Le Voyage dans la Lune/Texte entier



OPÉRA-FÉERIE


Représenté pour la première fois, à Paris,
sur le Théâtre de la Gaîté,
le 26 octobre 1875
(DIRECTION ALBERT VIZENTINI)


Reprise au Châtelet, le 31 mars 1877
(Direction Castellano.)

PERSONNAGES
À la Gaîté Au Châtelet
VLAN MM. Christian. Christian.
COSMOS Tissier. Tissier.
QUIPASSEPARLA Habay. Habay.
MICROSCOPE Grivot. Guillot.
CACTUS Laurent. Courtès.
COSINUS Scipion. Jacquier.
PARABASE Legrenay. Beuzeville.
PHICHIPSI Colleuille. Colleuille.
RECTANGLE J. Vizentini. Guimier.
OMÉGA Mallet. Auguste.
COEFFICIENT Chevallier. Prudhomme.
A-PLUS-B Henry. Panot.
UN GARDE Scipion. Jacquier.
UN BOURGEOIS J. Vizentini. Jacquier.
UN POÈTE Chevalier. Chevalier.
UN FORGERON Barsagol. Thuillier.
GROSBEDON Chevallier. Prudhomme.
Un marchand
d’esclaves
Van-de-Gand. Gillot.
CAPRICE Mmes Zulma-Bouffar. Zulma-Bouffar.
FANTASIA N. Marcus. Louise Lynnès.
POPOTTE Cuinet. Marcelle.
FLAMMA Blanche Méry. Noel.
ADJA Maury. Géron.
PHOEBÉ Dareine. Lévy.
STELLA Davenay. Régnault.
UNE FORGERONNE Z. Bied. Rébecca.
HYPERBA Baudu. Durand.
MICROMA Blount. Capiglia.

Costumes dessinés par M. Grévin


Décors de MM. Chéret, Fromont et Cornil.


La musique se trouve chez MM. Choudens père et fils, éditeurs,
265 rue Saint-Honoré.

ACTE PREMIER



PREMIER TABLEAU


LE PRINCE CAPRICE
La façade du palais de Vlan, en pan coupé à gauche. — On arrive au palais par un escalier de quelques marches. — Au premier étage, un balcon praticable. — À gauche, premier plan, fontaine monumentale avec bassin. — Au fond, au milieu, un arc de triomphe de feuillages et de drapeaux. — Partout les préparatifs d’une fête : banderoles, oriflammes, lanternes vénitiennes non allumées, médaillons et écussons avec ces inscriptions : Vive Vlan et son fils !… Longs jours à Vlan ! Vive le Prince Caprice !… — Vlan, père du peuple. — Caprice, espoir du royaume.




Scène PREMIÈRE

Hommes et Femmes du Peuple, puis Microscope.
INTRODUCTION
CHŒUR.

Quelle splendide fête
Ici l’on apprête !

C’est charmant,
Amusant,
Renversant.
Quelle splendide fête
Ici l’on apprête !
Regardons,
Admirons !
Pour sûr c’est nous qui la paierons !

PREMIÈRE FEMME.

Que c’est joli ! que c’est coquet,
J’en suis ravie,
J’en suis saisie.

DEUXIÈME FEMME.

Jamais ici l’on n’avait fait
Cérémonie
D’un tel effet.

REPRISE DU CHŒUR.

Quelle splendide fête,
Etc.

UN HOMME.

Ah ! voici M. Microscope le grand savant du roi…

Entre Microscope.
TOUS, s’apprêtant à crier

Vi…

MICROSCOPE, les arrêtant

Ne criez pas !… J’ai besoin de me recueillir. Allez, allez ! !! (Tirant sa montre.) Voyons… quatre heures… Ce n’est qu’à cinq heures que le prince Caprice, (Se découvrant.) l’unique rejeton de notre bien-aimé roi Vlan IV, doit revenir du grand voyage qu’on lui a fait entreprendre pour compléter son éducation… J’ai donc soixante bonnes minutes devant moi et je vais en profiter pour aller dire un petit bonjour à Cascadine… une jeune personne qui joue les rôles à maillot dans un théâtre de genre… Des jambes superbes !… Que voulez-vous ?… on a beau s’appeler Microscope, être tout simplement le plus grand savant, le plus grand mécanicien, le plus grand métallurgiste, le plus grand ingénieur de son époque et posséder toute la confiance de son souverain, on n’en appartient pas moins à l’humanité par quelques petits côtés… Donc je suis du dernier bien avec Cascadine… Pauvre chérie !… Je suis sûr qu’elle attend ma visite avec impatience. Hier, je devais aller la prendre à la sortie de son théâtre, mais elle m’a envoyé ce mot : « Mon bon lapin, ne te dérange pas, je suis obligée de passer la nuit auprès d’une tante qui est très malade. » C’est une bonne nature : elle a le culte de la famille… Pourtant, il y a une chose qui m’étonne : elle ne m’avait jamais parlé de cette tante-là… Enfin ! ne perdons pas de temps et volons au bonheur… volons au…

Au moment où il se dispose à sortir, paraît un garde.
LE GARDE, annonçant.

Le roi !…

MICROSCOPE, s’arrêtant.

Sapristi ! le patron !


Scène II

Les Mêmes, VLAN.
VLAN, entrant, suivi de quelques dignitaires.


COUPLETS.

Vlan, Vlan,
Je suis Vlan,
C’est moi le roi Vlan,
Vli ! vlan !
Vlan ! Rataplan !
Je suis le roi Vlan !

I

Dans le dur métier de roi,
Rien n’est bon, croyez-moi,
Comme un nom fier et terrible ;
Car lorsque l’on apparaît,
Aussitôt chacun se tait,
Et grâce à ce secret,
On fait une peur horrible
À chaque sujet !
C’est pour ça (Bis.) que le mien
Me paraît (Bis.) assez bien :
Il est très vif, il résonne,
Il fait du bruit, il étonne :
Vlan ! Vlan !
Je suis Vlan,
Etc.

II

Ainsi moi, c’est entre nous,
Je suis un prince doux
Et même trop débonnaire !
Et si l’on crie un peu haut,
Quand je veux parler d’impôt
Je me sens aussitôt
Assez mal à mon affaire
Dès le premier mot.
Par bonheur (Bis.) j’ai mon nom,
Qui me tient (Bis.) lieu d’aplomb,
Et grâce à lui je m’en tire,
Car alors je n’ai qu’à dire :
Vlan ! Vlan !
Etc.

TOUS.

Vive Vlan !…

VLAN.

Oui, mes enfants, c’est moi, c’est votre bon Vlan… Vous êtes heureux de me voir, n’est-ce pas ? Moi aussi… et sur ce, allez-vous en, qu’on me laisse.

MICROSCOPE.

Qu’on le laisse.

REPRISE.

Vlan ! Vlan !
Etc.

Sortie.

Scène III

VLAN, MICROSCOPE.
MICROSCOPE, à part.

Je crois que voilà le moment…

Il s’apprête à s’en aller.
VLAN, le retenant.

Où vas-tu ?

MICROSCOPE.

Chez Casc… (Se reprenant.) dans mon cabinet de travail !… Où voulez-vous qu’aille un savant comme moi, sinon dans son cabinet de travail ?… Ah ! l’étude, la science, l’industrie ! c’est ma vie, à moi… Vous permettez !… j’ai justement quelque chose sur le feu.

Il fait un mouvement pour s’en aller.
VLAN.

Attends.

MICROSCOPE, à part.

Fichtre !… quatre heures un quart.

VLAN.

Microscope, tu vois un homme bien ému…

MICROSCOPE.

Je comprends ça… après deux heures… (Se reprenant.) après deux ans… revoir votre fils, ce cher prince Caprice !…

VLAN.

Oui, d’abord… mais ce n’est pas seulement ça…

MICROSCOPE.

Il y a encore autre chose ?

VLAN.

Tu l’as dit… Pour le vulgaire, cette fête est une fête ordinaire… Pour moi, c’est un événement capital… c’est la réalisation d’un plan longuement mûri.

MICROSCOPE.

Ah ! bah ! (À part.) Quatre heures vingt !…

VLAN.

Voilà bientôt trente ans que je suis sur le trône. — J’ose me flatter que mes sujets n’ont pas lieu de s’en plaindre… mais moi, entre nous, je commence à en avoir assez… je me sens fatigué, bref, je crains de ne plus être à la hauteur.

MICROSCOPE.

Comment, vous vous en apercevez ? Eh bien ! ce n’est pas pour vous faire un compliment, mais il n’y a pas beaucoup de gens capables de se juger ainsi eux-mêmes.

VLAN.

Alors, tu trouves que j’ai raison ?

MICROSCOPE.

Raison, de quoi faire ?

VLAN.

Mais de me retirer, de passer la main…

MICROSCOPE.

Hein ? Vous voulez ?

VLAN.

Je veux frapper un grand coup… Tout à l’heure, quand Caprice sera arrivé, je profiterai du moment où l’enthousiasme sera à son comble et, en présence de mon peuple, je lui poserai sur la tête la couronne que j’ai fait redorer à cette intention. (S’interrompant.) On l’a rapportée ?

MICROSCOPE.

Oui, voici la facture.

VLAN.

Eh bien ! qu’est-ce que tu dis de cela ?

MICROSCOPE.

Ce que j’en dis ? c’est une grande idée… sans parler des capacités de votre fils, qui sont absolument nulles…

VLAN.

C’est toi qui as fait son éducation.

MICROSCOPE.

Il a tout pour lui : la légèreté, la jeunesse, l’inconséquence, la prodigalité… Enfin, c’est une grande idée.

VLAN.

N’est-ce pas ?

MICROSCOPE.

Ah ! mais sapristi… je songe à une chose… Le prince Caprice est jeune. En arrivant au pouvoir, il est capable d’y apporter des projets de changement.

VLAN.

C’est possible.

MICROSCOPE.

Il va vouloir tout bouleverser, s’entourer d’hommes nouveaux…

VLAN.

Je le lui conseillerai.

MICROSCOPE.

Eh bien ! alors et moi ?

VLAN.

Toi, tu feras comme moi, tu iras planter tes choux !

MICROSCOPE.

Mais permettez ! Ça change la thèse… ce n’est plus une grande idée du tout !… Que vous vous retiriez des affaires vous, je comprends ça… votre pelote est faite… mais moi… c’est à peine si j’ai vingt-cinq pauvres mille livres de rentes.

VLAN.

Vingt-cinq mille livres de rentes ! Et tu ne gagnes que douze cents francs par an !

MICROSCOPE.

J’ai fait des économies.

VLAN.

Ça se voit !…

MICROSCOPE.

Heureusement, tout espoir n’est pas perdu… ce n’est pas pour rien qu’on a donné à votre fils le nom de Caprice… Il est bizarre, fantasque, original. Rien ne dit qu’il acceptera votre trône.

VLAN

Allons donc ! Est-ce qu’on refuse ces choses-là ?… À son âge, on est ambitieux… et puis, c’est mon fils, il a l’ambition dans le sang… D’ailleurs, n’ai-je pas fait redorer la couronne ? (Changeant de ton.) On l’a rapportée ?

MICROSCOPE.

Je viens de vous donner la facture.

VLAN.

C’est juste !

MICROSCOPE, tirant sa montre, à part.

Cinq heures moins cinq ! Cascadine doit s’impatienter. (Haut.) Sire, je vais…

VLAN.

Tu vas rester ici… j’ai besoin de toi pour chauffer ma proclamation.

MICROSCOPE.

Mais…

VLAN.

Pas d’observations.

MICROSCOPE.

Je m’incline. (À part.) Oh ! Les maîtres !…

On entend sonner sept heures. — Murmure vagues au dehors. — On entend dans la coulisse : Vive Caprice !
VLAN.

Cinq heures !… voilà mon fils qui fait son entrée…

MICROSCOPE, à part.

J’irai chez Cascadine après la cérémonie.


Scène IV

Les Mêmes, Hommes et Femmes du Peuple, Courtisans,
Gardes (travestis), puis Caprice.
Tout le monde entre en agitant des mouchoirs. Des pages paraissent au balcon du palais. — Musique.
CHŒUR.

Rataplan ! rataplan !
Tambours, battez aux champs !
Tarata ! tarata !
Que le fifre et la trompette
Lancent à tous les vents
Leurs chants de fête.
Rataplan ! rataplan !
Taratata ! taratata !

VLAN.

Oui, c’est lui, mon fils, ô bonheur !

MICROSCOPE.

Dans mes yeux, je sens un pleur !

VLAN.

Après une telle absence !

MICROSCOPE.

Le revoir, ah ! quelle chance !

CAPRICE, arrivant.


COUPLETS

Ah ! j’en ai vu, j’en ai vu !
Le connu, l’inconnu,
Le prévu, l’imprévu,
J’ai tout vu !

I

Tu m’avais dit : Mon enfant,
On s’instruit en voyageant.
Eh bien ! moi, je peux te dire
Que j’ai tout fait pour m’instruire,
Et je te reviens, papa,
Assez instruit comme ça !
Je connais toute l’Afrique,
Je connais le pôle nord,
L’Angleterre, l’Amérique
Et surtout la Maison d’Or. (Bis.)
Ah ! j’en ai vu, j’en ai vu,
Etc.

II

Tu m’avais dit : En chemin
Étudie, observe bien,
Car, à l’époque où nous sommes,
Il faut connaître les hommes.
Eh bien ! ces sages avis,
Papa, je les ai suivis !
Mais j’ai fait à tes programmes
Un tout petit changement,
Et ce sont surtout les femmes
Que je connais gentiment. (Bis.)
Ah ! J’en ai vu,
Etc., etc.

VLAN.

S’est-il dégourdi, ce gamin-là ! déjà blasé !

CAPRICE.

Tiens, papa, veux-tu mon opinion ? Le monde ça n’est pas drôle.

MICROSCOPE, à part.

Eh bien ! avec celui-là, je suis sûr de mon affaire. Je n’en ai plus pour longtemps.

VLAN.

Caprice, mon enfant, j’ai à te parler sérieusement. Et vous, mes fidèles sujets, écoutez aussi… la communication que je vais faire à mon héritier vous intéresse également. (Bas à Microscope.) Chauffe-moi ça !

MICROSCOPE, à pleine voix.

Vive le roi Vlan !

TOUS.

Vive Vlan !

VLAN.

Bien !… (À Microscope.) Maintenant, fais-moi passer la couronne. (Microscope donne un ordre. — Vlan reprend.) Je vous prierai de remarquer la façon dont j’ai prononcé ce mot héritier… Il n’est pas employé ici dans le sens ordinaire de rejeton, fils, progéniture… non ! C’est à dessein que je m’en suis servi dans son acceptation propre et rigoureuse : Héritier ; du verbe hériter d’où on a fait héritage. Héritier, substantif masculin singulier, qui veut dire : qui hérite. (À Microscope.) La couronne ?

MICROSCOPE, lui donnant la couronne qu’on vient d’apporter dans un écrin plat.

La voici !

VLAN, ouvre l’écrin et en sort la couronne dont il fait jouer le ressort absolument comme pour les chapeaux gibus, la prenant et la mettant sur sa tête.

Merci. (Haut.) Maintenant, vous voyez cette couronne, que je viens de faire redorer à neuf ; cette couronne que je porte depuis près de trente ans avec éclat et distinction ! Eh bien ! cette couronne, aujourd’hui je la sens peser sur ma tête. Je l’ôte et je la cède à mon fils, au prince Caprice !

Mouvement d’étonnement.
CAPRICE.

À moi !…

VLAN, la lui posant sur le front.

Mets-toi ça sur le chef. (À Microscope.) Chauffe donc, animal !

MICROSCOPE, criant mais sans conviction.

Vive Sa Majesté Caprice !

TOUS.

Vive Sa Majesté Caprice !

CAPRICE.

Un instant !… Cette couronne, certainement je serais fier de la porter, mais je crains qu’elle ne soit trop lourde pour ma tête, je l’ôte et je la rends à papa qui en a plus l’habitude que moi.

Il met la couronne sur la tête de Vlan. — Nouveau mouvement de surprise.
VLAN, stupéfait.

Comment !

MICROSCOPE, à part, avec joie.

Il n’en veut pas ! quelle chance (Criant à pleins poumons.) Vive Sa Majesté Vlan IV !

TOUS.

Vive Sa Majesté Vlan IV !

VLAN, à Microscope.

Veux-tu bien te taire ! (À Caprice.) Tu refuses ?

CAPRICE.

Absolument !

VLAN.

Mais malheureux !… regarde donc comme elle reluit !…

CAPRICE.

Ça m’est bien égal !

VLAN, furieux.

Oh ! un pareil affront ! Devant mon peuple ! (Haut avec rage.) Allez-vous en tous !… J’éprouve le besoin de me livrer à une scène de famille. (Se promenant fiévreusement.) Un effet si bien préparé, complètement raté !… (À la foule.) Eh bien ! Vous n’êtes pas encore partis !… J’avais l’intention de faire tirer un feu d’artifice, je biffe le feu d’artifice !

TOUS.

Oh !

VLAN, avec force.

Je biffe le feu d’artifice ! vous entendez ? allez.

Tout le monde se retire.
MICROSCOPE, à part.

Je crois que voilà le moment d’aller à mon rendez-vous.

Il se prépare à s’en aller.
VLAN.

Où vas-tu ? Reste ici.

MICROSCOPE.

Mais…

VLAN.

Pas d’observations.

MICROSCOPE, à part.

J’irai chez Cascadine après la scène de famille…


Scène V.

CAPRICE, VLAN, MICROSCOPE.
Vlan très agité, se promène de long en large.
MICROSCOPE, à part.

Tout à l’heure, il va pleuvoir des démissions…

CAPRICE, de même.

Il est vexé, papa…

VLAN, s’arrêtant brusquement devant Caprice.

Mais enfin, pourquoi ?

CAPRICE.

Pourquoi, quoi ?

VLAN, furieux.

Pourquoi, quoi !… Pourquoi as-tu refusé cette couronne ? Il n’y a peut-être au monde qu’un seul père capable de faire ce que j’ai fait pour toi.

CAPRICE, riant.

Et il faut justement qu’il ait le seul fils capable de refuser… Ça tombe mal !… mais que veux-tu papa ? Régner, gouverner, m’occuper de politique… Non ! je ne sens pas ça. Depuis deux ans, j’ai pris l’habitude de courir le monde, d’aller et venir… je suis sûr que je ne pourrais plus rester en place… Tiens ! je viens à peine d’arriver… et je sens déjà l’ennui qui me prend là. Il me faut la liberté, le mouvement, l’air, l’espace !

VLAN.

La liberté, le mouvement ! tu finiras pourtant bien par te fixer, un jour ou l’autre.

CAPRICE.

Me fixer !

VLAN.

Par te marier ?…

CAPRICE.

Me marier !… Voyons, papa, puisque je t’ai dit que je connais les femmes.

VLAN.

Eh bien ?

CAPRICE.

Eh bien ! c’est assez te dire que je n’ai pas l’intention de me marier. Oh ! mais là, pas du tout !

VLAN.

Il est renversant, ma parole d’honneur !… Si on croirait que ça a à peine dix-sept ans… Voyons, une fois, deux fois, veux-tu ma couronne ?

CAPRICE.

Une fois, deux fois, trois fois, dix fois, cent fois… non ! non ! non !

VLAN.

Ah !

MICROSCOPE, timidement à Vlan.

Dites donc…

VLAN.

Quoi ?

MICROSCOPE.

Si vous vouliez… moi !

VLAN

Toi ! ce serait du joli ! (À Caprice.) Mais enfin, que prétends-tu faire ? voyager encore ?… Puisque tu as tout vu ?

CAPRICE, avec ennui.

C’est vrai ! Oh ! si je pouvais trouver un endroit…

Il remonte absorbé.
VLAN.

Mais nom d’un petit bonhomme ! tu n’as pas le sens commun !… Car enfin un garçon de ton âge, surtout quand il a un père… suis bien mon raisonnement… (S’apercevant que Caprice n’est plus à côté de lui.) Eh bien !… c’est comme cela que tu m’écoutes ? Qu’est-ce qu’il fait ?

Depuis quelques instants la nuit est venue et la lune, invisible aux spectateurs, se reflète dans le bassin de la fontaine.
CAPRICE, la regardant avec une sorte d’extase.

Oh ! la lune !

VLAN.

Qu’est-ce qu’il dit ?

MICROSCOPE.

Il dit : la lune.

VLAN.

La lune ! je lui parle raison et il me répond : la lune… Tu n’espères sans doute pas que je vais te la donner, la lune !

CAPRICE, allant à lui.

Eh bien ! pourquoi pas ?

VLAN.

Hein ?

CAPRICE, s’animant.

Ce pays inconnu, inexploré, que je rêvais, le voilà… je l’ai trouvé…

MICROSCOPE, à part.

Il divague !…

VLAN.

C’est de la folie galopante !…

CAPRICE.


ROMANCE
I

Ô reine de la nuit,
Reine silencieuse !
Dans le ciel où sans bruit
Tu vas mystérieuse,
Mon cœur tout éperdu
Que ta pâleur enivre,
Mon cœur voudrait te suivre
Vers le monde inconnu !

Oui, sur terre tout m’importune
Et dans les cieux
Je serai mieux :
Papa, papa ! je veux la lune !…

II

Quand ta douce clarté
Fait pâlir les étoiles,
Quand du ciel argenté
Tu déchires les voiles,
Ô lune ! jusqu’à toi
Je sens aller mon âme,
Et ta divine flamme
M’attire malgré moi !
Oui, sur terre tout m’importune
Etc.

VLAN.

Voyons, voyons, Caprice… ce n’est pas sérieux, n’est-ce pas ? Si c’est une plaisanterie, elle est assez réussie.

CAPRICE.

Rien n’est plus sérieux.

VLAN.

Tu veux aller dans la lune ?

CAPRICE.

Oui ! oui !… oui !…

MICROSCOPE.

Mais c’est impossible !

CAPRICE.

Impossible !… C’est vous qui dites cela ? Vous le plus grand savant, le plus grand ingénieur de la terre.

MICROSCOPE.

C’est vrai !

CAPRICE.

Mais non ! ce n’est pas impossible. Et la preuve… c’est que je vous charge de trouver le moyen d’y aller.

MICROSCOPE.

Moi !

CAPRICE.

Est-ce que papa ne vous a pas pris pour tout faire ?

MICROSCOPE.

Oui, mais pourtant…

VLAN.

Écoute donc…

CAPRICE.

Ne me répétez plus que c’est impossible, ou sinon…

MICROSCOPE.

Sinon ?…

CAPRICE.

J’aurai le regret d’accepter votre démission.

MICROSCOPE, chancelant.

Ma démission !… mais, prince, permettez. Après tout, la lune, ce n’est pas ma partie… moi, je ne m’occupe que de mécanique… Ça regarde l’Observatoire… c’est lui qui est chargé des relations avec le ciel.

CAPRICE.

C’est vrai, au fait, il a raison… Allons à l’Observatoire.

MICROSCOPE, à part.

Maintenant, je cours voir Cascadine.

VLAN.

Comment ! tu veux ?

CAPRICE, arrêtant Microscope.

Venez avec nous…

MICROSCOPE.

Mais je…

VLAN.

Pas d’observations !

MICROSCOPE, à part.

J’irai chez elle en sortant de l’Observatoire. (Haut.) Pourtant…

CAPRICE.

Pas d’observations !

CHANT

Oui, sur terre tout m’importune,
Et dans les cieux
Je serai mieux,
Papa, papa, j’aurai la lune !

Ils sortent. — Changement à vue.




DEUXIÈME TABLEAU


L’OBSERVATOIRE
La coupole de l’Observatoire. Instruments astronomiques. — Portes à droite et à gauche.




Scène PREMIÈRE

COSINUS, A-PLUS-B, OMÉGA, COËFFICIENT, RECTANGLE, PHICHIPSI, Astronomes.
Ils tournent le dos au public et interrogent le ciel. — Musique. À chaque vers ils tournent d’un même mouvement la tête du côté du public, puis se remettent à observer.
CHŒUR DES ASTRONOMES.

