment au bord du glacier, au pied des rochers qui le dominent ; mais, si le glacier se trouve coupé par un îlot de terre ferme qui le divise en deux bras, les moraines plus ou moins considérables qui l’enserrent se réunissent à l’extrémité inférieure de cet îlot, et cette extrémité devient le point de départ d’une traînée de débris qui se prolonge indéfiniment sur le dos même du glacier. Si l’inclinaison est nulle ou très faible, cette moraine en plein glacier n’a pas pu se produire par un glissement des matériaux. Ils doivent avoir été transportés, mais comment ? Les eaux n’y sont pour rien, car la moraine ne cherche pas la ligne de plus forte pente ; elle va droit son chemin, coupant les creux en travers et passant par-dessus les collines de glace. Souvent même elle est portée sur une sorte de chaussée. Toutes les suppositions qu’on peut faire pour expliquer ce curieux phénomène tombent devant les faits, sauf une seule, mais celle-là si naturelle que d’elle-même elle se présente à l’esprit : il faut que le glacier chemine et transporte les blocs. Ce n’est pas tout ; il suffit d’examiner les matériaux de certaines moraines de surface, formées non par un îlot, mais par la jonction de deux glaciers, pour en trouver qui viennent de loin, et dont le lieu d’origine est sur les cimes elles-mêmes. Le fait est général ; il se produit même dans les cas où la conformation du glacier exclut toute idée de glissement, et il nous oblige à reconnaître, question soulevée tout à l’heure, que les neiges des régions supérieures, sous lesquelles disparaît l’origine des moraines, cheminent aussi bien que les glaces de la zone inférieure.
Nous pouvons dès à présent envisager les glaciers inférieurs non comme des golfes tranquilles, mais comme des coulées qui pénètrent plus ou moins avant dans une région que rien d’ailleurs ne condamnerait à une absolue stérilité. L’aspect en varie selon les accidens du chemin par où ils s’échappent vers la plaine. Parfois, au sortir des hauts bassins de la montagne, le glacier s’engage dans une longue vallée au fond presque plat ou doucement incliné. Dans ce cas, on a ce qu’on pourrait appeler le glacier tranquille. Il y en a de fort beaux exemples en Engadine, vaste contrée soulevée tout entière à la hauteur du Rigi, de telle sorte qu’en partant des sommets on entre presque tout de suite dans les vallées où le glacier chemine comme sur une grande route ouverte par la nature. Ces glaciers tranquilles ne sont pas les moins intéressans ; ils ont aussi leur majesté : ils ont en outre cet avantage particulier, qu’on peut les parcourir aisément et en étudier les détails. Il en est du glacier comme des plages de la mer : impossible d’y faire une simple promenade sans trouver mille choses à observer ; nous ne mentionnerons que les plus frappantes. La première place revient de droit au ruisseau du glacier. Dans ces froides solitudes, comme dans les vallons de la plaine, rien n’anime le paysage autant que le mouvement de l’eau. Le ruisseau, c’est la vie, c’en est au moins l’image ; mais les ruisseaux de terre ferme se creusent un lit où ils s’emprisonnent pour toujours ; ce lit a toute une histoire, le ruisseau y lutte de son mieux contre les accidens qu’il rencontre, il l’obstrue, il l’approfondit ; il s’y fait lac quand le passage est fermé, cascade sur les gradins qu’il faut franchir ; il y murmure, il y gronde, il y rejaillit, il y arrose des plantes, et y entretient à la fois la fertilité et le changement. Le ruisseau du glacier est une apparition plus éphémère ; il ne dure qu’un été, il n’a pas le temps d’approfondir son lit, il rencontre en chemin peu d’obstacles, il n’a pas de rochers à contourner, pas de plantes à arroser : c’est une création beaucoup plus simple, un filet d’eau dans un sillon de glace, rien de plus ; mais cette eau est la plus limpide qu’il y ait au monde, et ce sillon est un lit d’azur. Les parois en sont si parfaitement polies que le ruisseau y glisse sans frottement, et passe sans qu’on l’entende. Point de vagues, point d’écume, point de lutte, point d’hésitation ni de petites colères ; c’est la vie facile, la grâce sans effort, l’obéissance parfaite et l’idéale limpidité.
Cependant les ruisseaux du glacier n’ont pas tous la même destinée. Quelques-uns, avant d’avoir eu le temps de grossir, arrivent au bord d’une crevasse et y tombent en pluie de perles. Si la crevasse est ouverte jusqu’au sol, il ne leur reste qu’à cheminer obscurément sous les glaces ; sinon, ils la remplissent à moitié, et trouvent des canaux intérieurs qui les ramènent au jour. On en voit qui jaillissent en brillante fontaine à quelques cents pas au-dessous de l’abîme où ils ont disparu. D’autres réussissent à éviter les crevasses, et deviennent, grâce aux affluens qu’ils reçoivent, de véritables torrens, mais toujours des torrens de cristal coulant sans révolte et sans bruit. S’ils longent quelque moraine, il y tombe souvent des pierres ; mais, à moins que le courant ne soit très faible, aucun caillou ne réussit à se maintenir contre des parois si polies ; l’eau les fait glisser avec elle, et ils n’en altèrent pas la pureté. Cependant ces torrens de long cours finissent, eux aussi, par rencontrer quelque gouffre ; il faut voir alors les belles et mystérieuses cascades, et comme le flot transparent disparaît en gerbes cristallines dans la profondeur voilée d’azur. Les ruisseaux du glacier trouvent aussi des anses où ils forment des lacs. C’est toujours une chose ravissante qu’une nappe de cette eau si parfaitement claire, immobile dans un bassin d’émeraude. Les plus purs de ces lacs sont les plus beaux, et il faut les chercher dans les parties du glacier où il y a le moins de débris. Cependant ceux qui naissent dans le voisinage immédiat des moraines ont bien aussi leur intérêt : leurs bords, constamment fondus par l’action de l’eau, ne tardent pas à s’escarper, et la moraine y déverse ses matériaux, qu’on voit entassés au fond, et dont on distingue tous les détails. La plupart ont une existence éphémère. Tôt ou tard une crevasse les traverse, et ils se vident aussitôt. Alors les matériaux mis à sec protègent contre le soleil la glace qu’ils recouvrent, et comme le soleil agit partout à l’entour, ils s’élèvent petit à petit, si bien qu’au bout de quelques mois, au lieu d’être emprisonnés dans une dépression, ils couronnent une éminence. Pendant ce temps, le glacier marche, et cette colline chargée de débris s’éloigne de son lieu d’origine. S’il se forme un second lac à l’endroit où était le premier, il lui arrivera quelque accident semblable, de sorte qu’après dix ou vingt ans cinq ou six monticules de blocs voyageront à la suite les uns des autres.
Les choses se passent un peu différemment quand il s’agit de très petits lacs alimentés par de très petits ruisseaux qui ne charrient que de menus débris. Le fond de ces lacs ou plutôt de ces baignoires se recouvre à la longue d’une couche de sable ou de fin gravier. La baignoire vidée, ce sable protège aussi la glace, surtout s’il est d’une couleur claire, qui absorbe peu la chaleur solaire. La glace ainsi protégée forme bientôt un cône régulier, qui ressemble à une très haute fourmilière, et qui s’escarpe de jour en jour, jusqu’à ce que le sable glisse et se répande de tous les côtés. Le cône alors fond rapidement ; mais autour de lui s’élève une autre colline en forme d’anneau avec un cratère au centre à la place du cône disparu. Si par hasard les débris qui recouvrent cette nouvelle colline viennent à glisser dans le cratère, il en naîtra un second cône qui a beaucoup de chances de produire un nouvel anneau, et ainsi de suite jusqu’à éparpillement complet des débris protecteurs. Une fois séparés, ils n’ont plus la force de garantir la glace, et ils contribuent au contraire à en accélérer la fonte, parce qu’ils se réchauffent de part en part, de sorte qu’après avoir siégé sur des cônes élevés, lorsqu’ils étaient réunis, ils s’ensevelissent, dès qu’ils sont isolés, au fond de petits entonnoirs. En certains endroits, on rencontre des multitudes de ces entonnoirs, et à quelque distance on aperçoit des groupes de cônes qui pyramident en famille.
