Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise I/Dessein XVII

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DESSEIN DIXSEPTIESME.


Le nauire poußé en Calicut, les Sobarites sont pris prisonniers. Inimitiez des Rois de Calicut & de Sobare, à cauſe de Sorfireon & de la saincte Galanctifee. Sorfireon & Pocorusee syneſaſtes. Les Fortunez ayans imité le Lyon verd, mettent leurs amis en liberté. Le uaisseau des Sobarites eſt ietté en Asie, où les Fortunez trouuās un vaiſſeau de Glindicee y montent. Les Sobarites arriuent à bon port.



LEs Sobarites ayſes d'auoir auec eux les Fortunez, qui n'y a pas long temps eſtoyent en leur païs, vogoyent ioyeuſement ſur la mer doucement agittee, du vent qui les portoit en leur contree, & comme preſque ceſte bonne troupe eſperoit ſurgir au lieu deſiré, ſuyuant l'agreable vent qui les portoit, il auint vne nouuelle fortune, poſſible le deſtin auoit affaire des Fortunez, ſi que prenant occaſion, il fit leuer vn vent de midy qui ietta le nauire au deſtour de la terre ferme, & l'enlaça au haure de Calicud, apres les auoir tourmentez aſſez impetueuſement durāt ſept iuors : eux qui ne ſe recognoiſſoiēt point, ne ſçauoyent encor en quelles terres ils eſtoyeēt, mais ceux du païs qui les auoyent veu cheoir de haute mer en leur auenue, les recognurent bien, ſi qu'au lieu de les receuoir auec pitié, les prirent audacieuſement, & ce à cauſe de l'ancienne


inimitié qu’il y a entre ceux-cy & les Sobarites, pour la ſaincte Galanſtiſee que ceux de Sobare ont, & qui iadis appartenoit au Roy de Calicut, beaucoup de guerres en ont eſté entre les anceſtres, & la haine en eſt demeuree. Poſſible qu’il y auoit du droit des deux coſtez, toutesfois le ſaiſi ayant de la force le peut touſiours emporter. Le fait eſt, que le Roy de Calicut & le peuple firent partie d’enuoyer en Ofir, ſi qu’ils dreſſerēt & equiperent vne flotte raiſonnable, & mirent gens ſur icelle, en ceſte expedition, pour aller conquerir la Sainte Galanſtiſee, & fut chef de I’entrepriſe Sorfireon, fils puiſné du Roy de Calicut, ieune Prince accord & de bel entendement, nourri en toutes bonnes diſciplines & grand Philoſophe. Il fut long temps auant que pouuoir deſcouurir le moyen d’y paruenir, & toutesfois apres beaucoup de peines & de recherches employees, il veint à bout de ſes deſſeins, nous en verrons toute l’ordonnance, ſi quelque fois nous pouuons extraire de la bibliotheque de l’hermitage d’Hōneur, le volume des memoires de ceſte conqueſte. Sorfireon ayāt heureuſemët accomply ſon entrepriſe, reuenoit auec le treſor en ſa main, & comme il vogoit auec le reſte de ſa flotte qui auoit eſté vnze ans ſur les eaux, il fut rencontré par vn petit vaiſſeau qu’vn ſien fidele amy lui enuoyoit, là eſtoit vn gëtilhomme auec vnelettre de creance, pour l’informer de ce qu’il luy mādoit. Cet amy lui dönoit tous les ans trois ou quatre fois auis de ce qui ſe paſſoit au païs, & lui de meſme l’auiſoit de ce qu’il effectuoit. Le meſſager luy declara ſa creance, qui eſtoit de l’auertir que le Roy ſon pere eſtoit mort, ſon frere aiſné eſtably & recognu, & lui delaiſſé ſans autre partage que ſa bonne fortune. Sorfireō eſtoit deſia proche du pais, parquoy il tourna voile, & donna vers les iſles, & ſ’empara de quelques vnes qui ſont voiſines de Sobare, ayant fait ceſte nouuelle conqueſte, il pēſa de ſe faire Roy de Sobare, mais il trouua vn Roy plus fort que lui en ſon pais, leur guerre fut grande, & puis ce conquerant ne perdoit rien, c’eſtoit l’autre qui auoit de l’intereſt, toutesfois pour acheter paix, il