Les cieux…
Curieux…
Bolides…
Splendides…
Ardents…
Brillants…
Planètes…
Comètes…
Flambeaux…
Très beaux…

Venant sur le devant de la scène.

Nous sommes
Les astronomes,
Les yeux fixés sur l’éther !
Vous voyez des hommes
Qui vivent le nez en l’air ! (Bis.)

Les astronomes se remettent en observation. On ne voit plus que leur dos.

Scène II

Les Mêmes, CAPRICE, VLAN, MICROSCOPE, Deux Gardes, puis PARABASE.
VLAN.

Enfin !… nous y voici.

MICROSCOPE.

Voilà les astronomes…

CAPRICE.

Voyons ne perdons pas de temps et interrogeons-les. (Allant aux astronomes.) Messieurs…

TOUS.

Chut ! Chut !

PARABASE, accourt vivement, il est en costume d’huissier académique.

Que vois-je ?… Des étrangers qui se sont introduits… (D’un ton impoli.) Qu’est-ce que vous venez faire ici ?

CAPRICE.

Eh bien ! il est aimable, celui-là.

VLAN.

Nous voudrions voir l’Observatoire.

PARABASE, sur le même ton.

Avez-vous des cartes d’entrée ?

MICROSCOPE.

Non, mais nous voudrions…

PARABASE, très-raide.

On ne visite qu’avec des cartes.

CAPRICE.

Mais il ne s’agit pas de cela.

VLAN.

Nous venons pour consulter.

PARABASE.

Consulter l’observatoire ! Adressez une demande au grand factotum, qui la renverra au chef du personnel, qui la renverra à l’employé principal, lequel la renverra à un autre bureau… et dans six mois…

CAPRICE.

C’est trop fort. Insolent, parler ainsi à papa… au roi.

PARABASE, effrayé.

Le roi !… je suis perdu !… (Tombant à genoux.) Grâce, j’ignorais… si j’avais su que vous n’étiez pas du public. J’aurais été poli…

VLAN.

Eh bien ! je te pardonne, parce que tu es malhonnête, mais tu vas dire à ces messieurs que nous voulons leur parler à l’instant même.

PARABASE.

Oh ! ce ne sera pas long !… Messieurs, le roi !…

TOUS, se retournant.

Le roi !…

Ils s’inclinent.
VLAN.

Relevez-vous, Messieurs.

CAPRICE.

Et arrivons au fait… Nous venons vous soumettre une question des plus graves…

COSINUS.

Une question des plus graves ! Parabase, apporte des télescopes à ces messieurs.

PARABASE.

Oui monsieur le président.

VLAN, à part.

Des télescopes ? Est-ce qu’ils veulent nous faire travailler ?

PARABASE.

Voilà !

Il donne des télescopes à Caprice, à Vlan et à Microscope qui les prennent d’un air inquiet.
COSINUS.

Fort bien ! (Aux savants.) Et maintenant, messieurs, à vos places, pour entendre la communication ! (Les savants se rangent en demi-cercle autour de lui.) Y êtes-vous ?

LES SAVANTS.

Oui.

COSINUS, frappant dans ses mains.

Une, deux, trois !…

À ce signal, chacun ouvre son télescope qui forme un siège sur lequel il s’assied.
VLAN.

Ah ! je comprends les télescopes !

Il s’assied. — Microscope et Caprice l’imitent.
MICROSCOPE.

Oui, ils sont à deux fins.

COSINUS.

La séance est ouverte. Prince, nous vous écoutons.

VLAN, se levant.

Messieurs les savants, le motif qui nous amène est d’une simplicité tellement grande qu’il me semble inutile… Pourtant quelques explications préalables…

COSINUS.

Sire, ce que vous dites est très clair, mais je ne comprends pas très bien !

CAPRICE.

Oui ! il patauge !… Tu patauges, papa !… Allons droit au but. — Messieurs, nous venons tout simplement vous prier de nous indiquer un moyen de nous rendre dans la lune.

TOUS.

Dans la lune ? Prince, vous plaisantez…

CAPRICE.

Pas le moins du monde et j’exige que vous examiniez sérieusement la question et que vous y répondiez sur l’heure.

COSINUS.

C’est bien, prince, vous serez obéi… Messieurs, la question à résoudre est celle-ci : Croyez-vous qu’il soit possible d’aller dans la lune ? (Silence.) Monsieur Coëfficient, vous avez la parole.

CŒFFICIENT, se levant.

Messieurs ! à cette question : Peut-on aller dans la lune ? je réponds : non ! et je me base sur des faits indiscutables qui sont ceux-ci : si on pouvait aller dans la lune, il y a longtemps qu’on y serait allé !

Il se rassied.
A-PLUS-B.

Bravo !

VLAN.

C’est évident !

MICROSCOPE.

Parbleu !

CAPRICE.

Vous ne savez pas ce que vous dites.

PHICHIPSI, très poliment à Vlan.

Pardon ! qu’est-ce qu’il a dit ?

VLAN, brusquement.

Il fallait écouter.

PHICHIPSI, très poliment.

Merci, monsieur.

COSINUS.

M. Oméga a la parole.

OMÉGA, se levant.

Je n’en veux pas !

RECTANGLE, vivement.

Je la prends… La proposition que je vais avoir l’honneur de formuler est de ne point conclure et de déclarer qu’il n’est pas impossible que ce soit possible, mais qu’il est possible que ce soit impossible.

TOUS LES SAVANTS.

Bravo ! bravo !

PHICHIPSI.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

VLAN.

Vous m’embêtez.

PHICHIPSI.

Bravo ! bravo !

COSINUS.

La conclusion de M. Rectangle est adoptée à l’unanimité.

CAPRICE.

Mais on n’a pas conclu !

COSINUS.

Pardon, on a conclu qu’on ne conclurait pas.

CAPRICE.

C’est une plaisanterie !

MICROSCOPE.

Vous enterrez la question.

COSINUS.

Attendez… il y a un moyen de tout arranger, c’est de nommer une commission.

CAPRICE, furieux.

Une commission !

VLAN.

Voyons, calme-toi. (À Cosinus.) Il me semble que plusieurs de vos collègues n’ont pas donné leur opinion… (Montrant Phichipsi.) Celui-ci par exemple… il est donc moins instruit que les autres ?

COSINUS.

Lui, au contraire… c’est le fameux Phichipsi, le plus fort de tous… seulement il est sourd comme un pot.

VLAN.

Ah ! c’est donc ça.

PHICHIPSI, à Vlan.

Qu’est-ce qu’il a dit ?…

VLAN.

Il a dit que vous étiez sourd comme un pot.

PHICHIPSI.

Bravo ! bravo !

VLAN.

Il est complet.

COSINUS.

La séance est levée.

Tous les assistants se lèvent et referment leurs télescopes.
CAPRICE.

Comment la séance est levée… mais je m’y oppose ! vous êtes tous des ânes !

TOUS, froissés.

Des ânes !…

CAPRICE, à Vlan

Et tu paies ces gens-là sur ta cassette !

MICROSCOPE.

Il faut les biffer !

VLAN.

C’est ça ! je les biffe !… je vous biffe entendez-vous ? Vous allez me rendre vos télescopes, j’en ferai des sièges de jardin.

CAPRICE, à Microscope.

Quant à vous, Monsieur Microscope, puisqu’on est en train de biffer, je vous biffe par la même occasion… votre démission est acceptée.

MICROSCOPE.

Ma démission !… mais prince…

CAPRICE.

Vous ne me rendez pas plus de services que tous ces messieurs.

MICROSCOPE.

Oh !

CAPRICE.

Vous dépensez un argent fou avec tous vos engins et toutes vos machines qui ne servent à rien.

MICROSCOPE.

Mais prince !…

CAPRICE.

Êtes-vous ingénieur, oui ou non ?

MICROSCOPE.

Certes… mais…

CAPRICE.

Alors, trouvez-moi le moyen que je vous demande.

VLAN.

Mon pauvre Croscope !…

MICROSCOPE, à part.

Oh ! mais, il m’ennuie, ce petit-là… si je pouvais me défaire de lui… Oh ! quelle idée ! Cette machine à laquelle je travaille depuis trois ans ! Ô balistique ! viens à mon aide. (Haut.) Eh bien, soit ! ce moyen, je vous le fournirai.

VLAN.

Hein ?

MICROSCOPE.

Je l’ai trouvé.

CAPRICE.

Quel est-il ?

MICROSCOPE.

Vous le saurez quand il sera temps.

CAPRICE.

Et combien vous faut-il de temps ?

MICROSCOPE.

Huit jours.

CAPRICE.

Soit.

MICROSCOPE.

Il faut aussi de l’argent, beaucoup d’argent.

CAPRICE.

On vous fournira tout ce qu’il faudra… Seulement prenez garde… si dans huit jours vous n’avez pas tenu parole, ce n’est plus votre démission que je vous demanderai, c’est votre tête !

MICROSCOPE, avec un frisson.

Brrr !… ma tête !… Il n’est que temps de m’en débarrasser

(Se remettant.) Soit, je vous donne rendez-vous dans huit jours, dans ma forge.

VLAN.

Voilà ce pauvre Croscope qui est devenu fou aussi.

CAPRICE.

Vous allez vous mettre immédiatement à l’œuvre.

MICROSCOPE.

Pardon… Auparavant, je voudrais faire une petite visite.

CAPRICE.

Vous n’avez pas le temps.

MICROSCOPE, à part.

Allons, il est écrit que je ne verrai pas Cascadine aujourd’hui.

VLAN, aux astronomes.

Et vous, hors d’ici.

PHICHIPSI.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

Les astronomes pourchassés par les gardes se sauvent dans un désordre comique.
Changement à vue.




TROISIÈME TABLEAU


LA FORGE
Une immense forge en activité. — Soufflets, fournaises en pleine combustion, enclumes et marteaux de dimensions énormes. Au fond, un haut fourneau en briques rouges.




Scène PREMIÈRE

Forgerons et Forgeronnes, puis MICROSCOPE

Au changement, les forgerons et les forgeronnes travaillent avec ardeur.

CHŒUR.

À l’ouvrage ! à l’ouvrage !
Frappons,
Tapons,
Cognons avec rage !
N’oublions pas le vieux dicton :
C’est en forgeant qu’on devient forgeron !

QUELQUES FORGERONS, se détachant.

Mais c’est une folie,
Une plaisanterie.

LE CHŒUR.

Frappons,
Tapons !

LES FORGERONS, idem.

On se moque de nous,
On nous prend pour des fous.

LE CHŒUR.

Tapons !
Frappons !

REPRISE

À l’ouvrage ! à l’ouvrage !
Etc.

MICROSCOPE, entrant. — Il est en costume de travail, le visage pourpre et baigné de sueur.

Allons, chaud ! les enfants ! chaud, ne flânons pas !

UN FORGERON.

Ouf ! je n’en puis plus !

PREMIÈRE FORGERONNE.

Voilà huit jours que nous travaillons sans nous arrêter.

UN FORGERON.

On n’est pas de fer !

PREMIÈRE FORGERONNE.

On a beau être solide, il n’y a pas moyen de résister.

MICROSCOPE.

Voyons un dernier effort… quelques minutes seulement nous séparent du moment où vous pourrez vous reposer. À onze heures tout doit être terminé et il est onze heures moins dix. Ainsi, chaud ! les enfants, chaud !

TOUS.

Oui ! oui !

Ils se remettent au travail avec fièvre.
Moment de vacarme étourdissant.
MICROSCOPE, contemplant ce tableau avec satisfaction.

C’est égal, c’est beau l’industrie…C’est ici mon cabinet de travail… voilà quelques années que je m’occupe de mécanique et de fonderie… C’est grâce à cela que je vais pouvoir expédier le prince Caprice dans une autre planète d’où je suis bien sûr qu’il ne reviendra pas… si même il y arrive… C’est peut-être indélicat ce que je fais là. Mais il me demandait ma démission ! Ah ! non.

DEUXIÈME FORGERONNE, se détachant et venant à lui.

M’sieu, c’est-il vrai que c’est pour aller dans la lune ce que nous fabriquons là ?

MICROSCOPE, la renvoyant.

Oui, oui… allez travailler… c’est égal ! je ne serai pas fâché d’avoir fini… Il y a plus de huit jours que je n’ai pas vu Cascadine, heureusement, elle m’a fait dire que sa tante était encore malade… ça l’occupe toujours un peu, pauvre chérie !

DEUXIÈME FORGERONNE, revenant.

M’sieu… je pourrai-t-il y aller aussi dans la lune ?

MICROSCOPE.

Non… vous m’ennuyez… C’est un crampon que cette petite industrielle.

Onze heures sonnent.
TOUS.

Onze heures !

UN FORGERON.

Allons déjeuner !

Ils sortent.

Scène II

MICROSCOPE, VLAN, CAPRICE, Des Gardes.
UN GARDE, annonçant.

Le roi… le prince Caprice !

MICROSCOPE.

Ils sont exacts.

VLAN, entrant.

Nous voici, mon bon Microscope.

CAPRICE.

Eh bien ! Vous êtes prêt ?

MICROSCOPE.

Mais certainement, prince… dans un instant.

VLAN.

Allons donc… Pauvre ami, va !…

MICROSCOPE.

Parole d’honneur !… je suis prêt.

CAPRICE.

Tu entends, papa.

VLAN.

Ah ! ah ! Mais un instant, mon garçon, ça change la thèse… tant que j’ai cru que ça ne se pourrait pas… j’ai fait ce que tu as voulu… mais maintenant, il s’agit d’être sérieux… J’espère bien que tu as renoncé à ce voyage absurde.

CAPRICE.

Si j’y ai renoncé ?… Mais au contraire, je n’en dors plus… J’en rêve !

RONDEAU

Monde charmant que l’on ignore
Et que mon cœur a deviné,
Monde charmant, oui, je t’adore,
Et vers toi, je suis entraîné !

Doux pays de la fantaisie,
Ô doux pays des songes bleus !
De tout temps tu fus la patrie
Des rêveurs et des amoureux.
Tu t’environnes de mystère
Pour te dérober à nos yeux,
Mais moi, je veux quitter la terre
Et t’aller chercher dans les cieux.

Monde charmant,
Etc.

Chez toi toute chose est jolie,
Tout est séduisant, tout est beau,
Tout est plein d’amour et de vie,
Tout est coquet, tout est nouveau.

En vain l’on m’arrête,
Chez toi je veux porter mes pas.
Une illusion secrète
Me dit qu’on doit trouver là-bas
La femme idéale et parfaite
Qu’ici l’on ne trouverait pas…

Monde charmant,
Etc.

VLAN.

Il est désespérant.

CAPRICE.

Voyons votre moyen !

VLAN.

C’est vrai, je ne vois rien. Nous sommes ici dans une forge. C’est assez gentil… je ne dis pas le contraire… Mais ce n’est qu’une forge.

MICROSCOPE.

Une forge où l’on a fabriqué la machine qui doit permettre au prince votre fils d’aller dans la lune.

VLAN.

La machine ?… Quelle machine ?

MICROSCOPE.

Oh ! mon Dieu, une machine bien simple… un canon.

VLAN et CAPRICE.

Un canon !

MICROSCOPE.

Un canon qui a vingt lieues de longueur.

VLAN.

Ah ça ! est-ce que par hasard tu voudrais faire partir mon fils en canon ?

MICROSCOPE.

Pourquoi pas ?

VLAN.

Comment ! pourquoi pas ? mais parce qu’on ne part pas en canon… ça n’est pas dans les habitudes.

MICROSCOPE.

Dame, il n’est pas dans les habitudes non plus d’aller dans la lune.

CAPRICE.

Ma foi ! il a raison ! et je veux…

VLAN.

Une minute ! (À Microscope.) Avec quoi chargeras-tu ton canon ?

MICROSCOPE.

Avec de la poudre… 300 mille kilogrammes suffiront, vous comprenez… Nous nous mettrons bien en face de la lune, nous visons, nous mettons au point. On part, et en peu de temps… on est arrivé à destination.

CAPRICE.

Et comment y entre-t-on dans ce canon ?

MICROSCOPE.

J’ai tout prévu. Par une tabatière placée sur la culasse et communiquant avec un obus en acier fondu…

VLAN.

Mais on y étouffera dans cet obus.

MICROSCOPE, à part.

J’y compte bien un peu.

VLAN.

Le petit a raison, on y étouffera.

MICROSCOPE.

Erreur !… au moyen d’un appareil spécial, on pourra renouveler l’air à volonté.

CAPRICE.

Et combien mettra-t-on en route ?

MICROSCOPE.

Dame ! un peu plus, un peu moins… vous le saurez en arrivant… Pour faire quatre-vingt-seize mille sept cents lieues, il faut du temps. (Montrant les forgerons qui traversent la scène en poussant des brouettes chargées de paquets et de colis.) D’abord l’obus contiendra des provisions en quantité suffisante. Vous voyez on est en train de les embarquer, de l’eau, du vin, du pain, du biscuit, de la viande, des saucissons, des jambons, des poires, des pommes, beaucoup de pommes.

VLAN, l’imitant.

Beaucoup de pommes !

MICROSCOPE.

Enfin, il ne manque rien.

VLAN.

Mais, pardon ! En arrivant… au débarcadère… il y aura un tamponnement !

MICROSCOPE.

Dame, ça ne me regarde pas, si vous vous arrêtez aux questions de détail ! Je vous ai promis un moyen d’aller dans la lune, mais il n’a pas été question de tamponner, ou de ne pas tamponner.

CAPRICE.

Il a raison.

VLAN.

Comment ! tu le soutiens ?

CAPRICE.

Certainement et je suis prêt à partir.

VLAN.

En canon, tu es fou ! je m’y oppose. On ne part pas en canon ! Que le canon parte, lui, parfait, c’est son métier, mais toi !…

CAPRICE.

Moi, je partirai aussi…

VLAN.

Voyons, Caprice, je t’en prie !

CAPRICE.

Oh ! non, ma résolution est bien prise !

VLAN.

Eh bien, puisque tu veux partir…je ne veux pas que tu t’en ailles seul.

MICROSCOPE.

C’est d’un bon père. D’ailleurs, j’ai fait préparer tout ce qu’il faut pour le cas où plusieurs personnes…

VLAN.

Plusieurs personnes ! Eh bien, tu vas partir avec lui.

MICROSCOPE.

Hein ?… vous dites…

CAPRICE.

Papa a raison ! De deux choses l’une, ou vous avez une certaine confiance dans votre moyen, et alors, je ne vois pas pourquoi vous hésiteriez à me suivre ; ou vous n’y croyez pas du tout, et alors, il est tout naturel que vous soyez puni de me l’avoir proposé…

MICROSCOPE, vivement.

J’y crois, j’y crois !

CAPRICE.

Eh bien, alors ?

MICROSCOPE, à part.

Pincé !… ma foi, au petit bonheur… (Regardant Vlan.) Toi, tu vas me le payer, attends. (Haut à Vlan.) Vous savez, il y a encore une place.

VLAN.

Tant mieux, vous ne serrez pas trop serrés.

MICROSCOPE.

Pourquoi donc ne viendriez-vous pas avec nous ?

CAPRICE.

Mais c’est vrai, papa… nous t’emmenons.

VLAN.

Permets ! permets. Tu oublies que je suis roi, et les affaires ?…

CAPRICE.

Avec cela qu’elles ne marcheraient pas toutes seules.

MICROSCOPE.

Oh ! bien mieux.

VLAN.

Possible… seulement, il y a autre chose, je me connais, je suis très nerveux, j’aurais le mal de mer.

MICROSCOPE.

Mais vous êtes son père !

CAPRICE.

Tu es mon père et tu ne peux pas me laisser seul courir au-devant d’une mort possible, probable.

VLAN.

Oh ! tu peux dire certaine !

MICROSCOPE.

Non ! probable seulement.

CAPRICE.

Tu vois, tu ne peux pas faire autrement.

VLAN, à part.

Gredin ! va, avec ton invention… (Haut.) Ah ! une idée, si on l’envoyait tout seul en avant pour essayer.

CAPRICE.

Oh ! papa !… Enfin, partons…

MICROSCOPE, à part.

Et cette pauvre Cascadine !… Bah ! j’irai chez elle en revenant de la lune. Oh ! quel éclair ! Du moins comme cela nous ne serons pas tout à fait séparés…

(Il va prendre quelque chose dans un coin de la forge. — Revenant.) Là, je suis prêt ! Tout le monde sur le pont !…

Entrée générale.
VLAN.

Mes enfants, triste nouvelle ! mon fils part !

LE PEUPLE, tristement.

Oh !

VLAN.

Cet imbécile part aussi.

LE PEUPLE, avec joie.

Ah !

VLAN.

Et moi aussi, je pars.

LE PEUPLE, avec enthousiasme.

Vive Vlan !

VLAN, à part.

Jamais je n’ai été si populaire !

MICROSCOPE.

Maintenant au canon !

TOUS.

Au canon !…




QUATRIÈME TABLEAU


LE DÉPART
Le fond de la forge disparaît et découvre un canon gigantesque qui est censé avoir vingt lieues de long, la culasse est praticable et on y parvient par un escalier de fer mobile. — Le canon s’étend à travers la campagne, au-dessus des villes et des villages et va se perdre au sommet d’une montagne élevée.




FINAL
CHŒUR.

En route pour la lune,
Un pareil voyage vraiment
N’est pas chose commune
Et vaut bien le dérangement.

MICROSCOPE.

Qu’on fasse entrer messieurs les artilleurs.

VLAN.

Comment, des artilleurs ?

MICROSCOPE.

Entrez, messieurs les artilleurs.

Arrivée des artilleurs de toutes les tailles.
CHŒUR DES ARTILLEURS.

Nous sommes les artilleurs,
Petits artilleurs,
Moyens artilleurs
Et grands artilleurs,
C’est ici, ce n’est pas ailleurs
Qu’on trouve de vrais artilleurs.

VLAN.

Mais pourquoi faire
Tout cet appareil militaire ?

MICROSCOPE.

Dame, écoutez donc,
Quand on part en canon,
La chose est assez claire,
Au lieu de chauffeurs
Il faut des artilleurs. (Bis.)

TOUS.

Au lieu de chauffeurs
Il faut des artilleurs !


REPRISE DU CHŒUR

Nous sommes les artilleurs,
Etc.

VLAN.

Allons, il n’y a plus à dire non :
En canon, messieurs, en canon !

CAPRICE, VLAN et MICROSCOPE.

Les voyageurs pour la lune, en canon !

VLAN.

Et maintenant,
Ô mon peuple ! en partant,
Au lieu d’un discours assommant
Je ne te dirai qu’un mot seulement.
Souviens-toi de ton bon roi Vlan,
Souviens-t-en, souviens-t-en !
Vlan ! Vlan !
Je suis Vlan,
Etc.

TOUS

Vlan ! Vlan !
Etc.


REPRISE DU REFRAIN DES COUPLETS D’ENTRÉE.
Pendant cette reprise, Caprice, Vlan et Microscope sont entrés dans la tabatière du canon, qui se referme sur eux. — On met le feu. Détonation formidable. — Tous les personnages restés en scène sont renversés.
Rideau.



ACTE DEUXIÈME



CINQUIÈME TABLEAU


LA LUNE
Au lever du rideau, symphonie douce. — On aperçoit la lune environnée de nuages et occupant tout le cadre de la scène. — Des voix mystérieuses se font entendre. — La lune s’éclaire peu à peu et semble se rapprocher. — On y aperçoit des taches, puis des clochers bizarres, des monuments étranges ; d’abord confusément, puis d’une façon de plus en plus distincte. — Enfin le cercle qu’elle forme au milieu du théâtre s’écarte complètement et fait place au tableau suivant.




SIXIÈME TABLEAU


L’ARRIVÉE
Une ville dans la lune. Pays bizarre, architecture étrange.
À gauche une construction qui doit s’écrouler à un moment donné.




Scène PREMIÈRE

DEUX SÉLÉNITES, Peuple.
Au lever du rideau, la scène est vide, le jour commence à paraître. — Musique. — Deux Sélénites arrivent et observent le ciel avec inquiétude.
PREMIER SÉLÉNITE.