On voit que le voyage des débris à la surface des glaciers n’est pas aussi monotone qu’on pourrait le croire d’abord. En général il s’opère avec une grande régularité. Les moraines sont de longues traînées où quelquefois cependant une pierre de fortes dimensions se détache de la masse et glisse en dehors. Autant la marche du grand convoi est bien réglée, autant celle des blocs isolés est sujette à des accidens bizarres. Ce sont des déserteurs livrés à eux-mêmes et à toutes les chances du hasard. Ils ont coutume de tabler, comme disent les naturalistes, c’est-à-dire que, grâce à la fonte plus rapide autour d’eux que sous eux, ils finissent par se trouver perchés sur un fût de glace. Les dalles plates enlevées à quelque paroi schisteuse représentent assez bien, ainsi perchées, une table à un pied ; mais les rayons obliques du soleil attaquent la colonne qui les supporte, et les blocs tombent lourdement. Glissant alors selon la direction des pentes, ils accomplissent de véritables voyages en zigzag, s’écartant à droite pour revenir à gauche, avançant pour reculer. Ils ne vont pas loin toutefois sans rencontrer une crevasse ; si elle est assez grande, ils s’y engouffrent et restent pris entre les parois ; puis, le glacier fondant toujours, au bout de quelques semaines, de quelques mois ou de quelques étés, ils reparaissent à la surface et recommencent à tabler, jusqu’à ce qu’ils tombent dans une nouvelle crevasse. Ces aventures se continuent indéfiniment, car une fois qu’ils ont quitté les rangs, ils ont peu de chances d’y rentrer : la moraine chemine en talus, et c’est tant pis pour les déserteurs.
Sauf quelques lichens, on ne rencontre aucune végétation sur ces pierres mobiles. La moraine est déserte. Le glacier l’est-il aussi ? A première vue, on le croirait peuplé seulement de cadavres : ici un papillon, ailleurs une mouche ou tel autre insecte. Dans la plaine, on rencontre peu de cadavres d’animaux. La vie s’y entretient de ses propres dépouilles, et partout abondent les insectes voraces, armés de pinces et de crocs, qui font la chasse aux morts. Le papillon qui tombe épuisé sur le bord de la route a le temps de voir, avant de mourir, s’il sera la proie des fourmis ou des carabes ; mais chasseurs et victimes ne s’aventurent sur le glacier que pour y tomber d’engourdissement ou de lassitude, et ils y dorment les uns auprès des autres, garantis de la corruption par le froid linceul qui les entoure. Ils s’incrustent dans la glace, et s’y creusent une fosse en forme d’entonnoir, de la même manière que les petits débris. Il n’est point rare d’en trouver en telle quantité qu’il suffirait de quelques heures pour faire une riche collection des insectes ailés qui habitent les vallées avoisinantes. Le glacier est un cimetière.
En recherchant les corps morts, on soulèvera peut-être quelque dalle pour voir ce qu’elle recouvre. Regardons bien, car c’est là qu’il y a chance de découvrir trace de vie. Chose curieuse, le glacier, qui est rebelle à toute végétation, a pourtant une faune mais une faune qui ne se compose que d’une seule espèce, presque microscopique. Ce sont de petits insectes qui sautent fort bien : aussi les a-t-on nommés les puces du glacier ; noirs et brillans, ils ont comme des écailles sur le dos et des antennes relativement assez longues. Ils sont d’ailleurs si petits qu’ils s’insinuent dans les moindres fissures de la glace, et y trouvent des routes invisibles, très suffisantes pour eux. Il semble difficile qu’ils y fassent la chasse à quoi que ce soit ; ils ont tout l’air de vivre de l’eau du glacier ; peut-être, avec leurs fins organes, y trouvent-ils encore des atomes cachés de substance organique. Qui sait d’ailleurs s’il n’y a pas des habitans inconnus dans la glace elle-même ou dans les neiges des hauteurs ? On connaît la neige rouge. Elle n’est pas particulière aux glaciers ; on la trouve à une hauteur de 2,000 mètres environ, et le plus souvent sur des pentes d’où la neige disparaît en été. La coloration en est due à la présence d’une multitude de petits infusoires. Si, au lieu d’être rouges, ces infusoires étaient d’un gris blanchâtre, ou s’ils n’étaient pas assez nombreux pour changer la coloration générale des neiges, est-il bien sûr qu’on les eût remarqués ?
Ces commencemens de vie enfouis dans les neiges ne se révèlent qu’à l’observateur attentif, et pour le touriste en promenade le glacier demeure un champ désert, avec des corps ensevelis à la surface. Malheureusement ce n’est pas à la surface seulement qu’il recèle des cadavres ; il y en a dans l’intérieur, et de plus grands que ceux des insectes ailés. Il les rendra tôt ou tard : tout ce qu’il contient revient au jour une fois ou l’autre. Il n’aime pas la saleté, disent les montagnards[3]. De tous les accidens du glacier, les crevasses sont celui qui frappe le plus. Quand on flâne sur un glacier, on n’en laisse passer aucune sans essayer d’en voir le fond. Quelquefois on peut y descendre, en se dévalant à l’une des extrémités, au point où se rapprochent les parois ; mais si l’on peut descendre dans une crevasse, c’est ordinairement lorsqu’elle est en train de se fermer, et qu’il n’en reste que le vase supérieur. Les belles crevasses sont celles dont on ne voit pas le fond ; les autres ne sont que des hachures vulgaires, plus ou moins colorées en bleu. Seules les crevasses insondables au regard donnent l’idée de ce que peuvent être les reflets à l’intérieur du glacier. Les ténèbres qui règnent dans la profondeur se transforment en un sombre azur qui devient plus lumineux à mesure qu’on approche de la surface, et il est impossible de rien imaginer de plus doux à l’œil que ce passage de la nuit au jour à travers toutes les nuances du bleu le plus pur. A. défaut de sonde, on y jette des pierres apportées à force de bras des moraines les plus voisines. On se penche sur le bord pour voir et pour entendre : on ne voit presque rien, la pierre a bientôt disparu ; mais elle rebondit de parois en parois, et l’on entend distinctement une vibration musicale, qui se communique à toute la masse du glacier. On dirait un orgue immense d’où s’échappe une note sourde et prolongée, funèbre gémissement de ces vastes tombeaux.
