Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Stances à Verville

STANCES,

SVR LE SVIET DE

CET OEVVRE,


Au Sieur de Verville.


Es viuantes ardeurs des flames amoureuſes

Portent leurs mouuemens sur l’eſſence du beau.
Car la Beauté contraint les ames genereuſes
De prendre iour au raiz de l'amoureux flābeau.


Tout ce qu’Amour projette, & tout ce qu'il propoſe,
N’eſt peint que ſur l’object de la meſme Beauté,
Si quelque bel eſprit à l'honneur se diſpose
Son deſir est touſiours sur l'Amour Arreſté


Mais ce qu’on dit d’Amour n’eſt pas ce que l'on pēse.
Le commun n’entend pas ces belles notions,
Les eſprits serieux en gardent la ſcience,
Les autres vont au vent de leurs opinions.


Ceux qui touchez d’Amour à ſes graces aſpirent
Comme chers fauoris de la table des Dieux,
Ne ſont point attachez aux ſujets que deſirent
Ceux qui cerchent la terre & negligent les cieux


Ç’eſt ainſi que l'on voit les choſes plus parfaictes,
Que l'on cognoiſt l'Amour en ſes eſlancements,
Alors qu'en ce tranſport les ames ſont diſtraictes,
Par l'heureuſe douceur de leurs contentements.


Mais ces belles Amours ne ſont pour toutes ames,
Chacun ne peut porter de ſi nobles deſirs,
Ceux qui ſont epurez dedans ces belles flames
Cinglent le uent en poupe, au haure des plaiſirs.


I’auois cogneu iadis aux terres eſtrangeres
Des Princes Fortunez les loüables Amours,
Mais ie n’auois pas ueu les importans myſteres
Que Veruille a tiré de mes libres diſcours.


J’allois ſuyuant ma route où le soleil ſe monſtre,
Pour ſi loing contenter mes curioſitez
Mais ie n’auois compris ſinon ſur ce rencontre
Que le parfaict ſe faict dans les diuerſitez.


Ce n’est aſſez de uoir les mœurs & les polices,
Des peuples eſtrangers, les uilles & les ports,
Veruille plus ſubtil, fonde les artifices,
Tire la quinte essence, & uoit tous les reſſorts.


Vous qui uous delectez de la grace accomplie,
Si uous leuez le uoile, & le bandeau d'Amour,
Vous uerrez la beauté de ſon luſtre accomplie,
Eſtre l'honneur du monde, & la clarté du iour.


Deſſous ces beaux deſſeins, que l'Amour a fait naiſtre
Sont cachez les treſors des myſteres parfaicts,
Heureux le iuste Amant qui les peut recognoiſtre
Et iuger de la cauſe en uoyant les effects.


Plus uous deſtournerez le creſpe de ces uoiles,
Plus uous aurez d'Amour, de flames, & d'ardeurs,
Et plus uous tirerez le rideau de ces toilles,
Plus uous deſcouurirez de celeſtes grandeurs.





C'eſt aſſez beaux esprits, il ne faut pas tout dire.
Si vous ſentez d'Amour quelque diuin effort,
Vous ſçaurez par amour, les trais d'Amour eſlire,
Et iugerez qu'Amour est tousiours le plus fort.


Braues Enfans du Ciel de conſtance louable,
Qui cherchez curieux les ſecrets plus hardis,
Si uous ſuyuez d'Amour l'ordōnance immuable,
Vous ferez de la terre un petit Paradis.




N. le Digne
Sieur de Condes