Oh !

AUTRE SÉLÉNITE, arrivant.

Ah !

Peu à peu, hommes et femmes entrent de tous côtés, tous les yeux fixés vers le même point du firmament. Ils paraissent consternés.
CHŒUR.

C’est un point noir,
Et pour le voir
Il n’est pas besoin de lunettes.
Ah ! ce point noir,
De désespoir
Va nous faire perdre la tête !

PREMIER SÉLÉNITE.

C’est inouï !

LITELLA.

Le mal a encore fait des progrès depuis hier.

DEUXIÈME SÉLÉNITE.

Je crois bien ; ce n’était d’abord qu’un tout petit point noir et maintenant c’est une montagne qui va tomber sur nous et nous réduire en poussière.

MICROMA.

Nous sommes perdus !

LITELLA.

C’est la fin de la lune !

TOUS.

C’est la fin de la lune !


Scène II

Les Mêmes, COSMOS, CACTUS.
COSMOS.

Vous êtes tous des imbéciles !…

TOUS.

Le roi !…

COSMOS.

Oui, votre roi Cosmos qui n’est pas content de vous.

CACTUS.

Pas content du tout.

COSMOS.

Comment ! parce qu’un petit point se montre à l’horizon, la lune entière est à l’envers ! Depuis hier, dans cette ville seulement, il y a eu trois cent neuf cas de folie et sept cent quarante-neuf suicides… Est-ce que c’est une vie je vous le demande ?… une pareille pusillanimité me navre. Elle me navre, moi et mon excellent conseiller intime et ami, Cactus. (À Cactus.) Réponds franchement, est-ce que tu n’es pas navré ?

CACTUS.

Navré.

COSMOS.

Vous voyez, je n’ai pas opéré de pression.

DEUXIÈME SÉLÉNITE.

Pourtant il y a bien de quoi avoir peur.

LITELLA.

Je crois bien !

PREMIER SÉLÉNITE.

Et dire que c’est à ces gueux d’habitants de la terre que nous devons ça.

TOUS.

Comment ?

PREMIER SÉLÉNITE

Dame, je me suis laissé dire que ce point noir que nous voyons à l’horizon est tout simplement un fragment de la boule terrestre qu’ils ont détaché dans le but de nous exterminer tous.

TOUS.

Oh !

COSMOS.

Quand je vous le disais que vous êtes tous des imbéciles. Comme s’il était permis d’ignorer que la terre n’a pas d’habitants. Et cela, pour une raison bien simple… (Cherchant dans ses poches.) Où est ma carte de la terre ? Il faut vous dire que depuis plusieurs jours, j’ai étudié tout ce que nos savants les plus illustres ont écrit sur la terre… (Cherchant toujours.) J’ai compulsé, comparé. (À Cactus.) Où diable ai-je fourré ma carte ? (Cactus qui la porte sous son bras, la lui tend gravement.) Ah ! merci ! (Il déploie la carte. Les cinq parties du monde y sont représentées sous des formes étranges et fausses.) La voilà, la terre… Je la connais à présent comme si j’y avais été. Eh bien, il suffit d’y jeter un coup d’œil pour se faire une conviction, qui est maintenant celle de tous les hommes de science : c’est que la terre est complètement inhabitable.

PREMIER SÉLÉNITE.

Pourquoi cela ?

COSMOS, haussant les épaules.

Pourquoi cela ? pour une raison bien simple, c’est qu’elle est totalement dénuée d’atmosphère. La science a décidé et je suis certain que tel est aussi l’avis de mon excellent conseiller intime et ami Cactus. (À Cactus.) Cactus, réponds franchement, est-ce ton avis ?

CACTUS.

C’est mon avis !

COSMOS.

Vous voyez je n’ai pas opéré de pression…

À ce moment on entend un sifflement épouvantable. Le ciel s’obscurcit.

TOUS, avec un cri.

Ah !

COSMOS.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le bruit redouble, de nouveaux Sélénites accourent.


MORCEAU D’ENSEMBLE
CHŒUR.

Ah ! grand Dieu !
Sauve qui peut !
Que chacun et que chacune,
Sans perdre un moment,
S’enfuie à l’instant :
C’est la fin de la lune !
Sauve qui peut !

COSMOS, à la foule.

Quel est ce tintamarre ?
Pourquoi trembler ainsi ?

CACTUS, même jeu.

Ah ! pourquoi trembler ainsi ?

COSMOS, à part.

La peur de moi s’empare
Et j’en suis tout transi !

CACTUS, même jeu.

J’en suis transi !

COSMOS, à la foule.

Un danger vous menace,
J’en veux avoir ma part.

CACTUS, même jeu.

Nous voulons notre part !

COSMOS, avec énergie

Eh bien, vidons la place,
Nous reviendrons plus tard !

CACTUS, même jeu.

Beaucoup plus tard.

REPRISE

Ah ! grand dieu !
Sauve qui peut !

Sortie générale.

Scène III

CAPRICE, VLAN, MICROSCOPE,
puis COSMOS, CACTUS et Les Habitants.
Musique à l’orchestre. La maison de gauche achève de s’effondrer. Le jour revient, et sur les ruines de la maison on aperçoit l’obus. Une petite lucarne s’ouvre et la tête de Vlan paraît.
VLAN, après avoir regardé autour de lui.

Je crois que nous y sommes.

Il sort de l’obus.
MICROSCOPE, se montrant.

Nous y sommes ?…

VLAN.

Oui !… la lune !… tous les voyageurs descendent de voiture ! (Appelant.) Caprice !

CAPRICE, se montrant.

Père !…

VLAN.

Descends !… nous y sommes…

Caprice sort de l’obus.
MICROSCOPE.

Comment !… Nous sommes dans la lune ! Eh bien ! par exemple, c’est assez curieux.

VLAN, à Microscope.

As-tu le parapluie ?

MICROSCOPE.

Oui !…

VLAN.

Alors nous sommes au complet. Ah ! mes enfants, quel voyage !

CAPRICE.

Quel charmant voyage !

RONDEAU

Dans un obus qui fend l’air,
Nous marchons un train d’enfer
Emportés loin de la terre,
Au milieu du vaste éther.
Et tous les trois cheminant de concert,
Sans qu’aucun en ait souffert,
Droit vers le monde lunaire
Nous filons comme l’éclair.
Ah ! comme cela va faire
Du tort aux chemins de fer !

TOUS TROIS.

Ah ! comme cela va faire
Du tort aux chemins de fer !
Droit vers le monde lunaire
On marche un train d’enfer !

CAPRICE.

Plus de gare
Où dans la bagarre
On est renversé,
Pressé.
Plus de bruit, de tintamarre,
On n’est plus serré,
Poussé !
Plus de misères, plus d’anicroche,
Plus de danger qu’en chemin
On accroche ou l’on décroche
Par hasard un autre train.
Plus de tapage,

Plus de guichets
Où l’on enrage,
Pour des billets
Plus d’employés,
Plus de paquets,
Plus de bagage
Qu’on foule aux pieds !

TOUS TROIS.

Ah ! comme cela va faire
Du tort aux chemins de fer !
Etc.

CAPRICE.

Dans l’espace,
On a de la place,
Partout on passe,
Sans que l’on fasse
Jamais un choc
Contre le roc.
Jamais le moindre petit choc

TOUS TROIS.

Dans l’espace
Etc.

CAPRICE.

Cela supprime
Les accidents :
Déraillements,
Renfoncements,
Étouffements,
Éboulements,
Effondrements,
Tamponnements,
Écrasements !
Cela supprime
Tous les accidents.

ENSEMBLE.

Ah ! comme cela va faire
Du tort aux chemins de fer !
Droit vers le monde lunaire
On marche un train d’enfer !

VLAN.

Voyons, il s’agit maintenant de nous orienter.

MICROSCOPE.

Ah ! voici le hic.

VLAN.

Ça je m’en charge.

CAPRICE.

Vraiment ?

VLAN.

Oh ! je ne suis pas embarrassé… Voyons… où est ma carte de la lune ? Vous comprenez bien que depuis que nous sommes en route, je n’ai pas perdu mon temps, j’ai lu tout ce que les savants les plus illustres ont écrit sur la planète que nous allons visiter. J’ai comparé, compulsé, et tel que vous me voyez, je connais la lune comme ma poche.

CAPRICE.

Toi, papa ?

VLAN.

Oui, moi.

CAPRICE.

Eh bien, dans quel quartier sommes-nous ?

VLAN.

Ici ?… Attends… (Ouvrant sa carte.) Nous devons être dans la partie australe de la lune.

CAPRICE.

C’est-à-dire ?

VLAN.

C’est-à-dire dans le large espace que circonscrivent au nord la mer des Nuées, au sud l’océan des Tempêtes et le lac de la Mort.

MICROSCOPE.

Diable !

VLAN.

Ah ! dame, mes enfants, il ne faut pas nous attendre à quelque chose de bien gai. N’oublions pas que nous foulons aux pieds une planète désolée et refroidie.

MICROSCOPE.

Mais alors, comment ferons-nous pour nous nourrir ?

VLAN.

Eh bien, nous avons des provisions.

MICROSCOPE.

Des provisions ! Ah ça ! est-ce que nous n’avons pas mangé en route ? D’abord, plus de viande.

VLAN.

Eh bien, nous mangerons des légumes.

MICROSCOPE.

Oh ! les légumes… il ne reste qu’un sac de haricots secs.

VLAN.

Eh bien, nous mangerons des fruits.

MICROSCOPE.

Oh ! les fruits, il ne faut pas y compter.

VLAN.

Comment ? Les oranges ?

MICROSCOPE.

Mangées !

VLAN.

Les prunes ?

MICROSCOPE.

Mangées également… nous n’avons plus que des pommes.

VLAN.

Eh bien ! nous voilà gentils !… c’est la famine… Nous n’avons qu’à nous dévorer les uns les autres… on commencera par toi.

MICROSCOPE.

Ah ! permettez…

CAPRICE, qui a regardé pendant ce temps autour de lui.

Mais, papa, ça n’a pas l’air si désolé que tu le disais, ici… nous sommes dans une ville.

VLAN.

Une ville !… impossible ! La lune n’est pas habitée. Et cela pour une raison bien simple, c’est qu’elle est totalement dénuée d’atmosphère. La science a décidé et quand je vous dis qu’il n’y a pas d’habitants dans la lune, c’est qu’il ne peut pas y en avoir !

Pendant ce temps Cosmos, Cactus et les Sélénites sont revenus peu à peu et les entourent en les contemplant avec curiosité. — Musique de scène comique.
CAPRICE, les apercevant.

Ah !

MICROSCOPE, même jeu.

Oh !

VLAN.

Quoi ? (Apercevant les Sélénites.) Il y en a !

Moment de silence pendant lequel les habitants de la lune examinent avec méfiance les habitants de la terre et réciproquement.
MICROSCOPE, bas.

Ils ont de mauvaises figures. (Cosmos fait un pas vers lui. Microscope recule en poussant un cri.) Ah !

Cosmos effrayé recule également.
COSMOS, bas à Cactus.

Qu’est-ce que ces gens-là ?

CACTUS.

Connais pas !

VLAN.

Il s’agit de leur parler.

COSMOS, de son côté.

Je vais les aborder.

VLAN, allant à lui.

Habitants de la lune…

COSMOS, avec éclat.

Silence !

Soubresaut général.
MICROSCOPE, bas.

Il n’a pas l’air commode.

COSMOS, d’un air terrible.

Savez-vous bien devant qui vous êtes ?

CAPRICE.

Non.

COSMOS.

Vous êtes devant le souverain du royaume lunaire, le grand, l’illustre, le majestueux Cosmos, et on ne fait pas de phrases avec lui.

LE PEUPLE.

Bravo ! Bravo !

COSMOS.

Quelle est cette singulière façon d’entrer dans un pays ? Vous avez démoli deux maisons qui n’étaient pas encore expropriées. Répondez, pourquoi ?

LE PEUPLE, furieux.

Oui, pourquoi ?

CAPRICE.

Écoutez donc, quand on vient de si loin on ne regarde pas trop où on met le pied.

COSMOS.

Et d’où venez-vous, s’il vous plait ?

VLAN.

Puissant monarque, nous arrivons d’un petit endroit dont vous avez peut-être entendu parler, et qui s’appelle la terre.

COSMOS et LE PEUPLE.

La terre !…

Grognement de la foule.
MICROSCOPE, bas.

Nous produisons notre effet.

COSMOS, se retournant vers Cactus

Tu as entendu !… (Cactus sourit dédaigneusement. Cosmos revient à Vlan.) Il me semble pourtant que je n’ai pas l’air d’un imbécile ?

VLAN, vivement.

Je n’ai jamais dit le contraire.

COSMOS.

Alors pourquoi me racontez-vous des histoires à dormir debout ?… comme si nous ne savions pas aussi bien que vous que la terre n’est pas habitée ?

VLAN.

Ah ! bien, elle est bonne, celle-là ! Puisqu’on vous dit que nous en venons, mon brave homme.

COSMOS.

Vous en venez… laissez-moi donc tranquille. Et comment ?

VLAN.

Comment ?… en canon.

COSMOS.

En canon !

MICROSCOPE.

Oui, en canon… l’invention est de moi… (Montrant l’obus.) Tenez, voilà la voiture.

COSMOS, examinant l’obus avec curiosité.

Ah ! c’est curieux… Alors ce petit point noir que nous apercevions depuis quatre jours dans le ciel, c’était vous…

MICROSCOPE.

Parfaitement.

COSMOS.

Ah ! ah !

MICROSCOPE, à Vlan.

Ça va bien.

COSMOS, à Cactus.

Dis donc, le petit point noir, c’était eux.

CACTUS.

C’était eux.

COSMOS.

Très bien, très bien !

VLAN.

Ah ! vous croyez à présent ?

COSMOS.

Parfaitement.

VLAN, avec triomphe.

Ah !

COSMOS, d’une voix forte.

Qu’on empoigne ces gens-là !

LES HABITANTS.

Bravo ! bravo !

Des gardes se sont approchés et ont mis la main sur l’épaule de Vlan et de Microscope.
VLAN.

Comment, nous empoigner ?

CAPRICE.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

COSMOS.

Ah ! c’est vous mes gaillards, qui nous avez causé cette jolie émotion.

VLAN.

Nous…

COSMOS.

C’est vous qui vous permettez de venir de la terre quand la science a décidé que la terre ne devait pas être habitée… Eh bien, mes bons amis vous allez voir !… Allons, mon bon peuple ! allons, mes braves, avançons.

À ce moment on entend une fanfare.
Tout le monde s’arrête.
TOUS.

La Reine.


Scène IV.

Les Mêmes, POPOTTE, FANTASIA,
suite composée de Six Pages et Six Suivantes.
POPOTTE.

Eh bien ! eh bien ! quel est ce tintamarre ?

FANTASIA.

Qu’y a-t-il donc ?

MICROSCOPE.

Des femmes, nous sommes sauvés, je vais leur parler.

VLAN.

Non, pas toi… Caprice…

CAPRICE, s’approchant de Fantasia.

Mademoiselle !… (La regardant avec un grand cri et portant subitement la main à son cœur comme frappé par un choc.) Ah !

MICROSCOPE, même jeu avec Popotte.

Oh !

CAPRICE.

La princesse ! qu’elle est jolie !…

MICROSCOPE.

Et la reine ! qu’elle est belle !

FANTASIA.

Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?

POPOTTE.

Oh ! les bonnes têtes !

COSMOS.

Ne faites pas attention… ce n’est rien, ce sont des vagabonds, des gens sans aveu, qui viennent de la terre.

POPOTTE, se reculant avec effroi.

De la terre !

FANTASIA, craintive.

Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’ils mordent ?

COSMOS.

Je ne crois pas, mais il ne faut pas s’y fier.

VLAN.

Comment !

POPOTTE.

C’est vrai, ils n’ont pas l’air bon.

FANTASIA.

Pourtant, le petit ne paraît pas méchant.

CAPRICE, à Fantasia

Oh ! non, mademoiselle, je ne suis pas méchant.

POPOTTE.

Et qu’est-ce que vous allez en faire ?

COSMOS.

Les enfermer d’abord… ensuite…

CACTUS.

Ensuite… (Avec un cri féroce.) Ah ! ah ! ah !

VLAN.

Celui-là ne parle pas souvent, mais il trouve le moyen de vous dire des choses bien désagréables.

FANTASIA.

Oh ! les pauvres gens !

CAPRICE, à part.

Elle s’intéresse à nous.

COSMOS.

Ne vas-tu pas les plaindre, à présent ?

FANTASIA.

Mais certainement.


COUPLETS
I

Tu devais, le jour de ma fête,
Tu sais, tu me l’avais promis,
M’offrir quelque joyau de prix
Et même une belle toilette.
Eh bien, papa, j’ai réfléchi,
J’y renonce, mais à la place,
De ces pauvres gens que voici
Je viens te demander la grâce.

Ah ! mon papa !
Mon cher papa !
Voyons ! fais-moi ce plaisir-là !
Sois bon, petit papa !
Fais-moi ce plaisir-là !

II

Jusqu’à présent, jamais ta fille
Ne t’a fait faire du tourment,
Tu dois en être bien content,
Car chacun dit qu’elle est gentille…
N’est-il pas juste qu’en retour
Ce que je veux, on me le donne ?
Papa, sois gentil à ton tour,
Laisse-toi toucher et pardonne.

Ah ! mon papa !
Mon cher papa !
Etc.

CAPRICE, transporté de joie.

Oh ! qu’elle est gentille !

FANTASIA.

Eh bien, papa ?

COSMOS, à Cactus.

Leur faire grâce, qu’en dis-tu, Cactus ?

CACTUS, après avoir réfléchi.

Dame ! tout de même.

VLAN et MICROSCOPE.

Ah ! sauvés ! sauvés !

CAPRICE.

Sauvés et grâce à elle !

MICROSCOPE, électrisé se jetant dans les bras de Vlan.

Ô Vlan ! ô mon roi !

COSMOS.

Son roi !… qu’est-ce que vous dites ?

MICROSCOPE.

Je dis : Ô Vlan ! ô mon roi !

Il se jette de nouveau dans les bras de Vlan.
COSMOS, à Vlan.

Vous êtes roi, vous ?

VLAN.

Certainement… je n’en ai peut-être pas l’air, mais je le suis. Et voilà mon fils Caprice avec mon grand savant Microscope.

MICROSCOPE, saluant.

J’ai bien l’honneur.

COSMOS.

Allons donc… vous êtes roi… Prouvez-le.

VLAN.

À l’instant !… Microscope, passe-moi le parapluie. (Microscope le lui passe.) Tenez, voici mon sceptre monté sur soie… En voyage, c’est très commode quand il pleut…

Il pousse un ressort, le parapluie devient un sceptre.
COSMOS.

Un collègue… Pourquoi ne le disiez-vous pas ?

VLAN.

Vous ne me laissiez pas placer un mot.

COSMOS.

Touchez là.

VLAN.

Avec plaisir.

CACTUS, à Microscope en lui touchant la main.

Voulez-vous permettre.

MICROSCOPE

Comment donc !… (Ils se serrent la main.) Mais vous parlez bien peu.

CACTUS.

Je réfléchis.

VLAN, tirant une tabatière.

Dites donc, maintenant que la glace est rompue, voulez-vous une prise de tabac ?

COSMOS.

Une prise de tabac. (À part.) Je ne sais pas ce que c’est, mais n’ayons pas l’air. (Haut.) Volontiers. (Il prend une prise de tabac et la met dans sa bouche. — Poussant un cri.) Ah !

Il jette le tabac.
VLAN.

Qu’est-ce que vous faites ? Il renverse tout mon tabac. Mais ça ne se mange pas !

COSMOS.

Dame ! je croyais.

VLAN.

Sont-ils arriérés dans la lune ! (Pendant ce temps un pied de tabac est sorti du sol et pousse à vue d’œil.) Ah ! qu’est-ce que c’est que cela ?

COSMOS.

C’est votre tabac qui pousse.

VLAN.

Comment, mon tabac ?

COSMOS.

Eh bien ! oui. Votre tabac qui vient de tomber, il pousse, c’est l’effet de la végétation.

VLAN.

Comment, si vite ?

COSMOS.

Mais certainement. Tout pousse instantanément.

CACTUS.

À la minute !

VLAN.

Vraiment ? Alors on sème…

COSMOS.

Et on récolte tout de suite après.

VLAN.

Étrange !

MICROSCOPE.

Inouï !

VLAN.

Mais voyez donc : la plante, la fleur. (Tirant un cigare de la plante.) et le fruit… (À caprice.) Qu’est-ce que tu dis de ça ?…

CAPRICE, qui était en contemplation devant Fantasia, sortant de son rêve.

Moi, je trouve ça très curieux, très… (À part.) Qu’elle est gentille !

MICROSCOPE, regardant Popotte.

La splendide créature !

FANTASIA, à Popotte.

Qu’est-ce qu’il a donc à m’examiner comme ça, le petit étranger ?

POPOTTE.

Eh bien ! et le vieux !… Il me fait des yeux…

COSMOS, à Vlan.

Et maintenant, mon cher collègue, il faut que je rentre, les affaires me réclament. Il va sans dire que vous venez avec moi. Tant que vous serez ici, vous serez mes hôtes.

CAPRICE, à part.

Quelle chance ! je pourrai la voir, lui parler…

VLAN, à Cosmos.

Vous savez, quand vous viendrez sur terre, à charge de revanche…

COSMOS.

Holà ! qu’on m’amène ma monture.

On amène un dromadaire sur lequel monte Cosmos. — Cortège. — Sortie.

CHŒUR.

Salut à notre bon roi,
Au grand Cosmos notre père,
Qui tient sous sa puissante loi
La lune toute entière !

Changement à vue.




SEPTIÈME TABLEAU


LE PALAIS DE VERRE
Une salle du palais de Cosmos. — Tous les murs sont en verre, de façon à laisser voir de l’extérieur tout ce qui se passe dans le palais. — Cette salle donne au fond sur la voie publique. — À droite et à gauche, portes communiquant avec le reste du palais. — Les portes et les cloisons sont également en verre.




Scène PREMIÈRE

MICROSCOPE, seul.
Je me dépêche d’arriver devant… j’ai besoin d’être seul pour causer un peu avec cette pauvre Cascadine… qui est restée sur terre. Elle doit être dans une inquiétude, la chère enfant ; aussi j’ai hâte de la rassurer, de lui donner de mes nouvelles. (Au public.) Oui, de mes nouvelles, voilà comme je suis, moi… Comment je vais faire ?… vous allez voir… J’ai emporté avec moi un appareil de mon invention, un petit télégraphe de poche à l’aide duquel nous pourrons correspondre. Voilà le fil, il est attaché à l’obus ; il a quatre-vingt-seize mille lieues de long et aboutit directement chez moi… vous voyez, c’est d’un simple… Seulement pas un mot à Vlan… Voyons, rédigeons ma dépêche. (Il tire son appareil et fait manœuvrer le cadran.) « Cascadine, artiste. Arrivé bon port Lune. — Pas d’accidents. — M’aimes-tu ? — Comment va tante ? — Réponse payée. — Microscope. » Maintenant Vlan peut arriver. Il était temps, le voici !

Scène II

COSMOS, VLAN, CACTUS, puis MICROSCOPE
COSMOS, entrant avec Vlan.

Donnez-vous la peine d’entrer. C’est ici la grande salle du conseil.

VLAN, regardant autour de lui.

Il me semble que la reine et la princesse Fantasia nous ont quittés ?

COSMOS.

Oh ! certainement ! les femmes ne mettent jamais les pieds ici.

VLAN.

Ça ne m’étonne pas alors que Caprice ne soit pas avec nous.

COSMOS.

Cette salle est réservée aux affaires sérieuses.

CACTUS.

Et embêtantes.

COSMOS, à Vlan.

Tout à l’heure, mon cher collègue, vous allez assister à mon conseil. Mais comme nous avons encore quelques instants devant nous, si vous voulez bien, nous allons causer un peu (Cactus leur offre des sièges. Ils s’assoient.) Alors vous êtes roi ? Ça doit bien vous ennuyer.