Tel est le glacier tranquille ; mais il est rare qu’un glacier chemine longuement par une route unie et douce. Les plus favorisés finissent par arriver au-dessus de quelque pente abrupte où il faut bien qu’ils s’engagent. Plusieurs n’abandonnent les hauts réservoirs de la montagne que pour se précipiter par une gorge étroite ou se déverser sur des flancs escarpés. Les glaciers précipitueux ne sont jamais des glaciers tranquilles. L’escalade en est difficile, sinon impossible, et le plus souvent on ne peut les observer que du dehors. Le nombre des crevasses est en raison de la pente et des aspérités du sol, deux choses qui vont ordinairement ensemble : aussi, pour peu que la pente devienne ardue, le glacier se transforme en un fouillis de blocs qui semblent prêts à se ruer les uns sur les autres[4]. Pour donner l’idée d’une de ces chutes de glace, on les compare volontiers à une cataracte dont les flots auraient été soudain convertis en masses gelées. L’image n’est pas tout à fait juste. Les flots liquides se suivent sans interruption ; les flots du glacier sont partout brisés et entrecoupés. Les premiers se déploient en gerbes ondoyantes, et jusque dans les rejaillissemens les plus impétueux conservent encore de la flexibilité et de la grâce ; les derniers, rigides et compactes, se déchirent à angle vif, et ne se prêtent à descendre que par un violent effort. Cet étrange désordre des cataractes du glacier se produit d’une manière graduelle. Au point où l’inclinaison devient tout à coup plus sensible, on voit courir de larges crevasses transversales entre lesquelles se dressent des tranches solides, épaisses et régulières. Le glacier se feuillette, puis, à mesure que la pente se prononce, les crevasses se rapprochent, et la dislocation commence. Enfin voici la chute proprement dite ; les tranches deviennent des lames qui se brisent en tout sens, et bientôt le glacier n’offre plus qu’un inextricable entre-croisement, un dédale de blocs et d’abîmes. Les blocs, tous penchés en avant, comme s’ils avaient hâte de passer, figurent des pyramides, des obélisques, des tours, des créneaux ruinés, des pans de murs contournés et tordus. Celui-ci surplombe, celui-là s’appuie sur l’épaule du voisin. On en voit qui sont plus épais par le haut que par le bas. Plusieurs sont percés à jour ; de plusieurs autres il ne reste qu’un socle informe, et une cassure fraîche indique une chute récente. L’esprit le plus fécond n’inventerait pas la moitié des formes qui se pressent dans ces accumulations de cristaux irréguliers. Le soleil les fait varier chaque jour, comme chaque jour il en rend l’équilibre plus incertain. Ses rayons pénètrent dans les hachures jusqu’à la base même des blocs pour les fondre et les ronger sans cesse. De minute en minute, on entend quelque craquement, et l’on voit disparaître dans l’abîme un de ces géans trop hardiment posés. À part ces soudaines ruptures d’équilibre, l’œil ne perçoit pas de mouvement, et pourtant on sent que toute la masse se meut, et qu’il s’y fait un travail qui ne s’interrompt pas un instant. Jamais avec l’apparence de l’immobilité la nature n’a mieux réussi à donner l’illusion du mouvement, et il résulte de ces impressions contraires un effet fantastique qui saisit les imaginations les plus ingrates. Au milieu de ce bouleversement, les moraines se disloquent, elles aussi, et deviennent ce qu’elles peuvent. La boue, le sable, les cailloux et les fragmens de petite taille ont bientôt disparu dans les crevasses supérieures, qu’ils salissent. Les gros quartiers résistent plus longtemps. On en voit qui reposent sur les deux bords d’une crevasse comme un pont naturel ; mais, pour peu qu’elle s’élargisse, ils y tombent, et restent pris entre les parois, sauf à s’enfoncer par petites chutes à mesure que fond la glace contre laquelle ils s’appuient. D’autres, réussissent à se maintenir tant bien que mal, perchés sur quelque glaçon qu’ils écrasent enfin de leur poids, et toute la moraine s’englouti dans les flots de la cataracte, dont les abîmes chatoient au soleil, aussi purs et aussi brillans que si rien ne s’était passé.
Avec de la persévérance et quelque hardiesse, quand d’ailleurs on est bien muni de tous les engins nécessaires, hache, corde, crampons, on peut quelquefois pénétrer jusqu’au centre de l’une de ces coulées de cristaux ; mais dès qu’on les aborde, on ne voit plus que les masses dont on est immédiatement dominé. À droite, à gauche, devant, derrière, partout se dressent sur votre tête des obélisques ou des aiguilles. On se sent à la merci de ces colosses de glace dont les formes étranges s’accusent d’autant mieux qu’on les voit de plus près, et quand on se glisse entre les dentelures, on se fait à soi-même l’effet d’une humble fourmi qui rôderait entre les mâchoires d’un lion. Il n’est pas besoin de s’engager bien loin pour se perdre, et le retour ne laisse pas d’être inquiétant quelquefois. Comment s’orienter au milieu de ce labyrinthe sans cesse renaissant ? Où a-t-on passé ? Est-ce tien ici ? Est-il possible que l’on ait pu contourner un bloc si formidable ? a-t-on eu réellement l’audace de chevaucher sur cette crête aiguë ? L’observation la plus attentive se trouve en défaut, la mémoire se trouble, et les souvenirs se confondent dans l’impression du chaos.
Pour l’observateur qui, non content des effets pittoresques, désire se rendre compte des causes, il est peut-être moins intéressant de pousser une pointe hardie jusqu’au milieu de ces cataractes que d’en étudier le commencement et la fin, la fin surtout. Nous avons dit comment le glacier se feuillette au-dessus de la rampe qu’il doit franchir ; vers le bas, il se reforme au contraire, les lames se rapprochent et se pressent les unes sur les autres, les abîmes se ferment, et il ne reste bientôt que des ondulations irrégulières, semblables à de grandes vagues qui s’effacent à leur tour, de telle sorte qu’à quelques cents pas de la chute le glacier est aussi tranquille que s’il n’avait pas cessé de cheminer par une route unie. On pourrait croire que la glace doit en être plus friable, ou tout au moins qu’on y distinguera des traces mal effacées de tant de ruptures ; mais non, elle résiste plus énergiquement à la hache, et il semble que plus elle a été brisée, plus elle forme un tout indivisible. L’aspect d’ailleurs en est le même, sauf une espèce de stratification verticale très apparente sur les parois des crevasses, et qui produit parfois un effet brillant : des bandes de glace plus bleue alternent avec des bandes de glace plus blanche ; les premières paraissent enchâssées dans les secondes, elles forment ensemble une masse veinée. Plus bas enfin, on voit reparaître à la surface du glacier quelques-uns des matériaux enfouis, — d’abord les plus gros, puis les cailloux ordinaires, et finalement les moraines se reconstituent presque aussi nettes, aussi distinctes qu’auparavant.
Les glaciers ainsi tourmentés le sont quelquefois au point de se briser tout à fait. Il en résulte des avalanches d’une espèce particulière, comparables à des chutes de montagnes. J’ai pu en constater un exemple assez curieux. Il se détache du grand glacier du Combin un bras latéral, qui tombe sur le Valsorey, non loin de la route du Saint-Bernard. Il débute par une chute verticale, ou peu s’en faut, qui ne doit pas mesurer moins de deux cents mètres ; puis il rencontre des pentes assez douces sur lesquelles il se prolonge jusque dans les pâturages. En 1858, un énorme glaçon, figurant un pilier gigantesque, était adossé contre la paroi verticale. C’est la seule fois que j’aie vu une cataracte de glace ressembler tout à fait à une cascade immobilisée. C’était bien un glaçon, et pour se le représenter exactement il n’y a qu’à supposer un Niagara gelé, moins large que celui du fleuve Saint-Laurent, mais tombant avec la même unité de jet d’une hauteur deux ou trois fois plus considérable. Quelques années plus tard, la cataracte n’existait plus, et l’on ne voyait que le rocher noir contre laquelle elle s’appuyait. Ce pilier de glace s’était écroulé, et le glacier inférieur, qui ne paraissait pas avoir sensiblement diminué, n’était alimente que par les blocs qui s’écroulaient de temps à autre des hauts réservoirs du Combin. Un accident pareil est assez rare ; le plus souvent un glacier ne peut se maintenir contre les parois abruptes. Il présente alors deux pu trois étages séparés par de hautes murailles de rochers nus. La facilité avec laquelle les glaciers se reforment n’est jamais plus frappante : la glace qui tombe d’un étage à l’autre se réduit en poussière ; néanmoins elle ne tarde pas à former de nouveau une masse compacte, et le dernier tronçon d’un glacier coupé en trois chemine aussi régulièrement que s’il n’y avait pas eu de rupture. Sans les veines de glace bleue enchâssées dans la glace blanche, on pourrait ne pas soupçonner les désordres du cours supérieur. Il est vrai qu’elles entretiennent une certaine irrégularité à la surface et par conséquent ne passent guère inaperçues. Elles sont plus homogènes, plus dures que la glace blanche, elles résistent mieux à l’action du soleil, en sorte qu’à chaque veine bleue correspond une crête plus ou moins proéminente, à chaque veine blanche un sillon où se logent les débris.
