Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein X

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DESSEIN X.


Belles amours de Fonſteland & de Lofnis, laquelle s’enquiert de luy pour ſçauoir ſa condition. Il luy declare ſous promeſſe de le tenir ſecret ; elle en eſt fort contente, & luy declare qu’elle l’a pour agreable.



DVrant toutes ces affaires, les Fortunez alloient ſouuent viſiter la fontaine des Amoureux, & n’attendoient pas d’y aller ſeulement aux parties que l’Empereur faiſoit, pour ſ’y exercer, à ſon ordinaire entretien de plaiſir de la peinture, de la muſique, & de la poëſie, mais frequentement ſ’y trouuoient, où ils ſ’exerçoient, en traictant infinies gentilleſſes & ſciences differentes, auec la ſage Fée, qui ſ’eſtimoit tres-heureuſe de leur agreable frequentation, quelquesfois auſſi la prudente Lofnis y venoit pour ſe reſiouir, & eſtre de la partie, quand il y en auoit quelque belle dreſſee par les Fortunez, à la rencontre deſquels elle prenoit grand plaifir, & meſmes ſe trouuoit plus frequentement, faiſant auſſi quelques parties pour auoir occaſion de les voir. En verité l’Amour a des artifices merueilleux, & peut tant ſur les ames qu’il en fait ce qu’il luy plaiſt, auſſi nul, ne peut euiter ſa flamme, de laquelle il fit ſentir la force à ceſte ieune Princeſſe, par la remarque qu’elle auoit fait des perfections de Fonſteland, & ne fut pas en ſa puiſſance de ſe deliurer de l’engagement auquell’amour l’a força. Et luy auſſi qui n’auoit iamais rien veu qui euſt puiſſan ce de l’eſmouuoir, recognut en ceſte belle la iu ſte force qui ſeule le pouuoit dompter.Ces deux cœurs vlcerez qui par hazard de veuë ſ’eſtoient animezl’vn pour l’autre, euſſent bien peu döner iugemčt, ſi l’amour eſt par deſſein ou par deſtin. Admirable deſtinee, ie te recognois vnique con duite des courages qui ſont vagans apres les tra uerſes d’amour ! S’il auient que par toyie ren contre en l’affection de celle qui m’anime à ces diuerſitez, ie te chanteray vn hymne, par le quel en deſpit des hypocrites quite diffament, ie te colloqueray au deſſus de toutes les puiſſan ces ſecondes. Beau fils, ne te defie point de ta fortune, Dame n’aye point de regret à ton ele ction. Que ces deux ames ont de figures en leurs mutuelles penſees, qui n’ont ſoulagement que de la § que les yeux leur ſuggerent, ces feux de vie ſont les agreables meſſagers qui certifient les courages, de ce que la bouche n’a encor oſé proferer : ils ſont recognus des amans auoir la puiſſance de raconter tacitement à l’eſ prit des nouuelles de ſa paſſion. Ces deux amans par le brillant effort de leurs douces lumieres qui ſ’entrecommuniquoient ſi tendremët leurs feux, ſentoient leur liberté ſe tranſporter, & leur propre vie ſe feparer de ſon lieu ordinaire, pour demeurer en l’autre. Fonſteland eſpere en ſe faiſant fort ſur la dignité de ſon ſang, il ne de mord point ; & encor qu’il preueuſt toutes ſor tes de difficultez, ſi delibera-il de tenter fortune, & l’obtenir. La belle qui ne ſçauoit quel rang tenoit celuy qui la rauiſſoit à ſoy-meſme ſ’enue lopeit en des incommoditez d’eſprit intollera bles. Elle eut preſques bien voulu qu’il n’eut iamais comparu deuant elle, & toutefois elle fut morte de deſplaiſir ſi elle ne l’euſt veu, meſmes ſe trouuoit toute incómodee de cœur, ſ’ileſtoit abſent plus long temps que de couſtume. Son vnique ioye eſtoit que ſes yeux vinſſent inceſ ſamment ſoliciter les ſiens, & reſpondre aux de licieuſes atteintes