VLAN.

Mais non, c’est très amusant.

COSMOS.

Alors ce n’est donc pas un mauvais métier chez vous ?

VLAN.

Mais pas mauvais du tout.

COSMOS.

Eh bien, vous avez de la chance. Ici, c’est bien ennuyeux.

CACTUS.

C’est d’un dur !

VLAN.

Alors, pourquoi l’êtes-vous ?

COSMOS.

J’ai été forcé.

VLAN.

Comment forcé ?

COSMOS.

Oui, quand le trône est vacant, comme personne n’en voudrait, on choisit au hasard, parmi les habitants dix des plus riches et des plus lourds.

VLAN.

Alors vous avez été élu au poids ?

COSMOS.

Oui, je pesais deux cent quatre-vingts, j’ai été pincé.

CACTUS.

Je l’ai échappé de trente-cinq grammes.

VLAN.

L’emploi est donc bien mauvais ?

COSMOS.

C’est-à-dire que je ne connais rien de plus pénible… jamais un instant de liberté, je pioche du matin au soir. Impossible de prendre un instant de repos… Voyez les murs de mon palais.

MICROSCOPE.

Ah ! mais !… ils sont en verre !

VLAN.

Bonté du ciel ! je n’avais pas remarqué.

MICROSCOPE.

Ça doit être gênant.

COSMOS.

Parbleu ! à tout instant, les passants s’arrêtent pour me surveiller et s’assurer que je ne perds pas mon temps. Tenez.

Depuis un instant, quelques passants regardent à travers le vitrage du fond.
CAPRICE.

En effet, j’en aperçois quelques-uns.

VLAN.

Et en voilà d’autres.

D’autres habitants viennent se joindre aux premiers. Murmures.
MICROSCOPE, prêtant l’oreille.

Hein ?

COSMOS.

Oui, vous entendez ?… ils grognent parce qu’ils trouvent que je flâne.

CACTUS.

C’est l’opposition.

VLAN.

Il parait qu’il y en a partout.

Nouveaux murmures.
COSMOS.

Vite, Cactus, il faut nous mettre au travail… Qu’on fasse entrer mes conseillers !

Mouvement de satisfaction dans la foule.


Scène III

Les Mêmes, LES CONSEILLERS.
Les conseillers entrent portant de petites tables qu’ils placent au milieu du théâtre. Ils ont des manches de lustrines aux bras.
COSMOS.

Allons, messieurs mes conseillers, vite à la besogne. (Ils se sont assis autour de leurs tables.) Expédions d’abord les affaires du jour. (Ils ont tous pris des plumes et écrivent fiévreusement, Cosmos feuillette une liasse de papiers.) Ah ! voici quelque chose de très pressé.

Il se met aussi à écrire.
VLAN.

Que faites-vous donc là ?

COSMOS.

Une expédition, je copie en double un arrêté d’hier.

VLAN.

Comment vous copiez !… Mais alors que font vos employés.

COSMOS.

Nos employés… Nous n’en avons pas.

VLAN, levant les bras au ciel.

Ils n’ont pas d’employés !

MICROSCOPE.

Eh bien, ce n’est pas comme chez nous. Pour une place, il y a toujours au moins un titulaire et un suppléant.

VLAN.

Le titulaire qui n’a généralement rien à faire.

MICROSCOPE.

Et le suppléant qui est chargé de l’aider.

Grognement au dehors.
COSMOS.

Là ! les entendez-vous ? ils grognent encore… (Il se remet fiévreusement au travail, puis se lève, un papier à la main.) Que vois-je ? (Avec sévérité.) Monsieur l’intendant chargé de mes finances, approchez, s’il vous plait ? Le conseiller se lève tout confus et vient à lui.

VLAN, bas à Microscope.

Je parie qu’il n’est pas en règle, celui-là.

COSMOS.

Le compte que vous me présentez est inexact, monsieur…

VLAN, bas.

Là ! qu’est-ce que je disais ?

LE CONSEILLER, très-troublé.

Mais…

COSMOS.

Je vous dis que ce compte-là n’est pas exact ! Comment se fait-il que vous ayez en caisse plus d’argent que vous n’en avez reçu ?

VLAN et MICROSCOPE.

Hein ?

LE CONSEILLER, balbutiant.

Dame, je…

COSMOS.

Dame, je… dame, je… je vois ce que c’est ; malheureux que vous êtes ! Vous aurez encore remis de l’argent de votre poche dans mes coffres.

LE CONSEILLER.

Mais…

CACTUS.

C’est scandaleux !

COSMOS.

Oui, c’est scandaleux ! un homme qui a de la famille !… Vous finirez par mettre tous les vôtres sur la paille. (Murmures.) Le peuple murmure et il a raison… Mais un pareil scandale ne peut durer… Monsieur Capultos, approchez. (À l’intendant.) Rendez-moi la clef de ma caisse, vous n’en êtes plus digne. (À Capultos.) Prenez-la, vous, et ne suivez pas l’exemple de votre prédécesseur, ne remettez jamais d’argent dans mes coffres.

VLAN.

Oh ! je crois qu’avec celui-là il peut être tranquille. Il a une figure rassurante…

COSMOS, à l’intendant.

Allez !

CACTUS.

Il ne l’a pas volé.

MICROSCOPE, se tournant vers Vlan, après un temps.

Hein ?

VLAN.

Renversant ! il faut venir dans la lune pour voir ça.

COSMOS, qui s’est remis à sa table.

Ah ! après cette exécution pénible, il est doux d’avoir à décerner une récompense… Qu’on fasse entrer le lauréat du dernier concours de poésie.

Entre un grand jeune homme chevelu tout chamarré de décorations.
MICROSCOPE.

Oh ! Ce plastron !

VLAN.

Si jeune !

COSMOS.

J’ai lu vos vers, jeune homme… ils m’ont fait plaisir… Venez recevoir la juste récompense de votre beau talent.

Le jeune homme s’approche, Cosmos lui enlève une décoration.
LE JEUNE HOMME, avec effusion.

Oh ! merci, grand roi !

On applaudit.
CACTUS, au moment où il s’en va.

Jeune homme !

Il lui serre la main, le jeune homme sort.
VLAN.

Oh !

MICROSCOPE.

Vous appelez ça le récompenser ?

COSMOS.

Certainement.

VLAN.

Mais vous venez de lui ôter…

COSMOS.

Eh bien, oui.

VLAN.

Je ne comprends pas.

COSMOS.

C’est pourtant bien simple. Ici, en naissant, on a toutes les décorations de la lune. À mesure qu’on fait une action d’éclat, on vous enlève une décoration. Quand comme moi on arrive à ne plus en avoir du tout, cela vous distingue des autres et on jouit de la considération générale.

CACTUS.

Moi, j’en ai plus qu’une et je la cache.

MICROSCOPE, riant.

Oh ! ça, par exemple !

VLAN.

Ça ne réussirait pas sur terre.

CAPRICE.

Et pourtant, ce n’est pas déjà si bête, mais ça ne réussirait pas. (On entend une sonnerie.) Oh !…

COSMOS.

Ah ! voilà le signal de la récréation.

MICROSCOPE, qui s’est levé vivement.

Mais non, c’est…

TOUS.

Quoi ?

MICROSCOPE.

Rien, rien ! vous avez raison. (À part.) C’est mon appareil électrique ; la réponse à ma dépêche… motus !

COSMOS.

La séance est levée, nous pouvons nous retirer. Allons messieurs.

Sortie. — Changement à vue.




HUITIÈME TABLEAU


LES GALERIES DE NACRE
Une autre salle du palais. — Murs en nacre de toutes couleurs, meuble formés par des coquillages, avec supports en nacre. — Vases en nacre et, au fond, deux rideaux à droite et à gauche, lesquels doivent s’écarter à la fin du tableau.




Scène PREMIÈRE

MICROSCOPE, puis CAPRICE
CAPRICE.

Voilà une heure que je me promène inutilement dans le palais. Ah ! si je pouvais retrouver cette délicieuse petite princesse que je n’ai entrevue qu’un moment et que j’aime déjà comme un fou… Voyons…

Il cherche.
MICROSCOPE.

Enfin seul !… je suis seul… je vais pouvoir prendre connaissance de la réponse de Cascadine. Cher ange !… où l’ai-je fourrée ? (Il cherche dans ses poches.) Ah ! la voici… Lisons… (À ce moment, Caprice le heurte.) Le prince !

CAPRICE.

Microscope !

MICROSCOPE, à part.

Quel ennui !

CAPRICE, de même.

Quelle contrariété !

MICROSCOPE.

Je vous dérange ?

CAPRICE.

Du tout, c’est moi, au contraire… Tu lisais quelque chose… continue donc.

MICROSCOPE.

Comment, vous permettez ?

CAPRICE.

Fais donc, fais donc… (À part.) Pendant ce temps je vais faire le guet.

Il cherche de nouveau.
MICROSCOPE.

Tant pis, je grille de lire. (Lisant.) « Mon bon lapin » Ah ! « T’aime plus encore qu’avant » — Comment alors ? « Tante malade. » Ça, ça m’est égal. « Envoie argent. » Déjà !… ah ! elle m’ennuie ! Enfin, je vais télégraphier à mon banquier.

Il sort. — À ce moment Caprice revient par le fond et se croise avec Fantasia qui arrive de droite.

Scène II

CAPRICE, FANTASIA
CAPRICE.

Fantasia !

FANTASIA.

Tiens, le jeune homme de la terre.

CAPRICE.

Enfin, me voilà seul avec elle… (Il s’approche et la regarde.) Dieu ! qu’elle est jolie !…

FANTASIA.

Mais, monsieur, qu’avez-vous donc à me considérer ainsi ?

CAPRICE.

Vous voulez le savoir ?

FANTASIA.

Mais certainement.

CAPRICE.

Eh bien !…

MADRIGAL
I

Je regarde vos jolis yeux,
Votre main si douce et si blanche,
Votre cou souple et gracieux
Qui vers moi s’incline et se penche ;
Je regarde ce bras charmant,
Je regarde ces lèvres roses,
Et je me dis en vous voyant,
Je me dis tout bas bien des choses.

Je me dis : Ah ! si j’osais !
Elle est si mignonne
Que Dieu me pardonne,
Si j’osais… si j’osais !
Oui, mais voilà… je n’oserai jamais !

II

Je regarde ce pied coquet
Et cette taille si bien prise,
Ce fin corsage qui promet
Plus d’une enivrante surprise ;
Je regarde ce qui se voit,
Je regarde ce qu’on devine,
Et tout bas je me dis, ma foi,
Voyant cette gentille mine ;

Je me dis : Ah ! si j’osais !…
Etc.

FANTASIA, à part.

Il est gentil.

CAPRICE.

Ah ! mademoiselle !

FANTASIA.

Quoi donc ?

CAPRICE.

Vous me promettez de m’écouter ?

FANTASIA.

Mais certainement… est-il drôle !… Quand on me parle, j’écoute toujours.

CAPRICE.

Et vous ne vous fâcherez pas ?

FANTASIA.

Mais non !

CAPRICE, à part.

Elle n’a pas l’air de s’effaroucher… Je me risque.

FANTASIA.

Allez donc, qu’est-ce que vous voulez me dire ?

CAPRICE.

Eh bien ! je voulais vous dire que vous êtes si jolie, si charmante, que je n’ai pas pu vous apercevoir sans me sentir attiré vers vous de toutes les forces de mon âme.

FANTASIA, étonnée.

Ah ! mon Dieu !

CAPRICE.

Depuis ce temps, je n’ai plus soif, je n’ai plus faim.

FANTASIA.

Pauvre jeune homme !

CAPRICE, à part.

Elle me plaint !… achevons (Haut.) Enfin, charmante Fantasia, que pourrais-je vous dire ? Je vous adore, vous m’avez charmé et je dépose mon amour à vos petits pieds.

FANTASIA.

Votre amour ?

CAPRICE.

Oui, mon amour. On dirait que vous ne comprenez pas.

FANTASIA.

Mais non, monsieur, je ne vous comprends pas.

CAPRICE.

Comment ! vous n’avez jamais entendu parler d’amour ?

FANTASIA.

Jamais.

CAPRICE.

Mais ce n’est pas possible !

FANTASIA.

Je vous assure.

CAPRICE.

Allons donc ! mais l’amour est partout. Quand on ne vous en parle pas on le devine…

FANTASIA.

Eh bien, monsieur, je ne l’ai pas deviné du tout. Si vous voulez me dire ce que c’est…

CAPRICE.

Mais certainement que je vais vous le dire, ce que c’est l’amour !… Mais l’amour, c’est… attendez, il y a mille manières de l’expliquer… Ainsi, par exemple, vous me suivez bien ? L’amour, c’est…

FANTASIA.

C’est ?

CAPRICE.

C’est l’amour.

FANTASIA, riant.

Ah ! ah ! ah ! vous voyez, vous ne pouvez pas me le dire vous-même. (Riant.) Mais c’est vous qui ne savez rien, mon petit ami !… Et c’est pour ça que vous me faites perdre mon temps ! On n’est pas fort sur la terre !

Elle sort en riant aux éclats.

Scène III

CAPRICE seul, puis VLAN et MICROSCOPE.
CAPRICE.

Ah ça ! voyons… voyons… qu’est-ce qu’elle dit ? Est-ce que vraiment dans la lune ?… Oh ! ce serait trop fort !

VLAN, entrant.

Ah ! te voilà, enfin !… Il y a une heure que je te cherche !

CAPRICE.

Ah ! papa, si tu savais !

VLAN.

Eh bien, qu’as-tu ? Qu’est-il donc encore arrivé ?

CAPRICE.

Ah ! Papa, la petite princesse ?

VLAN.

Eh bien ?

CAPRICE.

Je l’aime ! je la veux !…

VLAN.

Tu la veux !… tu m’ennuies… cela ne me regarde pas… Certainement, la bêtise d’un père est immense, mais elle a des limites… J’ai tout fait pour toi : tout ce que tu as voulu, je te l’ai donné. Tu m’as fait quitter mon royaume, mes sujets. Tu as voulu la lune, je t’ai donné la lune !… en voilà assez. Fais-lui la cour à ta princesse.

CAPRICE.

Mais elle ne peut pas m’aimer !… L’amour n’existe pas dans la lune.

VLAN.

Qu’est-ce que tu dis ? Tu entends, Microscope, il dit que l’amour n’existe pas.

MICROSCOPE, riant.

Patron, je me roule !

VLAN.

Nous nous roulons !

CAPRICE.

Vous riez ! vous riez ! quand vous me voyez furieux.

VLAN, riant.

Aussi ce que tu nous dis est si invraisemblable.

MICROSCOPE.

C’est plus fort que nous !

CAPRICE.

Ah ! c’est comme cela ! ah ! vous vous moquez de moi ! Eh bien ! vous avez tort, parce que c’est sérieux, très sérieux.

VLAN.

Mais…

CAPRICE.

La première femme que j’aime !… Ah ! vous verrez ce que je vais faire.

VLAN.

Caprice !

CAPRICE, sortant.

Vous verrez ! laissez-moi !


Scène IV

VLAN, MICROSCOPE, puis COSMOS et CACTUS.
VLAN.

Où va-t-il ?… (Courant après lui.) Caprice !

MICROSCOPE.

Il est loin !

VLAN.

Pauvre gamin ! il n’était pas content !… Aussi c’est une absurdité que la raison humaine se refuse à admettre, et je ne l’admets pas.

MICROSCOPE.

Moi non plus !…

COSMOS, qui s’est approché suivi de Cactus.

Qu’est-ce que vous n’admettez pas ?

VLAN.

Savez-vous ce que mon fils vient de me dire ? — Que dans la lune on ne sait pas ce que c’est que l’amour ?

COSMOS, mystérieusement.

Chut !

CACTUS, de même.

Silence !

COSMOS.

C’est parfaitement exact, heureusement…

VLAN.

Comment ?…

COSMOS.

J’en ai entendu parler par des savants. Il parait que c’est un mal horrible.

CACTUS.

Épouvantable !

VLAN, MICROSCOPE, protestant.

Oh !

COSMOS.

On en a observé dans le pays un ou deux cas, il y a très longtemps. Des gens qui s’étaient mis dans un courant d’air, à ce qu’on m’a dit… mais comme on s’en est débarrassé séance tenante, le mal n’a pas eu le temps de se répandre, et jamais il n’a reparu depuis…

CACTUS.

Jamais !

MICROSCOPE, bas.

Ils veulent nous faire poser.

VLAN, bas.

Ils tombent mal ! (Haut.) Eh bien ! Et la population ?

COSMOS.

Comment ?

VLAN.

La lune est peuplée, n’est-ce pas ?

COSMOS.

Évidemment.

VLAN, aux autres.

Je le tiens (À Cosmos.) Ainsi, vous, vous avez eu un père ?

COSMOS.

Oui !

CACTUS.

Et moi aussi.

VLAN.

Une mère aussi peut-être ?

COSMOS.

Oui.

CACTUS.

Et moi aussi.

VLAN.

Ah ! Eh bien ?

COSMOS.

Eh bien ! qu’est-ce que ça prouve ?

VLAN.

Ça prouve tout.

COSMOS.

Comment ça ?… On m’a fait venir de là-bas comme les autres.

VLAN.

De là-bas ?

COSMOS.

Oui, du pays des enfants.

VLAN.

Du pays des enfants ! qu’est-ce que c’est que ça ?

COSMOS.

C’est un pays qui se trouve très loin, très loin, au-delà des mers et où viennent au monde tous les futurs habitants de la lune.

VLAN.

Tous ?

COSMOS.

Tous !

VLAN.

Alors, vous autres…

COSMOS.

Nous autres, nous ne nous en occupons pas autrement. Il y a là-bas de pauvres gens dont c’est la spécialité.

MICROSCOPE.

Alors, quand vous désirez avoir un fils ou une fille, vous n’avez qu’à faire ce voyage ?

COSMOS.

Pas même… nous ne nous dérangeons pas… Deux fois par an, on nous amène les moutards ici, sur de grands vaisseaux. Chacun se rend sur le port, on fait son choix et, le lendemain, on donne aux parents et amis un grand dîner de réjouissance.

MICROSCOPE.

Et voilà tout ?

COSMOS.

Oui.

CACTUS.

Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?

VLAN.

Rien… C’est très ingénieux. (À Microscope, bas.) Mais c’est égal, on aura beau dire, pour ma part, j’aime encore mieux notre vieille routine…

MICROSCOPE, à Cosmos.

Eh bien alors, les femmes ? Si l’amour n’existe pas, pourquoi y en a-t-il dans la lune ?

COSMOS.

Pourquoi ? Mais elles nous sont indispensables. Les unes s’occupent des soins du ménage : elles cousent, raccommodent, et cætera… ce sont des femmes utiles. Les autres sont des objets d’art qui ornent notre maison de leur jeunesse et de leur beauté… Ainsi, par exemple, la reine Popotte, que vous avez vue, femme utile ; la princesse Fantasia, femme de luxe !

VLAN.

Et c’est tout ?

COSMOS.

Mais oui.

CACTUS.

Il y a donc autre chose ?…

VLAN.

Non ! non !… (Bas à Microscope.) Eh bien ils sont d’un arriéré…

COSMOS.
Du reste, vous allez voir toutes les dames du palais, elles vont venir dans un instant pour le dîner… Et même, à propos de dîner, il doit être l’heure. (Appelant.) Popotte ! Popotte !

Scène V

Les Mêmes, POPOTTE, puis FLAMMA, ASPHODÈLE, PHŒBÉ, NÉBULEUSE, AZURINE, ADJA, CASSIOPÉ, STELLA, ZAKIEL, MICROMA, FRITTA, MÉDINETTE, HESPÉRIE, URANIE, HYPERBA, etc.
POPOTTE, arrivant.

Me voici, mon ami.

MICROSCOPE.

Qu’elle est belle, la reine ! Ah ! si elle avait pu me comprendre ! (La lutinant.) si vous aviez pu me comprendre !…

POPOTTE, étonnée.

Monsieur !…

MICROSCOPE.

J’aurais résilié avec Cascadine.

COSMOS, à Popotte

Le dîner est prêt ?

POPOTTE.

Oui… et tous vos invités sont là.

VLAN.

Vos invités, c’est donc un grand dîner ?

COSMOS.

Mais certainement… en votre honneur… Et il y aura après une petite fête dans le parc.

VLAN.

Ah ! très bien !

POPOTTE, à Microscope

Pour le dîner, nous avons une purée d’araignées et un plat de mouches rôties.

COSMOS et CACTUS, avec joie.

Oh !

MICROSCOPE.

Des mouches !…

COSMOS.

C’est délicieux !

CACTUS.

C’est ça qui nous engraisse.

VLAN.

Eh bien, si ça vous est égal, je vous demanderai la permission d’apporter mon plat ?

COSMOS.

Ne vous gênez pas… (Éclats de rire dans la coulisse.) Tenez, qu’est-ce que je vous disais ? Voici toutes les dames du palais. Êtes-vous connaisseur ?

VLAN.

Je crois bien.

MICROSCOPE.

Connaisseur et amateur !

COSMOS.

Eh bien, vous m’en direz des nouvelles.

Entrée des dames du palais.


MORCEAU D’ENSEMBLE
FLAMMA.

Ne jamais rien faire
Du soir au matin,
Défaire et refaire
Un nœud de satin :
Telle est l’existence,
Pleine d’innocence,
Que l’on mène ici :
Que c’est gentil !

TOUTES.

Ne jamais rien faire,
Etc.

FLAMMA.

À notre toilette
Passer tout le temps,
Parer notre tête
Des fleurs du printemps,

Sourire avec grâce,
En baissant les yeux,
Mirer dans la glace
Nos cheveux soyeux.

ADJA.

Sur notre visage
Étendre le fard
Et du maquillage
Bien apprendre l’art,
Choisir des dentelles
Ou bien des bijoux
Et pour être belle
Lutter entre nous :

REPRISE

Ne jamais rien faire
Etc.

COSMOS, à Vlan, sur un mouvement de danse qui s’accentue de plus en plus.

Voyez donc, voyez comme on rit, comme on danse,
C’est un éternel tra la la !

POPOTTE.

Tous les jours, oui, ça recommence,
Et tous les jours c’est comme ça.

MICROSCOPE.

Ça vous picote dans les jambes,
Chacun dit la même chanson.

VLAN.

Les vieilles deviennent ingambes
Et tous dansent à l’unisson.

LES FEMMES.

En avant joyeux quadrilles !
En avant joyeux élans !

D’AUTRES.

Les bras autour des belles filles
Et le bonnet à tous les vents (Bis.)

TOUS.

En avant !
En avant !

REPRISE GÉNÉRALE

Ne jamais rien faire
Du soir au matin,
Etc.

COSMOS.

Allons, à table, mes amis,
Car nous sommes servis !

CHŒUR.

À table ! à table !
Rions ! chantons !
Sort délectable !
Mangeons, buvons !
À table ! à table !

Sortie générale en dansant.


Changement à vue.




NEUVIÈME TABLEAU


LE PARC




Scène PREMIÈRE

CAPRICE, seul.
Il entre les mains derrière le dos, le chapeau baissé sur les yeux, et fait plusieurs fois le tour du théâtre dans un état de grande surexcitation.

Eh bien ! il va joliment être attrapé, papa… Ah ! il s’est moqué de moi !… Eh bien, je lui prouverai que j’ai du caractère ! je vais me tuer, là !… Et puis, après tout, j’en ai assez de la vie… Ça n’est pas si drôle !… Rien ne me réussit !… Pour une fois que je suis amoureux, il faut que je tombe sur une femme incapable de m’aimer… Allons, allons, finissons-en !… oui, mais comment vais-je me tuer ? me brûler la cervelle ?… oui… mais ça me défigurerait ! Me noyer ?… Brrr… Et puis, il faudrait une rivière… Je crois que ce qu’il y a de mieux, c’est de me pendre… Ça me portera peut-être bonheur ! (Il fait un nœud à son mouchoir, et s’arrête subitement.) Tiens ! oh ! c’est singulier… J’ai faim ! Ça ne m’étonne pas, je n’ai rien pris depuis ce matin… Ah ! mais c’est grave ! Faut-il me pendre avant de manger ? Ou manger avant de me pendre ?… Bah ! mangeons d’abord, c’est plus sûr… il doit rester quelques provisions dans mon sac de voyage. (Il l’ouvre.) Du pain et des pommes… c’est maigre… Bah ! quand on a de l’appétit !