Cependant le glacier, continuant à descendre, pénètre dans des régions relativement basses et chaudes ; les ruisseaux deviennent nombreux, il n’y a pas un sillon de glace blanche qui n’ait son ruisselet, et par les ouvertures des crevasses on entend gronder de véritables torrens. En même temps le glacier diminue. Cette diminution n’est pas d’abord perceptible à l’œil, car c’est en profondeur qu’elle a lieu, et il faudrait pour en juger voir le fond des crevasses. Quant à la largeur, elle dépend surtout de l’écartement des parois : le glacier se rétrécit quand elles se rapprochent ; il s’élargit quand elles s’éloignent, et partout il se moule si bien sur les sinuosités du lit, qu’il ne semble pas avoir de peine à le remplir. Dès que les premiers indices d’une diminution se laissent apercevoir, on peut se dire qu’on approche de la fin. Ce n’est pas la partie la moins intéressante. C’est là qu’on trouve les plus belles aiguilles, et le désordre des moraines y atteint son maximum. C’est en outre l’endroit qui offre le plus de facilités pour entrevoir ce qui se passe sous le glacier. Il est plus que probable que sur les hauteurs la glace adhère au sol ; on ne voit pas ce qui pourrait empêcher l’adhérence au-dessus du point où la chaleur du sol est inférieure à zéro. Quelques observations que l’on a pu faire en profitant de circonstances favorables ont à peu près démontré qu’il en est bien ainsi ; mais vers l’extrémité tous les glaciers de quelque étendue ont quitté depuis longtemps la région des frimas. Ils descendent parfois jusqu’au niveau des montagnettes de la plaine, 1,000 ou 1,200 mètres. La chaleur de la terre les fait fondre par-dessous, et il y a souvent un intervalle libre entre la glace et le sol. De partout s’échappent des ruisseaux, et sur les points d’où sortent les courans les plus actifs il se forme des grottes profondes et spacieuses où l’on peut pénétrer sans danger. Il faut le faire toutes les fois que c’est possible, car c’est là que s’accusent avec le plus de vivacité les étranges contrastes qui font du glacier un objet de surprises et d’étonnemens toujours nouveaux. Ces teintes d’azur, plus suaves que celles du ciel le plus doux, embellissent les arceaux de la grotte ; la lumière qui pénètre par l’ouverture, souvent aussi par quelque fissure transversale, en multiplie les reflets. On ne les voit pas du dehors, comme lorsqu’on se penche au bord des crevasses ; on est entouré, on est baigné de cette lumière idéale, et cependant sur le payé de la grotte roule un torrent épais et sale, de tous les interstices débouchent des flots de boue et de limon. On découvre alors que le glacier repose sur une couche de vase, et que c’est lui-même qui la produit. Il pèse d’un poids énorme sur son lit de rochers, et ne marche qu’avec un frottement continuel, de sorte qu’il broie à la longue et réduit en poudre fine toutes les aspérités. L’eau qui suinte des fissures imbibe cette poussière, qui chemine avec le glacier et fait l’office d’un véritable émeri. Il y reste toujours de petits grains de sable plus durs, quelquefois des cailloux qui, serrés contre la roche, y dessinent de fines stries ou des raies un peu plus fortes. Le glacier ne travaille pas seulement au grand jour en transportant les débris tombés des hauteurs ; il travaille encore dans l’obscurité en polissant le sol qu’il recouvre, en en faisant disparaître les angles et les rugosités. Balayez le pavé d’une de ces grottes, mettez la roche à nu, et vous la trouverez invariablement rabotée, limée, polie. Elle le sera surtout dans les parties qui se relèvent et font obstacle à la marche des glaces. Ce travail de polissage est d’une finesse extrême. Les raies se touchent sans se confondre, et l’on peut suivre la marche de chacun des grains de sable qui ont tracé leur sillon sur la pierre.
Toutes ces boues, après un voyage bien autrement laborieux que celui des blocs qui se font porter, arrivent au jour, et s’entassent à l’extrémité du glacier. Là est aussi le rendez-vous général des moraines qui le couvraient et de celles qui cheminaient sur les bords. Souvent on ne sait où le glacier finit, tant il est couvert de matériaux. On le traverse comme on traverserait les dépôts d’un éboulement. Des plantes peuvent s’y tromper. On trouvera quelques renoncules sur les dernières pentes du glacier de Zmütt, au pied du Cervin. Il est vrai qu’il est chargé entre les plus chargés, et des naturalistes s’y trompent parfois aussi bien que les renoncules Enfin la glace cesse tout à fait, et il ne reste que la grande moraine de front, formée par la réunion de toutes les autres et cimentée par la boue qui s’échappe de dessous le glacier. Elle se déploie en ceinture devant lui, et l’entoure d’un formidable rempart. C’est parfois toute une ascension que de la gravir. Au reste, rien de plus irrégulier que ces vastes amas. Le glacier bat-il en retraite, il les abandonne, et recule en jonchant le sol de débris éparpillés ; puis, après quelques années pluvieuses, on le voit revenir sur ses pas et porter le désordre au milieu de ses vieilles moraines. Il les attaque par le fond, les soulève, les culbute, les renverse sur elles-mêmes. Rien ne lui résiste, excepté le roc en place, qu’il lime, ne pouvant l’enlever. S’il rencontre un sapin, il le couche à terre, — une hutte en bois, il la pousse plus loin, — une prairie, il l’ensevelit et glisse sur les gazons, à moins qu’il ne s’engage en dessous comme un soc de charrue, et ne soulève toute la couche de terre végétale qui s’enroule et s’empelotonne devant lui. C’est sa manière de labourer. Il fait tout cela doucement, sans bruit, sans secousse, avec une apparence de débonnaireté qui ajoute à l’effet de ces scènes de destruction. C’est exactement le contraire du torrent qui s’en échappe. Celui-ci, qui semble vouloir tout emporter, se consume en efforts inutiles contre les gros blocs, et sa rage n’aboutit qu’à charrier de pauvres galets ; il a la violence des faibles. Le glacier procède autrement ; il avance sans qu’on l’entende, patient, mais irrésistible. Il ne détruit pas pour détruire, il ne fait qu’écarter les obstacles. Il accomplit son œuvre avec un calme inexorable, sans jamais s’en laisser détourner. Les malheureux dont il ravage les champs le regardent faire avec une muette résignation ; ils assistent à leur ruine et n’essaient pas de la conjurer. Pour se faire une idée juste de ce qu’il peut y avoir de force dans ces fleuves solides qui marchent toujours, il est bon d’avoir vu à l’œuvre de très petits glaciers. Cachés dans quelque excavation de la montagne, ils n’attirent pas les regards ; mais, si l’on prend la peine d’aller les y chercher, on trouvera qu’ils font rage dans leur solitude. Ils ont des moraines plut grosses qu’eux ; ils en ont deux, trois, quatre rangées, et souvent pour les atteindre il faut pendant des heures remonter des champs de ruines. Il est vrai qu’à la hauteur où ils habitent les traces des oscillations ne disparaissent pas sous la verdure, et que l’on peut juger à la fois du travail actuel et du travail passé. Les touristes ont coutume de distinguer entre les glaciers qui sont purs et ceux qui ne le sont pas. Ils ont pour les premiers une préférence marquée : c’est surtout la pureté du glacier de Rosenlaui, dans l’Oberland bernois, qui lui a valu de devenir célèbre. Les glaciers ne sont jamais tout à fait purs. Il y a sous ce rapport une différence frappante entre les neiges des cimes et les glaces qui s’en écoulent. Si naturel d’ailleurs que soit le goût des touristes, on peut dire que les glaciers les plus purs sont rarement les plus intéressans ; cette pureté même est un indice de pauvreté : elle prouve qu’ils ne viennent pas de très loin, qu’ils ont cheminé sur des pentes uniformes, et que le voyage n’a pas été riche en événemens.