ayma mieux lui laiſſer quelques iſles pour retraitte : comme ſi par pitié il les lui eut donnees : Le Roy ne deſirant point de trouble gratifia ce Prince, ioinct que ce lui eſtoit vn moyen propre pour auoir de l’ayde ſ’il en auoit beſoin, ſur la parole du Roy de Sobare, Sorfireon vint le voir, & il fut receu humainement & auec honneur, en ce tēps-là ceſte court eſtoit agreable, & y auoit de belles dames, entre autres Pocoruſee reſplendiſſoit, comme le premier aſtre du matin : Sorfireon qui la vid ſe dedia à ſon ſeruice, & ſ’offrit à elle, la Belle le ſupplia de l’excuſer, lui faiſant entendre qu’elle eſtoit obligee au veu de virginité, auquel elle ſ’eſtoit liee fidelement, partant elle ne pouuoit luy faire la grace egale à la courtoiſie qu’il lui faiſoit, lui qui auoit l’ame trop vlceree, & auquel la frequentatiō auoit imprimé le fruict de ſon eſpoir, ne peut & ne voulut eſtre eſcōduit parquoy il pourſuiuit de plus en plus la Belle, laquelle par ſes bonnes raiſons l’induiſit à oublier ſa recherche qu’il faiſoit, laquelle (eſtant aſſez perſuadé, il tranſmua en meſme volonté que celle de ſa Dame, ſi quel’vn & l’autre s’accorderent, & pour n’eſteindre tout le fruict de leur amitié, iurerent pour touſiours de viure ſelon les ſainctes conditions que la belle eſtabliroit, & qu’en ceſte forme ils ſe frequenteroient comme heureux ſineſaſtes, viuās d’amour mutuel & chaſte, terminé des bornes de continence perpetuelle. A quoy Sorfireon ſe voyant reduit, ſe donna au Roy de Sobare, luy remit ce qu’il luy auoit donné, & ſes autres biens, & d’auantage le fit heritier de la ſaincte Galanſtiſee, ſe confinant librement quant & Pocoruſee pour viure auec elle en paix & d’amour pudique en ſeules paſſions d’eſprit tranquille, comme il fit iuſques à ſa mort. Ceux de Calicut long tēps apres ayans ſçeu la mort de Sofireon, enuoyerent en Sobare pour au moins auoir ſes meubles, & ſur tout la ſaincte Galanſtiſee, remonſtrant qu’ils eſtoient ſes heritiers : Le Roy leur fit reſponſe, que leur demande eſtoit diſcourtoiſe, & qu’il n’y pouuoit entendre, & de faict, l’Ambaſſadeur s’en alla ſans rien faire. A ſon retour en Calicut, la guerre fut denoncee contre les Sobarites, qui furent aſſaillis, mais ils ſe defendirent ſi bien, que les autres furent contrains s’en retourner, n’emportans auec eux que la haine mortelle qu’ils ont touſiours cōtinuee contre ceux cy. Or les Aſiatiques ſe ſouuenans encor de leurs vieilles querelles, & ayans prins ces Sobarites, les mirent en priſon, les ſeparāt afin de les interroger à leur plaiſir, & pour ce qu’ils ſe doutoient qu’en ce vaiſſeau il y auroit d’autres gens que des Sobarites, ils en firent perquiſition, & par ainſi ils mirent les Fortunez en liberté, auſquels ils declarerent leur intention, & la cauſe : ſur quoy ils vſerent de remonſtrances & autres actes tendans à perſuaſion pour deliurer leurs amis, mais ce fut en vain, & leur fut dict qu’ils ſe contentaſſent du gain qu’ils faiſoient d’eſtre libres. Sur celà les Fortunez prirent conſeil enſemble de faire quelque choſe d’eſtrange ou d’habile, pour retirer leurs amis. Cependāt qu’ils eſtoient à trafiquer auec les deſſeins, pour la liberté des priſonniers, ils ſceurent tant bien s’inſinuer aux graces du Roy, de la Royne & des grands de la Court, que l’on faiſoit grād cas d’eux parquoy parlās de paſſer en Sobare, le Roy les print à part, & leur dit, que s’ils pouuoient tant faire que la Royne Sarmate luy vouluſt enuoyer vne ouce & vn grain de la ſaincte Galanſtiſee, qu’il deliureroit tous les priſonniers & feroit paix