qu’ils fentredonnoient lors qu’ils ſe trouuoient enſemble : Ce bel amour n’eſtoit qu’és eſprits, le Fortuné n’oſoit ſe deſ couurir de peur de ſe deſcouurir ; & puis il trou-. uoit tant de bien en ceſte idée d’amour, qu’il craignoit de perdre ce contentement ſ’il ſ’auan turoit trop, & ne ſçauoit encor ſi c’eſtoit amour qui excitoit le cœur de Lofnis : ainſi qu’il lere cognoiſſoit en ſoy-meſmes ; Elle n’auoit pas au tre penſee que luy, tellement qu’ils viuoient en grande inquietude, pour ne ſçauoir rien de cer tain de ce qui les agitoit, car la parole viue ima ge des pures fantaſies, ne leur auoit pas encor ſerui à deſcouurir les pretentions de leurs ames, & toutefois ces deux beaux obiects d’amour ſe donnoient du bien en ſe nourriſſant mutuelle ment de l’eſpoir qui parauanture leur donneroit l’iſſuë ſouhaittable. Lofuis qui conſideroit Fon ſteland ſ’auantager de ſeruices vers elle, auecvne façon qui reſſentoit des traicts de grand, & non ſeulement de ſimple gentilhomme, ſ’imagina que ſ’il n’eut eſté autre que ce quelon le preſu moit à la court, il n’euſt pas eu l’aſſeurance de leuer les yeux pour les repaiſtre du moindre rayon des ſiés, & ceſte pëſee la c6ſoloitayant au moins eſſayé ſes premieres affections en endroit de merite, & dont elle ſe retireroit par ſ’en taire, s’il ne luy ſuccedoit, & qu’il falluſt par hö neur eſteindre ſes feux ſans les manifeſter, & en cores elle ſe faiſoit forte d’en retenir touſiours le plaiſir à part ſoy, pour ſ’y delecter quand elle entretiendroit ſes penſees. Fonſteland cependät defiroit auoir ſon contentemët entier à luy ſeul, & craignoit de ſ’en communiquer à ſes freres, de peur que cela les empeſchaſt de faire fortune : mais il ne peuſt eſchapper leur vraye coniectu. re, ioinct que c’eſtoit commencement de bien, & pourtant ils luy faiſoient eſchoir des commo ditez auantageuſes pour voir ſa Dame.Vne fois qu’il y auoit partie faite, & que la Fée donnoit la muſique, l’Empereur n’y eſtant pas, il aduint pource que Fonſtelandeſtoit celuy qui chantoit le mieux au gré des Dames, & auoit auſſi pour quelques vnes la voix plus belle, & les autres · graces plus attrayantes : Lofnis luy dit ; Mon Gentilhomme, nous auons remarqué en cette court, que vous eſtes tous trois abödans en per fections, & toutefois chacun de vous excelle en ſon particulier en quelque partie, ie le dis ayant ce pouuoir, pour autant que ie vous honore, & que vous # deuezpas trouuer mauuais.voſtre aiſné dance le mieux, le plusieune eſt plus pröpt, & vous eſtes le mieux chantant : c’eſt pourquoy ie vous prie de nous dire quelque belair.FoNs T E L A § o Madame, mes perfections ne ſont rien, qu’entant que ie pourray vous ſeruir, vous en rendant preuue agreable : Ceſt en quoy ie deſire exceller, & voudrois eſtre capable de le pouuoir demonſtrer ; car mon deſir eſt plus grand que mon pouuoir. Et combien que ie cognoiſſe mon defaut, & que ie manque d’art, de ſcience, & d’adreſſe, ie m’auentureray & par voſtre commandement, ie ſouſpireray vn hymne qu’Amour m’a dicté en l’hōneur de la Belle qui peut ſur tous cœurs. Si c’eſt vne verité que ie repreſente, elle le recognoiſtra. Si c’eſt vn beau deſſein imaginé à l’auanture, elle n’en aura point de deſplaiſir, pour autant que ce qui eſt faict pour l’vnique Belle, luy plaira touſiours.

Esprits qui recherchez ce qui eſt deſirable,
N’allez plus retraçāt pour trouuer d’autre obiet,
Car tout ce que le ciel a conceu d’admirable,
Se trouue vniquement en mon diuin ſujet.