Il s’assied et mange.

Scène II

CAPRICE, FANTASIA.
FANTASIA, qui est entrée sans être vue de Caprice.

Ah ! le voilà !

CAPRICE.

Ciel ! Fantasia !

FANTASIA.

Eh bien ! monsieur, mais on vous cherche partout. Pourquoi n’êtes-vous pas venu dîner ?

CAPRICE, la bouche pleine.

Oh ! je souffre trop pour pouvoir manger.

FANTASIA, riant.

Ça se voit. — Tiens, qu’est-ce que vous tenez donc là ?…

CAPRICE.

Ça ?

FANTASIA.

Oui !

CAPRICE.

C’est une pomme.

FANTASIA.

Une pomme ? Qu’est-ce que c’est que ça, une pomme ?

CAPRICE.

Allons, bon ! vous ne savez pas ce que c’est qu’une pomme, à présent ?

FANTASIA.

Mais non !

CAPRICE.

Mais vous ne savez donc rien de rien ! C’est un fruit qui vient de la terre.

FANTASIA.

Un fruit qui se mange ?

CAPRICE, mordant à même la pomme.

Vous voyez.

FANTASIA.

Tiens c’est gentil… ça doit être bon ! oh ! je meurs d’envie d’y goûter.

CAPRICE.

Dame ! si le cœur vous en dit.

Il lui tend la pomme.
FANTASIA, mordant la pomme à belles dents.

Oh ! oui… c’est bon ! c’est bon ! c’est bon !

CAPRICE.

Elle y prend goût.

FANTASIA, poussant un cri.

Ah !

CAPRICE.

Quoi donc ?

DUO
FANTASIA, portant la main à son cœur.

Mon Dieu, qu’ai-je ressenti-là ?
Un coup, un choc, une secousse !
Mon cœur…

CAPRICE.

Mon cœur… Votre cœur…

FANTASIA.

Mon cœur… Votre cœur… Comme il bat.

CAPRICE.

Il bat !

FANTASIA.

Il bat !Il bat ! Il se trémousse.

CAPRICE.

Il se trémousse !

FANTASIA.

C’est votre vilain fruit !

Elle le jette avec colère.
CAPRICE.

C’est votre vilain fruit ! Ô ciel ! est-il possible !

FANTASIA.

Mon cœur devient sensible !

CAPRICE, à part.

Eh quoi ! Se pourrait-il donc faire
Que la pomme ici maintenant
Ait retrouvé le don charmant
Qu’elle eut autrefois sur la terre ?…

FANTASIA.

Ô l’étrange mystère
Qui se produit en moi !
Je me sens plus légère
Et sans savoir pourquoi !
D’où vient donc ce changement-là ?

CAPRICE.

De l’amour !

FANTASIA.

De l’amour !Je suis amoureuse !
Pourquoi ?

CAPRICE.

Pourquoi ? Curieuse !

FANTASIA.

Pourquoi ? Pourquoi cela ?

CAPRICE.

Vous venez de mordre à la pomme !

FANTASIA.

À la pomme !

CAPRICE.

Vous venez de mordre à la pomme !

FANTASIA.

Ah ! parle, car je puis t’entendre,
Enfin, mes yeux s’ouvrent au jour,
Maintenant, je puis te comprendre,
Car je connais l’amour !

CAPRICE.

Oui ! tu peux enfin m’entendre
Et tes yeux s’ouvrent au jour,
Ton cœur a pu me comprendre,
Car il a connu l’amour !

FANTASIA.

Je connais l’amour !

CAPRICE.

Tu connais l’amour !
Ah !

ENSEMBLE.

La pomme, la pomme,
C’est bien bon, vraiment,
De croquer la pomme,
Ah ! quel fruit charmant !

CAPRICE.

Ô doux fruit de la terre !

FANTASIA.

Ô divine lumière !

CAPRICE.

Adorable mystère !

FANTASIA.

Délicieux tourment !

ENSEMBLE.

Ah ! ah !
La pomme, la pomme !
Etc.

Musique douce. — La scène s’obscurcit.
FANTASIA.

Voici la nuit !

CAPRICE.

Nuit pleine de mystère !

FANTASIA.

Ne faisons pas de bruit,
Il faut nous taire !

CAPRICE

Vous le voulez ?

FANTASIA.

Vous le voulez ? Oui ! je le veux !

CAPRICE.

Soit ! taisons-nous, que vos cheveux
Effleurent mon visage,
Que votre main se place dans ma main
Et que vos grands yeux bleus
Fixés sur moi, me donnent du courage !

FANTASIA, s’asseyant près de lui.

Est-ce bien comme cela !

CAPRICE.

Plus près encore !

FANTASIA.

Plus près, plus près, m’y voilà !

CAPRICE.

Je t’aime !

FANTASIA.

Je t’aime ! Je t’adore !

Se levant.

Enfin, mes yeux s’ouvrent au jour !

CAPRICE.

Elle sait m’aimer à son tour !

ENSEMBLE.

Ah ! ah !
La pomme, la pomme !
Etc.

Ils disparaissent se tenant enlacés.

Scène III

COSMOS, VLAN, MICROSCOPE, puis POPOTTE.
VLAN, arrivant avec Cosmos.

Vous savez, mon cher Cosmos, votre dîner… Enfin je compte me rattraper sur la fête…

COSMOS.

Un instant… D’abord, je veux savoir ce qu’est devenue la princesse Fantasia.

VLAN.

C’est vrai… je ne la vois pas… Eh bien, et Caprice ? Il a disparu aussi ?

COSMOS.

Votre fils n’est pas là… ô mon Dieu ! je tremble ! Où peuvent-ils bien être ?

POPOTTE, accourant.

Ah ! si vous saviez ce que je viens de voir !… La princesse et le prince, je les ai rencontrés se souriant !… s’embrassant !

COSMOS.

Miséricorde ! à tout prix il faut les rattraper ! Courons.

VLAN.

Mais la fête ?

COSMOS.

Il s’agit bien de cela ! je veux rattraper ma fille, entendez-vous ? Allons, venez avec nous !… courons, courons !

VLAN.

En voilà une fête !

Changement à vue.




DIXIÈME TABLEAU

LES OMBRES ERRANTES
Pendant que la nuit se fait, le décor change et s’agrandit, mais sans que les spectateurs puissent en deviner les contours. — Entrée des ombres. Elles apparaissent à travers les lianes se cherchent, se croisent, s’entrelacent. — Tout à coup de petites lumières brillent à leurs têtes. — Course de feux follets. — Puis, tout disparaît. — Transformation.




ONZIÈME TABLEAU

LES JARDINS DE COSMOS
Le décor représente des jardins épanouis et magnifiques. — Partout des fleurs et des eaux jaillissantes. — Décor très lumineux. — De toutes parts entrent des chimères et des étoiles


GRAND BALLET DES CHIMÈRES
Rideau.



ACTE TROISIÈME



DOUZIÈME TABLEAU


LA CONSULTATION
Un intérieur chez Cosmos.




Scène PREMIÈRE

UN GARDE, DEUX GARDES, QUATRE GARDES,
puis FLAMMA et Les Dames du Palais.
INTRODUCTION
LE GARDE.

Je suis le garde
Qui garde
La fille du roi !

LES DEUX GARDES, entrant.

Nous sommes les deux gardes
Qui gardons le garde
Qui garde
La fille du roi !

QUATRE AUTRES GARDES.

Nous sommes les quatre gardes
Qui gardons les deux gardes
Qui gardent le garde
Qui garde
La fille du roi !

HUIT AUTRES GARDES.

Nous sommes les huit gardes
Qui gardons les quatre gardes
Qui gardent les deux gardes
Qui gardent le garde
Qui garde
La fille du roi !

LES DAMES, paraissant après eux.

Oui, voici les huit gardes
Qui gardent
Etc, etc, etc.

FLAMMA.

Allons, mesdemoiselles, entrons chez la princesse.

Elle se dirige du côté de la chambre où est enfermée Fantasia.
LE GARDE.

On ne passe pas.

LES DEUX GARDES.

On ne passe pas !

TOUS.

On ne passe pas.

FLAMMA.

Mais nous sommes les demoiselles d’honneur de la princesse.

LES DEUX GARDES.

On ne passe pas !

ITA.

Mais la princesse a peut-être besoin de nos soins.

PREMIER GARDE.

Possible.

ASPHODÈLE.

On dit qu’elle est malade.

LE GARDE.

Très malade… fectivement.

FLAMMA.

En bien, laissez-nous entrer… mon petit garde.

TOUTES, caressant un garde.

Mon petit garde.

STELLA.

Vous serez si gentil.

ADJA, même jeu.

Si aimable !

ITA, même jeu

Si charmant !

NÉBULEUSE.

Si mignon !

AZURINE.

Mon petit garde !…

PHŒBÉ.

Voyons ! laissez nous passer !…

TOUTES.

Oui, oui, laissez-nous passer !

PREMIER GARDE.

On ne passe pas !

FLAMMA.

Quel dommage ! j’aurais tant désiré voir la princesse !

AZURINE.

Et moi donc !

TOUTES.

Et nous donc !

STELLA.

Il parait qu’elle est tout à fait amoureuse… Il n’y a plus d’espoir.

ADJA.

Et c’est pour cela que le roi l’a fait enfermer ici ?

STELLA.

Dame ! il y a de quoi…

PHŒBÉ.

Est-ce qu’elle souffre beaucoup ?

FLAMMA.

Oh ! beaucoup… Figurez-vous un mal qui la rend à la fois gaie, triste, bavarde, silencieuse, douce et violente ; qui ne lui laisse pas un moment de repos, qui la fait rire, pleurer, crier, s’agiter…

NÉBULEUSE.

Cela doit être affreux !

ADJA.

Mais tu l’as donc vue ?

FLAMMA.

Certainement, cette nuit, à travers la porte, pendant que les gardes dormaient.

ADJA.

Et que disait-elle ?

FLAMMA.

Ce qu’elle disait…

ROMANCE
I

Elle disait : viens je t’implore
Ah ! viens bien vite près de moi !

TOUTES.

Viens près de moi !…

FLAMMA.

Prince Caprice, je t’adore
Je n’aimerai jamais que toi !

TOUTES.

Jamais que toi !

FLAMMA.

Et j’entendis jusqu’à l’aurore
Sa voix pleine d’un doux émoi…

TOUTES.

Elle entendit jusqu’à l’aurore
Sa voix pleine d’un doux émoi !

II
FLAMMA.

Nous serons bien heureux ensemble,
Disait-elle, ô mon cher amant !

TOUTES.

Son cher amant !

FLAMMA.

Mon cœur palpite, ma main tremble
Et je te vois, même en dormant.

TOUTES.

Même en dormant !

FLAMMA.

Ah ! viens, cher Caprice, et m’emporte
Vers les beaux cieux ou l’amour luit !

TOUTES.

Ah ! viens, cher Caprice, et m’emporte
Vers les beaux cieux ou l’amour luit !

FLAMMA.

C’est tout ce qu’à travers la porte
Hélas ! j’entendis cette nuit !

TOUTES.

C’est tout ce qu’à travers la porte
Ce qu’elle entendit cette nuit !…

PHŒBÉ.

Ah ! que c’est gentil !

TOUTES.

Ah ! que c’est gentil !

STELLA, courant à la porte

Allons regarder !

TOUTES.

Oui ! oui !…

Elles courent.
LE GARDE.

On ne passe pas !

LES GARDES.

On ne passe pas…


Scène II

Les Mêmes, POPOTTE.
POPOTTE, entrant

Eh bien ! qu’y a-t-il ?…

LE GARDE.

Ce sont ces demoiselles qui veulent forcer la consigne.

POPOTTE.

Oh ! les curieuses… cette pauvre Fantasia a pourtant bien besoin de repos… Enfin ça la distraira peut-être… (Aux dames.) Allez !… (Elles entrent chez Fantasia. Les gardes se retirent à l’exception d’un seul.) Au moins, a-t-on rattrapé ce petit gueux de prince Caprice ?

LE GARDE.

Non !… impossible de mettre le grappin sur lui…

POPOTTE.

Eh bien ! Cosmos doit être d’une jolie humeur. Ah ! le voici…


Scène III

POPOTTE, LE GARDE, VLAN, COSMOS.
COSMOS, entrant le premier.

Je suis furieux !

VLAN, le suivant.

Moi aussi !

COSMOS, marchant toujours.

Pas tant que moi !

VLAN, le suivant.

Plus que vous !

COSMOS, s’arrêtant.

Je vous le défends !

VLAN, de même.

C’est différent !

COSMOS.

Votre fils est un drôle !…

VLAN.

Je ne dis pas le contraire.

COSMOS.

Un polisson !

VLAN.

C’est mon avis.

COSMOS.

Se permettre de rendre ma fille amoureuse !…

VLAN.

Ça n’a pas de nom !

COSMOS.

Si je le tenais je lui ferais passer un mauvais quart d’heure.

VLAN.

Et que vous auriez raison ! (Très gaiement.) Seulement, vous ne le tenez pas.

COSMOS.

C’est vrai… mes imbéciles de gardes n’ont pas pu le prendre… Ils ne m’ont ramené que ma fille.

VLAN.

Et lui, il a filé, c’est un malin ! (Lui tapant sur l’épaule.) Elle est bonne… Riez donc !

COSMOS.

Heureusement que vous êtes là vous…

VLAN.

Hein ?

COSMOS.

Si on ne le retrouve pas, vous paierez pour lui.

VLAN.

Moi !

COSMOS.

Dame ! elle est bonne… Riez donc…

VLAN.

Ah ! non ! permettez…

COSMOS.

Il faut que je fasse un exemple… Depuis hier ma fille est méconnaissable… Voulez-vous que je vous dise ce qu’il m’a forcé de faire votre fils, le voulez-vous ?…

VLAN.

Oui.

COSMOS, avec mystère l’amenant à gauche.

Il m’a forcé… (Voyant le garde, il l’entraîne au milieu.) il m’a forcé… vous allez frémir… il m’a forcé de convoquer les médecins… (Montrant la chambre de Fantasia.) Ils sont là en ce moment.

POPOTTE.

Ciel !

LE GARDE, de même.

Ah ! nom de nom !

POPOTTE.

Les médecins ! les médecins, ici !…

VLAN.

Eh bien ! est-ce que ça n’arrive pas tous les jours ?

COSMOS.

Tous les jours !…

POPOTTE.

Ah ça ! est-ce que vous croyez qu’on les laisse se promener dans les rues ?

COSMOS.

Pour qu’ils répandent partout une foule de maladies !

LE GARDE.

Ah ! ben ! ah ! ben !

VLAN.

Pourtant, permettez… Puisque vous me dites qu’ils sont là…

COSMOS.

Oui, parce que j’ai pris sur moi de les faire sortir et avec des précautions énormes.

VLAN.

Ils sont donc enfermés ?

COSMOS.

Je vous prie de le croire !… dans un bâtiment cellulaire.

POPOTTE.

Où on ne va les visiter qu’avec une autorisation spéciale.

VLAN.

Eh bien ! vous avez une singulière façon de les traiter. Ce n’est pas comme chez nous. Ainsi, moi, j’ai une gastrite, eh bien ! dès que je sens un tiraillement, j’envoie chercher mon médecin, il déjeune avec moi et, au bout d’un quart d’heure, ça va mieux.

COSMOS.

Il déjeune avec vous ?

VLAN.

Oui, et même il mange ce gaillard-là, il n’y a pas trois mois il s’est flanqué une indigestion ! J’ai été obligé de le soigner. Je lui ai fait du thé…

COSMOS.

Ah ! vraiment vous recevez les médecins chez vous ?… Et vous leur serrez la main ?

VLAN.

Certainement.

COSMOS.

Mais alors, ils doivent vous donner toutes les maladies qu’ils viennent de soigner ?

VLAN.

Non… ils nous en donnent d’autres, voilà tout. (Bruit de vaisselle cassée.) Qu’est-ce que c’est que ça ?

COSMOS.

Ça, c’est Fantasia qui casse mes porcelaines… Encore une crise de nerfs.


Scène IV

Les Mêmes, FANTASIA.
FANTASIA, entrant.
AIR


Je suis nerveuse,
Je suis fiévreuse,
Ma tête bout !
Un rien m’agace,
Tout me tracasse,
Me pousse à bout !

À la même heure,
Je ris, je pleure,
Et je voudrais
Battre quelqu’un
Si je pouvais !
Ah !
Je suis nerveuse,
Etc., etc., etc.

Pourtant j’aime ton doux supplice,
Ô mal charmant, nouveau pour moi,
Je te partage avec Caprice
Et ne puis vivre sans toi !

Je suis nerveuse,
Je suis fiévreuse,
Ma tête bout !
Un rien m’agace,
Tout me tracasse,
Me pousse à bout !

COSMOS.

Voyez ! la malheureuse !… dans quel état !…


Scène V

Les Mêmes, CACTUS.
CACTUS, entrant tout effaré.

Seigneur ! seigneur ! si vous saviez !…

COSMOS.

Quoi donc ?

CACTUS.

La princesse…

POPOTTE.

Eh bien ?

CACTUS.

Elle vient de gifler la faculté !

COSMOS, à Fantasia.

Tu as fait ça… toi ?

FANTASIA.

Oui… oui… j’ai fait ça, moi…

CACTUS.

Et tous les médecins se sont sauvés !…

COSMOS.

Les médecins en liberté ! Nous voilà bien !… mais ils vont se répandre dans la ville !…

POPOTTE.

Quelle catastrophe !

COSMOS.

Il faut les rattraper ! Allons, courons.

Ils sortent tous.

Scène VI

FANTASIA, puis CAPRICE.
FANTASIA, riant.

Ah ! ah ! ah ! m’envoyer des médecins pour me soigner, me guérir… comme s’il pouvait y avoir pour moi un autre médecin que…

CAPRICE, paraissant à la fenêtre.

Fantasia !

FANTASIA.

Caprice ! vous ici !

CAPRICE.

Silence !… Oui, Microscope et moi, nous sommes parvenus à nous cacher.

FANTASIA

Chez qui ?

CAPRICE.

Chez les gendarmes.

FANTASIA.

Hein ?

CAPRICE.

Oui, naturellement ils nous cherchent partout excepté chez eux. Pendant ce temps, moi, j’ai trouvé un moyen infaillible de désarmer votre père.

FANTASIA.

Est-il possible !

CAPRICE.

Quel est le crime qu’il nous reproche ? — c’est d’être amoureuse… par conséquent, s’il devenait amoureux à son tour, il n’aurait plus rien à dire.

FANTASIA.

C’est vrai.

CAPRICE.

Eh bien ! cette pomme qui a éveillé votre cœur, je suis parvenu à en extraire un élixir d’un certain effet. (Il lui montre une fiole.) Le voici… il faut que le roi en boive, et nous serons sauvés !

FANTASIA.

Oui, mais comment ?

CAPRICE.

Je ne sais pas… mais soyez tranquille, je trouverai bien un moyen, et avant qu’il soit longtemps…

FANTASIA.

Ah ! le voici ! cachons-nous.

Ils se cachent derrière les rideaux de la fenêtre.

Scène VII

FANTASIA, CAPRICE, cachés, VLAN, COSMOS, CACTUS.
COSMOS, revenant, suivi de Vlan et de Cactus.

Enfin ! On a pu les rattraper tous.

CACTUS.

Oui, excepté un petit… mais il n’est pas bien dangereux.

VLAN.

Et vous pouvez bien dire que c’est à moi que vous le devez… si je n’avais pas été là… Je vous ai donné un fier coup de main… Ah ! C’est qu’un médecin ne me fait pas peur !…

COSMOS.

Oui, mais avec tout ça, voilà une consultation qui n’aura servi à rien.

VLAN.

Comme toutes les consultations, du reste…

COSMOS.

Cette pauvre Fantasia est bien décidément incurable… Et le pis, c’est que j’ai peur que son contact ne gâte toutes mes autres femmes.

CACTUS.

C’est si susceptible, les femmes !

COSMOS.

Aussi mon parti est pris… je vais m’en défaire…

VLAN, effrayé.

Comment ! vous en défaire ? vous allez la…

COSMOS.

Non… je vais la vendre.

VLAN.

Comment, la vendre ?

CACTUS.

Au marché… c’est l’habitude… Quand une femme a cessé de plaire, on la vend.

FANTASIA, indignée.

Me vendre !

Caprice lui fait signe de se taire.
VLAN, à Cosmos.

Eh bien ! vous avez de drôles de mœurs, vous.

COSMOS.

Personne ne sait ce qui lui est arrivé ; en me dépêchant j’en trouverai encore un bon prix.

CACTUS.

On ne perdra pas trop dessus.

COSMOS.

Allons ! il s’agit de la préparer à cette séparation douloureuse. Viens avec moi, Cactus.

Il entre suivi de Cactus dans la chambre de Fantasia.

Scène VIII

Les Mêmes, moins COSMOS et CACTUS.
FANTASIA, sortant vivement de sa cachette.

Me vendre, c’est une indignité ! oh ! je m’y opposerai…

CAPRICE, venant à elle.

Au contraire, ma chère Fantasia, il faut laisser faire…

VLAN.

Caprice ! la princesse !

CAPRICE.

Oh ! ne t’étonne pas, nous n’avons pas le temps… (À Fantasia.) Quant à vous, ma chère Fantasia, ne vous inquiétez pas, et laissez-moi agir.

VLAN.

Comment ?

CAPRICE.

On va vous vendre, mais c’est quelqu’un à moi qui vous achètera… De mon côté, je serai au marché, et grâce à mon élixir je vous réponds de Cosmos… Rentrez vite, tout va bien !… (À Vlan.) Et toi, viens avec moi…

VLAN.

Où m’emmènes-tu ?

CAPRICE.

Au marché !…

VLAN.

Comment, au marché !… mais explique-moi…

CAPRICE.

Nous n’avons pas le temps ! viens… (Il l’entraîne.) À nous deux, mon bon Cosmos !

Ils sortent.
Changement à vue.




TREIZIÈME TABLEAU


LE MARCHÉ AUX FEMMES
Une place de marché. — Au milieu du théâtre, une corbeille un peu élevée, rappelant celle de la Bourse. — Tout autour d’énormes parasols, fichés dans le sol et servant à garantir les étalages.




Scène PREMIÈRE

Marchands, Acheteurs, Femmes, Boursiers, Spéculateurs, Badauds, Gardes du Marché, Un Bourgeois.
Au changement, les femmes sont groupées au-dessous des parasols qui garnissent la place du marché, les acheteurs et les marchands discutent avec animation. — Dans la corbeille, s’agitent les spéculateurs entourés d’une foule de badauds.
INTRODUCTION
CHŒUR.

C’est le marché,
Quel débouché
Pour le commerce !
Chalands, marchands,
Vont en tous sens ;
On se pousse et l’on se renverse !
Accourons tous !
Dépêchons-nous !
C’est le marché,
Quel débouché
Pour le commerce !

UN MARCHAND.

Place ! place !
Allons, messieurs les acheteurs,
Autour de moi que l’on s’amasse,
J’en ai de toutes les couleurs :
Regardez,
Achetez !

TOUS.

Regardons,
Achetons.

REPRISE DU CHŒUR

C’est le marché
Etc., etc.

Cris confus.
PREMIER SPÉCULATEUR.

J’achète !

LE SECOND.

Je vends !

UN BOURGEOIS, arrivant en se bouchant les oreilles.

Quel vacarme, mon Dieu !… c’est à devenir fou !… oh ! la spéculation ! la spéculation !… La plaie de notre époque…

LE GARDIEN.

Circulez, messieurs, circulez !

PREMIER SPÉCULATEUR.

Cent quinze femmes fin courant, avec prime, j’offre !…

DEUXIÈME SPÉCULATEUR.

