Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein V

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DESSEIN V.


L’Empereur enquiert les Fortunez ſur ce qu’ils auoient dit du Chryſophore, & ils luy en rendirent raiſon, & comme ils auoient iugé de ce qu’il portoit, ce qu’ayant entendu il les pria de demeurer auec luy.



TOvte l’affaire du procez eſtant terminee, les Fortunez prenoient congé de l’ Empereur qui les ayant conſideré leur commanda de ne s’eſloigner † mais de demeurer vn peu, tant qu’il euſt parlé à eux. Illes appella donc à ſoy, & ies interroguadeleurs pays, noms & qualitez, & apres auoir ſceu d’eux qu’ils eſtoient de Naba donce, fils d’vn ſage Philoſophe, qui les enuoyoit voir le pays.Il leur demâda ce qui eſtoit du Chry ſofore & ce qu’ils en penſoient, veules enſeignes &reſponſes qu’ils auoient faictes au General.CA vALiREE. Sire, les petites remarques qui nous ont fait parler au General ſont de † peu de con ſequence, que ce nous eſt preſques honte de les deduire deuät voſtre Maieſté : toutesfois pour ce que les ſuiets de plaiſir ſont quelquesfois agrea bles aux grands, nous vous dirons maintenant ce qui en eſt, Ne cognoiſſans pas le pays, nous pre nions les voyes qui ſe rencontroient, parquoy paſſant par vn aſſez beau chemin, non pourtant gueres battu, ievy le train de la beſte, & ie ſuppo ſé que c’eſtoit vn Chryſofore, comme le pied, & le pas imprimé au ſable me le demonſtroit, & de là aduiſant plus exactement, i’eſtimé qu’il eſtoit borgne, & qu’il auoit perdu l’œil droict, car ie remarqué qu’il s’eſtoit mis à paiſtre de l’herbe qui eſtoit à ſon coſté gauche, laquelle n’auoit pas ſi bonne grace que celle qui eſtoit à droit, la quelle n’eſtoit point atteinte, ce qui m’induiſit à croire qu’il ne voyoit point de ceſte part là. FoNsTELAND. Ie cogneu que c’eſtoit vne femel le, d’autant qu’elle auoitvriné, & ie notté que ſon eau eſtoit entre les pieds de derriere fort eſ loignee en dehors, ce qui n’eſchet pas és maſles qui coulent leur eau entre les quatre pieds. Vivarambe. Ie penſe qu’elle eſtoit boiteuſe du pied gauche de deuant, (ie parlerois en eſcuyer ſi ie traictois d’vn cheual) par ce queie voyois la ſymmetrie de l’allure fauſlee en tellepart, & par tant qu’elle clochoit & fouloit autrement l’her be de ce pied que ces autres. L’EMPEREvR. Voilà de bien ioi1es obſeruations, qu’en dis — tu couſine ? LA FEE. Ce n eſt pas tout, vous y trouuerez plus que vous ne penſez. L’EMP. Et pource il faut venir au reſte qui eſt plus difficile, comme ie croy, mais pre, nierement les beaux enfans, à ce que ie n’aye point honte d’eſtre ſer uy en ce qui me concerne, dites-moy pourquoy ayant aſſez de richeſles, de grandeurs, & de pouuoir, ie me ſers d’vne beſte eſtropiate & fe melle, & partant de moindre courage ? CAvALIR. Sire, nous ſçauons bien que quand la planette de Mars eſt en conionction auec celle de Venus, ſi ſoudain on ne prend vne aſneſſe pleine d’vn Chryſofore, & quel’on la coupe en pieces pour la faire deuorer aux lyons, toute la race des Chry ſofores perit.Nous auons ſçeu en Quimalee que faute à vos Sages d’auoir preueu à ceſt inconue nient, tous ceux de ce pays eſtoient morts, il y auoit plus de dix ans, & que l’on n’en y auoit point encores renouuellé l’engeance, & c’eſt la cauſe que vous n’auez que ceſte-cy. L’EMP. Si tout y fut mort icy, celle-cyy fuſt morte auſſi. FoNsTEL.Elle ne pouuoity eſtre ſans mourir, & puis qu’elle eſt viue, on l’y a amenee d’vn autre † auſſieſt-elle nee en Quimalee iſleimprena le, & de laquelle on ne laiſſe ſortir de ces ani maux qui ſoiententiers, il eſt vray que là ils ne craignent point les influences, car ils n’y ont point de force, pource que nature ſeules’eſtreſer ué ce petit pays, où il n’ya que ſon pouuoir qui agiſſe : Or ces Quimaliſtes liurans vne Chryſo fore, car des maſles ils n’en laiſſent point aller, ils luy pochent vn œil, & ſerrent vn nerf du pied. L’EMPEREvR. Ayant veules pas de labeſte, & iu gé que c’eſtoit vne Chryſofore, il vous a eſté aiſé deiuger qu’ellefutborgne & boiteuſe. LEs FoR TvNEz. Ouy Sire, mais il vousa eſté dit de quel pied & de quel œil, & ceux de Quimalee n’y gar dent pas vne meſme Loy.L’EMP. Il faut acheuer. VIvARAMBE. Il eſtoit bien force de vous ſeruir d’vne femelle, n’en pouuant recouurer d’autre, & puis pourl’effet du ſeruice qu’elle vous fait, elle eſt treſneceſſaire, d’autant qu’il y a entre elle, & le ſelfuſible vne certaine ſympathie qui fait qu’elle le porte, ce qu’vn maſle ne feroit pas, quine ſouf fre ſur ſoy que les hommes qui le ſçauent