Les grands glaciers ont ceci de remarquable, qu’ils sont formés par la réunion de plusieurs. Ils naissent sur les flancs de cimes très élevées, et ne sont possibles qu’autant que les bassins creusés entre les arêtes de nombreuses sommités aboutissent à un réservoir commun. Celui du Mont-Rose est dominé par une douzaine de pics qui mesurent de 3,800 à 4,700 mètres. Ils sont le couronnement d’une muraille qui, après s’être prolongée de l’est à l’ouest, tourne à angle droit vers le nord. De chacun d’eux tombent des arêtes entre lesquelles descendent des vallons qui convergent vers une seule vallée. Arêtes et vallons, avec les pics qui les couronnent, forment un immense amphithéâtre qui, si on pouvait le dégarnir des neiges et des glaces, ne serait que le plus colossal des cirques ravinés que l’on rencontre partout dans les Alpes ; mais le rocher ne se montre qu’aux points les plus saillans des arêtes, et le reste de l’amphithéâtre est couvert de neiges qui se pressent sur les hautes pentes, puis se précipitent dans chaque vallon, et y deviennent des fleuves de glace parfois assez puissans pour passer par-dessus leurs digues et se déverser sur leurs voisins. Arrivés au bas des parois de l’amphithéâtre, ils se réunissent en un seul fleuve et coulent ensemble dans le lit commun que leur offre la vallée principale. Lorsque deux rivières se réunissent, elles tardent à mêler leurs eaux ; les glaciers font mieux encore, ils se refusent absolument à se confondre. Ceux qui sont plus chargés de débris se continuent par un long ruban sale ; ceux qui sont plus purs dessinent à côté une bande plus blanche. La double moraine qui se forme à la jonction les accompagne et les sépare fidèlement. Sur le glacier du Mont-Rose, on peut dès l’origine de la grande vallée compter six ou sept moraines qui indiquent la ligne de démarcation entre les affluens déjà réunis. Cette vallée, d’abord spacieuse, ne tarde pas à se rétrécir, et il faut que toutes ces glaces s’échappent par une gorge qui en certains endroits n’a guère plus de 300 mètres de largeur. Le glacier y accélère son cours, se fait torrent, devient raboteux ; les moraines cheminent les unes près des autres, et bientôt on en voit qui se confondent. Ce n’est pas que les courans qu’elles séparaient aient fini par se mêler, c’est tout simplement que l’un était moins fort que l’autre et qu’il ne va pas plus loin. Cependant la gorge a des contours, et le glacier se tord sur lui-même en se déchirant de plus en plus ; les moraines sont réduites au nombre de deux, la plupart des blocs ont disparu dans les crevasses, ceux qui restent forment des groupes irréguliers entre les hachures béantes ; puis l’inclinaison devient forte, des aiguilles se dessinent, à côté d’elles des tours et des pyramides : le glacier semble n’avancer que par saccades violentes ; enfin, après un dernier contour plus laborieux que les autres, il débouche au milieu des pâturages et s’y termine en parois abruptes et tourmentées.
Descendre le glacier du Mont-Rose, depuis les cimes jusqu’à l’extrémité, en ne mettant le pied sur le roc que là où il le faut absolument, est sans doute un voyage pénible ; mais il y en a peu de plus intéressans. Nulle part la nature n’offre de contraste plus saisissant. Légères sont les neiges d’en haut, le glacier est pesant ; il ne se meut qu’à force d’obstination, et jusque dans les jeux les plus hardis de ses hautes cataractes il y a de l’effort, de la contrainte, je ne sais quelle rude gaucherie ; s’il a des aiguilles légèrement posées, ce ne peut être que par quelque hasard d’équilibre qui leur permet de rester longtemps dans la position d’une tour qui va tomber. Les neiges d’en haut sont pures et lumineuses, elles ont bientôt enseveli ce qui pourrait les souiller, et en toute saison elles resplendissent au soleil ; le glacier se découvre chaque été, et ne craint pas d’étaler aux yeux les matériaux qui le salissent. Les neiges d’en haut ne semblent faites que pour briller, le glacier est fait pour charrier ; il a les épaules robustes, il ne cède pas sous les plus gros blocs, il les soulève au besoin dans les airs, et vous renverseriez sur lui toute une montagne qu’il en transporterait les débris à la plaine avec ordre, avec lenteur, avec la patience de la force, et sans jamais fléchir sous le poids. Les neiges d’en haut habitent un pays de lumière, pour elles sont les premiers rayons de l’aurore et les dernières lueurs du couchant ; le glacier se traîne dans les vallées, et ne voit le ciel qu’entre deux murailles de rocher. Les neiges d’en haut ont de l’espace pour jouer et tourbillonner ; le glacier n’a pas de place pour ses vagues congelées, qui se gênent dans les défilés et s’y pressent les unes sur les autres. Les neiges d’en haut protègent les cimes ; le glacier les mine par-dessous, il les ronge, les lime, et convertit en boue la charpente des Alpes. Les neiges d’en haut reposent inoffensives dans d’éternelles solitudes ; le glacier est un envahisseur qui descend en rampant jusque dans les vallées populeuses, attaque les champs des hommes et renverse leurs habitations. Et cependant c’est bien des neiges d’en haut que naît le glacier, mais par quelle série de métamorphoses insensibles ! Amollies par la chaleur de l’été, durcies par les gelées de l’hiver, elles se fixent, se tassent, deviennent une masse rugueuse, puis une espèce de ciment grossier, puis une glace à gros grains, moitié opaque, moitié transparente, mais de plus en plus compacte, jusqu’à ce qu’enfin de cette chose légère qui s’appelle unes étoile de neige, de ces mille paillettes qui voltigent à la manière des moucherons bercés sur leurs ailes diaphanes, se soit formé ce reptile effrayant et superbe qui s’accroche aux aspérités des rocs, déroule ses plis le long des précipices et fait craquer dans les gorges de la montagne ses anneaux monstrueux.