De ce qu’on dit Amour, on ne ſauroit rien croire,
Que l’ayant icy veu, dans ſon pourtrait dhōneur :
Les yeux ne ſont point yeux, ſ’ils n’ont eu ceſte gloire,
D’auoir peu l’adorant, voir icy leur bon-heur,
Toutes les raretez precieuſes au monde,
Sont en ce beau treſor de la perfection,
Ce chef d’œuure accompli qui de graces abonde
A de toute beauté toute proportion.
Ceux qui tiennent d’Amour, & luy doiuēt hōmage,
Voyent en ces beautez de l’amour le pouuoir,
Car ma Belle eſt d’amour & le temple & l’image,
Où les parfaits amans doiuent tout leur deuoir.
Sa façon de grandeur, tant douce & tant altiere,
Monſtre qu’vn bel eſprit gouuerne ſes beautez
Et que l’honneur eſtant de ſon cœur la lumiere,

Toutes ſes actions ne ſont que maieſtez.
Ceſte vnique lumiere eſt de ſi belle grace,
Qu'elle engage tout cœur qui la vient admirer,
Et plus vnique encor, en merite elle paſſe
Tout ce que les deſtins ont fait pour honorer.
Il n'y a point de nœuds que les heureuſes treſſes
Que l'amour va laçant de ſes mignons cheueux,
Tous les cœurs ſouſpirans pour leurs cheres maiſtreſſes,
Cognoiſſent leurs liens imitez de ces nœuds.
Ce n'eſt point le Soleil, qui de nos deſtinees,
Deſtourne & fait eſchoir les forts euenemens,
Mais nos fortunes ſont par ſes yeux ordonnees,
Car ils ſont recognus les aſtres des amans.
Ses beaux yeux ſont des yeux la deſirable amorce,
Et la lumiere n'eſt lumiere que par eux,
Lors qu'ils brilent d'amour, c'eſt auec tant de force,
Qu'ils empliſſent les cœurs de lumiere, & de feux.
Sa bouche qui retient en ſuſpens toutes ames
Alors que les diſcours en ſont preſts à partir,
Cauſe autant és esprits de millions de flames,
Comme on entend d'accens de ſes leures ſortir.
Non, ie n'entreprend pas de comprendre en parole
Ce merite infini, ce monde de beautez,
Mes proposſont vn air qui par les airs ſ'enuole,
Mais ſes perfections ſont des eternitez.
Il faut de ma louange auancer la retraičte,
Elle a trop de valleur, i'ay trop peu de pouuoir,
Ma belle eſt tant defois en ſes beautez parfaicte,
Qu'elle a plus de beautez qu'il n'eſt d'yeux pour les voir.
Reſpirant de ſes yeux, cet eſprit agreable

Qui en parfaict amour me tranſmue le cœur,
Ie trace ce deſſein d’vn crayon veritable
Comme la verité le doit à ſon honneur.
Royne des braues cœurs, Belle toute accomplie,
Qui es toute merueille en tes perfections,
Accepte ce proiects, pren ces vœux que ma vie
Append deuant tes pieds en mes deuotions.

Quand il eut acheué, la Fée ſe haſta & dit : Diſons ces trois derniers couplets enſemble, la piece merite d’eſtre ouye, adiouſtons les inſtrumens aux voix. Il ne ſ’eſtoit point encor ouy de ſi parfaicte muſique, que tout eſtant ainſi aſſemblé. Cependant que les entendus chantoient, Lofnis fort attentiue à ceſte harmonie, remuoit auſſi ſes penſees, diſant en ſoy-meſme : Il faut que cet eſtranger ſoit de bon lieu, ait beaucoup de courage, ou ſoit follement raui de quelque ſubjet. Car ſi c’eſt pour l’amour de moy qu’il ait tracé cecy, il faut qu’il ait recognu que ie luy veux du bien, & ne puis croire que ce ſoit pour vne autre, ſi tant ſoit peu il ſ’eſt imaginé de m’aimer ; parce qu’en toutes ſes actions il ſe manifeſte ſi reſpectueux qu’il ne veut point offencer, ains touſiours complaire. Sans doute il ne pourroit (ſi faute de iugement ne le preocupoit,) chāter en ma preſence la gloire d’vne autre, & me ſoliciter de l’œil pour me deſplaire de parole : Il ſçait ou doit ſçauoir, ſ’il n’eſt trop enfant en la conuerſation