Je prends !

TROISIÈME SPÉCULATEUR.

Cinquante ! avec report !

QUATRIÈME SPÉCULATEUR.

Cent ! je liquide !

LE GARDIEN, séparant les deux premiers.

Circulez ! que diable ! vous avez bien le temps de vous ruiner !

DEUXIÈME SPÉCULATEUR, remontant.

Les cent quinze femmes, fin courant !…

PREMIER SPÉCULATEUR, le suivant.

Je les reprends ! je les reprends.

CRIS DIVERS.

C’est la hausse… c’est la baisse… vingt pour cent !… Impossible !… ah !… oh !… liquidons, vendons,… etc.

LES GARDIENS.

Circulez ! circulez !…

Le tumulte redouble. — À ce moment Microscope arrive en courant et se heurte au bourgeois qu’il manque de renverser.

Scène II

Les Mêmes, MICROSCOPE.
LE BOURGEOIS, furieux.

Faites donc attention !…

MICROSCOPE.

Pardon… (À part.) Ouf ! j’ai couru… C’est qu’il s’agit de reconnaître les lieux… Mon jeune maître m’a chargé de venir acheter la princesse Fantasia… C’est une mission délicate et qui demande à être conduite avec précaution… Voyons… (Allant au bourgeois.) Un mot, s’il vous plait ?…

LE BOURGEOIS.

Je vous écoute, monsieur.

MICROSCOPE, à part.

Il a une bonne tête, ce bourgeois… (Haut.) Où suis-je ici ?

LE BOURGEOIS.

Où vous êtes ? (Cris.) Malheureux, vous ne le voyez donc pas ? Mais vous êtes dans l’antre de la spéculation ! vous êtes à la Bourse.

MICROSCOPE.

À la Bourse ?

LE BOURGEOIS.

Et voici la corbeille ! Ah ! la spéculation ! la spéculation ! La plaie de notre époque. (Les cris recommencent.) Là ! les entendez-vous ?

MICROSCOPE.

Comment, c’est la Bourse, où l’on se dispute comme ça !… ah ! sapristi ! je me suis trompé alors… Moi qui cherchais le marché aux femmes…

LE BOURGEOIS.

Eh bien, vous y êtes…

MICROSCOPE.

Mais vous venez de me dire…

LE BOURGEOIS.

La Bourse ou le marché aux femmes, c’est tout un…

MICROSCOPE, saluant.

Monsieur, bien obligé ! (À part.) Comment c’est sur les femmes qu’on spécule… Drôle de valeur… Enfin, j’en connais de plus mauvaises…

LE BOURGEOIS, à part.

Voilà encore un pauvre niais qui va se faire plumer… oh la spé…

À ce moment on entend un murmure dehors.
MICROSCOPE.

Ô mon Dieu, monsieur, qui est-ce qui arrive donc là-bas ?

LE BOURGEOIS, regardant.

Qui ? parbleu ! c’est le fameux Quipasseparla, le roi de la Bourse !


Scène III

Les Mêmes, QUIPASSEPARLA.
QUIPASSEPARLA, arrivant entouré d’agioteurs et de boursiers. Il est très élégant et d’allure fort dégagé.


RONDEAU

Le prince Quipasseparla !
C’est Bibi, le voilà !
Amenez-moi les jeunes femmes,
Accourez, mes petites dames,

Accourez, je n’vous dis que ça !
Le prince Quipasseparla !
C’est Bibi, le voilà !

(Parlé.) Oh ! les femmes !…

J’en vends, j’en achète,
Amasse, étiquette,
Sans les marchander
Et sans m’arrêter,
Les brunes, les blondes,
Les plates, les rondes,
Les yeux noirs ou bleus
Venant de tous lieux !
Petites et grandes,
Sobres et gourmandes,
Pour avoir de tout
J’ai passé partout.
J’en ai des coquettes,
J’en ai des discrètes,
Ma collection
Vaut un million,
J’en ai de savantes
Bonnes et méchantes,
C’est étiqueté,
Classé, bien coté,
Ah !
Le prince Quipasseparla ! (bis).
C’est Bibi, le voilà !

TOUS.

Bravo ! bravo !…

QUIPASSEPARLA.

Ah ! mes amis ! quelle journée ! quelles émotions !… Je viens de boire un de ces bouillons !… Ce matin, je me dis : il y a quelque chose à faire avec les femmes bleues… j’achète, j’achète, et puis, patatras ! Une baisse formidable… Elles sont à rien, les femmes bleues ! On les donne !… c’est à mourir de rire ! ah ! ah ! ah !

Il rit, tout le monde l’imite.
LE BOURGEOIS, à part.

Ô cynisme !…

QUIPASSEPARLA.

Heureusement, j’ai de quoi me refaire… je viens d’apprendre que dans quelques instants on va mettre en vente la charmante princesse Fantasia.

LE BOURGEOIS, indigné.

Comment !

QUIPASSEPARLA.

Un objet unique, une occasion hors ligne, c’est tout à fait mon affaire. Ah ça ! j’espère que personne ne s’avisera de me la disputer ?

TOUS.

Parbleu !…

MICROSCOPE, à part.

Un concurrent ! Fichtre… comment faire pour… (Allant à Quipasseparla.) Pardon, monsieur, vous dites que vous venez pour acheter la princesse Fantasia…

QUIPASSEPARLA, qui fait des comptes sur un petit carnet, se tournant de l’autre côté et avec distraction.

Oui…

MICROSCOPE.

Et vous y tenez beaucoup à la princesse ?

QUIPASSEPARLA.

Sans doute… Pourquoi ?

MICROSCOPE.

C’est que si vous n’y aviez pas tenu spécialement, je vous aurais prié…

QUIPASSEPARLA.

De quoi ?

MICROSCOPE.

De me la laisser… j’ai ordre de l’acheter à tout prix… Alors, vous comprenez, nous allons nous contrecarrer l’un l’autre bien inutilement… Il vaudrait peut-être mieux s’entendre.

QUIPASSEPARLA, le toisant, à part.

Ah ! bah !… Voilà un individu dont il faut que je me débarrasse ! (Haut.) Mais comment donc, cher monsieur, du moment que cela peut vous obliger…

MICROSCOPE.

Alors vous consentez ?

QUIPASSEPARLA.

À m’entendre avec vous, mais pourquoi pas ?… Du moment que cela peut vous être agréable… Venez donc, prendre quelque chose… nous causerons de cette affaire-là…

MICROSCOPE.

Volontiers.

QUIPASSEPARLA, sortant avec lui, à part.

Toi, si tu es ici pour la vente, tu auras de la chance !

MICROSCOPE, de même.

C’est un bon enfant, ce Quipasseparla.

Ils s’en vont. — Au même instant du côté opposé, on entend un bruit de grosse caisse et de cymbales.
LA FOULE, avec joie.

Oh ! des charlatans !…

LE BOURGEOIS.

Des charlatans, à la Bourse !… c’est impossible !


Scène IV

LA FOULE, LE BOURGEOIS, CAPRICE, VLAN.
Caprice et Vlan arrivent sur une grande voiture traînée par un animal fantastique, Caprice est en charlatan. Vlan en pitre est juché au haut de la voiture et frappe à coups redoublés sur un tambour. — Caprice souffle dans une trompette.
CHŒUR.

Ah ! quelle musique
Magnifique !
Quel bataclan
Retentissant !

La voiture s’arrête sur le devant de la scène.
CAPRICE.
BONIMENT

Ohé ! ohé ! les badauds !…
Ohé ! grands, petits, gras et gros
Gens tranquilles !
Intrigants !
Imbéciles !
Ignorants !
Bonnes têtes !
Grosses bêtes !
Tous approchez,

Tous écoutez
Venez ! venez ! venez ! venez !…
Ohé ! ohé ! petits et grands,
Voilà, voilà les charlatans !
Ohé ! ohé ! ohé ! ohé !
Voilà les charlatans !…

I

Ce n’est pas pour l’appât vulgaire
D’un peu d’or ou d’un peu d’argent,
Messieurs, que nous venons vous faire
Sur cette place un boniment !
Ce n’est pas même pour la gloire
Ce n’est pas pour nous faire un nom,
Ni dans les fastes de l’histoire,
Pour être inscrits, non, messieurs, non !…
Notre ambition est plus belle,
Et je le dis avec fierté :
Nous cherchons une clientèle
Par amour de l’humanité !…
Ohé ! ohé ! petits et grands,
Voilà, voilà les charlatans !

II

À peine au sortir du collège,
Nous pouvions nous faire avocats,
Commerçants, maîtres de manège,
Naturalistes, magistrats.
Nous pouvions, — nous avons nos gardes —
Montrer le grec et le latin,
Nous pouvions dans les ambassades
Faire très bien notre chemin…
Notre embarras était immense,
Tous ces métiers sont excellents,
Un seul les résume en substance :
Nous nous sommes faits charlatans !
Ohé ! ohé ! petits et grands,
Voilà, voilà les charlatans ! etc…

TOUS.

Bravo ! bravo !

VLAN.

Caprice, tu n’es pas raisonnable… moi, ton père, me forcer à jouer le rôle d’un simple Vert de Gris ! Si l’on me voyait de là-bas.

CAPRICE.

Tais-toi donc, papa, il le faut. En avant la musique. (À part.) Je ne vois pas encore Cosmos… il ne tardera pas. (Bas à Vlan.) Comment les occuper ?

VLAN, de même.

Laisse-moi faire. (Haut.) Maintenant, mesdames et messieurs, permettez-moi d’appeler votre attention sur une découverte aussi précieuse qu’utile… Depuis que je suis sur le trô… (Se reprenant.) depuis que j’exerce sur les places publiques, (À part.) un peu plus j’allais me couper ! (Haut.) depuis dis-je, que j’exerce sur les places publiques, je n’ai encore rien vu de semblable… Avez-vous un vieux chapeau ? oui, n’est-ce pas ? (Désignant le bourgeois qui est au milieu de la foule.) J’aperçois justement monsieur qui en a un d’une malpropreté repoussante… Passez-moi le chapeau de monsieur !…

LE BOURGEOIS.

Mais…

On lui enlève son chapeau qu’on passe à Vlan.
VLAN.

Horrible, votre chapeau, monsieur… je ne comprends pas que vous osiez sortir avec un chapeau pareil.

LE BOURGEOIS, furieux.

Monsieur !…

VLAN.

Enfin, n’importe… pour quatre francs, je vous en rendrai un neuf. Passez-moi les quatre francs de monsieur…

LE BOURGEOIS.

Mais…

VLAN.

Passez moi les quatre francs de monsieur !… (On fouille le bourgeois et on lui prend de l’argent qu’on fait passer à Vlan.) Merci… À présent regardez bien ce que je fais du chapeau… (Il l’aplatit, le déchire et le foule aux pieds, après quoi il le rend gracieusement au bourgeois.) Monsieur…

LE BOURGEOIS.

Mais ce n’est plus un chapeau !… vous m’en aviez promis un neuf.

VLAN.

Un neuf… c’est juste… (Tirant un œuf de sa poche.) Un œuf à monsieur, voilà.

On rit.
LE BOURGEOIS, furieux.

Ah ! le charlatanisme !…

Il se sauve au milieu des rires de la foule.
CAPRICE.

Ah ! j’aperçois, Cosmos… à mon tour ! (Haut.) Allez la musique !

Vlan se remet à battre du tambour.

Scène V

Les Mêmes, COSMOS, CACTUS.
COSMOS.

Tiens ! des charlatans !…

Il vient se mêler à la foule.
CAPRICE.

Avant de prendre congé de vous, mesdames et messieurs, il nous reste à vous présenter une eau magique, incomparable, inestimable, inappréciable et complètement inconnue jusqu’à ce jour… (Vlan accompagne tous ces adjectifs d’un roulement de tambour. — Caprice continue.) Cette eau, mesdames et messieurs, possède toutes les propriétés, toutes les vertus, toutes les qualités. Elle guérit les rhumes de cerveau, les rages de dents et les cors aux pieds. Elle ôte les taches, remplace le cirage, et fait couper les rasoirs… elle fait pousser les cheveux et tomber la barbe ou pousser la barbe et tomber les cheveux, à volonté. Elle fait engraisser les gens maigres et maigrir les gens gras.

COSMOS, dont l’attention est éveillée, à part.

Maigrir…

CACTUS, de même.

Maigrir !

CAPRICE.

Enfin, elle fait tout, elle sert à tout, elle est bonne à tout…

VLAN.

À tout !…

CAPRICE.

Malheureusement, il ne m’en reste qu’une bouteille… cette bouteille, vous comprenez bien que je ne veux pas la vendre, je la donne… mais à qui la donner ?

TOUS.

À moi ! à moi !

CAPRICE.

Un instant ! ne parlez pas tous à la fois !… À qui la donner cette bouteille ? Un roi seul est digne de posséder un pareil trésor…

VLAN.

Oui, un roi seul !… y a-t-il un roi dans la société ?

COSMOS, levant la main.

Un roi… présent !…

CACTUS, à part, avec regret.

Si j’avais eu trente-cinq grammes de plus !

CAPRICE.

Très bien, passons la bouteille à monsieur.

Il tend la bouteille à Cosmos.
COSMOS, prenant la bouteille et la regardant.

Tiens ! c’est gentil… ça a une couleur. (À Caprice.) Est-ce que ça se boit ?…

CAPRICE.

Goûtez-en ! Goûtez-y ! et vous m’en direz des nouvelles…

COSMOS.

Voyons…

CAPRICE.

Allez la musique !…

Trompette et tambour pendant que Cosmos boit.
CACTUS, à Cosmos.

Eh bien ?

COSMOS.

Eh bien ! oui, c’est assez… c’est même très…

Il reboit.
CAPRICE.

Encore ?… Allez la musique !…

Même jeu que plus haut.
CACTUS.

Donnez-m’en un peu.

COSMOS.

Non, c’est trop bon ! (Changeant de ton.) Ah !

CACTUS.

Quoi ?

COSMOS.

C’est étrange, on dirait que… (Avec un grand cri.) Ah ! ah ! (Portant la main à son ventre.) Je suis empoisonné !…

Il se sauve en courant.
CACTUS.

C’est bien fait.

CAPRICE, stupéfait.

Ah mais !… ce n’est pas l’effet que j’ai voulu produire !…

VLAN.

Je crois bien !… c’est tout simplement le cidre que tu as inventé là !…

CAPRICE.

Du cidre ? c’est vrai !… Nous voilà bien…

VLAN, à part.

Veux-tu que je te dise ? Nous n’avons plus qu’à déguerpir. (Haut.) Mesdames et messieurs, c’est pour avoir l’honneur de vous remercier. Si vous avez été contents, envoyez-nous vos familles.

Sortie des charlatans par le fond, sur une reprise de l’air. — On entend une rumeur à gauche.
CACTUS.
Allons ! bien !… on va vendre la princesse et le roi n’est pas là.

Scène VI

FANTASIA, POPOTTE, suivies de FLAMMA et des Autres Dames du Palais, Le Chœur, puis QUIPASSEPARLA.
MORCEAU D’ENSEMBLE
CHŒUR DES FEMMES.

Adieu notre compagne,
Dis-toi bien que là-bas
Notre cœur t’accompagne
Et ne t’oubliera pas !

FANTASIA

Ô doux espoir !
Je vais le voir,
Celui sans qui je ne puis vivre !
Ô doux espoir !
Je vais le voir,
Je suis à lui, je vais le suivre !

REPRISE

Adieu notre compagne,
Etc.

CACTUS.

Qu’on fasse silence,
La vente commence.

TOUS.

La vente commence !

POPOTTE, montrant Cactus.

En l’absence du roi, de Cosmos empêché,
C’est lui qui va présider le marché.

CACTUS.

En l’absence du roi, de Cosmos empêché,
Montrant un bourgeois.
C’est lui qui va présider le marché !

LE BOURGEOIS.

En l’absence du roi, de Cosmos empêché,

Désignant un autre.

C’est lui qui va présider le marché.

Même jeu de tous, l’un après l’autre.
TOUS.

C’est lui !
C’est lui !

CACTUS.

Mais où est donc le commissaire ?

TOUS.

Le voici, le commissaire !

POPOTTE.

Venez, monsieur le commissaire :
C’est à vous qu’appartient l’honneur,
L’honneur d’être dans cette affaire,
D’être commissaire priseur !

TOUS.

D’être commissaire priseur !

LE COMMISSAIRE, prenant place et montrant Fantasia.

La princesse que voilà,
On va la vendre, allons, regardez là !

CACTUS.

Messieurs, faites votre prix !
Tous les amateurs sont admis !

UN ACHETEUR.

Trois pièces d’or !

LE COMMISSAIRE.

Trois pièces d’or ! Monsieur veut rire.

UN AUTRE.

J’en donne quatre !

UN AUTRE.

J’en donne quatre ! Cinq !

LE COMMISSAIRE.

J’en donne quatre ! Cinq ! C’est du délire !
Cinq pièces d’or pour un pareil joyau :
Regardez donc comme c’est beau,
Comme c’est beau !

TOUS.

C’est vraiment beau ! très beau !

PREMIER ACHETEUR.

Dix.

DEUXIÈME ACHETEUR.

Dix. Vingt.

TROISIÈME ACHETEUR.

Dix. Vingt. Trente.

QUATRIÈME ACHETEUR.

Dix. Vingt. Trente. Quarante.

PREMIER ACHETEUR.

Quarante-cinq.

TROISIÈME ACHETEUR.

Quarante-cinq. Cinquante.

CACTUS.

Nous avons marchand à cinquante !

LE COMMISSAIRE.

À cinquante.

QUATRIÈME ACHETEUR.

Cent.

TROISIÈME ACHETEUR.

Cent. Deux cents.

DEUXIÈME ACHETEUR.

Cent. Deux cents. Trois cents.

PREMIER ACHETEUR.

Cent. Deux cents. Trois cents. Quatre cents.

DEUXIÈME ACHETEUR.

Cinq cents.

TROISIÈME ACHETEUR.

Cinq cents. Six cents.

DEUXIÈME ACHETEUR.

Cinq cents. Six cents. Sept cents.

PREMIER ACHETEUR.

J’en donne mille.

TOUS.

Ah ! l’imbécile
Il en donne mille.

CACTUS.

Nous avons acheteur à mille !

QUIPASSEPARLA, au dehors.

Qu’on arrête la vente !
C’est moi !
Il accourt. — À part.
C’est moi ! J’arrive à temps ! mon animal
S’est endormi, mais ce n’est pas sans mal…

CACTUS.

Eh bien ! voyez la dame…

QUIPASSEPARLA.

Eh bien ! voyez la dame… Elle est charmante !

FANTASIA, à Quipasseparla. — Bas.

Vous êtes envoyé par lui ?

QUIPASSEPARLA.

Qui lui ?

FANTASIA.

Qui lui ? Vous savez bien.

QUIPASSEPARLA.

Qui lui ? Vous savez bien. Oui, oui !

FANTASIA.

Vous allez me conduire à lui ?

QUIPASSEPARLA.

Qui lui ?

FANTASIA.

Qui lui ? Toujours le même !

QUIPASSEPARLA.

Qui lui ? Toujours le même ! Oui ! oui !
Haut.
Je mets dix mille pièces d’or !

TOUS.

Dix mille pièces d’or !

QUIPASSEPARLA.

Dix mille pièces d’or :
Je le répète encor !

LE COMMISSAIRE, parlé.

Personne ne dit mot ?

CACTUS, parlé.

Personne ne dit mot ?

LE COMMISSAIRE.

Adjugé !

QUIPASSEPARLA, allant à Fantasia.

Adjugé ! Maintenant,
Ma belle princesse,
Sans perdre un moment
Partons promptement.

FANTASIA.

Partons promptement.

QUIPASSEPARLA.

Pardonnez-moi car le temps presse,
Vous connaissez
Le mot si vrai :
Time is money !

TOUS.

Il a raison il a dit vrai,
Time is money !

QUIPASSEPARLA.

Je cours, je me dépêche,
Je pars comme une flèche,
Et partout je passe,
Dévorant l’espace,
Sans souffrir le moindre arrêt :
Time is money !

TOUS.

Il a raison, il a dit vrai :
Time is money !

Quipasseparla sort vivement, emmenant Fantasia. Tout le monde les suit.


Changement à vue.




QUATORZIÈME TABLEAU


LE PAYS DES VENTRUS
Un paysage où tout est plantureux et ventripotent. — À droite l’entrée d’une auberge aux formes rebondies. — L’enseigne est : « Au ventre d’argent. — Grosbedon, aubergiste. » — L’auberge a deux portes.




Scène PREMIÈRE

QUIPASSEPARLA, et Ses Femmes, FANTASIA.
QUIPASSEPARLA.

Par ici ! par ici… Nous allons nous arrêter quelques instants dans cette auberge. (Aux dames.) Dépêchez-vous d’aller vous reposer, car nous n’avons pas beaucoup de temps. C’est aujourd’hui même que l’hiver doit succéder à l’été, tout à coup et sans crier gare… et, si les almanachs disent vrai, comme c’est leur habitude, le froid sera terrible cette année… Il se peut que d’un instant à l’autre il fasse cinquante degrés au-dessous de zéro. Il s’agit donc de ne pas se laisser surprendre. Entrez là et attendez-moi ; je vais prendre les précautions nécessaires pour continuer notre route.

Les femmes entrent dans l’auberge.
FANTASIA.

Comment, nous allons nous arrêter ici ? mais je m’y oppose !… Je ne m’arrêterai que lorsque nous aurons rejoint Caprice.

QUIPASSEPARLA.

Écoutez, ma belle enfant, je me reprocherais de vous laisser plus longtemps dans l’illusion. C’est pour moi que je vous ai achetée.

FANTASIA.

Pour vous !

QUIPASSEPARLA.

Oui, pour moi, pour ma collection, dont vous allez faire le plus bel ornement, adorable princesse !

FANTASIA.

Ah ! c’est indigne ! Mais je vous échapperai, je saurai bien trouver le moyen de fuir, de le rejoindre… Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu !…

QUIPASSEPARLA, la faisant entrer.

Bah ! bah ! cela se passera. Entrez toujours là… Et maintenant je vais m’occuper des préparatifs.

Il sort.

Scène II

MICROSCOPE, seul, arrivant en courant.

Que d’aventures, mon Dieu ! que d’aventures ! Ce gueux de Quipasseparla !… Ah ! si je le rattrape !… Il m’avait endormi… J’arrive au marché… Crac ! tout est fini ! La princesse vendue, enlevée !… Je veux rattraper mon voleur… Patatras ! qu’est-ce que je rencontre ? la reine Popotte. Dans quel état ! Cosmos avait bu le fameux élixir. D’abord, il parait que ça lui a fait un effet… Enfin un drôle d’effet !… Mais la pomme ne perd jamais ses droits… Le malheureux est devenu amoureux de sa femme… et pour se faire comprendre d’elle il l’a fait boire aussi… Ça a été un coup de foudre… Seulement à ce moment-là, j’arrivais et c’est à mon cou qu’elle s’est jetée… Quelle situation ! moi qui cours après mon filou, la reine qui court après moi et le roi qui court après la reine !… Ah ! la voici… quel ennui !… Car c’est curieux ; je l’aimais cette femme, elle ne m’aimait pas. Elle m’aime, je ne peux plus la souffrir… Ô cœur humain !…



Scène III

MICROSCOPE, POPOTTE.
POPOTTE.

Enfin, vous voici, mon ami… (Se pendant à son bras.) Nous ne nous quitterons plus !

MICROSCOPE, à part.

Hein ?… (Haut.) Permettez, madame… Je comprends la passion que je vous inspire… Elle me flatte, mais elle me gêne. Raisonnons… Vous avez un mari.

POPOTTE.

Je ne l’aime pas !

MICROSCOPE.

Je le comprends, mais votre devoir est de l’aimer.

POPOTTE.

Il est laid !

MICROSCOPE.

Je le sais, mais votre devoir est de le trouver beau.

POPOTTE, avec violence.

