Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein XIII

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DESSEIN TREIZIESME.


Galantiſé du Prince de Brancho pour Lofnis. Poemes ſur le iaune paillé. Inuention de Gnoriſe pour deſfourner l’opinion mauuaiſe des Amans.



CE iour-cy Lofnis eſtoit paree d’eſtofes d’eſtime dont la couleur eſtoit iaune paillé, auſſi c’eſtoit celle qu’elle aymoit le plus, & par l’entremiſe des Princes & congé de l’Empereur, elle auoit eſté preſente à ces actes, & fut vn peu de la partie : car le Prince de Brächo qui obtient de grandes & riches prouinces en Nabadonce & Glindicee, veint en l’hermitage, comme les autres pelerins d’Amour. Il eſtoit de bonne grace, neceſſaire & adroit, mais More & ne lui ſeoit que bien, car il en eſtoit plus accompli : Il ſe faiſoit accroire que Lofnis eſtoit ſa maiſtreſſe, pource qu’elle comme prudente, & receuant gracieuſement tout le monde, le voyoit d’aſſez bon œil, pourtant qu’elle prenoit plaiſir à ſes rencontres, & d’auantage l’entretenoit à cauſe qu’il auoit beaucoup # credit, eſtant ſouuerain de pluſieurs terres, & qu’il pouuoit faire ſeruice à l’Empereur & à ſes amis qui auoyent ſouuent affaire de luy : Cettuy-ci eſtant preſent à ces actions, & voyant l’occaſion luy eſtre fauorable fit ſigne aux muſiciens qu’il auoit inſtruits, de s’approcher, ils obeirent, & à l’inſtant firent reſonner vn aër, qui eſtoit approprié au ſuiet de la couleur du iour, adonques fut chanté ce petit poëme,

Les bien-heureux obiets des plus douces penſees,
Se rencontrent touſiours ſelon l’opinion,
Et les ames qui ſont en deſirs auancees,
Estiment leurs ſuiets par leur affection.
Les couleurs que le Ciel au plaiſir de la veue,
Va collant icy bas à l’entour des ſuiets,
Rendent auec raiſon toute choſe cognue,
Car icy l’on remarque aux couleurs les obiets,
Donq ſelon la couleur que plus belle on deſire,
On concoit en ſon ame vn ſymbole d’honneur,
Auſſi ceste beauté qu’heureuſement i’admire,
Se propoſe du bien en ſa belle couleur.
Le beau iaune de paille eſt aymé de ma belle,
Auſſi ſon œil iouyt du vouloir de tous cœurs,
Si quelque malheureux vouloit eſtre rebelle,
Comme paille il ſeroit bruſlé de ſes ardeurs.
Ceſte belle couleur ſuit touſiours l’abondance,
Mōſtrāt aux laboureurs leur loyer tout certain,
Pour ce elle ſignifie auſſi la iouyſſance,
Car quand la paille reſte on iouyt du bon grain.
Symbole bien-heureux tu esſeul teſmoignage
Que ma maiſtreſſe vn iour conſtant m’eſtimera,
Puis qu’elle t’ayme tant, c’eſt vn iuſte preſage,
Qu’à mes fidelitez piteuſe elle entendra.

Mais bien encores plus qu’elle iouit heureuſe
De ce que la Nature auoit de raretez,
Car il la faut iuger eſtre autant vertueuſe,
Comme on la trouue belle admirant ſes beautez.
Or triomfés de tout, belle & ſage Princeſſe,
Selon voſtre deſir iouiſſez de bon heur,
Quant à moy ie iouis d’honneur & de lieſſe,
Pour ce que ie vous ſuis fidele ſeruiteur.

Fonſteland eſtoit bien aiſe qu’on donnaſt de la loüange à ſa Maiſtreſſe : mais il n’eſtoit pas contant qu’vn autre prit ce tiltre deſtre ſon ſeruiteur, & n’euſt eſté qu’il ſcauoit le courage de la Princeſſe, dont la verité lui eſtoit aſſez apparente, il y eut eu du trouble. Eſtant donques certain de la volonté de ſa Dame, qui viuoit auec luy d’amour mutuelle, & qu’elle l’auoit auerti de la fantaiſie de ce Prince, il le trouua bon, & auſſi iamais elle n’y eut pris plaiſir, ſi celui qui luy eſtoit autant cherque ſon ame, n’y eut conſenti. Fonſteland laiſſant Brancho en ſon opinion, le laiſſa parfaire ce qu’il auoit enuie d’acheuer. Puis il fit ſigne à vne Nymfe qui eſtoit à ſa ſeur Olocliree, laquelle ſ’auança auec vn lut, & pouſſant ſa voix auec l’inſtrument, reſpira ces accens ſur le ſujet de la meſme couleur. L’Empereur pēſöit à ſe leuer : mais oyant iouër & chanter vne belle, eut patience de l’ouïr.