des Dames, qu’elles ne deſirent pas ouyr loüer deuāt elles & plus qu’elles vne autre, & ſur tout par ceux dont elles font cas, & qui s’en ſont, ou doiuent eſtre apperceus : Ie l’ay prié de cet air, s’il n’eut eu quelque deſſein en ſon ame, il en eut dit vn indiferent, ou l’eut re peté d’vn autre, ſans le qualifier comme il a fait, & ie n’y euſſe pas eu d’intereſt. En ces difficul tezie me ramentoy ce qu’il m’a dit, il faut que ie m’en eſclairciſſe, ou pour enſeuelir ce.feu, en l’eſtoufantauant qu’il me conſomme, ou pour le nourrir à mon contentement ſ’il y a de l’appa—. rence. Elle diſputoit en ceſte ſorte apart-elle, durant la muſique.Apres que la Fée eut donné fin à cet exercice, Lofnis ayant entretenu qui l’vn quil’autre, ſ’addreſſa à Fonſteland, & lui dit : Vousvous eſtes fort bien acquité de ce que vous auez fait en ma faueur, nous donnant ce bel ait à ma priere : mais ce n’eſt pas tout, ie deſire de vous vne courtoyſie, c’eſt de m’enſeigner ce que vous faites pour entretenir voſtre voix ſi nette. Fo N s T E LA N D. 1 Madame, ie deuois vous l’a— uoir dit auant que me l’euſſiez demandé, ie vous ſupplie me pardonner ceſte faute, que ie repare ray quand & en quoy il vous plaira. LoFNIs. Ce ſera donc preſentement : allons faire vn tour en ceſte allee, & làvous me declarerez voſtre ſecret, carie neveux pas que tout le monde l’entende. Il fut ſaiſi de trop de ioye, & part ſoudain, & auec toute modeſtie accompagna la Dame où il luy pleuſt. Eſtans auancez en l’allee, où chacun pour ſon reſpect ſ’eſloigna vn peu, afin de les laiſſer 1e pourmener & deuiſer, elle parla ainſi : Fonſteland, ie penſe que vous ayez aſſez † pour vous ſçauoir conduire en toutesaffaires, Parquoyvo *ºy tenus, e particula ue i’ai enuie de ſçauoir de vous quelque particularité, ie la vous veux dire. I’ay vn ſecret qui eſt notable, que ie veux fort peu com muniquer ; & d’autant que ie recognoy vos me rites, ie le vous diray, pourueu que vous le payez d’vn autre ſecret que ie veux ſçauoir de vous, auiſez ſi vous auez enuie de me ſatisfaire, & ſi vous affectionnez autant mon ſeruice que vous en faictes de demonſtration. FoNsT. Madame, ie ſuis tant peu, qu’oyant ce que vous me dictes, ie ſuis tout confus, commádez moy abſoluëmët ce qu’il vous plaira, & me demandez à voſtre de ſir, ie n’ay rien de ſecret ni de cher, que ie ne le vous declare ouuertement. L o F N 1 s.Vous me l’auez promis, il n’y a plus moyen de ſ’en retra cter. Dictes moy ie vous prie, & ie vous en con iure par ce que vous aimez le mieux : Qui eſtes vous ? d’où eſtes-vous ? quels deſſeins auez vous ? FoNsT. Madame, il faut que ie côfeſſe la verité ; Il n’y a que voº ſeule qui puiſſe tirer de mö cœur ce ſecret, il n’y a que voſtre commandement qui ait le pouuoir de m’é faire ouurir la bouche pour le declarer : car la puiſſance abſoluë que vo"auez ſur moi me fait tout oublier fors mö deuoir vers vous, &me faiſant mettre ſous pieds toutes cöſi derations, me prepare à vous declarer ce que de toute noſtre induſtrie no*taſchös à celer, & que ie croy auſſi que vous tiédrez caché, pource que vous ne voudriez pas qu’en vous obeiſſant, mes freres & moy fiſſiös faute à nos belles eſperåces, fruſträs nos bönes entrepriſes, qui poſſible tour neröt àvoſtre gloire.Puis qu’il faut que i’obeiſſe, que voſtre volöté l’a determiné, ie le ferai, &par ce que ie n’ai que l’humilité de la priere pour op poſer à voſtre grâdeur, ie vous ſupplie qu’il vous plaiſe autant que ma vie