auec elle & les ſiens, & ſeroit ſon amy & ſeruiteur. Les Fortunez luy promirent d’y mettre ordre, & ſur celà les priſonniers furent eſlargis. Ainſi que l’on ſe deſpeſchoit de faire vn vaiſſeau leger pour paſſer en Sobare, il arriua des nouuelles d’Ofir, où le Roy de Calicut auoit enuoyé Ctisder frere de la Royne qui luy faiſoit ſçauoir de ſes nouuelles. Ce Prince eſtoit allé en Ofir pour le recouurement de la ſaincte Galanſtiſee qui croiſt en ce pays là, & eſt quelquesfois liqueur & quelquesfois & le plus ſouuent pouldre, tantoſt comme le lis en blancheur, & tantoſt comme le pauot, champeſtre en rougeur, l’excellence de cecy eſt en l’vſage, car on en prend en fort petite quantité, qui eſt enuirō vn grain à chaque fois, ce qu’ayant reiteré deuëment, on eſt certain d’eſtre deliuré de toute cauſe de maladie interne, tellement que l’on peut viure ſain de corps & d’eſprit iuſques à l’âge fort abatu, que l’on ceſſe l’vſage de ce diuin reſtaurant, puis l’ame s’exhale comme le feu d’vne meſche qui n’a plus de liqueur, c’eſt ce qui a fait tant & ſainemēt viure les Roys & Princes de Sobare, & rend les Princeſſes ſi belles. Or Ctisder mandoit qu’il eſtoit ſur le point d’obtenir ſon deſir, & auoit apris exactement le moyē dōt Sorfireon auoit vſé, & ce par le diſciple d’vn qui l’aidoit & eſtoit ſon confident : Et ainſi luy declaroit qu’il eſtoit neceſſaire d’auoir le vaiſſeau propre : Car en quelque façon que deuſt eſtre le vaiſſeau, il cōuenoit qu’il fuſt tel qu’il prinſt tout d’vn coup, ce qu’il y en falloit, ny plus, ny moins, ſans y retourner, & ſans en oſter ou adiouſter, autrement tout ſe perdoit. Le vaiſſeau eſtoit de tel le matiere & meſure : il eſtoit de fin or pur & vierge, en figure de Lyon, tellement proportionné au petit pied, que tout le Lyon de metal egaloit ſeulement la pate droite du Lyon de pais, tranchee à la ionture, & falloit qu’il fuſt vuide à la proportion du vuidé d’vn Lyon auquel on a oſté es parties interieures. Ce qui fut bō à ce coup eſt que Ctiſder recouura auec grand trauail & ſubtilité, le Lyon verd qui auoit eſté le modelle de celuy qu’autresfois Sorfireon auoit faict, & eſtoit de bronze antique ſeulement refondue vne fois, l’ayant recouuré il l’enuoya au Roy. En ceſte meſme heure le Roy eſtoit auec les Fortunez ſur l’affaire propoſee, & s’appreſtoient de partir, & il print occasion de leur communiquer la lettre de Ctiſder : Sur quoy ils luy dirent, que s’il luy plaiſoit leur donner iour d’y penſer, qu’ils s’en reſoudroient : Celà luy pleut. Au iour ordonné ils luy dirent, que s’il ne tenoit qu’à recouurer ce vaiſſeau pour obtenir la ſaincte Galanſtiſee, qu’ils trouueroient bien homme qui le feroit ſelō tou tes les proportions requiſes, pourueu qu’il fourniſt de matiere, & que la beſongne eſtant faicte, & recognuë telle, il laiſſaſt aller les Sobarites. Le Roy leur accorda ce qu’ils deſirerent, & leur ayāt fourni d’eſtoffe, & de lieu, ils firent trauailler vn orfeuure ſage & entendu, lequel ſuiuoit le medecin de Sobare. Ceſt ouurier inſtruit par les Fortunez, prepara de la pierre œillee, des feces de Mars, dont en boüillant par le vinaigre, on a oſté la teinture pour la ſanté des Dames Icteriques, & adiouſtant la terre moite de creuſet, batit tout enſemble, & le conroya ſi biē qu’il en fit vn moule auſſi net que la piece meſme : ainſi fut moulé le Lyon verd, en la place duquel l’autre eſtant coulé, il ſe deſpoüilla, extremement bien reſſemblāt le premier, dont il ſembloit eſtre l’original. Ce Lyon fut vuidé & reparé, où il eſtoit beſoin, & fut ſi exactement