Les glaciers sont un de ces phénomènes qui ont le privilège d’exciter la curiosité et de faire naître le désir de savoir. Nous les aurions bien mal décrits, si le lecteur ne s’était pas demandé pourquoi tous ces accidens, pourquoi surtout cette glace qui marche ? La science s’est posée la même question ; nous n’essaierons pas de retracer tous les efforts qu’elle a faits pour y répondre : ce serait une longue histoire, et une histoire qui a déjà été racontée ici même par un de ceux qui y ont joué un des rôles les plus marquans. Nous n’en détacherons que ce qui peut contribuer à faire mieux saisir la physionomie du glacier. L’idée qui se présente le plus naturellement à l’esprit est que les glaciers, entraînés par leur propre pesanteur, glissent lentement sur la pente. C’est ainsi qu’en jugeait de Saussure, et sa théorie est la première qui ait eu « généralement cours parmi les savans et dans le public. Cependant elle semblait difficilement applicable à certains glaciers qui cheminent sur un fond presque plat. Cette difficulté devint plus grande encore lorsqu’on eut acquis la certitude que les glaciers avaient eu jadis une extension infiniment plus considérable. Comment les faire glisser des Alpes au Jura ? Aussi M. Jean de Charpentier, le premier naturaliste qui se soit fait une idée claire de ce qu’étaient les glaciers d’autrefois, chercha-t-il une autre explication. Il fit valoir l’immense quantité de petites fissures capillaires qui pénètrent en tout sens la substance du glacier, la facilité avec laquelle elles s’emplissent, les alternatives incessantes, — en été presque journalières, — de gelée et de dégel dans les régions glaciaires. M. de Charpentier ne mettait pas en doute qu’en additionnant toutes les pressions exercées par la congélation de l’eau contre les parois de ces innombrables fissures, on n’obtînt un déploiement de force suffisant pour expliquer même l’extension des anciens glaciers. Cette théorie remporta d’abord sur celle de Saussure, puis on y découvrit aussi dès difficultés multipliées. Elle a entre autres cet inconvénient, que la cause du mouvement s’y détruit par le mouvement même. Chaque fissure qui s’emplit est perdue pour la force motrice, et, quand toutes celles que peut contenir un glacier seraient pleines jusqu’au bord, le froid le plus intense ne pourrait le dilater que de la quantité dont l’eau se dilate en se transformant en glace, c’est-à-dire à peu près d’un dixième, après quoi le glacier ne serait plus qu’un énorme glaçon compacte et immobile. On finit par comprendre que le problème ne serait jamais résolu, si on ne se livrait pas tout d’abord à une étude plus attentive des faits. Un naturaliste suisse, Hugi, voyageur intrépide, avait déjà donné l’exemple. Hugi fut imité par plusieurs de ses compatriotes, ainsi que par de nombreux savans étrangers. MM. Agassiz, Desor et Ch. Vogt firent construire une cabane sur le glacier de l’Aar, et y passèrent plusieurs étés. Les frères Schlagintweit étudièrent avec soin l’un des plus grands glaciers du Tyrol. M. Forbes s’établit au Montanvert, et travailla sur la Mer de Glace, M. Martins au Faulhorn, où il observa minutieusement le petit glacier du même nom. Le branle était donné, et dès lors il ne s’est plus passé un seul été sans que les recherches de la science aient été poursuivies avec un zèle infatigable sur plusieurs points des régions glaciaires.
Le premier résultat de ces campagnes diverses fut la réunion d’un très grand nombre d’observations précises. On peut dire que lorsque Agassiz bâtit sa cabane sur la moraine du glacier de l’Aar, cette cabane devenue célèbre sous le nom d’Hôtel des Neuchâtelois, les glaciers n’avaient été étudiés qu’en gros. Bientôt des données exactes remplacèrent les notions vagues et générales : on connut la structure de la glace à des hauteurs variées, l’action de la fonte fut mesurée, et l’on eut enfin des chiffres qui permirent de se faire une idée précise du mouvement des glaciers. Ce mouvement varie. Il dépend d’une foule de circonstances. Il est plus faible en hiver qu’en été, plus faible aussi à de grandes hauteurs que dans les régions moyennes, il croît en raison de la masse, il est plus sensible à la surface que dans l’intérieur et vers le centre que sur les bords ; mais il est encore très lent quand il atteint son maximum. Une vitesse de 3 décimètres en un jour est déjà considérable, et il n’y a que peu de glaciers qui cheminent à raison de 100 mètres par an, ce qui suppose presque un demi-siècle pour un trajet d’une lieue suisse. De tous ces faits il ne sortit d’abord aucune idée générale nouvelle. La discussion semblait toujours renfermée entre ces deux termes : glissement ou dilatation. La théorie de la dilatation, soutenue par Agassiz, continuait à avoir le dessus, lorsque l’Anglais Forbes changea tout à coup la face du débat. Forbes prétendit que les glaciers coulaient. Il les comparait à des masses d’argile boueuse, de cire molle ou de lave en fusion. On comprenait alors pourquoi aux plus grands réservoirs de neige correspondent les plus grands glaciers, pourquoi ceux-ci suivent avec une si exacte docilité les contours sinueux du lit qu’ils remplissent, pour quoi le cours en est plus rapide aux endroits resserrés que lorsqu’ils ont de l’espace pour s’élargir, pourquoi ils s’accumulent contre les rochers qui leur barrent le passage, pourquoi la vitesse est en raison de la masse et moindre sur les bords qu’au centre, pourquoi lorsqu’ils se terminent sur un fond plat ils s’étalent en éventail. Rien de plus séduisant que la théorie de Forbes, et pourtant rien de plus contraire à la première apparence, rien de plus difficile à admettre pour quiconque avait fait, par exemple, la promenade classique du Jardin, à quelques lieues de Chamonix. La grande cataracte du glacier de Talèfre, au-dessous du Jardin, avec les franches cassures et le désordre de blocs qu’il présente, ne donne guère l’idée d’une substance plastique. Pour peu d’ailleurs qu’on s’aventure sur quelque pente escarpée et qu’il faille recourir à la hache, on ne tarde pas à s’apercevoir que cette glace est singulièrement résistante. La théorie de Forbes, qui faisait disparaître tant de difficultés, se heurtait contre ce simple aspect des choses.
Le glacier est-il une masse plastique, oui ou non ? Telle était la question qui se posait, et qui devait bientôt conduire à une étude attentive des propriétés intrinsèques de la glace, surtout de la glace formée par la congélation de la neige. Une expérience qui n’avait pas pour objet direct la théorie des glaciers donna l’éveil. Faraday montra qu’un bloc de glace coupé en deux se ressoude, si on en rapproche les parties en les serrant l’une contre l’autre après les avoir exposées à une chaleur suffisante pour que la surface soit humide. Ce fut un trait de lumière pour un autre savant, M. Tyndall. Il fit de son côté des expériences, puis des séjours sur les Alpes, et à peine avait-il vu dans un premier voyage les glaciers de l’Oberland, qu’il corrigeait sur plus d’un point les vues de ses devanciers.
Les expériences de Tyndall sont très connues. Il prit des moules en bois dont le vide figurait une sphère, une lentille, un segment d’anneau. Un bloc de glace comprimée fut placé entre les deux parties du premier de ces moules et soumis à l’action de la presse hydraulique. La glace craqua et se réduisit en morceaux. On continua de presser, et au bout de quelques minutes on sortit du moule une belle sphère de glace pure. On prit ensuite le moule à cavité lenticulaire, on y plaça la sphère qu’on venait d’obtenir, et après un brisement nouveau on retira une lentille de glace. On fit de même avec le moule annulaire, et la lentille devint un segment d’anneau. Toutefois, pour que ces transformations fussent possibles, il fallait que la température de la glace fût voisine du point de fusion. Avec de la glace très froide et par conséquent très sèche, l’expérience ne réussissait pas ; une fois la glace brisée, il n’y avait pas moyen de la ressouder. Rien de plus simple que ces expériences. Ainsi que l’a fort bien indiqué M. Martins, elles diffèrent à peine, sauf la précision, de celles que répètent chaque jour en hiver les enfans qui font des balles de neige. Elles n’en démontrent pas moins que la glace a des propriétés particulières qui en font un corps à part. La glace n’est pas un corps dur ordinaire, comparable à un caillou par exemple. La pression peut bien briser un caillou, mais elle ne peut pas de la poussière former un caillou nouveau. La glace n’est pas non plus un corps plastique ordinaire, comme la résine. Pour passer d’une forme à l’autre, il faut d’abord qu’elle se brise. En outre elle ne se laisse pas étirer en fils ; elle résiste à tout effort de traction, et se rompt plutôt que de s’allonger. Elle joue dans la nature un rôle intermédiaire, mais elle ne le joue qu’à la condition d’être humide.