vous ſera en recommendation, par la pitié que vous en aurez, de tenir mon ſecret au cabinet de vos penſees particulieres. Ie n’oſe me deſtourner des arreſts que vous prononcez, leſquels me commandent ſi doucement, parquoy ie vous declare que nous ſommes fils du Roy de Nabadonce, qui allons errans pour faire fortune par noſtre propre induſtrie, & pour apprendre des couſtumes de diuerſes nations, le parfaict moyen de bien gouuerner, & nous accomplir en tout ce qui nous eſt ſeant pour approcher de la perfection, ioinct que ce n’eſt pas aſſez d’eſtre iſſus de grāds, il faut par la vertu ſe rendre digne du lieu d’où on eſt venu. Et pource eſtant vn pauure puiſné, il me conuient chercher auancemēt ſelon que le bonheur me conduira, & que le ciel me donnera quelque main fauorable qui me guide aux grāds effects, & terme d’honneur : Il eſt vray que ſi i’auois l’heur d’eſtre monarque, i’eſtimerois mō bien le plus ſouhaitable d’eſtre voſtre ſeruiteur. Madame, vous auez moyen de punir ma preſomption, ou de vous monſtrer genereuſe, en ſupportant la temerité où voſtre cōmandement m’a fait entrer ; vous en vſerez ſelon voſtre ſageſſe & clemence, & ie ſuiuray les fortunes qu’il vous plaira. Lofnis, Les promeſſes doiuent auoir mutuel entretien, & s’effectuer principalement entre gens d’honneur & de ſemblable rang : Ie croy que vous ne voudriez pas vous ſuppoſer pour celuy que vous m’auez declaré eſtre, partant eſtant fils de Roy ie ne vous enuoirai point à d’autre fortune que celle que vous eſlirez. Fonst. Si i’oſe eſlire, ie feray vn choix tres-excellent, mais c’eſt vous qui m’auez attiré à vous ſeruir de moy, ie vous ſupplie que ie ſuiue donc ſi belle auanture. L o F N I s. Bien ie vous retiens pour moy, puis que vous vous offrez de ſi bonne volonté : mais à condition que nous viurons comme nous auons faict iuſques à ceſte heure, quant àl’apparence, afin qu’il n’y ait que nous à qui noſtre mutuel contentement ſe com munique. La façon dont vous me gouuerne rez, m’enſeignera à cognoiſtre ce que ſent les hommes, & s’il y a moyen de s’arrefter à leurs paroles. Viuez ainſi que vous l’auiſerez auec la prudence, & ne deſiſtez de ſuiure les fortunes qui ſe preſenteront pour vous faire paroiſtre, i’ay beaucoup de regret que n’eſtes cognus de l’Empereur, pource que ie participerois au bien qu’il en auroit : mais puis que vous ne le deſirez pas, & qu’il eſt beſoin que ce ſecret le ſoit enco res, & que les affaires s’accompliſſent auec gloi re, i’approuue vos deſſeins. Or ſuyuez la cou ſtume que vous auez commencée, tant que l’oc caſion ſe preſente de la changer, & trouuez bon, puis que c’eſt ſelon voſtre intention que ie per ſiſte à feindre ce queie ſçay, il faut qu’entre nous la loy ſoit egale, i’auray autant de peine à diſſi muler pour maintenir II12 grandeur & m Cn rang ſur vous, contre le vray deuoir, qu’il vous faudra vſer d’artifice pour vous faire encor plus petit, afin de me demonſtrer la verité de voſtre cœur, cependant l’honneur ſera noſtre conduite, & la raiſon le train que nous deuons ſuiure : Voila le ſecret que ie voulois vous communiquer pour ſçauoir le voſtre, & certainement le courage me iugeoit ce que ie ſçay maintenant, qui ſera ſi ſecrettement vni à mon cœur, que iamais il ne ſera deſcouuert mal à propos, ſi vous ne vo° oubliés ; ce que ie ne veux pas eſtimer, vous tenant pour veritable. Cela eſt vray, & le ſçachez pour y faire voſtre deuoir, & me rendre contente, ſi vous meritez du contentement.