bien imité & fait qu’il n’y auoit que redire, puis ils le preſenterent au Roy, lequel pour s’aſſeurer ſi l’ouurage eſtoit bien & deuëment fait, fit aſſembler ſes ingenieux & mathematiciens, leſquels iugerent ceſt ouurage beau & exquis, mais ils ne le ſçeurent meſurer exactement. Ces Fortunez eſtans appellez dirent au Roy, qu’ils le meſureroient en ſa preſence, & qu’ils ne vouloient que luy ſeul pour iuge de la demonſtration apparente qu’ils en feroient. Pour ce faire, ils preparerent vne petite cuue d’argent, fort ingenieuſement elabouree polie & nette par dedans, ayant les bords fort vnis, & la poſerent horizontalement ſur vne table bien aſſiſe. Ce vaiſſeau eſtoit plus long que large : Ils leuerent le Lyon par le moyen d’vne ſangle de ſoye cruë (laquelle dure longtemps incorruptible) à laquelle il eſtoit attaché en balance, & par le moyen d’vn beau polypaſton, le hauſſoient & baiſſoiét imperceptiblement, l’ayāt diſpoſé ſur l’ouuerture du vaiſſeau lequel eſtoit plein d’eau de fontaine bien claire, ils le laiſſerent couler dedans peu à peu, l’y deualant tant qu’il fut tout caché en l’eau, & qu’il n’en ſortit plus, car l’eau ſortoit à meſure que le Lyon y entroit, apres que l’eau fut ſans mouuement, qui meſmes auoit eſté imperceptible, ils releuerent le Lyon le laiſſant ſuſpēdu, afin qu’il s’eſgouſtaſt au vaiſſeau, puis ils oſterent ce Lyon & y mirent l’autre, lequel eſtant coulé en l’eau y tint autant de place : De là le Roy meſme iugea qu’ils eſtoient égaux, quant à l’eau qui eſtoit ſortie & auoit eſté receuë en la baſe de la cuuette, elle fut coulee en vn vaiſſeau d’argent qui auoit deux poulces en quarré, & eſtoit fort long, deux poulces en quarré, c’eſt à dire, que le coſté du vaiſſeau eſtoit égal à la diagonale du quarré, ayant vn poulce de coſté : l’eau y eſtant, monſtra combien le petit Lyon auoit de poulces, & de lignes, les Fortunez nous l’auoient dit, mais l’ayant preſques meſpriſé, bien que l’euſſions eſcrit en vne tablette qui eſt en l’hermitage, nous n’auions pas penſé d’en raporter le memoire ſinō pour les curieux. Le Roy content des Fortunez leur fit de grands preſens, les laiſſa acheuer leur voyage, leur rendant toute leur troupe, & offrāt eſcorte au beſoin, & d’auantage promettant par eux amitié, paix & ſeruice à la Royne de Sobare, au Medecin de laquelle il donna vne emeraude rouge & verte. Il auoit prins à part les Fortunez pour ſçauoir d’eux quels ils eſtoient, & ils luy auoient dit qu’ils apartenoient au Duc de Narciſe, & que leur pere eſtoit le gouuerneur de ſes enfans, homme jà d’aage & Philoſophe. Ils s’embarquerent doncques, & eurent aſſez bon vent trois iours, mais le vent de midy les ietta en vn havre d’Aſie, où ils attendirent le vent propre pour leur route : il aduint qu’eſtant là, il s’y trouua vn vaiſſeau qui tiroit en Glindicee, les Fortunez le trouuant ſi à propos, prinrent congé de leurs amis, leur faiſant entendre qu’ils y auoient expreſſément affaire, prians le Medecin & les Dames de faire leurs excuſes, l’aſſeurans que biē toſt la Royne aura de leurs nouuelles. Viuarambe ayant parlé en ſecret à la Dame, la ſupplia de faire ſon excuſe particuliere. Ils ſe ſeparerēt dōcques, & les vaiſſeaux prirent leur route, celuy de Sobare arriua à bon port, & le Medecin auec les Dames raconterent à la Royne leurs aduantures, & comme par la rencōtre des Fortunez ils auoiēt eſté deliurez de la main du Roy de Calicut, qui d’oreſenauant deſiroit viure en paix, & amitié auec elle, la Dame eſtant en particulier luy preſenta ceſte lettre de la part de ſon Fortuné.