Eh ! le devoir ! Que m’importe le devoir ! c’est vous que j’aime, c’est vous que je trouve beau et je ne vous quitterai plus !…


COUPLETS
I

Oui, j’aime, enfant, ton doux sourire,
Ton œil plus pur qu’un beau lac bleu !
Tout en toi m’enivre et m’attire,
Tout en toi met mon âme en feu !
J’aime ta jambe sans pareille,
J’aime ton pied, j’aime ta main,
J’aime ta bouche et ton oreille,
J’aime ton front calme et serein !

Mais, surtout, ce qui m’a séduite
Ce qui tient mes sens étonnés,
C’est ton nez,
Ton nez,
Ton petit nez en pied d’marmite !

II

Quand tu me touches, je frissonne,
Mon cœur se met à palpiter.
Ma raison fuit, mon sang bouillonne,
Dans tes bras, je veux me jeter !
Quand tu me parles, ta voix tendre
Me cause là des soubresauts
Et, malgré moi, je crois entendre
Le doux chant des petits oiseaux !…

Mais, surtout, ce qui m’a séduite,
Etc.

MICROSCOPE, avec désespoir.

Oh ! les chaînes ! les chaînes !…


Scène IV

Les Mêmes, VLAN et CAPRICE.
VLAN, entrant avec Caprice et s’arrêtant devant l’enseigne.

Voyons !… Grosbedon, aubergiste… Nous sommes dans une auberge.

MICROSCOPE, les apercevant.

Le prince ! sapristi !…

CAPRICE.

Microscope ! ah ! te voilà, toi !… Eh bien ! tu as joliment travaillé ! tu as laissé acheter Fantasia par un autre !

MICROSCOPE.

Mais, prince, ce n’est pas ma faute ; on m’avait endormi.

POPOTTE.

Oh ! ne l’accusez pas !

CAPRICE.

Heureusement que j’ai pu retrouver ses traces… Elle est dans ce pays, j’en suis sûr. Allons, papa…

VLAN.

Un instant ; j’ai faim, je suis éreinté. Voilà une auberge, je m’installe.

CAPRICE.

Tu n’y penses pas ! quand Cosmos est à nos trousses !…

VLAN.

Ah ! mais, dis donc, je ne suis pas de fer ! Ohé ! l’aubergiste !


Scène V

Les Mêmes, GROSBEDON.
GROSBEDON, accourant avec des garçons. Il a un ventre énorme.

Que désirent ces messieurs ?

VLAN.

Oh ! ces ventres, Croscope…

MICROSCOPE.

Oh !

VLAN.

Que nous sommes bêtes !… On nous a prévenus… c’est ici dans le pays des ventrus…

MICROSCOPE.

Mais oui !… le pays où on choisit les rois de la lune !… Tout s’explique alors… cette végétation truculente…

VLAN.

Cette architecture ventripotente…

MICROSCOPE.

Le pays des ventrus !

VLAN.

Regarde donc celui-là ; ce doit être Grosbedon.

GROSBEDON.

En personne.

CAPRICE.

Dites-moi, mon brave homme, vous n’auriez pas vu un homme qui voyage avec une troupe de femmes ?

GROSBEDON.

Quipasseparla, le fameux collectionneur ? justement !

MICROSCOPE.

Mon filou ! il est ici !

CAPRICE.

Oh ! papa ! oh ! Microscope !… elle est ici…

VLAN.

Qui ça ?

CAPRICE.

Fantasia.

VLAN.

Ça m’est égal… allons à la cuisine d’abord… Allons l’aubergiste.

Il entre à droite suivi de Grosbedon.

Scène VI

MICROSCOPE, POPOTTE, CAPRICE puis FANTASIA.
CAPRICE.

Elle est ici !… Pourvu qu’elle entende ma voix. Fantasia ! Fantasia !

FANTASIA, sortant de l’auberge par une autre porte.

Cette voix ! c’est lui !…

CAPRICE.

Fantasia !

FANTASIA, se jetant dans ses bras.

Caprice !

POPOTTE.

Ils s’embrassent, Microscope !

Elle veut se jeter à son cou.
MICROSCOPE.

Non ! madame ! non ! ils ne s’embrassent pas…

POPOTTE.

Ah ! Microscope ! vous ne m’aimerez donc jamais ?

MICROSCOPE.

Si ! peut-être !… quand vous ne m’aimerez plus !…

CAPRICE.

Allons, allons, ne nous arrêtons pas. Cosmos doit être sur nos traces, il faut fuir.

CAPRICE et FANTASIA.

Fuyons !…

POPOTTE.

Fuyons !… (Caprice et Fantasia sortent gaiement, voyant que Microscope ne bouge pas.) Eh bien ! Microscope !

MICROSCOPE.

Oui, madame. J’attends le roi et je vous suis.

POPOTTE.

À bientôt, alors ?

MICROSCOPE.

À bientôt !… (Elle sort. — Resté seul.) Oui… compte là-dessus !


Scène VII

MICROSCOPE, seul, puis VLAN et LES VENTRUS.
VLAN, sortant de la cuisine ; il tient dans les bras un plat de hannetons.

Merci ! merci ! je porterai bien ça tout seul (En scène.) Ils ont une drôle de façon de nourrir ici… Je n’ai trouvé que des hannetons à la broche… enfin pourvu que j’aie de quoi me soutenir… Eh bien ! où sont les autres ?…

MICROSCOPE.

Ils ont filé, nous ferons peut-être bien d’en faire autant…

VLAN.

Avant d’avoir dîné ! jamais !

Bruit de trompettes.
MICROSCOPE.

Qu’est-ce que c’est que ça ? (Il regarde au fond.) Ah ! grand Dieu ! Cosmos…

GROSBEDON, qui est sorti de l’auberge.

Oui, le roi qui cherche des fugitifs et qui passe tous les habitants en revue, maison par maison…

MICROSCOPE.

Ah ! sapristi.

VLAN.

Filons !…

Ils s’apprêtent à se sauver.
MICROSCOPE, avec effroi.

Ah ! par ici des gardes ! Par là, des gardes ! encore des gardes, partout des gardes !

VLAN.

Nous sommes cernés.

MICROSCOPE.

Mais dans ce pays de ventrus on va nous reconnaître tout de suite.

VLAN.

Viens ! j’ai une idée… (À Grosbedon.) Suivez-nous, l’aubergiste…

Ils rentrent dans l’auberge. — Arrivent Cosmos et Cactus avec des gardes.

COSMOS.

Cactus !

CACTUS.

Grand prince !

COSMOS, lui tendant son pouls.

Combien de pulsations ?

CACTUS.

Quatre cent quinze, grand prince !

COSMOS.

Horrible !… oh ! les gueux ! dans quel état ils m’ont mis avec leur élixir !… Mon sang bouillonne, ma tête éclate… j’aime ma femme à présent… Et elle m’a quitté pour ce Microscope… Ô Popotte ! il faut que je te retrouve et que je me venge !…

CACTUS, qui tient la bouteille et qui boit.

Grand prince !

COSMOS.

Eh bien, malheureux ! que fais-tu ? Cette bouteille…

CACTUS.

Oh ! moi, ça ne me fera rien… c’est pour maigrir !…

COSMOS.

Nature calme !… enfin… on a exécuté mes ordres ? le pays est cerné ?

CACTUS.

Oui, grand prince !

COSMOS.

Très bien… il ne nous reste plus que cette auberge à visiter… S’ils y sont, ils ne m’échapperont pas… seulement nous n’avons pas de temps à perdre, car nous approchons de l’hiver et il s’agit de les rattraper le plus vite possible… Dans ce pays de ventres ils ne seront pas difficiles à pincer… Holà, les gens de l’auberge !…

GROSBEDON, sortant avec des gens.

Nous voici, grand roi !

COSMOS.

Commençons l’inspection. (À Cactus.) Je t’autorise à m’aider dans mes recherches !

CACTUS.

Que de remerciements !

Tous les ventrus se sont rangés sur une ligne pour l’inspection.

COSMOS.

Allons (À Grosbedon.) allons, approchez-vous…

GROSBEDON.

Avec plaisir. (Cosmos lui donne un vigoureux coup dans le ventre, celui-ci raisonne comme un tonneau vide.) Oh ! le son est bon… à un autre !

CACTUS.

À mon tour. (Un ventru s’approche de lui, frappant de toutes ses forces) Oh !

Il agite douloureusement la main.
COSMOS.

Tu t’es fait mal ?… À un autre !…

La revue continue.


Scène IX

Les Mêmes, VLAN, MICROSCOPE.

Vlan et Microscope se sont travestis d’une façon burlesque… Ils ont de fausses barbes et des ventres monstrueux.

VLAN, bas à Microscope.

Glissons-nous dans la foule, je te dis qu’ils ne nous reconnaîtront jamais.

MICROSCOPE, bas.

C’est égal, je ne suis pas rassuré, mon ventre me gêne.

VLAN, bas.

Tu t’y feras… surtout du sang-froid et de l’aplomb !

Ils se glissent parmi les ventrus et se trouvent près de Cosmos.
COSMOS, les apercevant.

Oh ! oh ! voilà deux solides gaillards !

VLAN, avec une voix de basse taille.

N’est-ce pas ?

Il tousse.

COSMOS.

Quel creux ! (À Vlan.) Vous n’avez rien à déclarer ?

VLAN.

Quelques cigares, voilà tout…

COSMOS.

Approchez-vous.

Il s’apprête à lui donner un coup de poing.
VLAN.

Voilà le moment. (Cosmos frappe.) Oh !

COSMOS.

Quoi ?

VLAN, avec un sourire.

Rien…

COSMOS, s’approchant de Microscope.

Au petit… ah ! il est moins solide.

MICROSCOPE, tremblant, à part.

Oh ! oh ! c’est à moi…

COSMOS, à Cactus.

À ton tour… frappe !…

Cactus prend son élan.
VLAN, bas à Microscope.

Tiens ferme.

MICROSCOPE, bas.

Mon Dieu ! mon ventre !

VLAN.

Eh bien ?

MICROSCOPE, bas.

Il glisse !

VLAN, bas.

Rattache-le.

MICROSCOPE.

Attendez.

Il veut se retourner.
COSMOS.

Oh ! pas de ça !

CACTUS.

Pas de ça !

Microscope se débat, sa ceinture se déroule, un oreiller s’en échappe.

COSMOS.

Qu’est-ce que c’est que ça ? un oreiller !…

CACTUS.

Du faux !

VLAN.

Imbécile !

COSMOS, désignant Vlan.

Et celui-là ! (Il lui arrache sa barbe.) Vlan !! c’est Vlan ! Enfin ! nous les tenons !

VLAN, ôtant sa fausse barbe.

Ô rage !

MICROSCOPE, même jeu.

Ô désespoir !

COSMOS.

Et votre fils ? et ma femme et ma fille, qu’en avez-vous fait ?

VLAN.

Ah ! eux ! Ils sont loin, par exemple !

COSMOS.

Comment loin ?

Bruit au dehors.
TOUS.

Qu’y a-t-il ?

LE GARDE, accourant avec du monde.

Grand prince !… il est temps de défiler… le vent s’élève, et dans un instant, nous allons être surpris par la neige.

TOUS.

La neige !

VLAN, ahuri.

Comment, la neige ?

COSMOS.

Oui, l’hiver qui succède à l’été…

MICROSCOPE.

Si vite que ça !

CACTUS.

Mais certainement !

COSMOS.

N’importe ! Nous ne rentrerons pas avant d’avoir repris le prince et la princesse.

VLAN.

Oh ! vous ne les rejoindrez pas !

COSMOS.

C’est ce que nous verrons ! (À ses gardes.) En avant !

TOUS.

En avant.

FINAL
CHŒUR.

Courons à leur poursuite,
Il faut les rattraper,
Courons, oui, courons vite
Ou bien ils vont nous échapper !


Scène X

Les Mêmes, QUIPASSEPARLA, puis CAPRICE, FANTASIA, POPOTTE, Chœurs.
QUIPASSEPARLA.

Les voici. (Bis.)
Tout près d’ici
On a pu les reprendre.

COSMOS.

Ah ! que viens-je d’entendre ?

QUIPASSEPARLA.

Et quant à la princesse,
Je n’en veux plus, je vous la laisse.
Reprenez-la, seigneur,
Je vous l’offre de très bon cœur.

POPOTTE, FANTASIA et CAPRICE, entrant.

Ah ! nous sommes transis,
Transis, transis !
Le froid nous a saisis,
Saisis, saisis !

CAPRICE.

Pauvre Fantasia !

COSMOS.

Chère Popotte, te voilà !

La neige commence à tomber.
CAPRICE, frissonnant.

Il neige ! il neige !

FANTASIA.

Bon ! la neige, à présent !

CHŒUR.

Il neige ! il neige !
Bon ! la neige, à présent !

VLAN.

La neige à présent !
Quel pays étonnant !
On était au tropique, on se trouve en Norwège !

CHŒUR.

Il neige ! il neige !
Partons promptement !

CAPRICE.


COUPLETS

Il neige !
Il neige !
Nous grelottons !
La neige,
La neige
Tombe à flocons !

I

La fâcheuse aventure !
Au moment le plus heureux,
Voilà que la nature
S’est mise contre nous deux.
Vainement je m’enflamme,
Mon cœur est pris par le froid,
Moi je brûle, et puis… dame,
Tout se glace autour de moi,
Il fait trop froid vraiment, il fait trop froid !…
Brrr ! brrr ! brrr !…

FANTASIA.

Brrr ! brrr ! brrr !…

TOUS.

Il neige !
Il neige !
Nous grelottons !

La neige,
La neige
Tombe à flocons !

CAPRICE.
II

Doucement je veux prendre
Dans ma main, sa chère main,
Elle veut me la tendre :
L’hiver la glace soudain !
Mon amour s’effarouche,
Et s’envole avec effroi,
Les baisers sur ma bouche
Sont glacés, ah ! non ma foi !
Il fait trop froid ! vraiment il fait trop froid !

TOUS.

Il neige !
Il neige !
Nous grelottons !
La neige,
La neige
Tombe à flocons !
Etc.

COSMOS.

Allons, partons, sans plus attendre
Il s’agit de nous en aller.

CHŒUR.

Il s’agit de nous en aller.

COSMOS.

Vite au palais, il faut nous rendre
Si nous voulons ne pas geler.

CHŒUR.

Si nous voulons ne pas geler.

TOUS, grelottant.

Brrr ! brrr ! brrr ! brrr !
Il neige !
Il neige !
Nous grelottons !
La neige,
La neige
Tombe à flocons.
Il neige !…

Ils font le tour du théâtre, serrés les uns contre les autres. — Sortie générale.
Changement à vue.




QUINZIÈME TABLEAU




CINQUANTE DEGRÉS AU DESSOUS DE ZÉRO
Paysage lunaire d’après Flammarion. — Glaces et frimas. — Énormes glaciers. — Précipices béants. — Tout est gelé. — Un soleil pâle éclaire la scène.


GRAND BALLET DES FLOCONS DE NEIGE
Des enfants arrivent poursuivant des hirondelles qui se sont laissées surprendre par le froid. — Après avoir essayé inutilement de les atteindre, ils se mettent à construire un énorme bonhomme de neige autour duquel ils dansent. — Puis ils disparaissent. — Au fond du théâtre, des danseuses endormies sous la neige s’éveillent peu à peu et descendent sur le devant de la scène. — Le soleil devient plus éclatant. — Le bonhomme de neige se démolit et livre passage à une autre danseuse. — Danses. Puis la neige se met à tomber en tourbillonnant. — Galop général.
Rideau.

ACTE QUATRIÈME




SEIZIÈME TABLEAU


LE CLOS DES POMMIERS
Un clos de pommiers. — Tous les arbres sont chargés de fruits. — Plusieurs sont praticables et, au lever du rideau, de jeunes garçons (travestis) sont grimpés dans les branches et jettent des pommes dans les tabliers des jeunes filles placées au-dessous d’eux. — Des couples se promènent enlacés amoureusement et mordent à pleines dents dans les pommes.




Scène PREMIÈRE

FLAMMA, STELLA, ASPHODÈLE, etc.
INTRODUCTION
CHŒUR.

Allons ! que chaque fillette,
Ici tende son panier !
Achevons notre cueillette,
Dépouillons chaque pommier !

RONDE
I
ADJA.

Ces fruits si bons, ces fruits charmants
Qu’enfin nous pouvons connaître,
Mordons-y tous à pleines dents,
Et que l’amour règne en maître.

CHŒUR.

Mordons-y tous à pleines dents !

ADJA.

En avant, garçons et filles !
En avant, pas de façons !
Formons de joyeux quadrilles
Trémoussons-nous, chantons, dansons !

TOUTES.

En avant, garçons et filles,
Etc.

II
FLAMMA.

Aujourd’hui, nous savons charmer,
Désormais plus d’ignorance,
La femme est faite pour aimer,
Usons de notre puissance.

CHŒUR.

La femme est faite pour aimer !

FLAMMA.

En avant, garçons et filles !…
Etc…

FLAMMA.

Ah ! que c’est bon de croquer des pommes ! Il me semble que je n’étais née que pour ça…

STELLA.

Et moi aussi… j’en croquerais tout le temps !

ADJA.

Et moi donc !…

TOUTES.

Et moi ! et moi !…

FLAMMA.

Qui en veut encore ? j’en ai plein mon panier…

TOUTES.

Moi ! moi !

Elles entourent Flamma et puisent à pleines mains dans son panier. — Entrent Popotte et Fantasia.
POPOTTE, les regardant.

Allons ! ça marche ! ça ! marche !

FANTASIA.

Vous trouvez !… quand Caprice est en prison…

POPOTTE.

Oui, avec mon cher Microscope… mais ça ne fait rien, j’ai bon espoir.

FANTASIA.

Comment cela ?…

POPOTTE.

Innocente, qui n’a pas compris !… c’est pourtant bien simple… L’obus arrivé de la terre contenait encore des pommes en quantité… La curiosité des femmes a fait le reste… elles ont dévalisés l’obus et maintenant les pommes ont produit des pommiers, les pommiers ont produit des pommes et les pommes ont produit — ce que vous voyez…

FANTASIA.

Eh bien ?

POPOTTE.

Eh bien ! maintenant que nous avons les femmes pour nous, nous pouvons être tranquilles.

FANTASIA.

C’est vrai… quel bonheur !…


Scène II

Les Mêmes, COSMOS.
COSMOS.

Que vois-je !

POPOTTE.

Le roi !

TOUTES.

Le roi !

FANTASIA.

Papa !

COSMOS.

Que signifie tout cela ? Répondez, madame ! répondez, mesdemoiselles !…

FANTASIA.

Oh ! mon Dieu, c’est bien simple, ces demoiselles et nous…

POPOTTE.

Nous cueillons des pommes.

COSMOS.

Des pommes ! Et l’on chante !… et l’on s’embrasse !…

FLAMMA.

Dame ! c’est si gentil !

TOUTES.

Oh !

COSMOS.

Qu’est-ce qui a dit : c’est si gentil ?

FLAMMA, levant la main.

Moi !

ASPHODÈLE, même jeu.

Moi !

STELLA, même jeu.

Moi !

TOUTES, à tour de rôle.

Moi !…

FLAMMA.

Ne nous grondez pas…

ITA.

Mon bon Cosmos.

TOUTES, l’entourant.

Mon bon petit Cosmos !

COSMOS, les regardant avec envie.

Cristi ! sont-elles jolies…

POPOTTE, s’approchant doucement.

Mon ami…

COSMOS.

Son ami… ah !

POPOTTE.

Cela ne vous tente donc pas ?

COSMOS.

Oh ! si ! oh ! si !… Mais je lutte, madame, je lutte !… oh ! cela me coûte beaucoup, mais je suis roi avant d’être homme, et mon royaume est mis en danger par le fléau… À tout prix, je veux l’endiguer, et je l’endiguerai !…

FANTASIA.

Mais…

COSMOS, avec force.

Je l’endiguerai, mademoiselle !… Et, pour commencer, je vais faire un exemple… Les trois misérables qui sont cause de tout le mal vont être extraits de leur prison, et on va les juger à l’instant.

FANTASIA.

Les juger !

TOUTES.

Ah !

COSMOS.

Ici même, sous ces arbres, qui témoignent de leur crime.

FANTASIA.

Ah !

POPOTTE.

Mon Dieu !

UN HUISSIER, annonçant.

La cour !

COSMOS.

Les voici, on les amène.


Scène III

Les Mêmes, Des Gardes, UN HUISSIER, Les Juges,
puis VLAN, MICROSCOPE et CAPRICE.
Musique. — Les juges arrivent en dansant, précédés d’une fanfare joyeuse.
CHŒUR.

Voici le tribunal,
Il est joyeux, original,
D’humeur bouffonne,
Et folichonne,
Allons y donc gaîment
D’un petit jugement !

Pendant le chant, on a installé le tribunal. — Une table pour Cosmos et les juges. — Un banc pour les accusés et deux petites tables réservées à la défense et à l’accusation.
L’HUISSIER, annonçant.

Les accusés !

Des gardes amènent Vlan, Caprice et Microscope.
MICROSCOPE, à Vlan.

Vous entendez ?… les accusés… Ah ! je suis bien inquiet…

VLAN.

Pas moi… je te dis qu’il y a malentendu, et voilà tout… Il n’est pas possible qu’entre confrères… je vais dire deux mots à Cosmos, et…

CAPRICE, apercevant Fantasia.

Ah ! papa, elle est là !

FANTASIA, poussant un cri.

Caprice !

CAPRICE.

Fantasia !

POPOTTE.

Mon Microscope !

Toutes deux envoient des baisers.
MICROSCOPE.

Oh ! merci !

COSMOS, furieux.

Huissier, faites faire silence.

L’HUISSIER, avec une petite voix.

Silence !

COSMOS.

Asseyez-vous !

CAPRICE.

Tout va s’arranger… parle papa.

VLAN.

J’ai deux mots à dire à mon collègue… (Se levant et se dirigeant vers lui.) Mon cher Cosmos…

COSMOS.

Parlez-moi de votre banc.

VLAN, retournant à sa place.

Ah !… de mon banc, humiliation ! (Il s’assied.) Mon cher Cosmos… j’ai une proposition à vous faire…

MICROSCOPE.

Avantageuse pour tout le monde.

CAPRICE.

Vous allez voir que tout peut s’arranger.

COSMOS.

Parlez…

VLAN.

Après tout, que s’est-il passé ?

CAPRICE.

Rien du tout.

MICROSCOPE.

Absolument rien.

FANTASIA et POPOTTE.

C’est vrai !

COSMOS.

Taisez-vous, ma fille ! (À Vlan.) Ah ! vous trouvez ça, vous ?

VLAN.

Il a fait son devoir de jeune homme.

CAPRICE.

Rien de plus.

VLAN.

Mais il est prêt à en subir les conséquences, et j’ai l’honneur de vous demander la main de votre fille pour mon fils.

FANTASIA.

Ah !

CAPRICE.

Bravo, papa.

LES FEMMES.

Bravo ! bravo !

COSMOS.

Allez vous asseoir.

VLAN, à Caprice et Microscope.

Je vous l’avais bien dit, l’affaire est arrangée, il accepte.

COSMOS.

Je ne répondrai même pas à une proposition dont messieurs les juges ont sans doute déjà apprécié la haute inconvenance…

Les juges éclatent de rire.
VLAN.

Hein ! voyons, mon cher collègue…

COSMOS.

Taisez-vous et commençons.

VLAN.

Ah ça ! on va donc vraiment nous juger ?… sous des pommiers ?

CAPRICE.

Et au milieu de toutes ces petites femmes.

VLAN.

Ce n’est pas sérieux !… ce n’est pas sérieux !

COSMOS.

Vous allez voir !… Commençons !…

CAPRICE.

Un instant ! on ne peut pas nous juger, nous n’avons pas d’avocat.

COSMOS.

Rassurez-vous, vous en aurez un.

VLAN.

Oh ! mais, nous ne voulons pas du premier venu.

COSMOS.

Ne craignez rien. On vous donnera le meilleur… Il n’y en a qu’un. Ainsi…

VLAN.

Comment ! Il n’y a qu’un avocat dans la lune !

MICROSCOPE et CAPRICE.