Il n’y a point d’eſpoir tel que mon eſperance,
Il n’y a rien d’egal à mes affections,
Car vous m’entretenez ſous voſtre obeiſſance
Des plus viues ardeurs des chaſtes paſſions.
La conſtante couleur de vos beaux yeux cherie,
Me monſtre le deſſein de ma proſperité,

Et telle vous l’auez diſcretement choiſie,
Afin de m’exercer à la fidelité.
Le beau iaune de paillé & la couleur mignonne
A l’vnique beauté queſeule ie sognoy,
Selon ſon iugement de mes deſſeins i’ordonne,
Son vouloir eſt le mien, ſon plaiſir eſt ma loy.
Ceſſez autres conleurs vous n’auez point de grace
Madame a remarqué ce qui eſt plus parfait,
Auſſi comme en beaatétoute autre elle ſurpaſſe,
Sa couleurplus que vous a d’eſclat & d’attrait.
Ces diuerſes couleurs que les Dames choiſiſſent,
Ne ſont que des eſclairs paſſans ſoudainement,
Et les opinions auſſi viſteperiſſent
Que leſymbole en eſt eſleu legerement.
Toute couleurperit, & par le temps s’efface,
Fors le iaune paillé qui ne s’eſteint iamais,
Toutes autres couleurspaſſent ſans efficace,
Mais ceſte-cy touſiours eſt brillante en effaits.
Plus on preſſe la paille en differens vſages,
Plus on void ſa couleur au deffaut reſiſter,
Auſſi recognoiſt-on que les canſtans courages,
Surmontent tous efforts pour conſtans perſiſter.
Tous fruits ſoigneuſement auec le temps meuriſſent,
S’auançans ſur la paille, en leur perfection,
Ainſi les beaux deſſeins à la fin s’acompliſſent
La conſtance guidant la belle intention.
Comme ceſte couleur eſt conſtante & certaine,
La conſtance ſera mon eternel obiet,
Et ma vertuſera non comme couleur vaine,
Mais vn fixe accident conioint à ſon ſuiet.
Bien que la paille enfin par trop de temps vieilliſſe,
Sa couleur toutesfois iamais ne vieillira,
Auſſi pour la maiſtreſſe à qui ie fai ſeruice.

Ma conſtance touſiours ferme ſe maintiendra.
Auſſi ceſte couleur n’eſt pour neant ſymbole
De l’vnique vertu du magnanime cœur,
Car comme on void noſtre ame aux aers de la parole,
On cognoiſt ma conſtance à l’œil de ma couleur.
Touſiours ceſte couleur ſera la couleur belle
Dont le ſymbole ſaint me rendra glorieux,
Et ma belle verra ma conſtance eternelle,
Puis que i’ay meſme obiet que l’obiet de ſes yeux.

Gnorise. Il y a entre les Dames vn gentilde bat ſur la ſignification des couleurs, lesvnes veu lent que ceſte couleur de iaune paillé, ſignifie iouiſſance, & les autres pour les dernieres rai ſons qui ont embellil’aer de leur excellence : af ferment qu’elle repreſente la Conſtance.Alave rité ( ie le veux dire pour Amour,) la conſtance eſt fort requiſe à celuy ou celle qui iouït, & plus qu’à l’ame qui n’a encores rien obtenu. Ce n’eſt point conſtance de rechercher ce que l’on deſi re, car on ne ſcait ce que l’on aura, quelle con ſtance pourroit-ilyauoir ſans ſujet § deſiré n’eſt point ſujet obtenu. On dira, conſtance eſt auſſi en recherche, c’eſt pluſtoſt opiniaſtreté, d’autant que l’on n’a pas de § de ce qu’on obtiendra. Parquoy ie conclus, que con ſtance eſt, de conſeruer ſon affectiö à ce quel’on tient aueciouiſſance. S’arreſter ſans ſe deſiſter à pourſuiure ce qu’on deſire, eſt pour le vray vne affection ferme, de ne ſe deporter tant quel’on ait acquis ſon bien, & cela § tres-louable : auſſi n’apartient-il qu’aux loyaux amans : mais lors qu’on eſt en entiere poſſeſſion, & que l’on ſ’egaye en courage pour en faire touſiours vne meſme eſtime, c’eſt la preuue de vraye conſtance. Or, Sire, ce iour nous fournira de beaucoup d’exemples d’amours auantureuſes, & non reciproques, ie les nommeray ſcalenes, pource que les vrayes ſont Iſoſceles, parce que chacū y a ſa Dame, & ainſi reciproquement, & auiourd’huy il y a pluſieurs qui ſont à vne Dame, & la recherchent, & elle en deſire pluſieurs pour choiſir. Parquoy le Gouuerneur d’Amelie n’a que voir ſur ceſte ſorte d’Amās, ie requiers pour l’Amour qu’il ſoit dit & iugé, que ce qui deſpendra du hazard ſoit la fin de tous ceux qui ſe prendront à la belle deſiree, à ce que les pretendās ſ’y comportent auec telle dexterité, que leur recherche ne leur vienne à honte, & qu’ils ne pretendent aucune reſource en ce lieu à cauſe de l’honneur.

Le Conſeil vint à l’Empereur par trois fois à cauſe que l’affaire le meritoit, & puis ayant bien digeré le tout, prononça.

Ceux qui ſeront temeraires, porteront l’iniquité de leur faute, & celui que la Belle gratifiera, ſeul ſe pourra tenir pour tel qu’il ſera accepté, car le tout eſt remis à ſa volonté.