Ces propriétés, la masse entière du glacier doit les posséder à peu près en tout temps. En hiver en effet, elle se refroidit peu, soit à cause de la chaleur naturelle du sol, dont la température est supérieure à 0° jusqu’à 2,600 mètres environ, soit à cause de l’épais manteau de neige qui la garantit des influences extérieures. Le glacier se trouve donc toujours dans des conditions peu différentes de celles de l’expérience de Tyndall. Il est impossible dans ces circonstances que la température intérieure s’éloigne beaucoup du point de fusion, et en été tout concourt à l’y ramener. En outre la quantité d’eau qu’il absorbe lui fournit plus que l’humidité nécessaire pour se ressouder, s’il se brise. Retenue dans un réseau compliqué de fissures et de cavités grandes et petites, cette eau ne s’écoule ou ne se congèle que peu à peu ; il est probable qu’elle contribue à entretenir les ruisseaux qui en hiver s’échappent encore des glaciers, et, alors même que la provision en serait épuisée, la température générale de la masse ne tomberait point assez bas pour que le glacier fût absolument sec.
À peine Tyndall eut-il mis le pied sur un glacier qu’il reconnut partout deux ordres de phénomènes non-seulement distincts, mais contradictoires. Il fut frappé, comme Forbes, de mille effets de plasticité. Le glacier lui parut un fleuve qui se moule sur son lit, et il rendit la justesse de cette comparaison plus évidente encore par une expérience capitale. On avait mesuré le mouvement de plusieurs glaciers dans des conditions fort différentes, mais sans songer à déterminer le point maximum de vitesse aux tournans du glacier. On sait comment les fleuves se comportent en cas pareil : ils se jettent de toute leur masse contre le fond des golfes. Si le mouvement des glaciers a lieu par écoulement, ils doivent se comporter de même, et c’est en effet ce qu’ils font, ainsi que Tyndall l’a démontré par des mesures exactes prises sur la Mer de Glace. Le maximum de vitesse n’est au centre que lorsque le glacier chemine en ligne droite, et il se déplace à tous les tournans, de telle façon que la courbe de plus grande vitesse exagère les sinuosités du rivage.
Si ces phénomènes semblent attester la facilité du glacier à se plier aux circonstances, d’autres indiquent la nature revêche d’un corps rigide. Quoi de plus éloquent que le témoignage des crevasses ? Une crevasse est une brisure. Pour qu’une crevasse se forme, il faut une résistance énergique à un effort violent. On ne trouve rien de semblable sur les fleuves ni sur les coulées de lave ou d’argile. Quelle relation peut-il y avoir entre des phénomènes si opposés ? Tyndall apportait avec lui la clé du problème. Le glacier est docile quand il subit un effort de pression ; il est revêche quand il subit un effort de traction. La pression est partout ; la preuve en est dans le mouvement même du glacier, qui est constant et appréciable sur tous les points. Aussi les phénomènes qui attestent la plasticité sont-ils d’autant plus frappans qu’on embrasse un plus vaste ensemble. Nulle part on ne les apprécie mieux que du haut des cimes, d’où l’on peut suivre le cours entier de quelque grand glacier. L’effort de traction n’est pas aussi général, et pour s’en rendre un compte exact il faut voir le glacier en détail. Ce sera, si l’on veut, un accident, mais un accident si commun que c’est à peine s’il le cède en importance au fait général. Deux causes principales contribuent à multiplier les tractions : d’abord les pentes, les brusques mouvemens du sol. Un glacier plus ou moins plat arrive-t-il au bord d’un précipice, il y sera fatalement poussé ; mais à peine quelques parties de la masse y seront-elles engagées qu’elles exerceront par leur poids un effort de traction sur les parties qui suivent, et dès que cet effort l’emportera sur la résistance qu’oppose la cohésion de la glace, il y aura rupture. En second lieu, des tractions peuvent naître de la pression elle-même. Toute pression inégale doit en produire dans un corps solide. Les parties plus énergiquement poussées tirent celles qui le sont moins. Les crevasses de bord, par exemple, proviennent de ce que le glacier chemine plus rapidement au centre, en sorte que le flot central tire après lui les flots riverains, attardés par le frottement. Ceux-ci résistent, et, conformément aux lois de la mécanique, ils se brisent perpendiculairement à la ligne de traction. La combinaison de ces deux forces contraires se marque avec la dernière évidence partout où le glacier tombe en cataracte. Livré à tous les hasards d’une chute violente, il semble sur le point d’être réduit à néant, la traction l’emporte ; mais à peine atteint-il le bas du gradin qu’il a dû franchir, que la force de pression reprend le dessus, répare toutes ses brèches, et qu’il recommence à s’écouler d’un flot égal et tranquille. La traction a failli le briser en poussière ; l’instant d’après la pression l’a ressoudé en une seule et puissante masse. La structure veinée elle-même est une preuve de plus des effets réparateurs de la pression. On sait qu’une violente pression peut suppléer à la chaleur et ramener la glace à l’état liquide. Cet effet doit se produire plus ou moins au pied des cataractes ; il s’y forme des lames liquides d’où l’air s’échappe sous forme de bulles, et qui, de nouveau congelées, deviennent ces belles tranches de glace bleue, enchâssées dans la masse plus opaque. Cette glace bleue est plus dure, et c’est ainsi que de la lutte engagée entre les forces contraires qui disposent de sa fortune le glacier sort plus compacte et plus fortement constitué.
La théorie de Tyndall est une de ces belles généralisations qui ne sont possibles que lorsque les questions sont ramenées aux termes véritables. Au fond, elle est supérieure à toutes les autres, parce qu’elle est plus claire. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à chercher au-delà ? Je n’oserais l’affirmer. Lorsque Tyndall fabriquait ses sphères, ses lentilles, ses anneaux, il travaillait au moyen de deux instrumens, le moule et la presse hydraulique. Nous voyons bien où sont les moules dans les laboratoires de la nature, ce sont les pentes des Alpes, surtout les dépressions et les vallées ; mais où est la presse hydraulique ? La presse hydraulique, dit le plus autorisé des interprètes de Tyndall, M. Aug. de La Rive, est dans les masses de neige et de glace accumulées sur les sommets et qui exercent une pression sur la glace qui descend dans les vallées[5]. La réponse de M. de La Rive est bien celle de Tyndall. Elle est répétée couramment aujourd’hui par un grand nombre de naturalistes. À mes yeux, c’est là qu’est le point obscur de la théorie. On y retrouve la distinction tranchée établie par quelques auteurs entre la zone des neiges supérieures et celle des glaces dans les basses régions. Les glaces des vallées feraient l’office du bloc sur lequel expérimentait Tyndall, aux neiges des hauteurs appartiendrait le rôle de presse hydraulique. L’idée de cette répartition des rôles aurait trouvé moins de crédit, si l’on n’avait jusqu’à présent étudié de préférence les grands glaciers, qui s’y prêtent plus facilement ; mais il y a de petits glaciers qui, dans les années favorables, ne sont chargés d’aucun amas de neige, et qui n’en continuent pas moins à cheminer. Il y a des glaciers de plateaux qui se déroulent sur des esplanades dont la pente est parfois très douce, et qui ne sont dominés par aucune cime, sauf peut-être quelque pic abrupt qui retient peu de neige en hiver et n’en garde pas trace en été. Et les grands glaciers eux-mêmes n’offrent-ils pas aussi les transitions les plus minutieusement ménagées entre les neiges des sommets et les glaces des vallées ? n’ont-ils pas d’ailleurs une masse hors de toute proportion avec celle des neiges, que l’on peut envisager comme pesant sur eux ? Et si cela est vrai de nos grands glaciers, à combien plus forte raison ne pourra-t-on pas le dire des glaciers d’autrefois ! Où placera-t-on sur les pics des Alpes des masses suffisantes pour représenter la presse hydraulique qui faisait mouvoir l’ancien glacier du Rhône ?