Allons donc !

COSMOS.

Ah ça ! est-ce que vous croyez qu’on va laisser les avocats pulluler ici ?… ce serait trop dangereux… Et si même on pouvait ne pas en avoir du tout…

CAPRICE.

Ça, c’est assez juste…

VLAN.

Mais a-t-il du talent, au moins, votre avocat ?

COSMOS.

Un talent énorme. Il est d’une éloquence… du reste, vous le connaissez, c’est…

L’HUISSIER, annonçant.

Monsieur l’avocat !

COSMOS.

Ah ! le voici ! (Entre Cactus.)

VLAN.

Comment ! Lui ?

CAPRICE.
Cactus !

Scène IV

Les Mêmes, CACTUS.
CACTUS, en robe d’avocat portant une serviette bourrée de papiers. — Il est très essoufflé.

Pardon ! je suis un peu en retard…

VLAN, stupéfait.

Lui avocat !

CAPRICE.

Un homme qui ne parle jamais !

COSMOS.

Oui, dans la vie privée.

CACTUS.

Je me ménage.

CAPRICE.

Voyez-vous ça !

VLAN.

Comme il cachait son jeu ! Eh bien, nous allons vous expliquer notre cause en deux mots…

CACTUS.

Inutile… je n’étudie jamais mes affaires.

CAPRICE.

À la bonne heure, il est franc, il l’avoue, lui !…

COSMOS.

Maintenant, nous pouvons commencer. (À Cactus.) La parole est à la défense.

Cactus se lève et se dirige majestueusement vers le banc de la défense. L’huissier a placé sur sa table un énorme sablier. — Rumeurs flatteuses dans la foule.
VLAN, à Cactus.

Dites donc, soyez éloquent…

CACTUS, avec un sourire.

N’ayez pas peur… (Mouvement d’attention prolongé, avec la plus grande volubilité.) Messieurs, la rapidité, la spontanéité, et la volubilité de ma parole alerte et vertigineuse suffiront à peine pour énoncer dans tous ses points, creuser, scruter, disséquer les phases extraordinairement multiples et ondoyantes de cette cause qui vous passionne, vous remue, vous excite et vous émeut ! (Bravos dans la foule. Il s’essuie le front et reprend.) Au moment d’aborder un pareil sujet, je l’avouerai moi-même, messieurs, je suis ému, bien ému…

Mouvement dans l’auditoire.
MICROSCOPE.

C’est magnifique !

CAPRICE.

Quel talent ! Il n’en a jamais tant dit.

VLAN, allant lui serrer la main.

Grand orateur, merci !

CACTUS, reprenant.

Oui, je suis bien ému, car j’en ai la conviction intime, mes clients ne sont pas coupables, et je le prouve.

VLAN.

Ah ! Il le prouve… écoutez ceci.

COSMOS.

C’est assez !

VLAN.

Comment c’est assez ?

CACTUS, continuant.

Je le prouve.

COSMOS, à Cactus.

Je vous dis que c’est assez… regardez donc votre sablier, vous avez fini votre temps.

CACTUS, regardant le sablier.

Ah ! pardon… c’est juste… plus de sable, je m’arrête… (Il quitte sa place.) La loi est formelle…

VLAN.

Comment, comment… c’est une mauvaise plaisanterie, votre sablier.

MICROSCOPE.

Une très mauvaise plaisanterie.

COSMOS.

Maintenant la parole est à l’accusation.

À ce moment, Cactus change de place et se dirige du côté opposé.
CACTUS.

Messieurs…

VLAN.

Hein ! permettez !

MICROSCOPE.

Il y a erreur.

CAPRICE.

Monsieur est notre avocat.

COSMOS.

Eh bien ?

CAPRICE.

Eh bien, il vient de nous défendre, il ne peut pas nous accuser…

COSMOS.

Au contraire… il n’a qu’à retourner son plaidoyer… (À Cactus.) Vous pouvez commencer.

CACTUS.

Messieurs, ce que vient de dire mon honorable contradicteur est absolument faux, et je le prouve…

TOUS TROIS.

Hein ?…

CACTUS, s’animant.

Les trois misérables que vous voyez devant vous ont mérité les supplices les plus affreux, et c’est avec confiance, messieurs les juges, que j’appelle sur eux toute votre impartiale sévérité…

Murmure d’admiration parmi les juges.
MICROSCOPE, se levant.

Non ! je ne permettrai pas ça ! C’est monstrueux !

CAPRICE.

On ne se conduit pas comme ça !

VLAN.

Je ne reviendrai plus me faire juger dans la lune !…

COSMOS.

Ah ! vous n’êtes pas contents ! Eh bien ! soit, je clos les débats, et je prononce le jugement moi-même.

MICROSCOPE.

Comment ! sans délibération !

COSMOS, dépliant un papier.

C’est inutile, il était fait d’avance… (Lisant.) Attendu que… etc, etc. La peine de mort n’existant pas dans la lune…

CAPRICE.

C’est toujours ça…

COSMOS, continuant.

« Les nommés Vlan, Caprice et Microscope ne sont condamnés qu’à passer cinq ans dans l’intérieur d’un volcan éteint. »

MICROSCOPE.

Fichtre !

VLAN.

C’est raide !

MICROSCOPE.

Enfin, heureusement qu’il est éteint.

COSMOS, continuant.

« Où ils seront absolument privés de toute espèce de nourriture. »

CAPRICE.

Comment, privés de nourriture !

VLAN.

Et vous dites que la peine de mort n’existe pas ?

COSMOS.

Oui… Mais c’est un biais.

FANTASIA, à part.

Oh ! Caprice, je ne t’abandonnerai pas !

POPOTTE, de même.

Mon Microscope, je te vengerai.

COSMOS.

Qu’on emmène les prisonniers !

Deux gardes seulement emmènent Vlan, Caprice et Microscope. — Les autres ont pris des femmes par la taille. — La ronde reprend avec force.
Changement à vue.




DIX-SEPTIÈME TABLEAU




LA GLACIÈRE
Une glacière au sommet d’une montagne. — C’est une grotte formée de stalactites et de blocs de glace. — On y arrive par une ouverture naturelle placée en pan coupé à gauche. — À droite une autre ouverture qui communique avec le cratère d’un volcan. — Des roues énormes avec poulies et engrenages sont établies à même sur le roc et sont censées de continuer dans la coulisse, au-dessus du cratère.




Scène PREMIÈRE

UN GARDE, VLAN, CAPRICE et MICROSCOPE.
LE GARDE, les introduisant.

Entrez là… Tout à l’heure on va vous descendre.

CAPRICE.

Nous descendre !

VLAN.

Il dit cela tranquillement, lui…

MICROSCOPE.

Et par où nous descendra-t-on ?

LE GARDE, lui montrant la droite.

Par là… Voici le système.

MICROSCOPE.

Ah ! oui ! j’aperçois la mécanique… Voyons… C’est que ça me connaît, les mécaniques…

CAPRICE, qui s’est penché.

Dieu ! que c’est profond !

VLAN, de même.

Oui… et voilà le panier qui va nous mener en bas. Vois-tu le panier ?… (Se retournant vers le garde.) Merci, mon ami… c’est très gai, tout ça…

LE GARDE.

Vous avez cinq minutes pour vous recueillir…

Il sort.

Scène II

VLAN, CAPRICE et MICROSCOPE.
VLAN.

Eh bien ! mes enfants, recueillons-nous…

Moment de silence.
MICROSCOPE, éclatant tout à coup.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! quel avenir !

VLAN.

Ma carrière brisée !…

CAPRICE.

Voyons, voyons, papa, un peu de courage… Fais comme moi, du moment que je ne puis pas avoir Fantasia, tout m’est égal, et, ma foi, à tout prendre, je ne serai pas fâché de voir un volcan.

VLAN.

Oui, mais voir un volcan pendant cinq ans.

MICROSCOPE.

Et sans aucune espèce de nourriture.

CAPRICE.

Bah ! nous nous y ferons peut-être…

MICROSCOPE.

Ô désespoir !

VLAN.

Ô abîme de désolation !

MICROSCOPE.

Pourquoi sommes-nous venus dans la lune ?

VLAN.

C’est ta faute…

MICROSCOPE.

Comment !

VLAN.

Certainement, c’est toi qui as inventé le canon.

MICROSCOPE.

Mais permettez…

VLAN.

Tais-toi, ta seule excuse, c’est que tu n’as pas inventé la poudre…

CAPRICE.

Allons ! allons ! Pourquoi récriminer… Après tout, je ne regrette pas d’être venu ici, moi, cela nous a fait voir du pays…

VLAN.

Un joli pays…

CAPRICE.

Et des femmes.

VLAN.

Parlons-en, des femmes !… tu vois où elles nous ont menés…

MICROSCOPE.

Oh ! j’aime encore mieux celles de la terre… (À part.) Ô Cascadine ! Cascadine ! comme elle doit s’ennuyer là-bas… Sans compter que sa tante n’est peut-être plus malade… Elle n’a plus rien à faire. (À ce moment, on entend une sonnerie. — Avec un cri.) Ah ! une dépêche !

CAPRICE, surpris.

Une dépêche…

VLAN.

Qu’est-ce que tu nous chantes ?…

MICROSCOPE.

Oui, une dépêche d’elle, de Cascadine… car vous ne savez pas, j’ai une petite liaison, sur terre, une artiste lyrique.

VLAN.

À ton âge !

CAPRICE.

Eh bien ?

MICROSCOPE.

Eh bien ! pour ne pas être tout à fait séparé d’elle, j’avais emporté un petit appareil télégraphique.

VLAN.

Tu avais un télégraphe dans ta poche et tu ne me l’as pas dit, animal ! Nous aurions pu avoir des nouvelles… Voyons, ta dépêche ?

MICROSCOPE.

C’est que c’est peut-être tout intime… enfin… (Il ouvre sa dépêche et lit.) « Mon bon lapin, affaires vont mal » Ah ! diable, elle va encore me demander de l’argent. (Reprenant.) « Si roi Vlan pas revenir bien vite, roi Vlan perd couronne. »

VLAN et CAPRICE.

Hein ?

MICROSCOPE, continuant.

« Si roi Vlan perd couronne, toi perds position, si toi perds position, moi lâche toi. — Un baiser. — Cascadine. » Ah bien ! ah bien !

VLAN.

Si roi Vlan pas revenir bien vite, roi Vlan perd couronne !… Eh bien ! elle est gentille, ta dépêche !

CAPRICE.

Revenir !… comme si c’était facile !…

MICROSCOPE.

Je m’en chargerais bien encore… Seulement il faudrait être libres et nous avons nos cinq ans de volcan à faire…


Scène III

Les Mêmes, LE GARDE, COSMOS.
LE GARDE, reparaissant.

Les cinq minutes sont écoulées, on va vous descendre. Voici le roi.

TOUS LES TROIS.

Cosmos !…

COSMOS.

Oui, mes amis… je vais descendre avec vous pour vous installer… ah ! seulement, moi je remonterai, tandis que vous…

VLAN.

Un instant, mon cher collègue, j’aurais deux mots à vous dire. Je viens de recevoir une dépêche de la terre… Des affaires très graves me rappellent chez moi et je vous demande un petit congé.

COSMOS, riant.

Un congé !

VLAN.

Oh ! je reviendrai… le temps d’aller et de venir.

COSMOS.

Ah ! ah ! ah ! vous êtes gais, vous !

CAPRICE.

Mais non, c’est très sérieux.

MICROSCOPE.

Excessivement sérieux !

VLAN.

Tenez, voici la dépêche… « Si roi Vlan pas revenir bien vite, roi Vlan… »

COSMOS.

Oui, oui… je vous crois, mais en attendant vous allez descendre. Le panier est tout prêt.

VLAN.

Mais…

COSMOS.

Pas d’observations ! Je vous dis que le panier est prêt.

VLAN.

Y tient-il à son panier !

LE GARDE, les poussant à droite.

Allons, allons…

VLAN.

Passe, Microscope.

MICROSCOPE.

Après vous.

VLAN.

Ne fais donc pas de manières. (Microscope passe.) À toi, Caprice.

CAPRICE, gaiement.

Ah ! ma foi ! à la grâce de Dieu !

Il passe. Vlan le suit, puis Cosmos.
LE GARDE, se penchant.

Là ! les voilà embarqués… Il ne reste plus qu’à les faire descendre… Bonne chance !… C’est égal, ils ne vont guère s’amuser là-dessous ! Cré nom ! j’aime mieux que ce soit eux que moi !

Il sort.
Changement à vue.




DIX-HUITIÈME TABLEAU




LE CRATÈRE
Une sorte de puits par où on pénètre dans le volcan. Au changement, un énorme panier où sont Cosmos, Vlan, Caprice et Microscope, est descendu du cintre et se trouve à peu près à un mètre du sol.




Scène PREMIÈRE

COSMOS, VLAN, CAPRICE et MICROSCOPE.
COSMOS, se faisant un porte-voix de ses mains et criant.

Ohé ! là-haut !… Encore un peu ! (Le panier descend encore et arrive à toucher le sol.) Stop ! (Sortant du panier.) Messieurs, si vous voulez prendre la peine… nous sommes arrivés…

VLAN, sortant avec Caprice et Microscope.

Voyons, mon cher Cosmos, je vous assure que mes affaires me rappellent sur terre…

COSMOS.

Oui, oui, vous me l’avez déjà dit… commencez par faire votre temps et puis nous verrons.

VLAN.

Oh !

COSMOS.

Du reste, de quoi vous plaignez-vous ? Vous serez très bien ici… c’est grand, il y a de quoi se promener… Tenez, là-bas, ça me parait très-gentil.

MICROSCOPE.

Gentil ! Il appelle ça gentil !

CAPRICE.

Le fait est qu’à première vue, ce n’est pas trop mal.

VLAN.

Veux-tu bien te taire ! Ne vas-tu pas lui donner raison !… ma parole d’honneur, je comprends qu’on aime le pittoresque, mais il y a des limites…

COSMOS.

Sur ce, mes bons amis, je vous dis adieu… amusez-vous bien, moi je remonte au grand air. (Criant.) Ohé ! là-haut ! y êtes-vous ?

UNE VOIX, d’en haut.

Oui !

COSMOS, criant.

Attention, vous allez me remonter… (À ce moment, la corde qui tient le panier est coupée en haut et tombe avec bruit.) Hein ? qu’est-ce que c’est que ça ?

CAPRICE.

On a coupé la corde !…

VLAN.

Oh ! elle est drôle !

Une pierre tombe d’en haut avec une lettre.
COSMOS.

Une lettre !… qu’est-ce que ça veut dire ? (Regardant la lettre.) L’écriture de Popotte ! (Il ouvre la lettre et lit.) Vous avez voulu faire périr mon Microscope, j’ai juré de le venger, je le venge, c’est moi qui viens de couper la corde…

CAPRICE, riant.

Ah ! ah ! ah ! vous ne vous attendiez pas à ça !

VLAN, de même.

Ce bon Cosmos !

MICROSCOPE, de même.

Cet excellent Cosmos ! Eh bien, écoutez, elle a du bon, votre femme, elle est aimante… et, ma foi, sans Cascadine…

COSMOS, furieux.

Mais c’est une indignité !… (Appelant.) Madame !

VLAN.

Voyons, voyons ! De quoi vous plaignez-vous ? vous serez très bien ici…

MICROSCOPE.

C’est grand, il y a de quoi se promener…

CAPRICE.

Tenez, là-bas, c’est très gentil…

COSMOS.

Je vous conseille de rire…

CAPRICE.

Bah ! bah ! vous verrez que nous finirons par nous arranger ici une petite existence assez confortable… Pour ma part, je ne regrette qu’une chose, c’est d’être séparé de ma chère Fantasia.


Scène II

Les Mêmes, FANTASIA.
FANTASIA, paraissant.

Mais je suis là, mon ami.

TOUS, surpris.

Ah !

CAPRICE, avec un cri de joie.

Fantasia !

FANTASIA.

Caprice !

Ils s’embrassent.
VLAN.

Comme on se rencontre dans un volcan !

COSMOS.

Ma fille ici !… mademoiselle, voulez-vous bien vous en al… mais non ! elle ne peut pas !

CAPRICE.

Mais comment se fait-il ?

FANTASIA.

J’ai corrompu les gardes et j’ai pu descendre avant vous. (À Cosmos.) Ah ! tu as voulu qu’il meure ! Eh bien, je mourrai avec lui.

CAPRICE.

Là ! c’est bien fait !

COSMOS.

Mais c’est impossible ! il doit y avoir une issue… cherchons !… Venez avec moi, et si nous parvenons à nous tirer de là, je vous promets votre grâce…

MICROSCOPE.

Notre grâce ?

CAPRICE.

Et la main de Fantasia ?

COSMOS.

Oui, mais d’abord il faut sortir d’ici… cherchons. Tenez, là, dans cette galerie…

MICROSCOPE.

Moi, je vais de ce côté…

VLAN.

Le premier arrivé attendra les autres.

CAPRICE.

En route, alors !

TOUS.

En route !

Cosmos, Vlan, Caprice et Fantasia s’enfoncent à droite, Microscope se dirige vers la gauche. Le décor marche avec eux, jusqu’au tableau suivant. Microscope seul n’est pas resté en vue du public.
Changement à vue.




DIX-NEUVIÈME TABLEAU




L’INTÉRIEUR DU VOLCAN
Une chambre de scories volcaniques. — Au fond, une sorte de rampe praticable formée par la lave. Sous cette rampe et vers le milieu du théâtre, un gouffre d’où s’échappent des vapeurs de soufre.




Scène UNIQUE

VLAN, COSMOS, MICROSCOPE, CAPRICE, FANTASIA.
VLAN, appelant.

Microscope ! ohé !

TOUS.

Ohé ! Microscope !

MICROSCOPE, paraissant sur la rampe du fond.

Me voici ! me voici !…

COSMOS.

Avec tout ça, je n’aperçois pas d’issue.

À ce moment, on entend un grondement sourd.
TOUS.

Oh !

FANTASIA, avec crainte.

Avez-vous entendu ?

MICROSCOPE.

Ce doit être l’écho… Voyons donc ! (Il crie.) Oh ! oh !

Nouveau grondement.
TOUS.

Ah !

MICROSCOPE, un peu effrayé.

Ah ! mais, ça, ça n’a pas l’air du tout d’être l’écho !

VLAN.

Dites donc ! dites donc, Cosmos ?… êtes-vous bien sûr qu’il est éteint, votre volcan ?

COSMOS.

Parfaitement sûr… Entre nous, je crois même qu’il ne s’est jamais allumé…

Musique à l’orchestre.
MICROSCOPE, qui s’est penché sur le gouffre.

Mais on dirait que ça bouillonne, là-dedans… (Se mettant à tousser.) Ah ! pouah !… ça vous prend à la gorge !… (Le grondement a continué en grossissant, il se penche encore.) Mais oui… il y a du feu…

On entend une série de détonations.
TOUS.

Ah !

FANTASIA.

J’ai peur !…

MICROSCOPE, revenant vivement.

La lave !… Elle monte !…

Le décor s’est éclairé, le grondement et les détonations augmentent.
FANTASIA, se jetant dans les bras de Caprice.

Oh ! mon Dieu !… Caprice !

CAPRICE.

Sauvons-nous !

Il l’entraîne à gauche.
MICROSCOPE.

Sauve qui peut !…

La lave a continué de monter et s’élève au-dessus du gouffre.
COSMOS et VLAN.

Nous sommes perdus !

MICROSCOPE.

Une issue !… ah ! si je pouvais… à moi…

Il se sauve à droite.




VINGTIÈME TABLEAU




L’ÉRUPTION
Tout le théâtre s’emplit de feu et de fumée. Microscope s’est réfugié sur la rampe du fond qu’il gravit péniblement. À peine est-il arrivé au milieu, qu’une explosion se fait entendre. Le rocher sur lequel il se trouve est projeté avec lui dans l’espace. Vlan et Cosmos affolés parcourent le théâtre en cherchant une issue. La lave envahit la scène.




VINGT-ET-UNIÈME TABLEAU




LA PLUIE DE CENDRES
La fumée s’est épaissie. — En même temps, de tous les côtés tombe une pluie de cendres qui obscurcit tout le décor et finit par le masquer complètement.




VINGT-DEUXIÈME TABLEAU




LE SOMMET DU VOLCAN APRÈS L’ÉRUPTION


Les fumées se dissipent. — On aperçoit le sommet du volcan. — Paysage ravagé. — Partout des crevasses, des débris fumants, des cendres encore chaudes, des quartiers de roc rejetés par l’éruption. — Au fond, un immense horizon bleu où l’on commence à voir le disque de la terre qui se lève et éclaire faiblement la scène.




Scène UNIQUE

CAPRICE, FANTASIA, VLAN, COSMOS, puis MICROSCOPE, puis POPOTTE, et les Chœurs.
Caprice et Fantasia sont étendus l’un près de l’autre et évanouis ; plus loin, Cosmos et Vlan.
CAPRICE, revenant à lui et regardant autour de lui.

Mon Dieu ! où suis-je ?… Et Fantasia ?…

FANTASIA, faiblement.

Caprice !

CAPRICE, l’apercevant.

Ah ! vivante !

FANTASIA, même jeu.

Vivant !

COSMOS, remuant un bras.

Ouf !

VLAN, agitant une jambe.

Holà !

COSMOS.

C’est vous, Vlan ?

VLAN.

Oui… C’est vous, Cosmos ?

COSMOS.

Oui… Vous n’avez rien ?

VLAN, se redressant.

Je ne sais pas, je me tâte… Non, je ne crois pas. Voyons, mes enfants, faisons l’appel pour nous assurer que nous sommes au complet. (Appelant.) Caprice !…

CAPRICE.

Présent !

VLAN.

Fantasia !

FANTASIA.

Me voilà !

VLAN.

Microscope !… eh bien !… (Appelant encore.) Microscope !

TOUS.

Microscope !

On entend un gémissement qui sort d’une des crevasses.
VLAN.

Ah ! je l’aperçois ! eh bien ! il est joli !…

Il étend le bras et ramène Microscope tout couvert de cendres.
MICROSCOPE, geignant.

Holà ! holà ! prenez garde, je suis moulu !

VLAN.

Eh bien, mon garçon, je t’ai cru fricassé… Quand je t’ai vu sauter en l’air, je me suis dit : c’est fini !… Comment as-tu fait ton compte ?

MICROSCOPE.

Vous savez, un savant se tire toujours de tout.

VLAN.
Enfin, reprenons l’appel… Cosmos ?
COSMOS.

Présent !

VLAN.

Vlan ?… (Silence. — Avec inquiétude.) Vlan ?… eh bien, il ne répond pas !… Mes enfants, nous avons eu la douleur de perdre un des nôtres !…

CAPRICE.

Mais papa, c’est toi…

COSMOS et MICROSCOPE.

C’est vous !

VLAN, rassuré.

Ah ! c’est vrai… Dame, écoutez donc, après une secousse pareille, on ne sait plus ce qu’on est ou ce qu’on n’est pas… enfin, nous y sommes tous, c’est une chance.

POPOTTE, accourant avec du monde.

Ah ! les voici ! les voici !

VLAN.

Eh bien, maintenant, mon cher Cosmos, vous savez ce qui est convenu ? Nous sommes libres.

COSMOS.

Parfaitement.

VLAN.

Microscope, tu entends, il faut songer au départ.

MICROSCOPE.

Ah !… mais…

VLAN.

Pas d’observation !

MICROSCOPE.

Dame ! ça prendra peut-être un peu de temps… (Par réflexion.) Au fait, si je suis embarrassé, j’enverrai une dépêche sur terre.

COSMOS.

Tenez, la voici qui se lève, la terre.

TOUS.

Terre ! terre !





VINGT-TROISIÈME TABLEAU




LE CLAIR DE TERRE
La terre s’est levée tout à fait au fond du théâtre et l’éclaire vivement comme une aurore boréale. — La scène s’emplit de monde
CHŒUR FINAL

Nous te saluons, ô terre !
Ô bel astre argenté !
Toi dont la lumière
Éclaire l’immensité !



FIN