domter ou le metal. CAvAL1R. Tout autre animal por tant le mielvierge, qui ſe cueille en la § I’C— culee, le font aigrir hors mis ceſtuy-cy, qui eſt propreà le porter. FoNsTEL. Ceſte beſte a vne odeur qui reſiouyt & delecte les autres beſtes de charge de quel ſexe que ce ſoit. Quand on les meine en troupe, on fait paſſer la Chryſofore que l’on arreſte, & puis on fait ſortir toutes les autres beſtes qui portent, quil’vne apres l’autre gayes & ioyeuſes de l’odeur de la Chryſofore, vont en auant, & puis la Chryſofore ſuyt. CA vALIREE. Les maſſes de ceſte eſpece ſont tout au contraire, car par leur odeur ils eſtrangent tous animaux, &la femelle les aſſemble, les pouſſant deuant ſoy quand il y en auroit mille : c’eſt tout au rebours de l’inſtinct du Cheual entier qui fuit la caualle ou le fraix herbé. L’EMJ>EREVR.. I.e trot1t1ê bon1’1e cefl : e n1cillefl : e refpo11fe, il fat1t paller outre, à ce que ic fçache co111me /, vous auez iugé de ce qt1e la beGe portoit. CA v, P-REE~ Sire, les efprits curieux 11c 111efprife11t rie11 : e11tre ( les cot1Cl : u1nes natt1rclles des Cl1ryfofores, cefie là e ! l :, que Gquelq11’v1111e les p·ot1fle, aya11t cl1arge de quatre l1ct1res en q11atre l1eures, la befie fe baifle fi1r fes genot1x & ie repofe e1111ir6 vn qt1art d’l1~t1re, puis fe leue & circ che111i11 ta11t qu’il fe co11che du tout, il efioit adue11u comme il efi’ray-fen1blable ot1 l’e(l dt1 tout, que cefie befl : e s’efroit repofcc cnuiro11 le defl : roit de ce cl1emi11 po11r tirer e11cre la fore/1 & le defert, & s’arreſtant fur le f.1.ble, y e11 attoit affez i1nprimé l’appare11ce, ie 111c n1is à regarder de pres ce lieu foulé : ce fut là où pre1niere1ne11t nous ·en defco11urimes des 111arqt1es, car 11ous y 11affio11s, & ie dis à ~•es freres que ie pe11fois que ce ft1fl : là le repos d’v11 Chryfoforé, ils fure11t de 111011 auis, & qu’il efioit cl1argé, & dis qt1e ie croyais qu’il portait du fel, parc~, qu’il y auoit de11x brebis qt1i s’amufoie11t là aupres à grig11qtter le f.ilrlë, ott il f1’y au oit poi11t _d’l1erbes, 011 fçait q11e__la hr.ebischerche le ~fel,. FoNSTEJ., Aya11t regardé de 11lus pres, i’adioufl : é à cefie obfer11atio11, car ie veid gra11de qua11tité de fot1rn1is qui allqie11t & vt11oie11t d’vn co ! lé feuleme11t, do11t il i11e chet1t e11 l•opinio11, qtt’il y at1oit là q11clque odeur de, bet1rre, qt1i occaſionnoit à ces petits animaux de faire tant de chemin, d’autant que ceſte ſubſtance eſt vne de leurs plus exquiſes delices. Vivarambe. Suiuât ce que mes freresauoient remarqué, ie fis eſtat auſſi qu’ilya uoit du miel, pour autant que ie vis force mou ches à miel en ceſt endroit où il ne paroiſſoit au cune fleur, & elles ſe ſappoient contre le grauier, c’eſtoit la douce force del’odeur du miel qui s’e— ſtoit exalee là durât le repos de l’animal qui auoit eſchaufféies ſubſtances, au moyen dequoy les fu mees en eſtoientiſſuës en ſenteurs exquiſes. Ces raiſons pleurent à l’Empereur & leiugement de cesieunes eſtrangers luy fut en admiration, con ceuant en ſon cœur, qu’vniourils pourroyéteſtre grâds perſonnages, ayās deſial’eſprit ſi iudicieux : Celà fut cauſe que ſon ames’enclinavers eux, les. prit en amitié, &pria de demeurer † luy, leur faiſant promeſſe de les auancer. La Fee oyant le dire de l’Empereur, luy dit qu’elle s’y oppoſoit, qu’ils eſtoient à elle, qu’elle les luy auoit donné. Il reſpondit à la Fee, Nous ſommes en vn Empi re, où les gens de bien ſont libres, & les meſchans eſclaues : quandielesay eſtimez à tort eſtre mau uaisie les vous ay dönez pour les rédre meilleurs, mais n’eſtans pas de la qualité d’eſtre donnez ou vendus, il eſt en eux de faire ce qu’ilsvoudront, & partant ma donnaiſon eſt nulle : & là deſſus s’ad dreſſant à eux leur dit, Mes enfans vous ſoyez les bienvenus en ce pays, ie ſuis marrique l’on vous ` y ayt voulu faire de l’ennuy, celà s’effacera aiſé ment : & encore auec plus de magnificence & de gloire pourvous, ſi vous deſirez demeurer † de moy, ſi vous le faites, ie vous tiédray auſſi chers que mes enfans, & vous feray du bien. CAvALIR. Sire, c’eſt le plus grādheur que nous puiſſions rechercher, mais cōment auriez-vous agreable que de pauures eſtrangers fuſſent à vous ? L’Emp. Ie ne vous tien point pour eſtrangers, car les vertueux ſont à moy cōme ie ſuis à eux, & i’ay agreable que vous ſoyez aupres de moy, & ie vous tiendray cōme bons amis, ie vous prie que celà ſoit. La Fee prit le ſoin de les faire loger, & cependant les mena à la fontaine, les rafraiſchir & conſoler de l’aduerſité qui leur eſtoit ſuruenuë.