L’Abſence eſt l’affliction dont la rigueur eſt la plus vehemente de toutes les violences qui bleſſent les cœurs viuans d’vne belle affection. C’eſt ce mal qui me trouble & me perſecute de douleur ſur douleur : car il n’eſt ennuy ſemblable à la ſeparation de ſa felicité. Ie ſuis en tenebres ſi loin de mon grand Soleil, duquel l’Ecclipſe me dure trop longuement. Ie n’euſſe iamais penſé que la cauſe du bien le plus aduantageux que m’ait faict apprehender la fortune, fut occaſion que ie ſouffriſſe tant de paſſion. Quand voſtre belle lumiere ne m’auoit encor paru, elle ne me cauſoit point de regret, mais depuis qu’elle eut eſtably ſa loy, qu’elle a eſcrite en mon ame, depuis que vos yeux furent l’honneur vnique de mes deſirs, mō cœur y a tellement eſté vny, que le default de leur preſence m’eſt vn mal inſuportable : Ie ne puis rien apporter pour adoucir l’aigreur de ceſte faſcherie, & ne puis trouuer remede à ceſte peine. Si ie me plains ie vous feray tort de vous importuner de doleances faſcheuſes, n’ayant ſuiet autre que de vous benir & honorer, comme celle qui nourit ma vie en la parfaite felicité, & l’alaicte de ce qu’il y a de meilleur en l’eſperance. Et bien qu’ainſi vous ſoyez toute ma lieſſe, mon ennuy pourtant a ſa cauſe de vous, pource que vous m’eſtes abſente, & ceſte abſence me donne le tourment qui m’inquiette. Comment nommeray-ie ceſte perplexité ? ſous quelle idee de mal la propoſeray-ie à mes conceptions ? Ie ne veux point me profonder d’auātage en ceſte peine : i’ay aſſez de perturbations d’eſtre tant eſloigné de vous, & i’ay trop d’affliction de ne vous voir pas. Auſſi ie taſcheray de patienter pour cōſeruer ma vie, afin que ie vous puiſſe ſeruir ayant fait preuue de ma valeur : adonc tout conſolé apres l’acheuement de pluſieurs belles fortunes, ie vous iray voir plein du bon-heur d’eſtre voſtre, ayant l’eſprit accomply en parfaite ioye, vous ne prendriez pas plaiſir qu’vn deſolé ſe preſentaſt à vous, ioint qu’vn courage abbatu de triſteſſe n’eſt point propre au ſeruice des Dames. Partant bien que ie ſois en ceſte angoiſſe, tout releué de cœur & multipliant l’ardeur de mon affection dans le voile de l’abſence, ie rendray mon amour tant accomply, que vous le iugerez de merite, & verrez à l’effet que vos perfections m’ont excité pour paroiſtre tel que doit eſtre celuy qui vous a pour but de iuſtes deſſeins, vous ayant donc pour guide, & eſtant mené par l’honneur, preſent & abſent, ie vous rendray fidelle preuue du treſ-humble ſeruice que vous a voüé & vous doit Viuarambe.

La Royne Sarmate eut du contentement en pluſieurs ſortes, mais le plus ſignalé fut de ſçauoir de l’eſtat de ſon Fortuné, & ayant apris quelques particularités que ſecrettement il auoit communiquees à la Dame pour luy dire, elle ſe reſolut de ſe conſoler, attendant celuy qui luy eſtoit plus cher que ſon ame.