Il n’est pas douteux qu’une pression existe ; mais la manière dont elle s’exerce demeure incertaine. Le degré d’avancement de la théorie semble répondre exactement à la quantité et à la nature des observations faites sur les lieux. Jusqu’ici, la plupart des naturalistes ont planté leur tente à 2,000, 2,400, 2,600 mètres. Le moment est venu d’étudier avec la même persévérance la zone comprise entre 3,000 et 4,000 mètres. La théorie des glaciers ne sera pas complète aussi longtemps qu’on n’aura pas des données très précises sur la première transformation de la neige en glace, sur le mouvement de la température des neiges voisines des sommets les plus élevés, sur les effets du tassement, sur l’état des couches de fond. M. Dollfus-Ausset, naturaliste infatigable, vient d’entrer hardiment dans cette voie nouvelle. Il a poussé la curiosité jusqu’à vouloir être exactement instruit de ce qui se passe au cœur de l’hiver à plus de 3,000 mètres. C’est lui qui a organisé le séjour que trois guides habitués aux observations météorologiques ont fait, il y a deux ans, au Saint-Théodule. Cet exemple sera suivi, et avant peu d’années sans doute nous aurons toute une moisson d’observations. La science n’a pas coutume de rester à mi-chemin ; elle ne recule que devant l’impossible. Si d’ailleurs il est une question qui ait chance d’être étudiée avec suite et avec zèle, c’est bien celle des glaciers ; elle semble entourée de je ne sais quel charme auquel on ne résiste guère. Les naturalistes qui ont abordé cette étude lui sont tous restés longtemps fidèles. Plusieurs y ont voué leur vie. Chaque été, ils reprennent leur sac de voyage. C’est leur fête de l’année, et il faut voir avec quelle impatience ils attendent l’heure du départ. Ils savent qu’ils trouveront là-haut non le loisir, mais quelque chose qui vaut mieux, l’étude fortifiante, l’étude sous le ciel bleu, loin des petites préoccupations de la vie habituelle. Ils auront à y soutenir plus d’une lutte contre la nature : ces luttes-là entretiennent la santé ; elles peuvent produire la fatigue, jamais la lassitude, et elles font jouir également de l’activité et du repos. N’y a-t-il pas des savans qui se sont fait un véritable chez-eux de la haute montagne, et qui, de retour dans la plaine, se trouvent dépaysés et perdus ? Pourquoi s’en étonner ? La nature, mère de la science, s’est réservé sur les Alpes un laboratoire où la main des hommes n’a rien arrangé ni rien dérangé, où le temps a pu faire son œuvre en paix, et où elle travaille aujourd’hui comme elle travaillait il y a mille ans : pour un naturaliste, un tel laboratoire vaut un temple.
Il n’est aucun genre d’étude qui réunisse au même degré et fonde dans une plus parfaite harmonie les jouissances de la poésie et les pures austérités de la recherche scientifique ; on ne sait si ceux qui s’y livrent sont plus attirés par les unes que par les autres. Cette heureuse union se manifeste jusque dans les résultats acquis. Souvent on a reproché à la science de faire pour la nature ce que font pour les poètes certains commentateurs qui les dessèchent en les expliquant. Ici rien de semblable ; l’admiration n’est pas en raison inverse du savoir. En fait de glaciers, les véritables artistes ne sont ni les peintres, ni les poètes, ni les littérateurs, ce sont les savans, à commencer par de Saussure et à finir par Tyndall. Plus la théorie approche de l’achèvement, plus elle offre de prise à l’art et à la poésie. Qu’est-ce donc que cet étrange écoulement dont Tyndall a révélé les lois contradictoires ? Il n’en est pas de plus laborieux ni de plus chaotique, et il semble appartenir à ces temps fabuleux dont parlent les cosmogonies anciennes, où les élémens n’étaient pas encore séparés et où la matière attendait une forme. Tout s’écoule dans l’univers. L’air se répand dans l’espace, quelquefois doucement, quelquefois avec fureur, toujours avec facilité, les vents ont des ailes aussi bien que les oiseaux. L’eau court à la surface de la terre : elle n’a pas la légèreté des êtres aériens, elle est fixée au sol ; mais elle est chose mobile, elle a grâce à se déplacer. La boue et la lave allongent sur les pentes leurs masses inertes, qui s’épanchent pesamment sans se rompre jamais. Les corps solides ont aussi une espèce d’écoulement, toutefois il y faut la violence : emprisonnez-les dans un espace fermé de toutes parts sauf un étroit orifice, et à force de peser sur eux vous les contraindrez à s’échapper par la seule voie qui leur soit ouverte. Quant au glacier, il ne peut pas ne point s’écouler ; il a une carrière à fournir, il la fournira jusqu’au bout. Cependant il semble que les moyens lui en aient été refusés, il ne peut s’écouler qu’en se brisant pour se reformer. À le voir en apparence immobile, à l’entendre gémir et craquer, on croit deviner une lutte entre la destinée qui commande et la matière qui résiste. La matière obéit néanmoins, mais avec quel effort et quel travail ! Elle n’obéit qu’au prix d’une destruction et d’un enfantement perpétuels.
E. RAMBERT.
- ↑ Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les articles publiés cette année (15 janvier, 1er février, 1er mars) par M. Ch. Martins sur les Glaciers actuels et la Période glaciaire. Nous nous sommes placé à un point de vue assez différent pour éviter une comparaison dangereuse. Si dans la dernière partie de cette étude nous touchons à la question scientifique, déjà traitée ici avec tant de compétence, c’est que nous le croyons nécessaire pour expliquer les divers aspects et la physionomie complexe du glacier, que nous nous sommes surtout efforcé de décrire.
- ↑ M. le docteur F. Cérésole on a donné une description très exacte dans le troisième Annuaire du Club Alpin suisse (Jahrbuch des Schweizer Alpenclubs, Berne 1860, p. 544. Il observait de Morges, et malgré la distance, environ 18 lieues, il a vu distinctement fumer le Mont-Blanc.
- ↑ C’est ainsi que tout dernièrement, le 24 septembre 1867, le glacier voisin du Col-du-Mont a rendu les squelettes de trois soldats français, dont le régiment était en garnison à Sainte-Foy en 1794, et qui s’égarèrent dans ces parages lors d’une reconnaissance faite à la frontière, le 5 mai de la même année. Le souvenir de cet accident vit encore dans le pays. Auprès des squelettes, dit-on, existaient encore quelques effets d’équipement.
- ↑ On a pris l’habitude, depuis quelque temps, de donner aussi à ces blocs le nom de séracs. La plupart des auteurs écrivent maintenant sans scrupule les séracs du Talèfre, les séracs du glacier du Rhône, etc. En abusant ainsi des mots, on finira par ne plus s’entendre. Le sérac appartient à la zone supérieure, et n’a rien de commun avec les blocs qui naissent de la dislocation du glacier sur les pentes trop fortes.
- ↑ Actes de la Société helvétique des sciences naturelles. Genève, 1865. Discours d’ouverture, p. 17.